University of Minnesota



Conclusions et recommandations du Comité contre la Torture, Albanie, U.N. Doc. CAT/C/CR/34/ALB (2005).


 

 

COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Trente-quatrième session
2-20 mai 2005


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Albanie

1. Le Comité a examiné le rapport initial de l’Albanie (CAT/C/28/Add.6) à ses 649 e et 652 e séances (CAT/C/SR.649 et 652), les 10 et 11 mai 2005, et a adopté, à sa 660 e séance (CAT/C/SR.660), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’Albanie et se félicite d’avoir la possibilité d’engager le dialogue avec l’État partie mais regrette que ce rapport, qui était attendu en juin 1995, ait été soumis avec huit ans de retard.

3. Le Comité note que le rapport n’est pas entièrement conforme à ses directives pour l’établissement des rapports initiaux et ne contient pas de renseignements sur les aspects pratiques de l’application des dispositions de la Convention. Conscient des difficultés rencontrées par l’État partie durant sa transition politique et économique et des efforts qu’il fait à cet égard, le Comité exprime l’espoir que dans l’avenir il s’acquittera pleinement de ses obligations en vertu de l’article 19 de la Convention.

4. Le Comité accueille également avec satisfaction les renseignements supplémentaires fournis par écrit par l’État partie et par la délégation albanaise dans ses remarques liminaires et dans ses réponses aux questions posées, ce qui démontre la volonté de l’État partie d’engager un dialogue franc et fructueux avec le Comité.

B. Aspects positifs

5. Le Comité prend note avec satisfaction des efforts actuels de l’État partie pour renforcer les droits de l’homme en Albanie. Il se félicite en particulier:

a) De l’adoption en 1998 d’une Constitution démocratique qui améliore la protection des droits de l’homme, en interdisant notamment la torture, établit qu’une personne placée en détention doit être présentée dans un délai maximum de 48 heures à un juge et prévoit également l’applicabilité directe des accords internationaux ratifiés et leur primauté sur la législation interne;

b) De l’adoption:

i) En 1991, de la loi sur l’innocence, l’amnistie et la réhabilitation de personnes condamnées et persécutées pour des raisons politiques, modifiée en 1993;

ii) En 1995, de la loi sur les migrations;

iii) En 1995, du Code pénal militaire;

iv) En 1998, de la loi sur les droits et le traitement des détenus;

v) En 1999, de la loi pour le médiateur;

vi) En 1995, du Code pénal, modifié en 1996, 1997 et 2001;

vii) En 2002, de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature;

c) De la ratification:

i) De la Convention européenne d’extradition et de son Protocole additionnel en 1998 et de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et des deux Protocoles s’y rapportant en 1996;

ii) Du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 2002 ainsi que de la plupart des conventions et protocoles de l’Organisation des Nations Unies concernant la protection des droits de l’homme ;

iii) Du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture en 2003;

d) Des mesures spécifiques à l’intention du personnel des forces de l’ordre:

i) Adoption en 1998 du Code déontologique de la police;

ii) Organisation d’une formation pour la police dans le cadre d’un projet d’éducation dans le domaine de la prévention de la torture par le Ministère de l’ordre public en coopération avec des organisations non gouvernementales (ONG).

6. En outre, le Comité tient à saluer:

a) La suspension, depuis 1992, de la peine de mort;

b) La séparation des mineurs et des adultes dans tous les établissements de détention;

c) La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants sur ses quatre premières visites en Albanie (CPT/Inf (2003) 11) et des réponses connexes du Gouvernement (CPT/Inf (2003) 12) ainsi que l’assurance donnée par le Gouvernement qu’il autoriserait prochainement la publication du rapport sur la visite de 2003;

d) La participation d’ONG nationales à l’établissement du rapport initial de l’Albanie.

C. Sujets de préoccupation

7. Le Comité exprime sa préoccupation devant:

a) La non‑conformité de la définition de la torture qui est donnée dans le Code pénal avec la définition qui figure à l’article premier de la Convention puisqu’elle n’en reprend pas tous les éléments, notamment en ce qui concerne les personnes agissant à titre officiel;

b) Le fait que les actes de torture commis par des membres des forces de l’ordre sont qualifiés seulement d’«actes arbitraires» et considérés par conséquent comme des infractions pénales moins graves;

c) Le climat d’impunité de fait dont bénéficient les membres des forces de l’ordre qui commettent des actes de torture ou infligent des mauvais traitements, si l’on considère:

i) Les nombreuses allégations faisant état de tortures et de mauvais traitements par des membres des forces de l’ordre, en particulier au moment de l’arrestation et de l’interrogatoire;

ii) Le nombre limité de plaintes pour torture et mauvais traitements adressées en particulier à l’Avocat du peuple;

iii) L’absence d’enquête rapide et impartiale sur les allégations faisant état de tortures et de mauvais traitements par des membres des forces de l’ordre;

iv) L’absence de condamnations pour torture prononcées en vertu de l’article 86 du Code pénal et le nombre limité de condamnations pour torture ayant des conséquences graves prononcées en vertu de l’article 87 du Code pénal, ce qui indique aussi peut‑être que les victimes ne sont pas conscientes de leurs droits et n’ont pas confiance dans les autorités policières et judiciaires;

d) Les difficultés éprouvées par les victimes de torture et de mauvais traitements à déposer officiellement une plainte auprès des autorités publiques, à obtenir une expertise médicale à l’appui de leurs allégations et à présenter cet élément de preuve;

e) Les informations faisant état d’un manque d’indépendance des autorités judiciaires;

f) L’absence de compétence universelle des tribunaux albanais dans les affaires concernant la torture;

g) L’absence de disposition juridique interdisant clairement l’utilisation de toute déclaration obtenue par la torture, ainsi que de toute disposition juridique indiquant clairement que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture;

h) Le fait qu’aucune indemnisation équitable et suffisante, notamment en matière de réadaptation, n’est accordée aux victimes de torture, quelles qu’elles soient, y compris les anciennes victimes de condamnations et persécutions politiques;

i) La non‑application des mesures juridiques fondamentales de protection des personnes détenues par la police, garantissant leur droit de prévenir un membre de leur famille, de consulter un avocat et un médecin de leur choix et d’être informées de leurs droits et, dans le cas des mineurs, leur droit à ce que leur représentant légal soit présent durant leur interrogatoire;

j) Les mauvaises conditions de détention et la durée excessive de la période de détention avant jugement (jusqu’à trois ans);

k) L’existence d’une période de détention administrative supplémentaire de 10 heures aux fins d’interrogatoire qui précède le délai maximum de 48 heures dans lequel une personne doit être présentée à un juge;

l) L’absence de visites régulières et inopinées des postes de police par des représentants du Bureau du Médiateur;

m) L’absence d’examen médical systématique des détenus dans les 24 heures suivant leur admission en prison, la médiocrité des soins médicaux dispensés dans les établissements pénitentiaires, l’absence de formation du personnel médical et du personnel médical des prisons ne relevant pas du Ministère de la santé publique;

n) La possibilité légale de refoulement de personnes sans les garanties de procédure requises dans les cas où l’ordre public ou la sécurité nationale sont menacés;

o) Le fait que la violence contre les femmes et les filles, y compris la violence sexuelle et au foyer, serait répandue et la réticence que manifestent les autorités à, notamment, prendre des mesures législatives ou autres pour lutter contre ce phénomène.

D. Recommandations

8. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De modifier le Code pénal afin d’adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention;

b) D’assurer la stricte application des dispositions interdisant la torture et les mauvais traitements en criminalisant les actes de torture et en en poursuivant et punissant les auteurs d’une manière proportionnée à la gravité des infractions commises;

c) D’enquêter sur toutes les allégations faisant état de mauvais traitements et de torture par des membres des forces de l’ordre en menant des enquêtes immédiates et impartiales pour traduire en justice les auteurs de ces actes et éliminer l’impunité de fait dont bénéficient les membres des forces de l’ordre qui en sont responsables;

d) D’améliorer les mécanismes existants pour faciliter le dépôt de plaintes par les victimes de mauvais traitements et de torture auprès des autorités publiques, notamment pour leur permettre d’obtenir une expertise médicale à l’appui de leurs allégations;

e) De prendre toutes les mesures requises pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et de dispenser une formation appropriée concernant l’interdiction de la torture aux juges et aux procureurs;

f) De modifier la législation interne de façon que les actes de torture soient considérés comme des crimes universels;

g) D’adopter des dispositions juridiques interdisant clairement l’utilisation de toute déclaration extorquée par la torture et prévoyant que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture;

h) De mettre en œuvre les mécanismes juridiques établis pour permettre aux victimes de la torture d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate;

i) D’appliquer les mesures juridiques fondamentales de protection des personnes détenues par la police en garantissant leur droit de prévenir un membre de leur famille, de consulter un avocat et un médecin de leur choix et d’être informées de leurs droits et, dans le cas des mineurs, de leur droit à ce que leur représentant légal soit présent durant leur interrogatoire;

j) D’améliorer les conditions dans les lieux de détention, en veillant à ce qu’elles soient conformes aux normes internationales, d’adopter les mesures nécessaires pour réduire la durée de la détention avant jugement et de poursuivre leurs efforts pour remédier au problème du surpeuplement des lieux de détention;

k) De prendre les mesures voulues pour supprimer la période de détention administrative supplémentaire de 10 heures aux fins d’interrogatoire qui précède le délai maximum de 48 heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge;

l) De permettre des visites régulières et inopinées des postes de police par des représentants du Bureau du Médiateur;

m) De prévoir un examen médical systématique des détenus dans les 24 heures suivant leur admission en prison, d’améliorer les soins médicaux dispensés dans les établissements pénitentiaires, de prévoir une formation à l’intention du personnel médical et de placer tout le personnel médical des prisons sous l’autorité du Ministère de la santé publique;

n) De modifier la législation de façon à interdire le refoulement de personnes en l’absence de procédure légale et sans toutes les garanties requises;

o) D’adopter des mesures pour lutter contre la violence sexuelle et la violence contre les femmes, y compris au foyer, et d’enquêter immédiatement et impartialement sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements en vue d’engager des poursuites contre les responsables;

p) De transférer la responsabilité de tous les prévenus au Ministère de la justice;

q) De prendre toutes les mesures voulues pour assurer l’application effective des dispositions de la Convention et de la législation adoptée, de faire connaître les textes législatifs pertinents aux détenus et aux membres des forces de l’ordre et de dispenser une formation appropriée à ces derniers;

r) De fournir dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par âge, sexe et origine, sur les plaintes relatives à des actes de torture et d’autres types de mauvais traitements imputés à des membres de la force publique ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires connexes;

s) D’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

9. Le Comité recommande également à l’État partie de diffuser largement ses conclusions et recommandations dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

10. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans un délai de 12 mois, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées aux alinéas c, d, i et l du paragraphe 8 ci‑dessus.

11. L’État partie est prié de présenter son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, avant le 9 juin 2007.

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