University of Minnesota



Observations finales du Comité pour l
'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Algérie, U.N. Doc. A/54/38,paras.41-94 (1999).





Comité pour l'élimination
de la discrimination à l'égard des femmes
Vingtième session
19 janvier-5 février 1999


Algérie

41. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Algérie (CEDAW/C/DZA/1 et Corr.1 et Add.1) à ses 406e, 407e et 412e séances, tenues les 21 et 26 janvier 1999 (voir CEDAW/C/SR.406, 407 et 412).

a) Présentation par l'État partie

42. Lors de la présentation du rapport, le représentant de l'Algérie a souligné que son pays avait présenté son rapport initial deux ans seulement après avoir adhéré à la Convention, et ce malgré la difficile situation à laquelle il s'est trouvé confronté, témoignant ainsi de l'attachement sincère du Gouvernement algérien à la défense des droits de l'homme et à la promotion de la femme.

43. Le représentant a noté que la deuxième Constitution algérienne, proclamée en 1976, 13 ans après l'indépendance, avait garanti pour la première fois l'égalité devant la loi. La Constitution de 1989, révisée en 1996, avait consolidé les principes des droits universels de la personne, comme la liberté de parole et la tenue d'élections libres. L'article 123 confirmait aussi la primauté de tous les traités internationaux ratifiés par l'Algérie sur le droit national, décision entérinée par le Conseil constitutionnel le 20 août 1998. Les Codes civil, pénal, administratif et le Code de commerce étaient conformes à la Constitution et au principe de l'égalité entre les sexes. Toutefois, malgré les progrès rapides accomplis concernant l'égalité de jure, l'égalité de facto était toujours compromise par les stéréotypes qui subsistaient dans la société.

44. Plusieurs mesures avaient été prises par les autorités publiques dans le cadre de la politique globale en faveur de la femme, notamment dans le sillage de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1995). Un comité permanent avait été créé sous les auspices du Ministère de la solidarité nationale et de la famille, et pour renforcer les mécanismes nationaux de promotion de la femme, un secrétariat d'État élevé au rang de département ministériel et dirigé par une femme assurait la coordination de tous les efforts déployés pour améliorer la condition féminine. Un Conseil de la préservation et de la promotion de la famille et un Conseil national de la femme avaient été créés en 1996 et 1997, respectivement, afin d'assurer la cohérence de toutes les politiques entreprises en faveur de la promotion de la femme. Dans le cadre de l'application du Programme d'action de Beijing, l'Algérie avait adopté un plan d'action national et présenté récemment un rapport sur les nombreuses mesures prises depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes.

45. Le représentant a rappelé que les femmes algériennes avaient déjà joué un rôle actif dans la lutte pour l'indépendance, mais que les comportements stéréotypés, exacerbés par l'analphabétisme, constituaient un obstacle à l'égalité entre hommes et femmes. Un grand nombre de partis politiques et d'organisations non gouvernementales étaient apparus depuis l'instauration d'une démocratie pluraliste en 1984, mais les mouvements intégristes et le terrorisme menaçaient les progrès accomplis, notamment ceux en faveur des femmes.

46. Le représentant a fait observer que l'enseignement, qui était gratuit, avait contribué de manière décisive à l'émancipation des femmes, en leur ouvrant l'accès à l'emploi, aux services médicaux et sociaux et en mettant à mal les préjugés et les obstacles au sein de la société. Certaines branches professionnelles étaient désormais dominées par les femmes, notamment la magistrature, l'éducation et la santé.

47. Le représentant a noté que la violence domestique à l'encontre des femmes était jugée comme un crime grave par la Constitution et par le Code pénal. De nombreuses organisations non gouvernementales avaient également été mises en place pour porter secours aux femmes battues. Plusieurs initiatives avaient été prises pour venir en aide aux victimes de viols et d'enlèvements, dont la création de centres de traitement pour les femmes et les enfants traumatisés par la violence terroriste.

48. Le représentant a informé le Comité que des progrès avaient été accomplis pour ce qui était de la participation égale des femmes à la vie politique et publique au niveau national, bien que l'on compte peu de femmes aux postes de responsabilité. Les femmes étaient nombreuses à participer activement à la vie des partis politiques, des syndicats et des organisations non gouvernementales, où elles pouvaient occuper des postes de direction. La réforme des procédures de vote de 1995, en limitant le vote par procuration à des situations exceptionnelles, avait rendu le droit de vote à de nombreuses femmes dont le tuteur ou l'époux avait l'habitude de voter à leur place.

49. La crise économique qui frappait l'Algérie depuis 1986 s'était traduite par une forte réduction des emplois disponibles et les femmes en avaient subi les conséquences. Les femmes ne représentaient qu'un faible pourcentage de la population active et le travail informel à la maison se déve-loppait. Toutefois, le représentant a noté qu'en application du système de sécurité sociale en vigueur, les femmes percevaient des prestations spéciales de maternité et de retraite, y compris 14 semaines de congé de maternité à plein traitement.

50. Les services de planification familiale, qui étaient pleinement intégrés dans le programme de santé, s'étaient étoffés depuis 1974. Aujourd'hui, 99 % des femmes connaissaient les méthodes de planification familiale, et le taux de fécondité avait considérablement baissé, en particulier chez les plus jeunes.

51. Dans sa conclusion, le représentant de l'Algérie a souligné que l'on devait voir dans la ratification de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes une manifestation de la volonté politique qu'avait le Gouvernement de favoriser l'émancipation progressive des femmes. L'adhésion à la Convention avait soulevé des débats dans le pays et, bien que la ratification ait été accompagnée de réserves, elle marquait malgré tout le début d'un processus d'évolution sociale et juridique qui aboutirait à la levée de ces réserves. Ainsi, comme suite à la ratification de la Convention, le Code de la famille de 1984 était en cours de révision et, sous la double pression des revendications des associations féminines et de l'évolution de la société algérienne, les amendements qui y avaient été proposés pouvaient entraîner la levée des réserves à la Convention.

b) Conclusions du Comité

Introduction

52. Le Comité félicite le Gouvernement algérien pour l'excellente présentation de son rapport initial, qui a respecté dans la forme et le fond les directives du Comité. Le fait qu'il présente son premier rapport deux ans seulement après son adhésion et malgré les circonstances difficiles que traverse le pays témoigne de sa volonté politique de faire évoluer le statut de la femme et de l'intérêt qu'il porte à son émancipation.

53. Le Comité félicite le Gouvernement algérien d'avoir envoyé une délégation nombreuse et de haut niveau, dirigée par son Représentant permanent auprès de l'Organisation des Nations Unies, qui a établi un dialogue constructif, franc et sincère avec les membres du Comité et qui dans sa présentation orale a fourni des informations supplémentaires concrètes et objectives, ainsi que des données statistiques, ce qui a permis au Comité d'apprécier la situation de jure et de facto des femmes algériennes.

54. Le Comité exprime sa solidarité avec le combat que les femmes algériennes mènent contre toutes les formes d'intégrisme et de terrorisme. Malgré les violences extrêmes qu'elles ont subies, elles ont réussi, avec l'aide d'un mouvement associatif très actif, à inscrire le respect des droits des femmes et la révision du Code de la famille dans l'ordre du jour politique national.

Aspects positifs

55. Le Comité se félicite du fait que le Gouvernement algérien soit disposé à revoir ses réserves à la Convention compte tenu de l'évolution de la société algérienne.

56. Le Comité note avec satisfaction que la Constitution algérienne de 1996 attribue aux traités internationaux, y compris la Convention, qui ont été ratifiés et publiés au Journal officiel, une autorité supérieure à la loi nationale.

57. Le Comité constate que la Constitution algérienne garantit l'égalité entre les sexes dans tous les domaines de la vie.

58. Le Comité relève avec satisfaction que la ratification de la Convention a eu un impact positif sur la vie des femmes algériennes et sur la société algérienne. De même, le Gouvernement a pris des mesures institutionnelles : il a notamment créé un Conseil national de la femme et un Conseil de la préservation et de la promotion de la famille, ainsi qu'un département ministériel chargé de la solidarité nationale et de la famille. Ce département, qui est dirigé par une femme, coordonne toutes les activités entreprises dans le domaine de la promotion de la femme et de la famille. Le Comité note que le Gouvernement envisage en outre des mesures juridiques, notamment apporter des amendements au Code de la famille.

59. Le Comité se félicite du travail des organisations non gouvernementales de femmes algériennes qui ont su sensibiliser l'opinion publique et amener le Gouvernement et le législateur à s'intéresser aux questions féminines. Il convient également de noter leur précieuse contribution à l'élaboration du Code de la famille.

60. Le Comité note avec satisfaction que la législation algérienne du travail contient des dispositions spécifiques en matière de congés de maternité et d'heures d'allaitement qui protègent la femme contre toute discrimination du fait de leurs responsabilités parentales.

61. Le Comité prend note des mesures prises par l'État partie en ce qui concerne les victimes de la violence terroriste : il a mis en place un programme national intersectoriel pour répondre aux besoins des personnes traumatisées par la violence terroriste et pour indemniser les ayants droit des personnes décédées, les personnes ayant subi des dommages corporels et matériels et les victimes d'accidents survenus dans le cadre de la violence terroriste. Le Comité prend également note des travaux menés par les organisations communautaires pour apporter une assistance psychologique et autre à ces personnes.

62. Le Comité se félicite de la suppression du vote par procuration qui permettait au mari de voter à la place de sa femme.

63. Le Comité relève avec satisfaction l'accès des femmes, sans discrimination de jure, à la vie publique et politique, et leur présence importante dans ces domaines. Il note avec satisfaction l'importante présence de l'élément féminin à tous les niveaux de la magistrature, et le fait que plus d'un quart des magistrats sont des femmes.

64. Le Comité constate avec satisfaction que les nombreuses mesures spécifiques prises par le Gouvernement pour permettre l'égalité d'accès aux femmes à l'éducation et à la formation constituent le facteur le plus décisif dans le processus d'émancipation des femmes.

65. Le Comité note avec satisfaction que la santé des femmes est identifiée comme prioritaire dans les politiques et programmes sanitaires du pays.

Obstacles à l'application de la Convention

66. Le Comité constate que l'apparition du phénomène intégriste et de la violence terroriste qui l'accompagne a touché, pendant plusieurs années, toutes les couches de la société, dont notamment les femmes et les enfants, et a entravé l'application effective de la Convention.

67. Le Comité constate également que les nombreuses réserves émises par l'État partie touchant les articles 2,9 (par. 2), 15 (par. 4) et 16 de la Convention compromettent la réelle application de cet instrument.

68. Le Comité note que, bien que la Constitution garantisse l'égalité des sexes et prévoie la primauté de la Convention sur la législation nationale, les nombreuses dispositions discriminatoires du Code de la famille ainsi que la persistance des préjugés et des pratiques patriarcales contredisent dans les faits les principes de la Constitution.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

69. Le Comité réaffirme sa préoccupation devant les réserves à la Convention émises par l'État partie.

70. Le Comité engage vivement l'État partie à prendre le plus rapidement possible les mesures nécessaires pour retirer ses réserves.

71. Le Comité est préoccupé par le recours constant de l'État partie aux principes de la religion et aux spécificités culturelles pour justifier le retard enregistré au niveau du statut de la femme par rapport à l'évolution générale de la société.

72. Le Comité recommande à l'État partie d'adopter les mesures voulues pour veiller à ce que les coutumes religieuses et culturelles n'entravent pas la promotion de la femme dans la société algérienne.

73. Le Comité est préoccupé par les pesanteurs sociales qui subsistent au sein de la société algérienne, qui maintiennent les femmes dans une situation d'infériorité par rapport à l'homme et qui ne favorisent pas l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

74. Le Comité recommande instamment au Gouvernement de poursuivre ses efforts qui visent à abroger les lois inégalitaires pour les aligner sur les dispositions de la Convention. Le Comité engage aussi le Gouvernement, les organisations non gouvernementales, les intellectuels et les médias à encourager l'évolution des mentalités et accélérer le processus d'émancipation de la femme, par des actions d'information et de sensibilisation de l'opinion publique.

75. Le Comité note avec inquiétude la persistance des stéréotypes culturels préjudiciables aux femmes, des valeurs paternalistes et de la polygamie qui constituent une violation des droits fondamentaux des femmes.

76. Notant l'intention du Gouvernement d'apporter des modifications législatives pour appliquer la Convention, le Comité recommande au Gouvernement d'élaborer et de mettre en oeuvre une stratégie d'alphabétisation juridique et de formation à tous les niveaux de la société, pour rectifier les normes culturelles discriminatoires et les mentalités.

77. Le Comité est gravement préoccupé par le nombre important de femmes assassinées, violentées, enlevées, violées et victimes de sévices graves par les groupes terroristes durant ces dernières années.

78. Le Comité demande instamment au Gouvernement de protéger les femmes conformément à la disposition de la Constitution qui stipule que «l'État est responsable de la sécurité des personnes et des biens». Le Comité recommande une meilleure prise en charge de toutes les femmes et les jeunes filles victimes de violence terroriste.

79. Le Comité est préoccupé par l'absence de textes législatifs qui protègent spécifiquement les femmes victimes de violences domestiques et sexuelles.

80. Le Comité recommande au Gouvernement de prendre des mesures législatives et structurelles spécifiques qui mettent les femmes à l'abri de ces agressions et à fournir aux femmes victimes de violence réconfort, assistance, conseils, orientation et information pour saisir la justice. Le Comité recommande également que des actions d'éducation et de sensibilisation au phénomène de la violence dans la famille et la violence sexuelle soient orientées vers les corps de la police, les magistrats, les médecins et les médias afin que leurs interventions soient plus efficaces.

81. Le Comité est préoccupé par la situation des femmes de disparus, qui ne peuvent ni prouver le décès de leur mari devant la justice à cause d'une procédure longue et difficile, ni profiter du statut de femme mariée. Cela entraîne des préjudices d'ordre humain et matériel à l'encontre de ces femmes et de leurs enfants.

82. Le Comité demande instamment au Gouvernement algérien de venir en aide à ce groupe de femmes et à leur famille en simplifiant, de façon même temporaire, la procédure de jugement de décès, afin qu'elles puissent clarifier leur statut, exercer la tutelle sur leurs enfants et disposer légalement des biens qui leur reviennent.

83. Le Comité est préoccupé par le fait que la mère ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants dans les mêmes conditions que le père. La citoyenneté est un droit fondamental duquel doivent bénéficier de façon égalitaire l'homme et la femme.

84. Le Comité recommande la révision de la loi sur la nationalité afin de la rendre conforme aux dispositions de la Convention.

85. Notant les progrès sensibles enregistrés au niveau de l'éducation des femmes et, notamment, de la scolarisation de la petite fille en milieu urbain et en milieu rural, le Comité s'inquiète du fait que la réforme du système éducatif algérien n'ait pas encore été menée à bien.

86. Le Comité recommande au Gouvernement algérien de poursuivre la révision, tant au niveau des programmes qu'au niveau du contenu, des manuels scolaires pour en extirper les stéréotypes et l'image négative de la femme, pour aider à accélérer le changement des mentalités et lever les obstacles à l'égalité. Le Comité recommande à l'État partie de veiller à ce que le personnel féminin de l'enseignement et les organisations non gouvernementales de femmes soient consultés lors de la refonte des textes scolaires.

87. Le Comité est préoccupé par le faible niveau de participation des femmes sur le marché du travail, qui pose un problème majeur pour l'indépendance économique des femmes.

88. Le Comité recommande l'application du paragraphe 1 de l'article 4 de la Convention pour la prise de mesures incitatives et spécifiques temporaires, avec des objectifs chiffrés pour améliorer l'emploi des femmes dans le secteur public et le secteur privé. Le Comité recommande la création de crèches et de jardins d'enfants en nombre suffisant afin de permettre aux femmes de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles. Le Comité recommande également que les femmes en situation de chômage doivent participer à des stages de formation et de recyclage professionnels, y compris dans les métiers non traditionnels, et profiter des mesures de création d'emplois proportionnellement au taux de chômage des femmes.

89. Le Comité a jugé insuffisantes les informations qui lui avaient été communiquées dans le rapport au sujet des femmes rurales et des avantages que celles-ci avaient tirés des actions du développement entreprises dans les zones rurales et exprimé sa préoccupation à cet égard.

90. Le Comité encourage le Gouvernement à accorder toute l'attention voulue aux besoins des femmes rurales en renforçant leur rôle actif et participatif dans la conception, l'exécution et le suivi des politiques et des programmes qui les concernent, notamment dans les domaines du crédit de logement, des projets rémunérateurs et de la sécurité sociale.

91. Le Comité est gravement préoccupé par les nombreuses dispositions discriminatoires encore contenues dans le Code de la famille et qui dénient à la femme algérienne ses droits élémentaires, dont notamment son libre consentement au mariage, son droit égalitaire au divorce, le partage des responsabilités au sein de la famille et dans l'éducation des enfants, le partage avec le père de son droit de tutelle sur les enfants, son droit à la dignité et au respect mutuel, et surtout l'abrogation de la polygamie.

92. Le Comité recommande instamment au Gouvernement de considérer les amendements proposés, tendant à modifier quelques dispositions du Code de la famille, comme première étape d'un processus nécessaire afin que toutes les dispositions du Code de la famille s'harmonisent avec le texte de la Convention et avec le principe d'égalité inscrit dans la Constitution algérienne.

93. Le Comité prie le Gouvernement algérien de fournir, dans le prochain rapport périodique qu'il doit présenter aux termes de l'article 18 de la Convention, des informations concernant les domaines de préoccupation évoqués dans les présentes conclusions.

94. Le Comité demande que ses conclusions soient diffusées largement en Algérie, pour faire connaître à la population algérienne, et particulièrement aux agents de l'administration publique et aux milieux politiques, les mesures qui ont été prises pour assurer l'égalité concrète des femmes et les mesures supplémentaires qui s'imposent à cet égard. Il prie également le Gouvernement algérien de continuer à diffuser largement, en particulier auprès des organisations de femmes et de défense des droits de l'homme, le texte de la Convention, les recommandations générales du Comité et la Déclaration et le Programme d'action de Beijing.



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