University of Minnesota



Observations finales du Comité pour l
'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Kirghizistan, U.N. Doc. A/54/38,paras.95-142 (1999).



Comité pour l'élimination
de la discrimination à l'égard des femmes
Vingtième session
19 janvier-5 février 1999

Kirghizistan

95. Le Comité a examiné le rapport initial du Kirghizistan (CEDAW/C/KGZ/1) à ses 408e, 409e et 413e séances, les 22 et 27 janvier 1999 (voir CEDAW/C/SR.408, 409 et 413).

a) Présentation par l'État partie

96. Dans sa présentation, la représentante du Kirghizistan a informé le Comité que le rapport initial avait été établi par une commission spéciale créée à cet effet et composée de représentants du Gouvernement et de juristes. Le rapport a également été élaboré en consultation et en collaboration avec des organisations non gouvernementales.

97. L'intervenante a décrit la situation politique, économique et sociale du pays depuis sa déclaration d'indépen-dance, le 31 août 1999. Elle a souligné que le processus de transition vers une économie de marché en cours dans le pays avait eu une incidence négative sur la situation des femmes. On constatait en effet une augmentation de la pauvreté et du taux de chômage chez les femmes, une intensification de toutes les formes de violence à leur égard, ainsi qu'une baisse de leur participation aux processus de décision et l'absence de droits égaux et d'accès à la propriété foncière et au crédit. La situation des femmes vivant en milieu rural était aggravée par la pénurie d'infrastructures et de marchés nécessaires à la vente des produits agricoles, l'augmentation de la violence au sein de la famille et des conditions de travail difficiles. Elle a toutefois souligné certains facteurs positifs, en particulier le niveau élevé d'éducation des femmes.

98. L'intervenante a décrit les mesures et initiatives prises par le Gouvernement pour garantir l'égalité de droits aux femmes et assurer leur promotion. Vingt-deux traités interna-tionaux relatifs aux droits de l'homme, y compris la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, avaient été adoptés, et la législation interne tenait maintenant compte des normes et principes fondamentaux du droit international. Les programmes de nombreuses universités et écoles comprenaient un enseignement sur les droits de l'homme.

99. L'intervenante a décrit le rôle et les fonctions du nouveau Conseil chargé de l'analyse des sexospécificités. Cet organe avait examiné six lois dans une optique d'équité entre les sexes et envisageait de réviser plus de 20 autres textes législatifs et réglementations. Ses travaux avaient débouché sur la création, en juillet 1998, d'un conseil national pour la promotion de la femme, relevant du Cabinet de la présidence, qui suivra l'application, à l'échelle nationale, des traités et accords internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

100. Des programmes nationaux concrets portant sur l'économie, l'éducation, les soins de santé et la pauvreté, et axés sur la promotion de la femme et l'élimination de la discrimination de jure et de facto à l'égard des femmes avaient été élaborés et étaient actuellement mis en oeuvre pour accélérer l'application de la Convention.

101. L'intervenante a souligné que la quatrième Conférence mondiale sur les femmes avait joué un rôle déterminant au Kirghizistan et constitué un facteur important dans la ratification de la Convention. Le Programme d'action de Beijing avait eu un impact positif, et le Gouvernement s'était engagé à l'appliquer. L'intervenante a décrit le programme national «Ayalzat» pour 1996-2000 qui était le plan d'action national élaboré en vue de la mise en oeuvre du Programme d'action et comprenait 11 domaines critiques reflétant les questions prioritaires dans le domaine de la promotion de la femme. Elle a indiqué que ce programme était financé par le budget de l'État.

102. Selon l'intervenante, 1996 avait été proclamé Année de la femme par décret présidentiel et en mars de la même année, une commission de la famille, de la femme et de la jeunesse avait été créée; cet organe était chargé, en collaboration avec les organismes régionaux affiliés, d'exécuter le plan d'action national dans les six régions du pays.

103. L'intervenante a indiqué que son gouvernement s'ef-forçait de renforcer sa coopération avec les organisations non gouvernementales en ce qui concerne l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Elle a appelé l'attention sur la contribution apportée par ces organisations dans divers domaines, notamment en ce qui concerne la violence à l'égard des femmes, et souligné leur rôle important dans la mise en place de centres de crise dans toutes les régions du pays.

104. L'intervenante a noté la baisse du nombre des femmes occupant des postes de responsabilité et indiqué qu'il était question de rétablir les quotas.

105. L'intervenante a conclu par une analyse des données d'expérience, propositions de mesures et initiatives visant à accélérer la promotion de la femme dans tous les secteurs.

b) Conclusions du Comité

Introduction

106. Le Comité remercie le Gouvernement kirghize d'avoir soumis, dans les délais prescrits, un rapport initial bien structuré et complet. Il le félicite de sa présentation orale détaillée, ainsi que des réponses qu'il a fournies aux questions posées par le Comité.

107. Le Comité apprécie le haut niveau de la délégation, dirigée par la Présidente de la Commission de la famille, de la femme et de la jeunesse, qui a présenté le rapport. Il observe que le rapport décrit les mesures prises par le Gouvernement pour mettre en oeuvre le Programme d'action de Beijing.

108. Le Comité félicite le Kirghizistan d'avoir ratifié un grand nombre d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, notamment la Convention sur l'élimina-tion de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes qui a été ratifiée sans que des réserves aient été émises, à une période de transition difficile vers l'économie de marché et de changements politiques et sociaux rapides.

Aspects positifs

109. Le Comité se félicite aussi que le texte des instruments ratifiés ait été traduit en kirghize et dans d'autres langues en usage au Kirghizistan, notamment en russe et en ouzbek. Dans ce contexte, le Comité se félicite de la volonté du Gouvernement d'appliquer la Convention. Le Comité félicite également le Kirghizistan d'avoir intégré les dispositions des instruments ratifiés dans ses textes juridiques de base, notamment le Code pénal, le Code civil, le Code du travail et la loi sur la protection des droits des consommateurs. Il accueille également avec satisfaction les informations selon lesquelles des dispositions sont prises pour réviser d'autres lois dans l'optique de la parité entre les sexes.

110. Le Comité apprécie par ailleurs le fait que les droits de l'homme ont été intégrés dans les programmes d'enseignement de nombreuses universités et écoles.

Obstacles à l'application de la Convention

111. Le Comité considère que la situation actuelle caractérisée par la pauvreté et le chômage et les effets négatifs de l'évolution politique et sociale rapide sur les femmes constituent des obstacles majeurs à l'application de la Convention.

112. La persistance d'une culture foncièrement patriarcale qui met l'accent sur le rôle traditionnel des femmes et des hommes entrave également l'application de la Convention.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

113. Le Comité s'inquiète du fait que la discrimination à l'égard des femmes ne soit pas perçue comme étant un phénomène multiforme caractérisé par une discrimination qui peut être indirecte et non intentionnelle de même que directe et délibérée. Cette optique est indispensable si l'on veut établir des analyses globales et des analyses des politiques pour assurer une élimination effective de la discrimination, de droit et de fait, à l'égard des femmes.

114. Le Comité recommande que le principe de l'égalité garanti par la loi soit également appliqué à la discrimination fondée sur le sexe. Il recommande également l'introduction d'une procédure visant à faire respecter la loi par des moyens judiciaires efficaces et d'autres moyens. Il conviendrait également de mettre en oeuvre des politiques d'éducation, d'information et de sensibilisation. Les efforts devraient viser à combattre la discrimination tant intentionnelle que non intentionnelle.

115. Le Comité exprime sa préoccupation quant à la portée et à la nature des pouvoirs de l'organisme public de la promotion de la femme, ainsi que devant l'ambiguïté qui entoure les rapports entre la Commission d'État et le Ministère. Il constate également l'insuffisance des ressources financières et humaines actuellement consacrées à la promotion de la femme.

116. Le Comité recommande que l'on améliore cet organisme en précisant ses fonctions et les rapports entre ses divers organes et ceux du Gouvernement, ainsi qu'en lui affectant davantage de ressources humaines et financières pour en assurer le bon fonctionnement aux niveaux national et régional.

117. Le Comité recommande également que tous les pro-grammes nationaux de promotion de la femme comportent des mécanismes permettant d'en évaluer les résultats, l'effi-cacité et la portée.

118. Le Comité se déclare également préoccupé par le fait qu'aucun effort n'a été fait pour appliquer les mesures temporaires spéciales prévues au paragraphe 1 de l'article 4 de la Convention en vue d'améliorer la situation des femmes dans divers domaines et pour assurer la participation des femmes aux travaux des organes de prise de décisions, ainsi que leur emploi dans des domaines non traditionnels.

119. Le Comité recommande à cet égard l'adoption de toute une gamme de mesures temporaires spéciales, conformément au paragraphe 1 de l'article 4 de la Convention, notamment l'adoption d'un système de quotas, pour veiller à ce que les femmes soient davantage représentées en politique et à tous les niveaux de prise de décisions, ainsi que dans des domaines d'emploi non traditionnels.

120. Le Comité est préoccupé par la persistance de la cultu-re patriarcale et l'importance qui continue d'être accordée au rôle traditionnel des femmes en tant que mères et épouses. Il note avec une inquiétude particulière qu'en mentionnant le rôle de l'homme en tant que soutien de la famille, le rapport initial risque de légitimer les stéréotypes en vigueur.

121. Le Comité engage le Gouvernement à prendre diverses mesures, et notamment à organiser des campagnes d'éducation et d'information à grande échelle, afin d'éliminer les stéréotypes traditionnels concernant le rôle des femmes et des hommes.

122. Le Comité est alarmé de l'augmentation de toutes les formes de violence à l'égard des femmes, y compris les viols collectifs. Il est également préoccupé par le fait que le rapport initial met l'accent sur la violence sexuelle plutôt que sur la violence sexiste en tant que violation du droit à la sécurité de la personne.

123. Le Comité recommande d'accorder une attention parti-culière à toutes les formes de violence fondées sur le sexe et de renforcer les mesures globales visant à prévenir la violence et à aider les femmes victimes, notamment la sensibilisation et la formation des autorités de police aux questions de sexospécificité. Il recommande aussi la collecte de données globales ventilées par sexe et d'informations sur la question de la violence à l'égard des femmes. Compte tenu des liens existant entre la violence et la pauvreté, le Comité recommande que des mesures soient prises en vue d'améliorer la situation économique des femmes, notamment en organisant des cours de recyclage leur permettant d'entreprendre des activités rémunératrices.

124. Le Comité recommande d'étendre le réseau des centres de crise dans les zones urbaines et rurales et de créer des services d'assistance médicale aux femmes victimes de la violence.

125. Le Comité s'inquiète de la montée de l'alcoolisme et de la toxicomanie, du fait des problèmes de santé qu'ils causent et des sévices qu'ils entraînent sur les femmes.

126. Le Comité recommande la mise en place de programmes visant à sensibiliser le public à l'impact négatif de l'alcoolisme et de la toxicomanie sur les individus et sur la société en général. Il recommande également la mise en place de programmes de réadaptation à l'intention des alcooliques et toxicomanes.

127. Le Comité s'inquiète également que le lesbianisme soit considéré comme une infraction contre les moeurs par le Code pénal.

128. Le Comité recommande que le lesbianisme soit redéfini comme une tendance sexuelle et que les peines sanctionnant cette pratique soient supprimées.

129. Le Comité est préoccupé par l'expansion de la prostitution et de la traite des femmes, pratiques qu'il considère comme étant liées à la pauvreté, au chômage et à l'absence de mesures nationales efficaces visant à en enrayer le développement.

130. Le Comité recommande le renforcement de la coopération avec d'autres pays, afin que les trafiquants soient arrêtés et châtiés. Il recommande aussi que les autorités nationales prennent des mesures pour atténuer les effets négatifs des programmes d'ajustement structurel sur les femmes et offrir des possibilités d'emploi et de formation aux femmes vulnérables.

131. Le Comité est préoccupé par la situation économique des femmes, caractérisée par le nombre croissant de celles qui vivent dans la pauvreté et sont au chômage.

132. Le Comité recommande qu'une perspective sexospécifique de la pauvreté soit intégrée à la conception et à la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques et programmes visant à éliminer ce fléau.

133. Le Comité est préoccupé par les conditions de travail et la précarité de l'emploi du nombre croissant de femmes qui accèdent au secteur non structuré, comme agents d'une économie qui, de par les activités commerciales qu'elles exercent, les forcent à effectuer de longs voyages ou à vivre éloignées de leurs familles.

134. Le Comité recommande l'adoption de mesures globales visant à améliorer la condition économique de la femme, notamment par la révision de la législation fiscale touchant les petites entreprises et par l'élargissement des programmes de microcrédit associant des banques commerciales et agricoles et permettant d'assurer aux femmes un emploi rémunéré et durable. Il recommande aussi que des mesures soient prises pour intégrer les femmes à tous les secteurs de l'économie nationale.

135. Le Comité recommande que l'on cherche à établir une coopération internationale visant à favoriser la position économique des femmes.

136. Le Comité est préoccupé par l'état sanitaire des fem-mes, notamment par l'incidence croissante de la mortalité et de la morbidité maternelles et par les taux élevés de mortalité infantile et le recours à l'avortement comme méthode de contraception.

137. Le Comité recommande la mise en place de vastes programmes de planification familiale fondés sur le droit au choix en matière de procréation et l'adoption de mesures visant à éliminer la perception selon laquelle l'avortement est une méthode contraceptive.

138. Le Comité note avec préoccupation que, bien qu'illégale, la polygamie continue d'être pratiquée dans certaines régions, sans aucune sanction juridique ni sociale.

139. Le Comité recommande que des mesures efficaces soient prises concernant l'application des lois en vigueur, l'amélioration de la situation économique des femmes et la mise en oeuvre de programmes d'information du public visant à modifier les valeurs traditionnelles favorisant la polygamie, afin d'éliminer totalement cette pratique.

140. Le Comité recommande au Kirghizistan d'associer les organisations non gouvernementales à l'élaboration de son prochain rapport et de le diffuser largement auprès de cette communauté.

141. Le Comité prie le Gouvernement kirghize de fournir, dans le prochain rapport périodique qu'il doit présenter conformément à l'article 18 de la Convention, des informations touchant les sujets de préoccupation soulevés dans les présentes conclusions.

142. Le Comité demande que ses observations finales soient largement diffusées au Kirghizistan afin que la population, et notamment les responsables gouvernementaux et politiques, soient conscients des mesures à prendre pour assurer une égalité de jure et de facto des femmes et des hommes. Il demande également au Gouvernement de continuer à assurer une large diffusion du texte de la Convention, des recommandations générales du Comité, ainsi que de la déclaration et du Programme d'action de Beijing, en particulier, auprès des femmes et des organisations de défense des droits de l'homme.



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