University of Minnesota


Conclusions et recommandations du Comité contre la Torture, Colombie, U.N. Doc. CAT/C/CR/31/1 (2004).


Convention Abbreviation: CAT
COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Trente et unième session
10-21 novembre 2003


EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

COLOMBIE


1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Colombie (CAT/C/39/Add.4) à ses 575e et 578e séances, les 11 et 12 novembre 2003 (CAT/C/SR.575 et 578) et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.


A. Introduction


2. Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la Colombie, soumis le 17 janvier 2002, tout en regrettant qu'il l'ait été avec cinq ans de retard. Il relève que le rapport contient peu de renseignements sur l'application pratique de la Convention pendant la période sur laquelle il porte. Il accueille toutefois avec satisfaction les réponses exhaustives apportées oralement par la délégation à la plupart des questions posées par des membres du Comité, ainsi que les statistiques données pendant l'examen du rapport.


B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note avec satisfaction de l'adoption par l'État partie de plusieurs textes législatifs utiles pour la prévention et la répression des actes de torture et de mauvais traitements, en particulier les suivants:

a) Le nouveau Code pénal (loi no 599/2000) où sont qualifiés les délits de torture, de génocide, de disparition forcée et de déplacement forcé. Le Code dispose en outre que le devoir d'obéissance ne sera pas considéré comme une cause d'exonération de la responsabilité s'agissant de ce type d'infraction;

b) Le nouveau Code pénal militaire (loi no 522/1999) qui exclut de la compétence de la juridiction pénale militaire les délits de torture, génocide et disparition forcée et régit le principe du devoir d'obéissance;

c) La loi no 548/1999, qui interdit le recrutement de mineurs de 18 ans dans les forces armées;

d) Le nouveau Code de procédure pénale (loi no 600/2000) qui dispose dans son titre VI que les preuves obtenues par des moyens illégaux ne sont pas recevables.

4. Le Comité accueille avec satisfaction:

a) La loi no 742/2000 portant ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale; l'instrument de ratification a été déposé le 5 août 2002;

b) La loi no 707/2001 portant ratification de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes.

5. Le Comité se déclare également satisfait de:

a) La déclaration de la représentante de l'État partie qui a affirmé qu'il n'y avait pas eu et qu'il n'y aurait pas d'amnistie ou de grâce pour les délits de torture en Colombie;

b) Le rôle positif joué par la Cour constitutionnelle dans la défense de la légalité;

c) La poursuite de la collaboration entre le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme en Colombie et le Gouvernement colombien.

 

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention


6. Le Comité est conscient des difficultés que la situation interne complexe que connaît le pays actuellement pose pour le respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire, en particulier du fait de l'action de groupes armés illégaux. Il réaffirme toutefois que, conformément à l'article 2 de la Convention, aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, ne peut être invoquée pour justifier le recours à la torture.


D. Sujets de préoccupation

7. Le Comité réaffirme sa préoccupation face au grand nombre d'actes de torture et de mauvais traitements qui seraient commis de façon généralisée et habituelle par les forces et les corps de sécurité de l'État en Colombie, tant dans le cadre d'opérations armées qu'en situation ordinaire. Il s'inquiète en outre, du grand nombre de disparitions forcées et d'exécutions arbitraires.

8. Le Comité relève avec inquiétude que différentes mesures adoptées ou en cours d'adoption par l'État partie pour lutter contre le terrorisme ou contre des groupes armés illégaux pourraient favoriser la pratique de la torture. À ce sujet, il se déclare particulièrement préoccupé par les éléments suivants:

a) Le recrutement de «paysans soldats» à temps partiel, qui continuent à vivre dans leur communauté mais participent à des opérations armées contre la guérilla, de sorte qu'eux-mêmes et leur communauté peuvent être la cible d'actions des groupes armés illégaux, y compris d'actes de torture et de mauvais traitements;

b) Le projet de loi de réforme constitutionnelle no 223 de 2003 qui, s'il est adopté, semblerait attribuer des pouvoirs de police judiciaire aux forces armées et permettre de détenir et d'interroger un suspect, pendant une période pouvant aller jusqu'à 36 heures, sans contrôle judiciaire.

9. Le Comité est également préoccupé par ce qui suit:

a) Le climat d'impunité entourant les violations des droits de l'homme commises par les forces et corps de sécurité de l'État et en particulier l'absence d'enquêtes rapides, impartiales et exhaustives sur les nombreux cas d'actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l'absence de réparation et d'indemnisation adéquate pour les victimes;

b) Les allégations selon lesquelles les agents de l'État partie toléreraient, appuieraient ou approuveraient les activités des membres des groupes paramilitaires appelés «groupes d'autodéfense», qui sont responsables d'un grand nombre d'affaires de torture et de mauvais traitements;

c) Le projet de réforme de la justice qui, s'il est approuvé, prévoirait, d'après certaines sources, des restrictions constitutionnelles à l'action en protection ( amparo ) et diminuerait les compétences de la Cour constitutionnelle, en particulier en matière de contrôle des déclarations d'états d'exception. Le Comité est préoccupé en outre par le projet de loi sur «l'alternative pénale» qui, s'il est approuvé, accorderait le bénéfice d'une suspension conditionnelle de la peine aux membres des groupes armés qui déposent volontairement les armes, même s'ils ont commis des actes de torture et autres infractions graves au droit international humanitaire;

d) Les allégations et informations concernant:

e) Le grand nombre de cas de déplacement forcé de groupes de population provoqués par le conflit armé et l'insécurité qui règnent dans leur propre région, compte tenu de l'absence permanente dans ces régions de structures publiques chargées d'appliquer et de faire appliquer la loi;

f) La surpopulation et les mauvaises conditions matérielles régnant dans les établissements pénitentiaires, qui pourraient s'apparenter à des traitements inhumains et dégradants;

g) L'absence d'information sur l'application de l'article 11 de la Convention, en ce qui concerne les dispositions prises par l'État partie pour la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées, ainsi que les indications reçues par le Comité alléguant que l'État n'honore pas ses obligations en la matière;

h) L'absence d'information satisfaisante sur les dispositions en vigueur dans l'ordre juridique interne qui soient de nature à garantir l'application de l'article 3 de la Convention aux affaires de refoulement ou d'expulsion d'étrangers quand ces étrangers courent le risque d'être soumis à la torture dans le pays de destination.

 

E. Recommandations

10. Le Comité recommande à l'État partie d'adopter toutes les mesures voulues pour en finir avec les actes de torture et de mauvais traitements commis sur le territoire de Colombie, en particulier:

a) De prendre des mesures énergiques pour faire cesser l'impunité des responsables présumés d'actes de torture et de mauvais traitements; de mener des enquêtes rapides, impartiales et exhaustives; de poursuivre les auteurs présumés d'actes de torture et de traitements inhumains; d'indemniser de manière adéquate les victimes. Il recommande en particulier de réexaminer la question de l'adoption du projet de loi sur «l'alternative pénale» à la lumière des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention;

b) De réexaminer également, à la lumière de l'obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements contractée en vertu de la Convention:

i) La question du recrutement de «paysans soldats»;

c) De veiller à ce que toutes les personnes, en particulier les agents de l'État, qui commanditent, planifient, fomentent ou financent les opérations de groupes paramilitaires, appelés «groupes d'autodéfense», responsables d'actes de torture, ou y participent de toute autre manière soient identifiées, arrêtées, suspendues de leurs fonctions et traduites en justice;

d) De garantir que les membres du service des droits de l'homme de la Fiscalía General de la Nación puissent mener à bien leur mission de façon indépendante et impartiale et dans des conditions de sécurité, et de les doter des moyens nécessaires pour s'acquitter de leurs fonctions de manière efficace;

e) De mener des enquêtes en vue de poursuivre et de punir les responsables de viols et autres formes de violences sexuelles, y compris les affaires de cette nature qui se sont produites dans le cadre d'opérations contre des groupes armés illégaux;

f) De veiller, dans les affaires d'atteinte au droit à la vie, à rechercher les signes de torture et en particulier de violences sexuelles que la victime pourrait présenter. Ces données devraient figurer dans les rapports de médecine légale afin que l'on puisse enquêter non seulement sur l'homicide mais aussi sur les faits de torture. Le Comité recommande en outre à l'État partie de faire le nécessaire pour que les médecins reçoivent une formation professionnelle leur permettant de détecter les cas de torture et de toute autre forme de mauvais traitements;

g) De respecter et de faire respecter efficacement les dispositions du Code pénal militaire qui excluent le délit de torture du champ de compétence de la juridiction pénale militaire;

h) D'adopter des mesures efficaces visant à protéger les défenseurs des droits de l'homme contre le harcèlement, les menaces et autres agressions et de donner dans son prochain rapport des renseignements sur les décisions judiciaires et toutes autres mesures qui auront pu être adoptées dans ce sens. Il recommande en outre l'adoption de mesures efficaces pour assurer la protection de l'intégrité physique des membres du pouvoir judiciaire et leur indépendance;

i) D'adopter des mesures efficaces pour améliorer les conditions matérielles dans les établissements de détention et de remédier au surpeuplement actuel;

j) De veiller à ce que les personnes soumises à une forme quelconque d'arrestation, de détention ou d'emprisonnement soient traitées conformément aux normes internationales, afin d'éviter tout cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants;

k) De donner dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les dispositions en vigueur dans l'ordre juridique interne qui garantissent le non-refoulement d'une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture;

l) De faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention et de ratifier le Protocole facultatif à la Convention;

m) De diffuser largement dans l'État partie les conclusions et recommandations du Comité;

n) De faire parvenir au Comité d'ici à un an des renseignements sur les mesures concrètes prises pour donner effet aux recommandations formulées aux alinéas b , d , f , et h .



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