University of Minnesota



Observations finales du Comité sur l
'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, République-Unie de Tanzanie, U.N. Doc. A/53/38/Rev.1,paras.206-242 (1998).




Comité pour l'élimination
de la discrimination à l'égard des femmes
Dix-neuvième session
22 juin au 10 juillet 1998


République-Unie de Tanzanie



Le Comité a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques réunis de la République-Unie de Tanzanie (CEDAW/C/TZA/2-3) à ses 394e et 395e séances, le 1er juillet 1998 (voir CEDAW/C/SR.394 et 395).

Présentation par l'État partie

Lorsqu'elle a présenté les rapports, qui portent sur la période allant de 1990 à 1996, la représentante de la République-Unie de Tanzanie a informé le Comité que, depuis le premier rapport examiné en 1990, le pays était passé d'un système à parti unique à une démocratie multipartite, les premières élections démocratiques ayant eu lieu en 1995, et que les réformes politiques avaient créé de vastes possibilités de participation pour les organisations non gouvernementales féminines.

La représentante a fait état des réformes économiques en cours, y compris les programmes d'ajustement structurel, qui avaient porté préjudice aux femmes, notamment parce que celles-ci avaient un faible revenu et un niveau d'éducation peu élevé, et qui avaient amoindri leur capacité de faire face à la concurrence sur le marché libre.

La représentante a informé le Comité que le Mécanisme national en faveur des femmes avait été transformé en deux ministères à part entière, à savoir le Ministère du développement communautaire, des affaires féminines et des enfants en Tanzanie continentale et le Ministère d'État pour la femme et l'enfant à Zanzibar, et non en un seul ministère seulement sur le continent. Elle a fait observer que la Constitution consacrait le principe de l'égalité, mais que la définition du terme «discrimination» ne prévoyait pas de discrimination fondée sur le sexe. Toutefois, le Gouvernement envisageait de modifier la Constitution, ce qui donnerait l'occasion d'y incorporer la discrimination fondée sur le sexe.

La représentante a exposé brièvement les dispositions prises pour réformer les lois qui défavorisaient les femmes, notant que plusieurs lois, y compris certaines relevant du droit coutumier, avaient été considérées comme contraires aux principes consacrés dans les droits de l'homme. Des amendements avaient été apportés aux lois sanctionnant les délits sexuels et de nouvelles lois avaient été adoptées concernant le trafic des femmes, le commerce de la prostitution et la pénalisation de la mutilation génitale des femmes. Il avait également été envisagé de modifier les lois relatives aux droits à la terre des femmes. La représentante a noté que l'existence des multiples sources de la loi, y compris le droit écrit, le droit coutumier et le droit religieux, freinait l'application de la Convention dans certains domaines. À cet égard, elle a fait observer que la loi sur le mariage reconnaissait la légalité des mariages polygames.

La représentante a informé le Comité des dispositions qui avaient été prises pour informer le public des droits de la femme, notamment la publication d'une brochure sur les droits de la femme et la traduction de la Convention en kiswahili, qui est la langue nationale de la République-Unie de Tanzanie. Le Programme d'action de Beijing était également utilisé pour informer les femmes et les jeunes filles de leurs droits. Les organisations non gouvernementales s'étaient employées activement à sensibiliser l'ensemble de la population et les fonctionnaires de l'État aux violations des droits de la femme.

La représentante a informé le Comité que des mesures palliatives avaient été mises en oeuvre en faveur de la femme dans les domaines de la participation à la vie politique et de la prise des décisions, de l'emploi et de l'éducation. Elle a noté que le taux d'abandon scolaire restait élevé parmi les filles et que celles-ci avaient difficilement accès à l'enseignement secondaire et aux études spécialisées.

La représentante a rappelé que la violence à l'égard des femmes, y compris les agressions et le harcèlement sexuels ainsi que la violence familiale, posaient toujours de graves problèmes mais qu'il existait à ce sujet peu de statistiques. Les jeunes filles étaient particulièrement vulnérables aux violences sexuelles car les hommes croyaient courir auprès d'elles moins de risques de contracter le VIH/sida, notamment. Les traditions et pratiques héritées de la coutume, y compris les mutilations génitales des femmes, compromettaient l'application de la Convention.

La représentante a informé le Comité que la dégradation de la santé de la femme était imputable à plusieurs facteurs : mauvaises conditions d'hygiène, ampleur de leurs tâches, sous-alimentation, fréquence des naissances et forte augmentation de la pauvreté et des taux de mortalité liée à la maternité. Les programmes de planification familiale dans la République-Unie de Tanzanie avaient été couronnés de succès et des mesures avaient été prises pour mieux faire comprendre à la population les risques présentés par le VIH/sida.

La représentante a rappelé que le Fonds de développement pour les femmes avait été créé en 1994 dans le but de mobiliser des ressources, d'octroyer des prêts, de servir de fonds de garantie, de créer des emplois et des revenus et d'offrir des services commerciaux consultatifs pour les femmes.

La représentante a informé le Comité que 80 % environ de la population tanzanienne vivait en zone rurale. Les politiques mises en place par l'État en vue de fournir des services de base – eau salubre, centres de santé, technologies appropriées et bonnes infrastructures, par exemple – s'étaient trouvées mises en échec par les difficultés économiques que rencontrait le pays. Par ailleurs, une attention toute particulière a été accordée au rôle des femmes dans la gestion de l'approvisionnement en eau et de l'assainis-sement. Toutefois, le système d'irrigation traditionnel restait sous la domination des hommes.

En conclusion, la représentante a insisté sur les difficultés dues à l'absence de ressources, et fait observer que l'ampleur du service de la dette, alors même que l'aide internationale demeurait modeste, laissait peu de ressources pour l'exécution des programmes, y compris ceux en faveur de la promotion de la femme.

Conclusions du Comité

Introduction

Le Comité a pris note avec satisfaction des deuxième et troisième rapports périodiques présentés ensemble par le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie. Il a noté que les rapports étaient dans une large mesure conformes aux directives qu'il avait fournies concernant la forme et la teneur des rapports périodiques. Il s'est déclaré satisfait de l'exposé de la délégation, qui répondait à la plupart des questions posées par le groupe de travail de présession.

Tout en se félicitant du niveau élevé de représentation de la délégation, qui comprenait la Secrétaire principale attachée au Ministère du développement communautaire, des affaires féminines et des enfants, ainsi que de son exposé sans détour, le Comité regrette que le rapport ne contienne pas suffisamment d'informations et de statistiques et ne présente donc pas de ce fait de vue d'ensemble complète des progrès accomplis dans la mise en oeuvre de la Convention depuis que le pays a présenté son rapport initial, qui avait été examiné en 1990.

Aspects positifs

Le Comité se félicite de l'initiative prise par le Gouvernement d'élever le mécanisme national du rang de département à celui de ministère à part entière, ce qui a débouché sur une politique favorisant les droits de la femme.

Le Comité accueille avec satisfaction la promulgation d'une nouvelle loi pénalisant la mutilation génitale des femmes, qui contribue concrètement à éliminer la violence à l'égard des femmes et des fillettes.

Le Comité se félicite également des efforts déployés par le Gouvernement en vue de revoir et de réviser les lois nationales en vigueur pour les aligner sur la Convention.

Le Comité constate avec satisfaction que les organisations non gouvernementales et les groupements féminins participent activement à l'amélioration de la condition de la femme dans la République-Unie de Tanzanie et encourage le Gouvernement à travailler encore plus de concert avec eux.

Facteurs entravant l'application de la Convention

Le Comité note la situation économique actuelle de la République-Unie de Tanzanie et des difficultés qu'entraîne le service de sa dette extérieure.

Il est d'avis que les pratiques traditionnelles et la coexistence de multiples lois entravent la promotion de la femme. Il note également les problèmes associés aux rôles stéréotypés des hommes et des femmes.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations du Comité

Le Comité est préoccupé par le fait que la Constitution de la République-Unie de Tanzanie ne comporte pas de définition explicite de la discrimination fondée sur le sexe.

Le Comité demande instamment au Gouvernement d'envisager en priorité d'incorporer dans la Constitution une définition de la discrimination fondée sur le sexe, en accord avec l'article premier de la Convention.

Le Comité déplore que le rapport ne fasse pas une place suffisante aux obstacles à l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et à l'amélioration du statut social de la femme. Il fait remarquer qu'il est indispensable de définir et d'analyser les obstacles pour pouvoir élaborer des stratégies efficaces. Le Comité propose que le Gouvernement réexamine ses politiques et programmes d'application de la Convention et de promotion de la femme. Il déplore par ailleurs que le rapport ne donne aucune information sur les politiques ou programmes mis en oeuvre avec succès.

Le Comité est préoccupé de constater que le droit coutumier et le droit religieux en vigueur, qui prennent parfois le pas sur la Constitution, sont source de discrimination à l'égard des femmes. Il note en particulier que plusieurs groupes de population sont autorisés à pratiquer la polygamie en République-Unie de Tanzanie. Il fait observer que le droit coutumier et le droit religieux continuent à régir la vie privée et insiste sur le fait qu'il faut absolument éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la sphère privée.

Le Comité recommande d'agir sur-le-champ pour modifier le droit coutumier et le droit religieux afin de les mettre en accord avec la Constitution et la Convention. Le Comité demande de plus amples informations sur les mesures qui ont été prises ou qui seront prises à titre de suivi de la Déclaration de 1963 sur le droit coutumier. Il recommande également au Gouvernement d'organiser des campagnes de sensibilisation à l'intention de l'ensemble de la population ainsi que des cours de formation à l'intention des décideurs, des membres de l'appareil judiciaire et des responsables de l'application des lois et de solliciter le concours des institutions des Nations Unies de la région.

Le Comité note avec inquiétude que, malgré une législation garantissant l'égalité des sexes, les droits de la femme sont en fait souvent violés en République-Unie de Tanzanie. Il constate que, bien que des dispositions aient été prises pour permettre aux femmes de participer à la prise de décisions, le nombre de femmes au Parlement et dans les administrations locales reste dérisoire. En outre, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être reléguées à des emplois mal payés, précaires et sans protection juridique.

Le Comité recommande fortement au Gouvernement l'adoption de mesures concrètes, y compris de mesures temporaires spéciales, pour redresser la situation.

Le Comité est profondément préoccupé par le problème de la violence à l'égard des femmes, en particulier de la violence dans la famille, avalisé par le droit coutumier, auquel se heurtent les femmes tanzaniennes.

Le Comité recommande fortement que la violence à l'égard des femmes, sous toutes ses formes, soit criminalisée, que l'on élabore et applique des lois et procédures pour atteindre cet objectif, que l'on crée des foyers pour accueillir les victimes et qu'on les dote de ressources suffisantes.

Le Comité note avec inquiétude que les femmes rurales, qui constituent la majorité de la population et la majorité des travailleurs dans les zones rurales, sont défavorisées. De plus, le droit coutumier et les lois religieuses sont les plus largement suivies et acceptées dans les zones rurales, empêchant souvent les femmes d'hériter ou de devenir propriétaires de terres et de biens. Les tabous alimentaires, plus fréquents dans les zones rurales, préoccupent sérieusement le Comité, étant non seulement préjudiciables à la santé des femmes, notamment des mères, mais aussi lourdes de conséquences pour la santé des générations à venir.

Le Comité recommande que les lois relatives à l'héritage et à la successions soient formulées de manière à garantir les droits des femmes rurales en matière d'héritage et de propriété. Il recommande également d'organiser un programme visant à informer les femmes rurales de leurs droits et de prendre des mesures pour éliminer toutes les pratiques traditionnelles, notamment les tabous alimentaires, qui nuisent à la santé des femmes.

Le Comité note avec inquiétude que, malgré les efforts entrepris depuis la présentation du rapport initial, le taux de mortalité infantile et maternelle reste élevé.

Le Comité recommande que le Gouvernement s'emploie énergiquement à résoudre ce grave problème et sollicite l'aide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), de l'UNICEF et des autres organismes des Nations Unies compétents.

Le Comité prend acte de la création du Fonds de développement pour les femmes et demande que le prochain rapport donne plus de précisions sur son mandat, son budget et ses projets.

Tout en reconnaissant que la collecte et l'analyse de données pouvaient avoir des incidences financières, le Comité fait remarquer qu'il aurait fallu obtenir des informations plus détaillées et les inclure dans le rapport. Le Comité déplore profondément l'absence d'informations plus concrètes, concernant notamment les statistiques sur des questions telles que les peines exactes infligées pour des actes de violence à l'égard des femmes, la nouvelle définition élargie du viol, les formes de mutilation sexuelle féminine pratiquées en République-Unie de Tanzanie, la situation en matière de traite des femmes et des petites filles, les révisions apportées au matériel d'enseignement en vue d'y intégrer une perspective sexospécifique et la situation en ce qui concerne le sida et les femmes en République-Unie de Tanzanie.

Le Comité note qu'un grand nombre de réfugiées résident actuellement en Tanzanie. Il demande de plus amples informations sur la situation des réfugiées et sur les programmes gouvernementaux qui visent à répondre à leurs besoins.

Le Comité demande que ces conclusions soient largement diffusées en République-Unie de Tanzanie, de manière que la population, en particulier les responsables de l'administration et les hommes politiques, sachent ce qui a été fait pour instaurer une égalité réelle entre les femmes et les hommes et ce qui reste à faire. Par ailleurs, il a demandé au Gouvernement de continuer de diffuser largement, en particulier auprès des organisations féminines et des organismes des droits de l'homme, la Convention, les recommandations générales du Comité, ainsi que la Déclaration et le Programme d'action de Beijing.



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