University of Minnesota



Observations finales du Comité contre la torture, Éthiopie, U.N. Doc. CAT/C/ETH/CO/1 (2011).


 

 


CA T/C/ETH/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Comité contre la torture

Quarante-cinquième session

1er-19 novembre 2010

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Éthiopie

1. Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de l’Éthiopie (CAT/C/ETH/1) à ses 957e et 958e séances (CAT/C/SR.957 et 958), tenues les 2 et 3 novembre 2010, et adopté, à ses 974e et 975e séances (CAT/C/SR.974 et 975), les conclusions finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du rapport initial de l’Éthiopie qui suit globalement ses directives pour la présentation des rapports. Il regrette toutefois que le rapport ne fournisse pas d’informations statistiques et pratiques sur la mise en œuvre des dispositions de la Convention et ait été présenté avec quatorze années de retard, ce qui l’a empêché d’analyser l’application de la Convention dans l’État partie après sa ratification en 1994.

3. Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a envoyé une délégation de haut niveau à la quarante-cinquième session du Comité et se réjouit de pouvoir engager un dialogue constructif avec l’Éthiopie sur de nombreux domaines concernant la Convention.

B. Aspects positifs

4. Le Comité se félicite des efforts et progrès accomplis par l’État partie depuis la chute du régime militaire en 1991, notamment du processus de réforme législative destiné à combattre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

5. Le Comité note avec satisfaction que, pendant la période qui s’est écoulée depuis l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie en 1994, celui-ci a ratifié les instruments internationaux et régionaux suivants ou y a adhéré:

a) Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2010; b) Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en 1998.

6. Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour réformer sa législation afin d’améliorer la protection des droits de l’homme, notamment du droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier:

a) L’adoption, en 1994, d’une Constitution fédérale qui interdit toutes les formes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, prévoit que les personnes privées de liberté seront traitées humainement et consacre l’imprescriptibilité de crimes tels que la torture; et

b) L’adoption, en 2004, du Code pénal révisé, qui criminalise tous les actes de torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la violence sexuelle et les pratiques traditionnelles nocives.

7. Le Comité constate que l’État partie a adopté les directives et les règlements spécifiques ci-après, relatifs au comportement des agents de la force publique, dont la violation entraîne des sanctions disciplinaires, le renvoi ou des poursuites pénales:

a) Le Règlement no 44/1998 du Conseil des ministres relatif à l’administration du Procureur fédéral;

b) Le Règlement no 86/2003 relatif à l’administration de la Commission de la police fédérale;

c) Le Règlement no 137/2007 du Conseil des ministres relatif à l’administration pénitentiaire fédérale;

d) Le Règlement no 138/2007 du Conseil des ministres relatif au traitement des prisonniers fédéraux; et

e) La Directive/le Règlement relatif à l’administration des forces de défense.

8. Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a été en mesure de présenter ses rapports en retard aux organes de l’ONU créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme, dans le cadre d’un projet commun du Ministère des affaires étrangères, de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur la présentation des rapports aux organes conventionnels.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations Définition de la torture

9. Le Comité note que la Constitution fédérale de l’Éthiopie interdit la torture et que l’article 424 du Code pénal révisé définit l’«utilisation de méthodes inappropriées». Il est toutefois préoccupé par le fait que la portée de cette définition est plus restreinte que celle de la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention, dans la mesure où elle ne couvre que certains des motifs visés dans la Convention et ne s’applique qu’aux actes commis dans l’exercice de leurs fonctions par les agents publics chargés d’arrêter, de placer en détention, de superviser, d’escorter ou d’interroger une personne soupçonnée, arrêtée, détenue, citée à comparaître devant un tribunal, ou purgeant une peine. Le Comité observe que les actes de torture qui ne rentrent pas dans le champ de la définition de l’article 424 du Code pénal révisé ne peuvent être sanctionnés que sous le chef d’«abus de pouvoir», bien que la Convention fasse désormais partie du droit interne éthiopien (art. 1er et 4).

L’État partie devrait inclure la torture en tant qu’infraction, punissable de peines appropriées à la mesure de sa gravité, dans son Code pénal, ainsi qu’une définition de la torture comprenant tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. En qualifiant et en définissant l’infraction de torture conformément à la Convention et en la distinguant des autres crimes, les États parties serviront directement, selon le Comité, l’objectif fondamental de la Convention qui consiste à prévenir la torture, notamment en faisant savoir à tous − auteurs, victimes et public − que ce crime est d’une gravité particulière et en renforçant l’effet dissuasif de l’interdiction elle-même.

Recours systématique à la torture

10. Le Comité est profondément préoccupé par les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes concernant le recours routinier à la torture par la police, les agents pénitentiaires et d’autres membres des forces de sécurité, ainsi que par les militaires, en particulier contre des dissidents politiques et des membres de partis d’opposition, des étudiants, des personnes suspectées de terrorisme et des partisans présumés de groupes rebelles tels que le Front national de libération de l’Ogaden et le Front de libération Oromo. Le Comité est préoccupé par les informations crédibles selon lesquelles ces actes se produisent fréquemment avec la participation, à l’instigation ou avec le consentement d’officiers responsables dans les postes de police, les centres de détention, les prisons fédérales, les bases militaires et des lieux de détention officieux ou secrets. Le Comité prend également note des informations cohérentes selon lesquelles la torture est couramment utilisée durant les interrogatoires afin de soutirer des aveux au suspect lorsque celui-ci est privé des garanties juridiques fondamentales, en particulier le droit d’accéder à un avocat (art. 1er, 2, 4, 11 et 15).

Le Comité invite instamment l’État partie à prendre immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture, poursuivre et punir leurs auteurs et garantir que les membres des forces de l’ordre n’utilisent pas la torture, notamment en réaffirmant clairement l’interdiction absolue de la torture et en condamnant publiquement sa pratique, en particulier par la police, le personnel pénitentiaire et les membres de la Force de défense nationale éthiopienne et en faisant clairement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou y participerait en serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l’objet de poursuites pénales et se verrait infliger des peines appropriées.

Impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements

11. Le Comité est profondément préoccupé par de nombreuses informations cohérentes selon lesquelles l’État partie persiste à ne pas enquêter sur les allégations de torture et poursuivre les auteurs de tels actes, notamment les membres de la Force de défense nationale éthiopienne et les militaires ou les officiers de police responsables. À cet égard, il prend note de l’absence d’informations sur des affaires dans lesquelles des soldats, des agents de police ou des membres du personnel pénitentiaire ont été poursuivis, condamnés ou soumis à des sanctions disciplinaires pour avoir commis des actes de torture ou des mauvais traitements. Le Comité est également préoccupé par le fait que la Force de défense nationale éthiopienne, ainsi que des milices privées exerceraient des fonctions de police dans l’État régional somalien (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale et que les auteurs de tels actes soient poursuivis et condamnés à une peine à la mesure de la gravité de leurs actes, comme l’exige l’article 4 de la Convention, sans préjudice des actions et sanctions disciplinaires appropriées.

L’État partie devrait veiller à ce que les fonctions de maintien de l’ordre soient exercées par la police plutôt que par la Force de défense nationale éthiopienne, notamment dans les régions de conflit armé où l’état d’urgence n’a pas été déclaré. Il devrait empêcher que des milices privées ne contournent les garanties juridiques et les recours légaux contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Garanties juridiques fondamentales

12. Le Comité est gravement préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie n’offre pas, dans la pratique, à l’ensemble des détenus toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de la détention. Ces garanties comprennent leur droit d’être informés des raisons de leur arrestation, y compris des charges retenues contre eux, le droit de communiquer sans délai avec un avocat et, si nécessaire, de bénéficier d’une aide juridictionnelle et d’un examen médical indépendant, effectué si possible par le médecin de leur choix, d’aviser un proche, de comparaître rapidement devant un juge, et de demander à un tribunal de statuer sur la légalité de leur détention, conformément aux normes internationales. À cet égard, le Comité est préoccupé par le fait que, conformément à l’article 19 3) de la Constitution de l’État partie, la période maximale de quarante-huit heures pendant laquelle toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale doit être présentée à un juge «ne comprend pas le temps que peut durer raisonnablement le transfert au tribunal», et que, conformément à l’article 59 3) du Code de procédure pénale, la détention provisoire peut être prolongée à plusieurs reprises pour des périodes de quatorze jours chacune. Le Comité prend en outre note avec préoccupation des informations concernant l’insuffisance des services d’aide juridictionnelle fournis par le Bureau des défenseurs publics et le non-respect fréquent par les fonctionnaires de police des ordonnances judiciaires de libération sous caution de suspects (art. 2, 12, 13, 15 et 16).

L’État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour faire en sorte que tous les détenus bénéficient dans la pratique de l’ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention. Ces garanties comprennent en particulier le droit des détenus d’être informés des raisons de leur arrestation, y compris des charges retenues contre eux, d’avoir rapidement accès à un avocat et, si besoin, à l’aide juridictionnelle, ainsi que de bénéficier d’un examen médical indépendant effectué si possible par un médecin de leur choix, d’aviser un proche, de comparaître rapidement devant un juge et de demander à un tribunal de se prononcer sur la légalité de leur détention, conformément aux normes internationales. L’État partie devrait également songer à modifier l’article 19 3) de sa Constitution et l’article 59 3) de son Code de procédure pénale afin, respectivement, de garantir que toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale soit présentée rapidement à un juge et d’empêcher la détention provisoire prolongée.

Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les fonctionnaires de police suivent une formation obligatoire sur les droits des détenus, de garantir que les ordonnances judiciaires de libération sous caution des suspects soient strictement respectées et de renforcer la capacité du Bureau des défenseurs publics de fournir des services d’aide juridictionnelle et d’améliorer la qualité desdits services.

Surveillance et inspection des lieux de privation de liberté

13. Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle les centres de détention et les établissements pénitentiaires, ainsi que d’autres lieux de privation de liberté font régulièrement l’objet d’inspections et d’évaluations menées par l’administration pénitentiaire et des parlementaires, ainsi que par la Commission éthiopienne des droits de l’homme et des organisations non gouvernementales (ONG) telles que «Justice For All − Prison Fellowship Ethiopia». Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que les recommandations figurant dans le rapport de visite et de contrôle des établissements pénitentiaires de 2008 de la Commission éthiopienne des droits de l’homme ne soient pas mises en œuvre, et note l’absence d’informations sur d’éventuelles visites inopinées des lieux de privation de liberté par des mécanismes indépendants. Le Comité est extrêmement préoccupé par le fait que, contrairement aux informations fournies dans le rapport de l’État partie (par. 21 et 56), le Comité international de la Croix-Rouge n’a pas accès aux centres de détention et aux prisons ordinaires et qu’il a été expulsé de l’État régional de Somali en 2007 (art. 2, 11 et 16).

Le Comité engage l’État partie à instaurer un système national indépendant et efficace pour surveiller et inspecter tous les lieux de privation de liberté et à donner suite aux résultats de cette surveillance systématique. Il devrait renforcer le mandat de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et l’encourager à effectuer des visites inopinées dans les prisons, les postes de police et les autres lieux de détention, et mettre en œuvre les recommandations figurant dans le Rapport sur la surveillance des établissements pénitentiaires établi en 2008 par la Commission. L’État partie devrait aussi renforcer sa coopération avec les ONG et leur apporter davantage de soutien pour leur permettre d’assurer une surveillance indépendante des conditions de détention dans les lieux de privation de liberté. En outre, l’État partie devrait autoriser le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et d’autres mécanismes internationaux indépendants à se rendre dans les prisons, les centres de détention et tout autre lieu où des personnes sont privées de leur liberté, y compris dans l’État régional de Somali.

L’État partie est prié de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les lieux, les dates et la fréquence des inspections, notamment des inspections inopinées, effectuées dans les lieux de privation de liberté, et sur les conclusions et le suivi des résultats de ces inspections.

Mesures antiterroristes

14. Le Comité est préoccupé par les dispositions de la loi antiterroriste no 652/2009, qui restreint indûment les garanties juridiques contre la torture et les mauvais traitements pour les personnes soupçonnées ou accusées de délits terroristes ou apparentés, en particulier par:

a) La définition large de l’incitation au terrorisme et des actes de terrorisme et des infractions apparentées (art. 2 à 7 de la loi);

b) Les pouvoirs étendus de la police pour arrêter les suspects sans mandat émis par un juge (art. 19);

c) La recevabilité, dans les affaires de terrorisme, des dépositions sur la foi d’autrui, des preuves indirectes et des aveux des personnes soupçonnées de terrorisme, par écrit ou sous forme d’enregistrement (art. 23) et le recours autorisé aux témoins anonymes (art. 32), et les autres dispositions de procédure qui portent atteinte aux droits de la défense;

d) Le fait que la détermination du statut, en tant que prisonniers de guerre ou autre, des personnes capturées par les forces de défense pendant la guerre relève du tribunal militaire de première instance plutôt que d’un tribunal ordinaire (art. 31) (art. 2 et 16).

L’État partie devrait assurer le respect des garanties juridiques fondamentales et prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les dispositions de la loi antiterroriste no 652/2009 soient compatibles avec les dispositions de la Convention, en particulier qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne puisse être invoquée pour justifier la torture.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et arrestation et détention arbitraires

15. Le Comité est gravement préoccupé par les nombreuses allégations d’exécutions extrajudiciaires de civils membres présumés de groupes d’insurgés armés commises par les forces de sécurité et la Force nationale de défense éthiopienne, en particulier dans les États régionaux de Somali, d’Oromia et de Gambella. Il est aussi gravement préoccupé par les informations faisant état d’un nombre important de disparitions, ainsi que la pratique généralisée des arrestations sans mandat et de la détention arbitraire et prolongée sans inculpation ni procédure judiciaire des personnes soupçonnées d’être membres ou sympathisants des groupes d’insurgés et des membres de l’opposition politique. Le Comité souligne que les arrestations sans mandat et l’absence de contrôle judiciaire de la légalité de la détention peuvent favoriser la torture et les mauvais traitements (art. 2 et 11).

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour enquêter rapidement et de manière approfondie et impartiale sur toutes les allégations d’implication de membres des forces de sécurité et de la Force nationale de défense éthiopienne dans des exécutions extrajudiciaires et d’autres violations graves des droits de l’homme commises dans différentes régions du pays, en particulier dans les États régionaux de Somali, d’Oromia et de Gambella.

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les disparitions forcées et contre la pratique des arrestations massives sans mandat et de la détention arbitraire sans inculpation ni procédure judiciaire. Il devrait prendre toutes les mesures voulues pour garantir l’application de la législation pertinente et réduire encore la durée de la détention avant inculpation. L’État partie est prié de donner des informations détaillées sur les éventuelles enquêtes concernant les cas signalés de disparition et sur leur issue.

Viol et autres formes de violence sexuelle dans le contexte du conflit armé

16. Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de viols et d’autres formes de violence sexuelle à l’encontre de femmes et de filles imputées à des membres des forces de sécurité et de la Force de défense nationale éthiopienne dans le contexte du conflit armé, en particulier dans l’État régional de Somali (art. 2, 12, 13 et 14).

Le Comité demande à l’État partie d’enquêter sur les viols et les autres formes de violence sexuelle commis contre des femmes et des filles dans le contexte du conflit armé par les forces de sécurité et la Force de défense nationale éthiopienne et de poursuivre et punir les auteurs. L’État partie devrait prendre des mesures immédiates pour indemniser et réinsérer les victimes de tels actes.

Enquêtes

17. Malgré les explications données par l’État partie pendant le dialogue, le Comité demeure préoccupé par les renseignements nombreux et concordants concernant:

a) L’absence d’une enquête approfondie sur l’arrestation de 3 000 étudiants à l’université d’Addis-Abeba en avril 2001, dont beaucoup auraient subi des mauvais traitements au camp de police de Sendafa;

b) Le fait que seul un petit nombre d’agents subalternes de l’armée impliqués dans l’exécution et la torture, notamment sous forme de viol, de centaines d’Anuaks dans la ville de Gambella en décembre 2003 aient été poursuivis et condamnés et que l’État partie n’ait pas enquêté sur les exécutions, les actes de torture et les viols commis ultérieurement contre des Anuaks dans l’État régional de Gambella en 2004;

c) L’absence d’enquête indépendante et impartiale sur l’usage de la force meurtrière par les membres des forces de sécurité pendant les violences postélectorales en 2005, qui ont fait 193 morts parmi les civils et 6 parmi les policiers, et l’absence de poursuites et de condamnations dans ce contexte; et

d) L’absence d’enquête indépendante et impartiale sur les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture, notamment sous la forme de viols, et les autres formes de violence sexuelle, ainsi que sur les arrestations arbitraires commises par la Force de défense nationale éthiopienne pendant les opérations anti-insurrectionnelles qu’elle a menées contre le Front national de libération de l’Ogaden, dans l’État régional de Somali en 2007 (art. 12 et 14).

L’État partie devrait sans délai ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales sur les incidents susmentionnés afin de traduire en justice les auteurs des violations de la Convention. Le Comité recommande que ces enquêtes soient menées par des experts indépendants pour que toutes les informations soient examinées de manière approfondie, que l’on parvienne à des conclusions sur les faits et les mesures prises et qu’une indemnisation adéquate, y compris les moyens de la réadaptation la plus complète possible, soit accordée aux victimes et à leur famille. L’État partie est prié de donner au Comité des renseignements détaillés sur les résultats de ces enquêtes dans son prochain rapport périodique.

Mécanisme de plaintes

18. Malgré les informations fournies dans le rapport de l’État partie sur la possibilité donnée aux prisonniers et aux détenus de présenter des plaintes à différents niveaux de l’administration pénitentiaire, par exemple en utilisant des boîtes à suggestion, ainsi que devant les tribunaux, le bureau fédéral des enquêtes criminelles et la Commission éthiopienne des droits de l’homme, le Comité regrette l’absence d’un mécanisme spécialisé, indépendant et efficace, habilité à recevoir les plaintes et à enquêter de manière rapide et impartiale sur les allégations de torture émanant en particulier de prisonniers et de détenus et à faire en sorte que les coupables soient punis comme il convient. Il note également l’absence d’informations, notamment de statistiques, sur le nombre de plaintes pour torture et mauvais traitements et sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les sanctions, tant pénales que disciplinaires, infligées aux auteurs de ces actes (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures concrètes pour instaurer un mécanisme de plainte indépendant et efficace, spécifiquement destiné à recevoir les allégations de torture et de mauvais traitements commis par des membres des forces de l’ordre, des services de sécurité, des militaires et des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, à enquêter sans délai et de manière impartiale sur ces allégations et à engager des poursuites contre les auteurs. En particulier, ces enquêtes ne doivent pas être menées par la police ou par les militaires ou sous leur autorité, mais par un organe indépendant. L’État partie devrait faire en sorte que, dans la pratique, ceux qui déposent des plaintes soient protégés contre tout mauvais traitement ou acte d’intimidation dont ils pourraient faire l’objet en raison de leur plainte ou de leur déposition. Le Comité prie l’État partie d’indiquer si les actes de torture et les mauvais traitements donnent lieu d’office à des enquêtes et à des poursuites et de fournir des informations, notamment des données statistiques, sur le nombre de plaintes pour torture et mauvais traitements déposées contre des agents de l’État, ainsi que des renseignements sur l’issue des procédures engagées, tant pénales que disciplinaires. Ces données devraient être ventilées par sexe, âge et origine ethnique de l’auteur de la plainte et préciser quelle autorité a mené l’enquête.

Réfugiés et demandeurs d’asile

19. Le Comité prend note de la politique généreuse de l’État partie, qui accueille un grand nombre de ressortissants érythréens, somaliens et soudanais et leur accorde des permis de séjour, mais il constate avec préoccupation que les décisions prises par le Service national de renseignement et de sécurité refusant le statut de réfugié ou ordonnant l’expulsion ne peuvent faire l’objet d’un recours que devant la Commission d’examen des plaintes ou le Conseil d’examen des appels, respectivement, tous deux composés de représentants de différents organes de l’État. Le Comité note aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas adhéré à la Convention relative au statut des apatrides ni à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie (art. 2, 3, 11 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que les ressortissants étrangers dont les demandes de statut de réfugié ou d’asile ont été rejetées par le Service national de renseignement et de sécurité ou qui sont frappés d’un arrêté d’expulsion puissent faire appel de ces décisions devant les tribunaux. Le Comité recommande à l’État partie de songer à devenir partie à la Convention relative au statut des apatrides et à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Enlèvements

20. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles, sous prétexte de combattre le terrorisme, l’État partie a enlevé des personnes soupçonnées de terrorisme dans des pays tiers comme la Somalie, en violation de la Convention (art. 3).

L’État partie devrait s’abstenir d’enlever des personnes soupçonnées de terrorisme dans des pays tiers où ils bénéficient peut-être de la protection de l’article 3 de la Convention. L’État partie devrait permettre une enquête indépendante sur ces allégations d’enlèvements, en particulier lorsque l’enlèvement est suivi d’une détention au secret et de tortures dans l’État partie, et informer le Comité des résultats de cette enquête dans son prochain rapport périodique.

Formation

21. Le Comité prend note des renseignements communiqués par l’État partie dans son rapport et dans sa présentation orale au sujet de la formation, des séminaires et des cours sur les droits de l’homme organisés à l’intention des juges, des magistrats du parquet, des policiers, des agents pénitentiaires, et des militaires. Il s’inquiète toutefois des informations fournies dans le rapport (par. 14) concernant le manque de sensibilisation des agents chargés d’appliquer la loi aux dispositions de la Convention, le sentiment qui prévaut qu’un certain degré de contrainte est nécessaire dans le cadre des méthodes d’interrogatoire, ainsi que le manque d’expertise et de compétences médico-légales et une connaissance insuffisante des techniques d’enquête appropriée dans l’État partie (art. 10).

L’État partie devrait continuer d’élaborer des programmes de formation et de renforcer ceux qui existent pour faire en sorte que tous les fonctionnaires, notamment les juges, les membres des forces de l’ordre, les agents de sécurité, les militaires, les agents du renseignement et le personnel pénitentiaire, connaissent bien les dispositions de la Convention, soient en particulier pleinement conscients de l’interdiction absolue de la torture et sachent que les violations de la Convention ne seront pas tolérées et donneront lieu sans délai à des enquêtes impartiales, et que leurs auteurs seront poursuivis. Par ailleurs, tous les personnels concernés, y compris les membres du corps médical, devraient recevoir une formation spécifique afin d’apprendre à détecter les signes de torture et de mauvais traitements. Cette formation devrait notamment comprendre une initiation à l’emploi du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), publié par l’ONU en 2004. L’État partie devrait en outre évaluer l’efficacité et l’incidence de ces programmes de formation et d’enseignement.

Procédures judiciaires et indépendance de la magistrature

22. Tout en notant que la Constitution consacre l’indépendance de la magistrature, le Comité se dit préoccupé par les informations selon lesquelles le pouvoir exécutif interviendrait fréquemment dans les procédures judiciaires, notamment en matière pénale, et par les cas de juges qui auraient été soumis à des actes de harcèlement ou d’intimidation ou à des menaces, voire destitués, pour avoir résisté aux pressions politiques, refusé de considérer comme recevables dans le cadre de procédures judiciaires des aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements, et acquitté des personnes accusées d’actes terroristes ou de crimes contre l’État ou ordonné leur remise en liberté. Le Comité s’inquiète également des informations faisant état de procédures judiciaires inéquitables dans des affaires politiquement sensibles, notamment de violations du droit des accusés de disposer du temps nécessaire pour préparer leur défense, de consulter un avocat, de faire interroger les témoins utiles à la défense dans les mêmes conditions que les témoins à charge, et de faire appel de leur condamnation (art. 2, 12 et 13).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir la pleine indépendance et impartialité du pouvoir judiciaire dans l’exercice de ses fonctions, conformément aux normes internationales, notamment les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature. À cet égard, il devrait veiller à ce que le pouvoir judiciaire soit libre de toute ingérence, en particulier de la part du pouvoir exécutif, en droit comme dans la pratique. L’État partie devrait mener sans délai des enquêtes impartiales et engager des poursuites lorsque des juges font l’objet d’actes de harcèlement ou d’intimidation ou sont injustement destitués, prendre des mesures efficaces − y compris organiser une formation sur les obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention − pour renforcer le rôle des juges et des magistrats du parquet en ce qui concerne l’ouverture d’enquêtes et de poursuites dans les affaires de torture et de mauvais traitements ainsi que la légalité de la détention, et encourager les juges et les magistrats du parquet à respecter les garanties d’un procès équitable, conformément aux normes internationales pertinentes, y compris dans les affaires politiques.

23. Le Comité note avec préoccupation que, du fait de la compétence qui est reconnue aux tribunaux charaïques et coutumiers pour les affaires relevant du droit de la famille, sous réserve que les deux parties y consentent, les femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles risquent de subir des pressions de la part de leur mari et de leur famille et de voir les affaires dans lesquelles elles sont parties jugées par des juridictions coutumières ou religieuses plutôt que par des juridictions ordinaires (art. 2 et 13).

L’État partie devrait prévoir des garanties de procédure propres à assurer que les parties, en particulier les femmes, donnent librement leur consentement quand elles acceptent que l’affaire soit jugée par une juridiction charaïque ou coutumière, et faire en sorte que toutes les décisions rendues par de telles juridictions puissent faire l’objet de recours devant les juridictions de plus haut degré (cours d’appel et Cour suprême).

Imposition de la peine de mort

24. Tout en prenant acte des informations fournies par l’État partie concernant la non- application de fait de la peine capitale et l’«extrême réticence» des tribunaux à prononcer cette peine, qui est autorisée «uniquement dans les cas de crimes graves et de criminels exceptionnellement dangereux..., comme peine pour des crimes consommés et en l’absence de circonstances atténuantes» (voir par. 86 et 87 du document de base commun publié sous la cote HRI/CORE/ETH/2008), le Comité relève avec inquiétude que le nombre de condamnations à la peine capitale aurait récemment augmenté. À ce propos, il renvoie à l’affaire appelée «Ginbot 7» dans laquelle la Haute Cour fédérale a condamné à la peine capitale cinq responsables de l’ancien parti d’opposition Coalition pour l’unité et la démocratie, dont quatre (Andargachew Tsigie, Berhanu Nega, Mesfin Aman et Muluneh Iyoel Fage) ont été jugés par contumace, le cinquième (Melaku Teffera Tilahun, qui aurait été torturé) étant présent au procès, pour avoir «conspiré en vue de porter atteinte à la Constitution et de renverser le Gouvernement par la violence». Le Comité souligne que les conditions de détention des condamnés à mort peuvent constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en particulier du fait de la durée excessive de la détention en attente d’exécution (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de songer à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à l’abolition de la peine de mort. L’État partie devrait songer à prolonger le moratoire de fait qu’il a instauré sur l’exécution de la peine capitale et à commuer les peines de mort pour les condamnés en attente. L’État partie devrait faire en sorte que tous les condamnés à mort bénéficient de la protection assurée par la Convention et soient traités avec humanité. Le Comité prie l’État partie d’indiquer le nombre de personnes qui sont actuellement en attente d’exécution, en ventilant les données par sexe, âge, appartenance ethnique et type d’infraction.

Institution nationale des droits de l’homme

25. Le Comité accueille avec intérêt les renseignements fournis par l’État partie concernant le mandat de la Commission éthiopienne des droits de l’homme consistant à visiter les lieux de privation de liberté et à examiner les plaintes pour violation présumée des droits de l’homme, notamment les droits protégés par la Convention. Le Comité constate qu’il n’est pas suffisamment donné suite aux suggestions et recommandations formulées par la Commission dans son rapport sur ses visites de surveillance des établissements pénitentiaires et que cette institution ne dispose que de pouvoirs limités pour ce qui est d’engager des poursuites dans les cas où des actes de torture ou des mauvais traitements ont été constatés (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait renforcer le rôle et le mandat de la Commission éthiopienne des droits de l’homme s’agissant d’effectuer régulièrement des visites inopinées dans les lieux de privation de liberté et de formuler ensuite des constatations et recommandations indépendantes. Il devrait aussi accorder le poids voulu aux conclusions de cette institution relatives aux plaintes individuelles ainsi que communiquer ces conclusions au Procureur général dans les cas où des actes de torture ou des mauvais traitements ont été constatés. L’État partie est prié de fournir des informations, y compris des données statistiques, sur les plaintes examinées par la Commission éthiopienne des droits de l’homme concernant des cas présumés de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et indiquer si de tels cas ont été soumis aux autorités compétentes pour qu’elles engagent des poursuites. En outre, l’État partie devrait intensifier ses efforts pour que la Commission satisfasse pleinement aux principes relatifs au statut des institutions nationales (Principes de Paris).

Conditions de détention

26. Le Comité observe les efforts de l’État pour faire en sorte que les textes législatifs et réglementaires relatifs au traitement des prisonniers et des détenus tiennent compte de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement et du Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (voir par. 54 et 55 du rapport de l’État partie). Toutefois, le Comité demeure profondément préoccupé par les informations persistantes faisant état d’un surpeuplement, de mauvaises conditions d’hygiène et de salubrité, d’un manque de place pour dormir, d’un manque d’eau et de nourriture, de l’absence de services de santé appropriés, y compris pour les femmes enceintes et les détenus atteints du VIH/sida ou de la tuberculose, de l’absence de structures spécialisées pour les détenus handicapés, de la détention de délinquants mineurs dans les mêmes locaux que les adultes et de la protection insuffisante contre la violence des détenus mineurs et des enfants incarcérés avec leur mère dans les prisons et autres lieux de détention de l’État partie (art. 11 et 16).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures pour faire en sorte que les conditions de détention dans les postes de police, les prisons et les autres lieux de détention soient conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ainsi qu’aux autres normes pertinentes, et notamment:

a) Réduire le surpeuplement carcéral, en particulier en envisageant des peines non privatives de liberté et en veillant, dans le cas des mineurs, à ce que la détention ne soit utilisée qu’en dernier recours;

b) Améliorer la qualité et la quantité des rations et de l’eau ainsi que les soins de santé offerts aux détenus et aux prisonniers, en particulier aux enfants, aux femmes enceintes et aux personnes atteintes du VIH/sida ou de la tuberculose;

c) Améliorer les conditions de détention des mineurs et veiller à ce que ceux-ci soient séparés des adultes conformément aux normes internationales relatives à l’administration de la justice pour mineurs et permettre aux mères incarcérées ou détenues de garder auprès d’elles leurs enfants en bas âge, le cas échéant au-delà de l’âge de 18 mois;

d) Veiller à ce qu’existent, en nombre suffisant, des structures appropriées pour les prisonniers et détenus handicapés;

e) Renforcer le contrôle judiciaire des conditions de détention.

Enfants en détention

27. Le Comité relève avec préoccupation qu’en vertu des articles 52, 53 et 56 de la version révisée du Code pénal, l’âge de la responsabilité pénale est fixé à 9 ans et que les délinquants âgés de plus de 15 ans sont passibles des peines ordinaires applicables aux adultes et peuvent être détenus avec des délinquants adultes (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait relever l’âge minimum de la responsabilité pénale, conformément aux normes internationales et classer les personnes âgées de plus de 15 ans et de moins de 18 ans dans la catégorie des «mineurs», pour lesquels des peines plus légères sont prévues en vertu des articles 157 à 168 du Code pénal et qui ne peuvent être détenus avec des délinquants adultes. Il devrait faire en sorte que son système de justice pour mineurs soit conforme aux normes internationales, telles que l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs («Règles de Beijing»).

Châtiments corporels infligés aux enfants

28. Le Comité note avec préoccupation que, si les châtiments corporels sont interdits à l’école, dans les institutions pour enfants et à titre de sanction pénale ou disciplinaire dans le système pénal, ils ne le sont pas en tant que mesure de correction appliquée dans la famille ou dans les centres de protection de remplacement à des fins de «bonne éducation», en vertu de l’article 576 du Code pénal révisé (2005) et de l’article 258 du Code de la famille révisé (2000) (art. 2, 10 et 16).

L’État partie devrait songer à modifier son Code pénal et son Code de la famille révisé en vue d’interdire le recours aux châtiments corporels dans l’éducation des enfants, dans la famille et dans les centres de protection de remplacement, et de sensibiliser le public à des formes positives, participatives et non violentes de discipline.

Décès en détention

29. Le Comité se dit préoccupé par le nombre extrêmement élevé de décès en détention, tout en notant que, selon l’État partie, ces décès sont dus au mauvais état de santé des détenus plutôt qu’aux conditions de détention (art. 12 et 16).

L’État partie devrait enquêter rapidement et de manière approfondie et impartiale sur tous les cas de décès en détention et poursuivre les personnes responsables de décès résultant d’actes de torture, de mauvais traitements ou d’une négligence délibérée. Il devrait également dispenser les soins de santé voulus à toutes les personnes privées de liberté. L’État partie devrait fournir au Comité des informations sur tous les cas de ce type, faire procéder à des examens médico-légaux indépendants et accepter les conclusions de ces examens en tant que preuves dans les procédures pénales et civiles.

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

30. Le Comité prend note des informations sur les modalités d’indemnisation par l’État partie des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements figurant dans le rapport de ce dernier (par. 60) et dans son document de base commun (par. 184 à 186). Il regrette toutefois l’absence d’informations sur les décisions de justice par lesquelles une indemnisation a été accordée à des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ou à leur famille et sur le montant octroyé dans chaque cas. Le Comité regrette également l’absence d’informations sur les services de traitement et de réadaptation sociale et sur les autres formes d’assistance, notamment les services de réadaptation médicale ou psychosociale, dont ont bénéficié les victimes (art. 14).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements une réparation, sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate, et la réadaptation la plus complète possible. En outre, il devrait donner des informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation ordonnées par les tribunaux en faveur de victimes d’actes de torture ou de leur famille. Ces informations devraient notamment porter sur le nombre de requêtes présentées et de requêtes satisfaites et sur les montants accordés et effectivement versés dans chaque cas. En outre, l’État partie devrait fournir des renseignements sur tout programme de réadaptation en cours en faveur des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements et allouer des ressources suffisantes pour assurer la bonne exécution de tels programmes.

Aveux obtenus sous la contrainte

31. Tout en notant qu’en vertu des garanties constitutionnelles et des dispositions du Code de procédure pénale, les preuves obtenues par la torture ne sont pas recevables, le Comité est préoccupé par des informations faisant état de plusieurs cas d’aveux obtenus sous la torture et par l’absence d’informations sur les agents de l’État qui auraient été poursuivis et punis pour avoir extorqué des aveux (art. 2 et 15).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que dans la pratique les aveux obtenus sous la torture, y compris dans les cas tombant sous le coup de la loi antiterroriste, soient irrecevables devant les tribunaux, conformément à la législation interne et aux dispositions de l’article 15 de la Convention. Le Comité demande à l’État partie de donner des renseignements sur l’application des dispositions interdisant que des preuves obtenues sous la contrainte soient recevables et d’indiquer si des agents de l’État ont été poursuivis et punis pour avoir extorqué des aveux.

Violence faite aux femmes et pratiques traditionnelles nocives

32. Le Comité prend note de la criminalisation dans le Code pénal révisé des pratiques traditionnelles nocives telles que la mutilation génitale féminine, le mariage précoce et l’enlèvement des filles à des fins de mariage, et des informations fournies par l’État partie pendant le dialogue au sujet de la constitution d’équipes spéciales au Ministère de la justice et dans les départements de justice régionaux pour enquêter sur les cas de viol et d’autres formes de violences faites aux femmes et aux enfants. Le Comité est toutefois préoccupé par la non-application des dispositions du Code pénal érigeant en infraction la violence faite aux femmes et les pratiques traditionnelles nocives. Il note avec une vive inquiétude que le Code pénal révisé n’érige pas en infraction le viol conjugal. En outre, il regrette le manque d’informations sur les plaintes, les poursuites et les peines imposées aux auteurs, ainsi que sur l’assistance fournie aux victimes et sur leur indemnisation (art. 1er, 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et punir la violence faite aux femmes et aux enfants et les pratiques traditionnelles nocives, en particulier dans les régions rurales. Il devrait songer à modifier son Code pénal révisé en vue d’ériger en infraction le viol conjugal. Il devrait en outre assurer aux victimes des services juridiques, médicaux, psychologiques et de réadaptation, ainsi qu’une indemnisation, et instaurer des conditions qui leur permettent de dénoncer les pratiques traditionnelles nocives dont elles sont victimes et la violence au foyer et sexuelle sans crainte de représailles ou de stigmatisation. L’État partie devrait dispenser une formation aux juges, aux procureurs, aux membres de la police et aux dignitaires locaux au sujet de la stricte application du Code pénal révisé et de la nature criminelle des pratiques traditionnelles nocives et d’autres formes de violence faite aux femmes. Le Comité demande également à l’État partie de fournir dans son prochain rapport des données statistiques sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations prononcées dans ce contexte, ainsi que sur l’assistance fournie aux victimes et sur leur indemnisation.

Traite des êtres humains

33. Le Comité se dit préoccupé par le faible taux de poursuites et de condamnations dans les affaires d’enlèvement d’enfants et de traite d’êtres humains, en particulier de traite au niveau interne de femmes et d’enfants à des fins de travail forcé et d’exploitation sexuelle commerciale. Il est également préoccupé par le manque généralisé d’informations sur l’ampleur de la traite dans l’État partie, notamment sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations, et sur les mesures pratiques prises pour prévenir et combattre ce phénomène (art. 1er, 2, 12 et 16).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et combattre en particulier l’enlèvement d’enfants et la traite des femmes et des enfants au niveau interne, fournir une protection aux victimes et assurer leur accès aux services juridiques, médicaux, psychologiques et de réadaptation. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie d’adopter une stratégie globale de lutte contre la traite des êtres humains et ses causes. L’État partie devrait en outre enquêter sur toutes les allégations de traite et faire en sorte que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs crimes. L’État partie est invité à fournir des informations sur les mesures prises pour apporter une assistance aux victimes de la traite, et des données statistiques sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations dans le contexte de la traite.

Restrictions imposées aux organisations non gouvernementales (ONG) travaillant dans le domaine des droits de l’homme et de l’administration de la justice

34. Le Comité se déclare vivement préoccupé par des informations fiables relatives aux effets néfastes de la loi no 621/2009 sur l’enregistrement des œuvres caritatives et des associations qui interdit aux ONG étrangères et aux organismes locaux qui reçoivent plus de 10 % de leurs fonds de l’étranger de travailler dans le domaine des droits de l’homme et de l’administration de la justice (art. 14), ainsi que sur l’aptitude des ONG locales actives dans le domaine des droits de l’homme à faciliter les visites dans les prisons et à fournir une aide juridique et d’autres formes d’assistance ou de réadaptation aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements. Le Comité note avec préoccupation que les ONG locales s’occupant des droits de l’homme qui étaient actives dans ces domaines, notamment le Conseil éthiopien des droits de l’homme, l’Association éthiopienne des femmes juristes, l’Association du barreau éthiopien et le Centre de réadaptation des victimes de la torture en Éthiopie ne sont plus pleinement opérationnelles (art. 2, 11, 13 et 16).

Le Comité demande à l’État partie de reconnaître le rôle important des ONG dans la prévention des actes de torture et des mauvais traitements, la collecte d’informations sur ces pratiques et l’assistance aux victimes, de songer à lever les restrictions financières imposées aux ONG locales travaillant dans le domaine des droits de l’homme, de débloquer tous les fonds gelés appartenant à ces ONG et de faire en sorte qu’elles cessent d’être soumises au harcèlement et à l’intimidation de façon qu’elles puissent jouer véritablement leur rôle dans l’application de la Convention en Éthiopie et, ce faisant, aider l’État partie à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

Collecte de données

35. Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements où sont impliqués les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et la violence au foyer et sexuelle (art. 12 et 13).

L’État partie devrait compiler des données statistiques utiles pour la surveillance de l’application de la Convention au niveau national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et la violence au foyer et sexuelle, ainsi que sur les moyens de réparation, notamment d’indemnisation et de réadaptation, offerts aux victimes. L’État partie devrait inclure ces données dans son prochain rapport périodique.

Coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU

36. Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant des visites, entre autres, du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

37. Prenant acte de l’engagement pris par l’État partie dans le contexte de l’Examen périodique universel (A/HRC/13/17/Add.1, par. 3), le Comité lui recommande de songer à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels et inhumains dans les meilleurs délais.

38. Le Comité recommande en outre à l’État partie de songer à faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

39. Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme de l’ONU auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et les protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à la Convention relative aux droits de l’enfant et à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

40. Le Comité recommande à l’État partie de songer à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

41. L’État partie est encouragé à diffuser largement le rapport présenté au Comité et les observations finales du Comité, dans les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

42. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans un délai d’un an, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 12, 16 et 31 du présent document.

43. Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique en suivant les directives sur l’établissement des rapports et à respecter la limite des 40 pages fixée pour le document propre à l’instrument. Le Comité invite en outre l’État partie à mettre régulièrement à jour son document de base commun en suivant les instructions figurant dans les directives harmonisées pour l’établissement des rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6), approuvé à la Réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et de respecter la limite des 80 pages fixée pour le document de base commun actualisé. Le document propre à l’instrument et le document de base commun constituent conjointement les documents que l’État partie doit présenter pour s’acquitter de son obligation de faire rapport au titre de la Convention.

44. L’État partie est invité à présenter son prochain rapport périodique, qui sera son deuxième, d’ici au 19 novembre 2014.

 



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