University of Minnesota



Observations finales du Comité contre la torture, France, U.N. Doc. CAT/C/FRA/4-6 (2010).


 

 

Comité contre la torture Quarante-quatrième session

26 avril - 14 mai 2010

 

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

VERSION AVANCÉE ET NON ÉDITÉE

Observations finales du Comité contre la torture

FRANCE

1. Le Comité a examiné le quatrième au sixième rapport périodique de la France (CAT/C/FRA/4-6) à ses 928ème et 931ème séances, les 27 et 28 avril 2010 (CAT/C/SR.928 et 931), et a adopté à sa 946ème séance, le 10 mai 2010 (CAT/C/SR.946), les observations finales suivantes.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième à sixième rapport périodique de la France qui, dans l’ensemble, est conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques.

3. Le Comité a apprécié la qualité et la documentation des réponses écrites apportées par la France à la liste des points à traiter, ainsi que des renseignements complémentaires fournis oralement lors de l’examen du rapport. Le Comité a également apprécié le dialogue constructif engagé avec la délégation qui a représenté l’État partie, et la remercie des réponses claires apportées aux questions posées.

B. Aspects positifs

4. Le Comité prend note avec satisfaction de :

a) La ratification par l’Etat partie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, et de la création corollaire du Contrôleur général des lieux de privation de liberté par la loi du 30 octobre 2007, institué comme mécanisme national de prévention indépendant, au sens du Protocole facultatif ;

b) L’accession par l’Etat partie, le 2 octobre 2007, au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort ;
c) La ratification par l’Etat partie de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 23 septembre 2008 ;

d) La ratification par l’Etat partie de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, le 18 février 2010.

5. Le Comité note également avec satisfaction :

a) L’instauration d’un recours juridictionnel suspensif de plein droit, introduit par la loi du 20 novembre 2007 contre une décision de non-admission suite à une demande d’asile présentée à la frontière;

b) L’adoption de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, ou commises contre les mineurs, et qui accroît la répression des violences faites aux femmes.

6. Le Comité prend également acte du projet immobilier entrepris, visant à augmenter considérablement la capacité des établissements pénitentiaires.

7. Le Comité note également les démarches volontaristes entreprises par l’Etat partie en vue d’augmenter le nombre de condamnés accessibles à un aménagement de peine, ce y compris à travers la Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 instaurant la mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique, comme alternative à la détention provisoire.

8. Le Comité prend également acte avec satisfaction du Plan d’action de 2009 de la Garde des Sceaux en matière de prévention du suicide en milieu carcéral, et souhaiterait obtenir des informations périodiques quant à sa mise en œuvre, y compris dans les Territoires d’Outre-mer.

9. Le Comité note avec intérêt la mise en place d’une procédure permettant à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, nouvellement créée, d’effectuer des visites inopinées des locaux de garde à vue, ainsi que des conditions de l’accueil des plaignants dans les unités territoriales.

10. Le Comité salue la suppression, depuis le 16 août 2007, du système pénitentiaire des « rotations de sécurité », par lequel les détenus étaient assujettis à des transfèrements répétés. Le Comité note également l’inscription à l’ordre du jour du Comité des ministres en mars 2010 du suivi de l’affaire Khider c. France (Cour européenne des droits de l’homme, arrêt du

9 juillet 2009).

11. Le Comité note avec satisfaction la création de deux lignes d’appel téléphonique visant au signalement d’actes de maltraitance et de violence au sein du couple, ou commis contre des mineurs (le 3977 et le 3919). Le Comité salue également le projet visant à introduire dans le Code pénal la référence aux violences psychologiques.

12. Le Comité a également pris note avec intérêt de l’information communiquée par l’Etat partie, selon laquelle il envisagerait une réforme législative qui permettrait, à terme, de destituer une personne d’une distinction honorifique qui lui a été accordée, lorsque cette 2
personne est soupçonnée d’avoir commis une violation de la Convention, ou une autre violation grave du droit international.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

13. Tout en reconnaissant le fait que la législation pénale de l’État partie incrimine les actes de torture ainsi que les actes de barbarie et de violence, et prenant acte des éléments jurisprudentiels relatifs à l‘incrimination des actes de torture qui ont été portés à son attention, le Comité demeure préoccupé par l’absence d’intégration, dans le Code pénal français, d’une définition de la torture qui soit strictement conforme à l’article premier de la Convention. (Article 1er)

Le Comité réitère sa recommandation précédente (CAT/C/FRA/CO/3, para. 5) demandant à l’État partie à intégrer dans sa législation pénale une définition de la torture qui soit strictement conforme à l’article premier de la Convention. Une telle définition répondrait d’une part à l’impératif de clarté et de prévisibilité en droit pénal, et à la nécessité, sous la Convention, de distinguer les actes de torture commis par un agent de la fonction publique, ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, des actes de violence au sens large, commis par des acteurs non étatiques. Le Comité réitère en outre sa recommandation d’ériger la torture en infraction imprescriptible.

Non-refoulement

14. Tout en prenant acte des informations fournies au Comité par l’Etat partie, selon lesquelles ces chiffres seraient en baisse par rapport à l’année 2008, le Comité reste préoccupé du fait que 22% des demandes d’asile présentées en 2009 auraient été traitées sous la procédure dite prioritaire, qui n’offre pas de recours suspensif contre un refus initial de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le demandeur peut donc être renvoyé vers un pays au sein duquel il risque la torture, et ce avant que la Cour nationale du droit d’asile ait pu entendre sa demande de protection. En l’absence de données chiffrées relatives aux requêtes introduites contre une mesure d’éloignement pour cause de risque de torture, ainsi qu’au nombre d’annulations de mesures d’éloignement prononcées par le juge administratif sur la base de l’article 3, le Comité n’est pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture. (Article 3)

Le Comité recommande que l’État partie instaure un recours suspensif pour les demandes d’asile placées en procédure prioritaire. Il recommande également que les situations couvertes par l’article 3 de la Convention fassent l’objet d’un examen des risques approfondi, notamment en assurant une formation adéquate des juges aux risques de torture dans les pays de renvoi et en procédant de manière systématique à des entretiens individuels à même d’évaluer le risque personnel encouru par les demandeurs.

15. Tout en notant avec satisfaction que, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2007, les demandeurs d’asile se trouvant à la frontière disposent désormais d’un recours suspensif contre le refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile, le Comité est préoccupé du fait que le délai imparti pour présenter une telle demande est très court (48 heures), que la langue dans laquelle il doit être présenté est obligatoirement le français, et du fait que le juge administratif ait la possibilité de rejeter le recours par voie d’ordonnance, privant ainsi le demandeur de la tenue d’une audience au cours de laquelle il puisse défendre son recours, ainsi que des garanties procédurales telles le droit à un interprète et à un avocat. (Article 3)

Le Comité recommande que les recours qui peuvent être engagés suite à une demande d’asile présentée à la frontière fassent l’objet d’une audience permettant au demandeur sujet à un éloignement de faire une présentation effective de son recours, et que celui-ci soit assorti de toutes les garanties procédurales essentielles, notamment le droit à un interprète et à un conseil.

16. Le Comité est par ailleurs préoccupé par les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs d'asile se trouvant au sein d'un lieu privatif de liberté comme un centre de rétention, qui doivent présenter leur demande dans un délai de cinq jours à compter de la notification de ce droit, en vertu du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Un tel délai n'est pas compatible avec la nécessité imposée aux demandeurs de présenter un dossier crédible établissant un risque en cas de retour, ce qui implique, entre autre, la collecte d'éléments probants, de témoignages ou autres pièces dans leur pays d'origine. (Article 3)

A l’instar du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) suite à sa visite en France, effectuée du 27 septembre au 9 octobre 2006, le Comité recommande à l’État partie d’accorder un délai adéquat, ainsi que toutes les garanties procédurales essentielles à toute personne retenue en Centre de rétention administrative, et souhaitant déposer une demande d’asile, tout en veillant à ne pas indument prolonger la durée de sa rétention.

17. Depuis ses dernières observations et recommandations, le Comité demeure préoccupé par les dispositions de la loi du 10 décembre 2003 introduisant des notions d’ « asile interne » et de « pays d’origine sûrs », qui ne garantissent pas une protection absolue contre le risque de renvoi d’une personne vers un État où elle risquerait d’être soumise à la torture. Ceci est corroboré par l'absence d'information précise quant aux sources documentaires retenues pour l'établissement d'une liste de pays d’origine « sûrs », et aux échéances de révision d’une telle liste. Par ailleurs, il est intéressant d’observer que selon l'OFPRA, le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié, ou l'octroi de la protection subsidiaire pour des personnes originaires de dits « pays d’origine sûrs » avoisinait les 35% en 2008. (Article 3)

Le Comité réitère sa recommandation, à l'effet que l’État partie prenne les mesures idoines pour s’assurer que les demandes d’asile de personnes provenant d’États auxquels s’appliquent les notions d’ « asile interne » ou de « pays d’origine sûrs » soient examinées en tenant compte de la situation personnelle du demandeur et en pleine conformité avec les dispositions de l’article 3 de la Convention.

18. Le Comité déplore le fait qu’il ait été saisi de plusieurs allégations documentées relatives au renvoi d'individus vers des pays ou ils risquaient d'être soumis à des actes de torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de personnes renvoyées vers leur pays d'origine ayant fait part de leur arrestation et de mauvais traitements subis à leur arrivée, ce parfois en dépit de mesures provisoires de protection du Comité ou de la Cour européenne des droits de l'homme. (Article 3)

Le Comité réitère sa recommandation que l’État partie prenne les mesures nécessaires afin de garantir en tout temps qu'aucune expulsion ne soit exécutée à l'encontre de quiconque risquerait d'être soumis à la torture en cas de renvoi vers un Etat tiers.

Compétence universelle

19. Tout en prenant acte de la possibilité de poursuivre et de juger dans l'Etat partie, sur la base du Code de procédure pénale, toute personne se trouvant en France et suspectée d'avoir commis des actes de tortures, le Comité demeure néanmoins préoccupé par les limitations que le projet de loi impose au champ d'application de la compétence universelle, notamment en imposant un critère de résidence habituelle en France pour les suspects. Le Comité exprime en outre sa préoccupation quant au fait que le projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale ne soit toujours pas inscrit à l'Ordre du jour de l'Assemblée nationale pour adoption, alors qu'il a été adopté par le Sénat en juin 2008. (Articles 5, 6, 7 et 13)

Le Comité réitère sa recommandation à l’État partie de garantir le droit des victimes à un recours effectif contre des violations de la Convention, notamment en établissant sa compétence vis-à- vis de toute infraction commise par un suspect se trouvant sur son territoire, en accord avec l’article 5 de la Convention. Le Comité recommande à l’Etat partie de remplacer la condition de résidence habituelle de l’auteur présumé des faits par un critère de simple présence sur le territoire, en conformité avec l’article 6.

Formation des agents de la force publique

20. Tout en prenant acte des informations fournies par l'Etat partie en rapport avec la rénovation des dispositifs de formation initiale des officiers et gardiens de la paix, ainsi que du fait que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 introduise un Code de déontologie pour le service pénitentiaire, le Comité demeure préoccupé face au peu d'information reçue quant au contenu de la formation initiale et continue relative aux Conventions des droits de l’homme. Le Comité serait particulièrement intéressé de recevoir de l’information quant aux protocoles de formation, ainsi qu’à l'évaluation qui en est faite a posteriori. (Article 10)

Le Comité souhaiterait obtenir plus d'informations de l’État partie en rapport avec son évaluation de la formation dispensée au personnel policier, pénitentiaire, et médical, à la lumière d'indicateurs précis. Le Comité recommande également que le Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) fasse partie intégrante de la formation du personnel.

L’Etat partie devrait en outre communiquer des informations au Comité relatives à la formation éventuelle dispensée aux compagnies privées de sécurité auxquelles l'Etat partie a recours, tant sur son territoire qu'à l'étranger.

21. Le Comité demeure particulièrement préoccupé face à la persistance d'allégations qu'il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains. (Article 16)

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que chaque allégation de mauvais traitements imputable à des agents de l’ordre fasse promptement l’objet d’une enquête transparente et indépendante, et que les auteurs soient sanctionnés de manière appropriée ;

L’Etat partie devrait en outre transmettre au Comité des informations relatives à la Note de l'inspection générale de la police nationale qui aurait été circulée en octobre 2008, en rapport avec l'usage des méthodes de contention par les forces de l'ordre contre un suspect ou des personnes faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, méthode qui a déjà entraîné la mort par asphyxie (Cas de Mohamed Saoud en 1998 et de Abdelhakim Ajimi en 2007).

Dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées

Garde à vue

22. Le Comité demeure préoccupé par les modifications apportées par la loi du 9 mars 2004, lesquelles, dans le cadre de la procédure particulière applicable en matière de terrorisme et de criminalité organisée, retardent l’accès à un avocat à la 72ème heure de la garde à vue. Ces dispositions sont de nature à entraîner des violations aux dispositions de l’article 11 de la Convention, dans la mesure où c’est pendant les premières heures de l’arrestation, et en particulier pendant la période de détention « incomunicado », que le risque de torture est le plus grand. Le Comité demeure en outre préoccupé tant par le recours fréquent à la détention provisoire, que par sa durée. (Articles 2 et 11)

Le Comité réitère sa recommandation précédente que l’État partie prenne les mesures législatives adéquates afin de garantir l’accès immédiat à un avocat lors d’une garde à vue, conformément à l’article 11 de la Convention. Le Comité recommande également que des mesures soient prises afin de réduire le recours à la détention provisoire, ainsi que sa durée.

Interrogatoires

23. Tout en notant avec satisfaction que la loi du 5 mars 2007 rend obligatoire l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires conduits par l'autorité policière et judiciaire, à l'exception des poursuites pour délits mineurs, le Comité constate que la loi ne s'applique pas aux personnes accusées de terrorisme ou de crime organisé, sauf autorisation du Procureur de la République ou du juge d’instruction. Par ailleurs, la loi ne prévoit pas l'installation de caméras de vidéosurveillance dans l'ensemble du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie ou les gardés à vue sont susceptibles de se trouver, comme les couloirs. (Articles 11 et 16)

Le Comité recommande à l'Etat partie de généraliser l'enregistrement audiovisuel des auditions à l'ensemble des personnes interrogées, ainsi que de déployer l'installation physique des caméras de surveillance dans l'ensemble des locaux de police et de gendarmerie, de façon à élargir et renforcer le spectre de protection des personnes gardées à vue et détenues.

Conditions carcérales et politique pénale

24. Le Comité a pris acte avec satisfaction de l'instauration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) par la loi du 30 octobre 2007, ainsi que des mesures prises par l’État partie pour répondre au problème crucial de la surpopulation carcérale, notamment par la construction de nouveaux établissements, y compris dans les Territoires d'Outre-mer. Il a aussi pris note de l’étude entreprise par l’Etat partie, visant à un plus grand recours à l'aménagement de peines alternatives à la détention. Le Comité demeure cependant vivement préoccupé par les taux de surpopulation carcérale, qui, même si, dans certains établissements, ils sont sensiblement à la baisse, demeurent alarmants, particulièrement dans les territoires d’Outre-mer. Tout en prenant acte de l’information transmise par l’Etat partie quant au Plan d’action de la Garde des Sceaux de juin 2009, le Comité est également préoccupé par le taux de suicide qui lui a été rapporté, ainsi que celui d'incidents violents entre détenus. (Articles 11 et 16)

Outre l’élargissement nécessaire de l’infrastructure immobilière pénitentiaire entrepris par l’Etat partie, et à la lumière de nombreuses lois pénales récentes, visant un durcissement des peines et une diminution de la récidive, avec comme corollaire direct un recours accru à la détention, le Comité invite l’État partie à entreprendre une réflexion importante sur les effets de sa politique pénale récente sur la surpopulation carcérale, à la lumière des articles 11 et 16.

Le Comité recommande notamment à l'Etat partie d'envisager un recours plus important à la substitution de peines non-privatives de liberté aux peines d'emprisonnement encourues en l'état actuel. Le Comité recommande également à l’Etat partie de lui fournir des informations quant à la mise en œuvre concrète et périodique des recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté adoptées à la suite de ses visites, y compris en ce qui concerne les détenus atteints de pathologies psychiatriques.

Zones d’attente

25. Tout en prenant acte des efforts entrepris par l’Etat partie pour améliorer la situation des zones d’attentes, notamment aéroportuaires, notamment à travers la création d’un groupe de travail ministériel sur la question des mineurs dans ces zone d’attente, le Comité demeure néanmoins vivement préoccupé par l'annonce, via le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité du 31 mars 2010 de l'extension des zones d'attente à toutes les frontières de l'Etat partie lorsque des étrangers arriveront à la frontière en dehors d'un point de passage frontalier, assujettissant par conséquent ces personnes en attente à un régime dépourvu des garanties procédurales applicables hors de ces zones, notamment en ce qui concerne le droit de voir un médecin, de communiquer avec un conseil, et d'être assisté d'un interprète. (Articles 11 et 16)

Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que les conditions de vie en zone d'attente soient conformes aux exigences des articles 11 et 16 de la Convention, en veillant particulièrement à épargner les mineurs d'actes de violence, en assurant la séparation stricte des mineurs des adultes, et en veillant scrupuleusement à ce que chaque mineur bénéficie obligatoirement de l’assistance d’un administrateur ad-hoc, et que toute procédure de renvoi garantisse la sécurité des mineurs, en tenant compte de leur vulnérabilité et du respect dû à leur personne. Par ailleurs, l'Etat partie est encouragé à ne pas étendre les zones d’attente actuelles, et d’être particulièrement attentif à la mise en œuvre et au suivi des recommandations du CGLPL suite à ses visites des zones d'attente existantes.

Suicide en détention

26. Le Comité est vivement préoccupé du fait que l'Etat partie est décrit comme l’un des pays d'Europe ou le nombre de décès par suicide en milieu carcéral est parmi les plus élevés. Par ailleurs, les chiffres qui ont été portés à la connaissance du Comité révèlent que plus de 15% des personnes détenues qui ont mis fin à leurs jours en 2009 subissaient une sanction en quartier disciplinaire. (Article 16)

Le Comité recommande que l’État partie prenne toutes les mesures nécessaires à la prévention du suicide en détention. Par ailleurs, il devrait, sous contrôle des parquets, adopter les mesures idoines pour que l’isolement demeure une mesure exceptionnelle et limitée dans le temps, en accord avec les normes internationales.

Régime de différenciation de peines

27. Le Comité a pris note avec préoccupation du fait que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 semble doter l'administration pénitentiaire d'une vaste discrétion permettant, sur la base de l'article 89 de la loi, une différenciation de régime de détention sur la base d'une classification des détenus sur des critères subjectifs, tels la personnalité ou la dangerosité. Un tel régime emporte nécessairement des conséquences pouvant relever de l'arbitraire dans les conditions d'exécution de la peine. Il est ainsi possible d'imaginer qu'un traitement punitif disciplinaire, ou des privations d'accès à certains droits en détention, pourraient, par leur répétition, leur absence de justification, et/ou la façon arbitraire dont ils sont dispensés constituer des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au titre de l'article 16. (Article 16)

Le Comité engage l'Etat partie à prendre les mesures idoines pour assurer un contrôle de la marge discrétionnaire, et du potentiel corollaire d'arbitraire, inhérents aux prérogatives dont a été investie l'administration pénitentiaire. Un tel contrôle devrait être entrepris notamment à travers des visites régulières par les mécanismes de contrôle indépendants existants, qui devraient à leur tour soumettre immédiatement aux autorités judiciaires appropriées toute irrégularité ou toute méthode pouvant s'apparenter à une mesure arbitraire constatée, en particulier lorsqu'une telle mesure concerne le placement en quartier d'isolement.

Fouilles corporelles

28. Tout en prenant acte des informations soumises par l'Etat partie, selon lesquelles le régime actuel des fouilles, tel que régi par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 est plus restrictif que celui qui prévalait auparavant, et à la lumière de deux condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (affaires Khider c. France et Frérot c. France), le Comité demeure préoccupé par la nature intrusive et humiliante des fouilles corporelles, a fortiori internes. Le Comité est en outre soucieux que le régime relatif à la fréquence et aux modalités des fouilles dans les prisons et les centres de rétention émane de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, le Comité est préoccupé du manque d’information relatif au suivi des affaires Khider c. France et Frérot c. France, notamment l’absence d’indicateurs susceptibles de permettre une évaluation possible du risque futur de violation de l’article 16 par l’imposition de fouilles corporelles. (Article 16)

Le Comité recommande à l'Etat partie un strict contrôle de l'application du régime des fouilles corporelles, a fortiori les fouilles intégrales et internes, en veillant à ce que seules les méthodes les moins intrusives, et les plus respectueuses de l’intégrité physique des personnes soient appliquées, et qui soient dans tous les cas conformes à la Convention. Le Comité recommande en outre la mise en place de mesures de détection par équipement électronique annoncée par l’Etat partie, ainsi que la généralisation d’un tel mécanisme, de façon à supprimer totalement la pratique des fouilles corporelles.

Rétention de sûreté

29. Le Comité est vivement préoccupé par la mesure dite de rétention de sûreté, créée par la loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, et complétée par la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale. Outre la remise en cause flagrante du principe de légalité pénale que cette mesure emporte, de par l'absence d’éléments matériels objectivement définissables et prévisibles, l'absence de lien causal entre l'infraction et la peine en jeu, ainsi que par sa possible application rétroactive, la mesure, qui ne semble dotée d'aucune limite temporelle d'enfermement, est également de nature à soulever des questions au titre de l'article 16. (Article 16)

Le Comité recommande vivement à l'Etat partie de considérer l'abrogation de ce dispositif, qui est en violation flagrante avec le principe fondamental de la légalité en droit pénal, mais qui est aussi en potentielle contradiction avec l'article 16.

Usage du pistolet à impulsion électrique en détention

30. Le Comité est particulièrement préoccupé par l'annonce faite par l'Etat partie de sa volonté d'expérimenter l'usage du Pistolet à impulsion électrique (« PiE », parfois également appelé "Taser") au sein de lieux de détention. Le Comité note que le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 2 septembre 2009, a annulé le décret du 22 septembre 2008 autorisant son emploi par les agents de la police municipale. Le Comité relève en outre un manque d'information précise quant aux modalités précises de son utilisation, sur le statut des personnes l’ayant déjà utilisée, ainsi que les précautions spécifiques, telles la formation et l’encadrement du personnel concerné. (Articles 2 et 16)

Réitérant sa préoccupation, selon laquelle il s’inquiète de ce que l’usage de ces armes peut provoquer une douleur aigüe, constituant une forme de torture, et que dans certains cas, il peut même causer la mort, le Comité souhaiterait obtenir de l'Etat partie des données actualisées sur l'usage fait de cette arme dans les lieux de détention.

Enquête impartiale

31. Le Comité demeure préoccupé par le système de l’opportunité des poursuites, qui laisse au Procureur de la République la discrétion de ne pas poursuivre des auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements impliquant des agents de la force publique, ni même d’ordonner une enquête, ce qui est en contradiction évidente avec les dispositions de l’article 12 de la Convention. Le Comité note en outre avec préoccupation l’absence d’information précise et récente qui permette de comparer le nombre de plaintes reçues, relatives à des agissements des forces de l’ordre contraires à la Convention, à la réponse pénale et disciplinaire qui a pu s’en suivre. (Article 12)

Le Comité réitère sa recommandation précédente (CAT/C/FRA/CO/3, para. 20) selon laquelle le respect des dispositions de l’article 12 de la Convention emporte la nécessité d'une dérogation au système de l’opportunité des poursuites, de manière à consacrer l’obligation pour les autorités compétentes de déclencher spontanément et systématiquement des enquêtes impartiales dans tous les cas où existent des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sous sa juridiction, de manière à prévenir de manière efficace l’impunité des auteurs de tels crimes.

32. Outre le principe de l’opportunité des poursuites qui est dévolu au Procureur de la République, et qui restreint le déclenchement spontané des poursuites, le Comité est préoccupé des conséquences du « Rapport Léger » du 1er septembre 2009, dont les conclusions, si elles étaient entérinées par le Parlement, pourraient mener à terme à la suppression du juge d’instruction, avec la conséquence que toutes les enquêtes seraient dirigées par le Ministère public, soulevant ainsi des conséquences directes quant à l’indépendance de ces enquêtes. (Articles 2, 12 et 13)

Le Comité invite l’Etat partie à prendre toutes les mesures à même de garantir l’indépendance et l’intégrité des procédures judiciaires, ainsi que des enquêtes engagées par les mécanismes indépendants de contrôle existants, en les dotant notamment d’une saisine directe, ainsi que des moyens nécessaires à mettre en œuvre leur mission de contrôle en toute indépendance, impartialité et transparence.

Droit de porter plainte

33. Le Comité demeure préoccupé quant au mode de saisine de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui ne peut être saisie directement par une personne ayant fait l’objet de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais uniquement par l’entremise d’un parlementaire, du Premier ministre ou du Défenseur des enfants. (Article 13)

Le Comité recommande que l’État partie prenne les mesures nécessaires permettant la saisine directe de la CNDS par toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant sur tout territoire sous sa juridiction, conformément aux dispositions de l’article 13 de la Convention.

34. Le Comité est soucieux des conséquences de la création, par la réforme constitutionnelle de 2008, d’un "Défenseur des droits", dont le projet de loi organique prévoit que celui -ci intègrerait les missions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il semble également envisagé qu'à terme, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) puisse également être amené à disparaitre, puisqu'il pourrait lui aussi être intégré à la nouvelle institution. (Article 13)

Le Comité invite l'Etat partie à prendre les mesures nécessaires visant à assurer le fonctionnement effectif et non-interrompu, d'une part, du mécanisme de contrôle institué sous le Protocole facultatif à la Convention (CGLPL), ainsi que celui des autres instances indépendantes complémentaires qui, outre leur rôle de médiation, assurent une fonction essentielle de contrôle du respect des droits, et veillent ainsi au respect de l'application de la Convention, avec chacune une expertise particulière.

Mesures provisoires de protection

35. Le Comité se déclare préoccupé du fait que l'État partie estime qu'il n'est pas tenu de donner suite aux demandes de mesures de sécurité provisoires formulées par le Comité (en référence aux Communications n° 195/2002, Brada c. France (17 mai 2005) et n° 300/2006,

Tebourski c. France (1er mai 2007)).

Rappelant que l’article 108 du règlement intérieur du Comité vise à donner un sens et une portée aux articles 3 et 22 de la Convention, qui autrement n’offriraient aux demandeurs d’asile invoquant un risque sérieux de torture qu’une protection théorique, le Comité exhorte l’Etat partie à revoir sa politique en la matière, en examinant de bonne foi les demandes de mesures provisoires dont il est saisi, et en conformité avec ses obligations au sens des articles 3 et 22 de la Convention.

Traite des personnes

36. Le Comité est préoccupé par le manque d’information fournie par l’Etat partie sur la problématique de la traite des personnes et l’exploitation sexuelle. Le Comité n’a pas été adéquatement informé de la prévalence du phénomène, ni sur les mesures entreprises par l’Etat partie pour lutter contre la traite des femmes et des enfants sur son territoire. (Articles 2 et 16)

Le Comité recommande à l’Etat partie d’adopter un plan national visant à lutter contre toutes les formes de traite des femmes et des enfants, qui inclue aussi bien des mesures de justice pénale relatives la poursuite des trafiquants, que des mesures de protection et de réhabilitation des victimes. Pour ce faire, le Comité recommande à l’Etat partie de renforcer sa coopération internationale avec les pays d’origine, de trafic et de transit, ainsi que de veiller à l’allocation de ressources suffisantes aux politiques et aux programmes dans ce domaine. Le Comité recommande également à l’Etat partie de le tenir informé des développements à cet égard.

37. Le Comité recommande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des données, ventilées par âge, sexe et appartenance ethnique, sur :

a) Le nombre de plaintes enregistrées pour allégations de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) Le nombre correspondant d’investigations, de poursuites et de condamnations pour actes de tortures ou de mauvais traitements ayant eu lieu depuis le dernier rapport soumis au Comité ;

c) Tout en prenant acte du droit des défendeurs de porter eux-mêmes plainte contre ce qu’ils considèrent comme des plaintes calomnieuses ou diffamatoires, le Comité souhaiterait en outre recevoir des données quant aux mesures spécifiques prises par l’Etat partie pour protéger les personnes signalant des agressions commises par des responsables de l’application de la loi contre des actes d’intimidation, notamment sous forme de plainte en diffamation et éventuelles représailles.

38. Le Comité souhaiterait également recevoir de l’information quant à la mise en œuvre de la Convention dans les territoires où ses forces armées sont déployées.

39. Le Comité recommande que l’État partie assure une large distribution sur son territoire des conclusions et recommandations du Comité, dans toutes les langues appropriées, par le biais de sites Internet officiels, de la presse et des organisations non gouvernementales.

40. Le Comité invite l’État partie à mettre à jour son document de base du 7 octobre 1996 (HRI/CORE/1/Add.17/Rev.1), en suivant les directives harmonisées pour l’établissement de rapports, approuvées récemment par les organes de suivi des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

41. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des informations sur la mise en œuvre des recommandations du Comité exprimées aux paragraphes 14, 21, 24, 28, 30 et
36 ci-dessus.

42. L’État partie est invité à soumettre son septième rapport périodique le 14 mai 2014.

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