University of Minnesota



Comité contre la torture, Observation générale No. 5, Personnes souffrant d’un handicap, U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 à 27 (2004).


 

 

Onzième session (1994) *

Observation générale n o 5: Personnes souffrant d’un handicap

1. La communauté internationale a fréquemment souligné l’importance capitale que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels revêt au regard des droits fondamentaux des personnes souffrant d’un handicap. Ainsi, dans une étude de 1992, intitulée «Application du Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées et Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées», le Secrétaire général a conclu qu’«il existait des liens étroits entre l’incapacité et les facteurs économiques et sociaux» et que «dans de nombreuses régions du monde, les conditions de vie étaient si difficiles que la satisfaction des besoins essentiels pour tous − alimentation, eau, logement, protection sanitaire et éducation devait constituer la pierre angulaire de tout programme national». Même dans les pays où le niveau de vie est relativement élevé, les personnes souffrant d’un handicap se voient très souvent refuser la possibilité d’exercer tout l’éventail des droits économiques, sociaux et culturels reconnus dans le Pacte.

2. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le groupe de travail qui l’a précédé ont été expressément invités et par l’Assemblée générale et par la Commission des droits de l’homme à s’assurer que les États parties au Pacte s’acquittent de leur obligation de veiller à ce que les personnes souffrant d’un handicap jouissent pleinement des droits appropriés. Le Comité constate toutefois qu’à ce jour, les États parties ont consacré très peu d’attention à cette question dans leurs rapports. Cette constatation semble concorder avec la conclusion du Secrétaire général selon laquelle «la plupart des gouvernements n’ont toujours pas pris les mesures concertées décisives qui permettraient d’améliorer effectivement la situation» des personnes souffrant d’un handicap. Aussi convient‑il d’examiner et de souligner certains aspects des problèmes qui se posent dans ce domaine, du point de vue des obligations énoncées dans le Pacte.

3. Il n’existe toujours aucune définition, admise sur le plan international, du terme «incapacité». Pour ce qui nous occupe, il suffit toutefois de s’en remettre à l’approche adoptée dans les Règles de 1993, aux termes desquelles:

«Le mot “incapacité” recouvre à lui seul nombre de limitations fonctionnelles différentes qui peuvent frapper chacun des habitants ... L’incapacité peut être d’ordre physique, intellectuel ou sensoriel ou tenir à un état pathologique ou à une maladie mentale. Ces déficiences, états pathologiques ou maladies peuvent être permanents ou temporaires.».

4. Conformément à l’approche adoptée dans les Règles, la présente Observation générale emploie l’expression «personnes souffrant d’un handicap» plutôt que l’ancienne expression «personnes handicapées». On a dit que cette dernière expression pourrait être mal interprétée au point de laisser supposer que la capacité de l’individu de fonctionner en tant que personne était diminuée.

5. Le Pacte ne fait pas expressément référence aux personnes souffrant d’un handicap. Mais la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et vu que les dispositions du Pacte s’appliquent pleinement à tous les membres de la société, les personnes souffrant d’un handicap peuvent manifestement se prévaloir de la gamme tout entière des droits qui y sont reconnus. De plus, pour autant qu’un régime particulier s’impose, les États parties sont tenus de prendre des mesures appropriées, dans toute la mesure de leurs moyens, pour aider ces personnes à surmonter les désavantages − du point de vue de l’exercice des droits énumérés dans le Pacte − découlant de leur handicap. En outre, la condition formulée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, à savoir que les droits «qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune» fondée sur certaines considérations énumérées «ou toute autre situation», s’applique de toute évidence à la discrimination pour des motifs d’invalidité.

6. L’absence, dans le Pacte, de toute disposition expresse relative à l’invalidité peut être attribuée à une prise de conscience insuffisante, lors de la rédaction du Pacte, il y a plus d’un quart de siècle, de la nécessité d’aborder cette question explicitement et non pas tacitement. Des instruments internationaux plus récents, relatifs aux droits de l’homme, l’ont toutefois abordée expressément. Ces instruments sont notamment: la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 23), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (art. 18, par. 4), ainsi que le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (art. 18). Aussi est‑il à présent très largement admis qu’il faut protéger et renforcer les droits fondamentaux des personnes souffrant d’un handicap en adoptant des lois, des politiques et des programmes tant généraux qu’expressément conçus à cette fin.

7. Conformément à cette approche, la communauté internationale s’est engagée à garantir toute la gamme des droits de l’homme aux personnes souffrant d’un handicap, et cela dans les instruments suivants: a) le Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées, qui prévoit un cadre politique visant à promouvoir «des mesures propres à assurer la prévention de l’incapacité, la réadaptation et la poursuite des objectifs qui sont la “participation pleine et entière” des handicapés à la vie sociale et au développement et l’“égalité”»; b) les Principes directeurs devant régir la création ou le renforcement de comités nationaux de coordination dans le domaine de l’invalidité ou d’organes analogues, adoptés en 1990; c) les Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale, adoptés en 1991; et d) les Règles pour l’égalisation des chances des handicapés (ci‑après dénommées les «Règles»), adoptées en 1993, et dont l’objet est de garantir à toutes les personnes souffrant d’un handicap «... les mêmes droits et obligations qu’à leurs concitoyens». Les Règles sont d’une importance fondamentale et constituent une source d’inspiration particulièrement précieuse en ce sens qu’elles déterminent avec plus de précision les obligations qui incombent aux États parties en vertu du Pacte.

1. Obligations générales des États parties

8. L’ONU a estimé à plus de 500 millions le nombre des personnes qui souffrent d’un handicap aujourd’hui dans le monde. Quatre‑vingt pour cent d’entre elles vivent dans des zones rurales de pays en développement. Soixante‑dix pour cent du nombre total ne bénéficieraient que dans une mesure limitée, ou aucunement, des services dont elles ont besoin. Aussi incombe‑t‑il directement à chaque État partie au Pacte d’améliorer la situation de ces personnes. Les moyens retenus pour promouvoir la pleine réalisation de leurs droits économiques, sociaux et culturels différeront inéluctablement de façon sensible d’un pays à l’autre, mais il n’est aucun pays où un effort politique et de programmation très important ne s’impose pas.

9. L’obligation qui incombe aux États parties au Pacte de promouvoir la réalisation progressive des droits pertinents, dans toute la mesure de leurs moyens, exige à l’évidence que les gouvernements ne se contentent pas de s’abstenir de prendre des dispositions qui pourraient avoir une incidence défavorable sur les personnes souffrant d’un handicap. S’agissant d’un groupe aussi vulnérable et aussi désavantagé, cette obligation consiste à prendre des mesures concrètes pour réduire les désavantages structurels et accorder un traitement préférentiel approprié aux personnes souffrant d’un handicap, afin d’arriver à assurer la participation pleine et entière et l’égalité, au sein de la société, de toutes ces personnes. D’où la nécessité presque inéluctable de mobiliser des ressources supplémentaires à ces fins et d’adopter un large éventail de mesures ponctuelles.

10. Selon un rapport du Secrétaire général, l’évolution au cours de la dernière décennie, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, a été particulièrement défavorable aux personnes souffrant d’un handicap:

«La dégradation de la situation économique et sociale, marquée par des taux de croissance faibles, des taux de chômage élevés, la compression des dépenses publiques, la mise en œuvre de programmes d’ajustement et la privatisation, a eu une incidence négative sur les programmes et les services ... Si les tendances négatives se poursuivent, [les personnes souffrant d’un handicap] risquent d’être de plus en plus marginalisées comptant seulement sur des aides ponctuelles.».

Comme le Comité l’a précédemment fait observer (Observation générale n o 3 (Cinquième session, 1990), par. 12), l’obligation qu’ont les États parties de protéger les éléments vulnérables de la société prend une importance plutôt plus que moins grande en période de grave pénurie de ressources.

11. Vu que, dans le monde entier, les gouvernements s’en remettent de plus en plus aux forces du marché, il convient de souligner certains aspects des obligations qui incombent aux États parties. L’un de ces aspects est la nécessité de veiller à ce que non seulement le secteur public, mais aussi le secteur privé, soient, dans des limites appropriées, soumis à une réglementation destinée à garantir un traitement équitable aux personnes souffrant d’un handicap. Dans un contexte où la prestation de services publics est de plus en plus privatisée et où l’on a de plus en plus recours au marché libre, il est essentiel que les employeurs privés, les fournisseurs privés de biens et de services ainsi que les autres entités non publiques soient assujettis aussi bien à des normes de non‑discrimination qu’à des normes d’égalité à l’égard des personnes souffrant d’un handicap. Dans des situations où une telle protection ne s’étend pas au‑delà du domaine public, la capacité des personnes souffrant d’un handicap de participer aux activités communautaires et de devenir membres à part entière de la société, sera gravement et souvent arbitrairement entravée. Cela ne veut pas dire que des mesures législatives constitueront toujours le moyen le plus efficace de chercher à éliminer la discrimination dans le secteur privé. Ainsi les Règles mettent tout particulièrement l’accent sur la nécessité, pour les États, de «prendre les mesures voulues pour susciter une prise de conscience accrue des problèmes des handicapés, de leurs droits, de leurs besoins, de leur potentiel et de leur contribution à la société».

12. En l’absence de toute intervention gouvernementale, on relèvera toujours des cas où le fonctionnement du marché libre aura, pour les personnes qui souffrent d’un handicap, des effets peu satisfaisants soit sur le plan individuel, soit sur le plan collectif, et en pareil cas il incombera aux gouvernements d’intervenir et de prendre les mesures appropriées pour atténuer, compléter, compenser ou neutraliser les effets produits par les forces du marché. De même, s’il convient que les gouvernements fassent appel à des groupes bénévoles privés afin qu’ils aident de diverses manières les personnes qui souffrent d’un handicap, de tels arrangements ne sauraient jamais dispenser les gouvernements de leur devoir de veiller à s’acquitter pleinement de leurs obligations en vertu du Pacte. Comme il est précisé dans le Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées, «la responsabilité finale de remédier aux conditions qui mènent aux déficiences et de faire front aux conséquences de l’incapacité incombe partout aux gouvernements».

2. Mise en œuvre

13. Les méthodes auxquelles auront recours les États parties pour s’acquitter des obligations qu’ils ont contractées en vertu du Pacte à l’égard des personnes souffrant d’un handicap sont pour l’essentiel les mêmes que celles qui s’offrent à eux s’agissant d’autres obligations (voir Observation générale n o 1 (Troisième session, 1989)). Ces méthodes comportent nécessairement l’évaluation, grâce à un contrôle régulier, de la nature et de l’ampleur des problèmes qui se posent à cet égard à l’État; l’adoption de politiques et programmes bien conçus pour répondre aux besoins que l’on aura ainsi définis; l’élaboration, le cas échéant, de lois et l’élimination de toute loi discriminatoire; ainsi que les allocations budgétaires appropriées ou, en cas de besoin, l’appel à la coopération et à l’assistance internationales. Il est vraisemblable que la coopération internationale, en conformité avec les articles 22 et 23 du Pacte, revêtira une importance particulière pour certains pays en développement auxquels elle permettra de remplir les obligations contractées en vertu de cet instrument.

14. D’autre part, il a toujours été admis par la communauté internationale que l’élaboration des politiques et la mise en œuvre des programmes dans le domaine considéré devraient se faire après consultation approfondie et avec la participation de groupes représentatifs des personnes concernées. Pour cette raison, les Règles recommandent que tout soit mis en œuvre pour faciliter la création de comités nationaux de coordination ou d’organes analogues qui servent de centres nationaux de liaison pour les questions se rapportant à l’invalidité. Ce faisant, les gouvernements devront tenir compte des Principes directeurs devant régir la création, ou le renforcement, de comités nationaux de coordination dans le domaine de l’invalidité.

3. Obligation d’éliminer la discrimination pour raison d’invalidité

15. Aussi bien de jure que de facto, les personnes souffrant d’un handicap font depuis toujours l’objet d’une discrimination qui se manifeste sous diverses formesqu’il s’agisse des tentatives de discrimination odieuse telles que le déni aux enfants souffrant de handicap de la possibilité de suivre un enseignement ou des formes plus subtiles de discrimination que constituent la ségrégation et l’isolement imposés matériellement ou socialement. Aux fins du Pacte, la «discrimination fondée sur l’invalidité» s’entend de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité ou la privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux ou culturels. Ce sont aussi bien la négligence, l’ignorance, les préjugés et les idées fausses que l’exclusion, la différenciation ou la ségrégation pures et simples, qui bien souvent empêchent les personnes souffrant d’un handicap de jouir de leurs droits économiques, sociaux ou culturels sur un pied d’égalité avec le reste des êtres humains. C’est dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, des transports, de la vie culturelle et en ce qui concerne l’accessibilité des lieux et services publics que les effets de cette discrimination se font particulièrement sentir.

16. En dépit des quelques progrès qui ont été réalisés sur le plan de la législation ces dix dernières années, la situation juridique des personnes souffrant d’un handicap demeure précaire. Pour remédier à la discrimination dont elles ont fait et dont elles font encore l’objet, et pour prévenir toute discrimination à l’avenir, il faudrait qu’il y ait dans pratiquement tous les États parties une législation antidiscrimination complète en la matière. Celle‑ci devrait prévoir au bénéfice des personnes souffrant d’un handicap non seulement des recours juridiques dans toute la mesure nécessaire et possible, mais également des programmes de politique sociale leur permettant de mener dans l’indépendance une vie pleine et qui soit celle de leur choix.

17. Les mesures antidiscrimination devraient être fondées sur le principe de l’égalité de droits des personnes souffrant d’un handicap par rapport au reste des êtres humains, principe qui, selon les propres termes du Programme d’action mondial, «implique que les besoins de chaque individu sont d’égale importance, que ces besoins devraient être pris en considération dans la planification de nos sociétés et que toutes les ressources doivent être mises en œuvre pour assurer à tous les individus une participation égale. La politique suivie en matière d’invalidité doit garantir l’accès [des personnes souffrant d’un handicap] à tous les services collectifs».

18. Les mesures à prendre pour remédier à la discrimination qui s’exerce aujourd’hui à l’égard des personnes souffrant d’un handicap et leur donner des chances égales ne sauraient en aucun cas être considérées comme discriminatoires au sens du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du moment qu’elles sont fondées sur le principe de l’égalité et que l’on n’y a recours que dans la mesure nécessaire pour atteindre cet objectif.

4. Dispositions particulières du Pacte

A. Article 3: Égalité de droits des hommes et des femmes

19. Les personnes souffrant d’un handicap sont parfois traitées comme des êtres humains asexués. Il s’ensuit que la double discrimination dont font l’objet les femmes souffrant d’un handicap est bien souvent occultée. En dépit du fait que des voix s’élèvent fréquemment dans la communauté internationale pour demander que l’on prenne spécialement en considération leur situation, il n’a été fait que peu de choses en ce sens pendant la décennie. L’indifférence à l’égard de ces femmes est mentionnée à plusieurs reprises dans le rapport du Secrétaire général sur l’application du Programme d’action mondial. Le Comité invite donc instamment les États parties à se préoccuper de leur situation en priorité dans les futurs programmes concernant l’application des droits économiques, sociaux et culturels.

B. Articles 6 à 8: Droits concernant le travail

20. C’est dans le domaine de l’emploi que s’exerce avant tout et en permanence la discrimination. Dans la plupart des pays, le taux de chômage parmi les personnes souffrant d’un handicap est de deux à trois fois supérieur à celui du reste de la population active. Lorsque l’on emploie ces personnes, celles‑ci se voient la plupart du temps attribuer des emplois peu payés, elles ne bénéficient que dans une faible mesure de la sécurité sociale et juridique et sont bien souvent tenues à l’écart du marché du travail. Il conviendrait que leur intégration dans le marché normal du travail soit activement appuyée par les États.

21. Le «droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté» (art. 6 1)) n’est pas réalisé lorsque la seule véritable possibilité offerte aux personnes souffrant d’un handicap est de travailler dans un environnement dit «protégé» et dans des conditions ne répondant pas aux normes. Les arrangements en vertu desquels des personnes frappées d’un certain type d’invalidité sont en effet affectées exclusivement à certaines occupations ou à la production de certaines marchandises peuvent constituer une violation de ce droit. Pareillement, à la lumière du principe 13.3) des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale, le «traitement thérapeutique» en institutions qui relève du travail forcé est également incompatible avec le Pacte. À cet égard, peut être invoquée également l’interdiction du travail forcé énoncée dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

22. Conformément aux Règles, les personnes souffrant d’un handicap, en zones aussi bien rurales qu’urbaines, doivent se voir offrir des possibilités égales d’emploi productif et rémunéré sur le marché du travail. Pour qu’il en soit ainsi, il importe tout d’abord que soient supprimés les obstacles qui s’opposent à leur intégration en général et à l’accès à un emploi en particulier. Comme l’a noté l’Organisation internationale du Travail, ce sont très souvent des obstacles physiques érigés par la société dans les secteurs du transport, du logement et sur les lieux de travail qui sont invoqués pour justifier le fait que les personnes souffrant d’un handicap ne peuvent pas travailler. C’est ainsi qu’aussi longtemps que les lieux de travail seront conçus et aménagés de telle sorte qu’ils ne soient pas accessibles aux fauteuils roulants, les employeurs pourront prétexter de ce fait pour «justifier» leur refus d’engager des personnes condamnées au fauteuil roulant. Il faudrait également que les gouvernements élaborent des politiques destinées à promouvoir et réglementer des arrangements permettant souplesse et variété dans l’emploi qui répondent de façon satisfaisante aux besoins des travailleurs souffrant d’un handicap.

23. De même, si les gouvernements ne veillent pas à ce que les modes de transport soient accessibles aux personnes souffrant d’un handicap, celles‑ci auront beaucoup moins de chances de trouver un emploi approprié intégré à la société, de tirer parti des possibilités d’éducation et de formation professionnelle ou d’avoir régulièrement accès à des services de toutes sortes. En fait, l’accès à des modes de transport appropriés et, le cas échéant, spécialement adaptés aux besoins individuels, est indispensable à l’exercice, par les personnes souffrant d’un handicap, de pratiquement tous les droits reconnus dans le Pacte.

24. Les programmes d’orientation et de formation techniques et professionnelles exigés en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte doivent tenir compte des besoins de toutes les personnes souffrant d’un handicap, se dérouler dans un environnement intégré et être conçus et exécutés avec la pleine participation de représentants des handicapés.

25. Le droit de «jouir de conditions de travail justes et favorables» (art. 7) s’applique à toutes ces personnes, qu’elles travaillent dans un environnement protégé ou sur le marché libre du travail. Les travailleurs souffrant d’un handicap ne doivent faire l’objet d’aucune discrimination en ce qui concerne le salaire ni les autres conditions d’emploi s’ils font un travail égal à celui du reste des travailleurs. Il incombe aux États parties de veiller à ce que l’invalidité ne soit pas utilisée comme prétexte pour abaisser les normes en ce qui concerne la protection de l’emploi ou pour payer des salaires inférieurs au salaire minimum.

26. Les droits relatifs aux syndicats (art. 8) valent également pour les travailleurs souffrant d’un handicap, qu’ils travaillent dans un environnement spécial ou sur le marché libre du travail. En outre, l’article 8, considéré à la lumière d’autres droits comme le droit à la liberté d’association, met en évidence l’importance du droit des personnes handicapées de former leurs propres organisations. Pour que des organisations soient à même «de favoriser et de protéger [les] intérêts économiques et sociaux» (art. 8.1 a)) de ces personnes, il faut que les organes gouvernementaux et autres les consultent régulièrement au sujet de toutes les questions qui les intéressent, et peut‑être aussi qu’ils leur accordent un appui financier et autres pour assurer leur viabilité.

27. L’Organisation internationale du Travail a élaboré des instruments précieux et très complets concernant les droits des handicapés dans le domaine du travail, en particulier la Convention n o 159 (1983) concernant la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées. Le Comité encourage les États parties au Pacte à envisager de ratifier cette convention.

C. Article 9: Droit à la sécurité sociale

28. Les plans de sécurité sociale et de maintien des revenus revêtent une importance particulière pour les personnes souffrant d’un handicap. Comme il est indiqué dans les Règles, «Les États devraient assurer un soutien financier suffisant aux handicapés qui, du fait de leur incapacité ou pour des raisons qui y sont liées, ont perdu temporairement leur revenu ou l’ont vu diminuer ou se sont vu refuser un emploi». Ce soutien devrait être adapté aux besoins spéciaux d’assistance et aux frais encourus en raison de l’invalidité. En outre, un soutien devrait également être accordé dans la mesure du possible aux personnes (essentiellement des femmes) qui prennent soin des personnes souffrant d’un handicap. Ces personnes, ainsi que les membres des familles de personnes souffrant d’un handicap, ont souvent un besoin urgent de soutien financier du fait de leur rôle d’assistance.

29. À moins qu’il ne soit rendu nécessaire pour des raisons spéciales, le placement des personnes souffrant d’un handicap en institution ne peut pas être considéré comme une solution autorisant le non‑respect du droit de ces personnes à la sécurité sociale et au soutien des revenus.

D. Article 10: Protection de la famille, ainsi que des mères et des enfants

30. Dans le cas des personnes souffrant d’un handicap, les dispositions du Pacte selon lesquelles des mesures de protection et d’assistance doivent être prises en faveur de la famille signifient que tous les moyens doivent être employés pour que ces personnes puissent, si elles le souhaitent, vivre dans leur milieu familial. L’article 10 signifie également que, conformément aux principes généraux des normes internationales relatives aux droits de l’homme, ces personnes ont le droit de se marier et de fonder une famille. Souvent, ces droits sont négligés ou refusés, en particulier dans le cas des personnes souffrant d’un handicap mental. Dans ce contexte et dans d’autres, le terme «famille» doit être interprété de façon large et conformément à l’usage local. Les États parties doivent veiller à ce que la législation, ainsi que les politiques et les pratiques dans le domaine social, n’entravent pas la réalisation de ces droits. Les personnes souffrant d’un handicap doivent avoir accès aux services de conseil nécessaires pour pouvoir exercer leurs droits et s’acquitter de leurs obligations au sein de la famille.

31. Les femmes souffrant d’un handicap ont également droit à une protection et à un soutien au cours de la grossesse et de la maternité. Comme il est établi dans les Règles, «Il ne faut pas refuser aux handicapés la possibilité d’avoir des relations sexuelles et de procréer». Les besoins et désirs des personnes souffrant d’un handicap, qu’il s’agisse de plaisir ou de procréation, doivent être reconnus et pris en considération. Dans tous les pays du monde, les hommes et les femmes souffrant d’un handicap sont généralement privés de ces droits. La stérilisation d’une femme souffrant d’un handicap ou l’avortement pratiqué sur elle sans son consentement préalable constituent de graves violations du paragraphe 2 de l’article 10.

32. Les enfants souffrant d’un handicap sont particulièrement exposés à l’exploitation, aux sévices et à l’abandon et ont droit à une protection spéciale, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte, renforcées par les dispositions correspondantes de la Convention relative aux droits de l’enfant.

E. Article 11: Droit à un niveau de vie suffisant

33. Outre la nécessité de garantir aux personnes souffrant d’un handicap le droit à une alimentation suffisante et à un logement accessible et de répondre à leurs autres besoins fondamentaux, il est indispensable de veiller à ce que ces personnes disposent de «services d’appui, aides techniques comprises, pour les aider à acquérir une plus grande indépendance dans la vie quotidienne et à exercer leurs droits». Le droit à un habillement suffisant revêt une importance particulière pour les personnes souffrant d’un handicap dont les besoins spéciaux dans ce domaine doivent être satisfaits afin qu’elles puissent mener une vie sociale pleine et satisfaisante. Dans la mesure du possible, une assistance personnelle appropriée doit leur être fournie à cet égard. Cette assistance doit respecter, dans sa forme et dans son esprit, les droits de l’homme des personnes concernées. De même, comme il est déjà indiqué au paragraphe 8 de l’Observation générale n o 4 (Sixième session, 1991) du Comité, le droit à un logement suffisant suppose le droit des personnes souffrant d’un handicap à un logement accessible.

F. Article 12: Droit à la santé physique et mentale

34. Selon les Règles, «les États devraient veiller à ce que les handicapés, surtout les nouveau‑nés et les enfants, bénéficient de soins de santé de qualité égale à ceux dont bénéficient les autres membres de la société, et ce dans le cadre du même système de prestations». Le droit à la santé physique et mentale englobe également le droit aux services médicaux et sociaux − notamment aux appareils orthopédiques − qui permettent aux personnes souffrant d’un handicap d’être indépendantes, d’éviter d’autres handicaps et de s’intégrer dans la société. De même, ces personnes devraient bénéficier de services de réadaptation leur permettant «d’atteindre et de conserver un niveau optimal d’indépendance et d’activité». Tous ces services devraient être fournis de façon que les intéressés puissent avoir la garantie du plein respect de leurs droits et de leur dignité.

G. Articles 13 et 14: Droit à l’éducation

35. Les responsables des programmes scolaires dans un grand nombre de pays reconnaissent actuellement que la meilleure méthode d’éducation consiste à intégrer les personnes souffrant d’un handicap dans le système général d’enseignement. Ainsi, les Règles stipulent que «les États devraient reconnaître le principe selon lequel il faut offrir aux enfants, aux jeunes et aux adultes handicapés des chances égales en matière d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, dans un cadre intégré». Pour appliquer ce principe, les États devraient faire en sorte que les enseignants soient formés à l’éducation des enfants souffrant d’un handicap dans les établissements d’enseignement ordinaire et qu’ils disposent du matériel et de l’aide nécessaires pour permettre aux personnes souffrant d’un handicap d’atteindre le même niveau d’éducation que les autres élèves. Dans le cas des enfants sourds, par exemple, le langage par signes doit être reconnu comme un langage distinct auquel les enfants doivent avoir accès et dont l’importance doit être admise dans leur environnement social général.

H. Article 15: Droit de participer à la vie culturelle
et de bénéficier du progrès scientifique

36. Les Règles prévoient que «les États devraient faire en sorte que les handicapés aient la possibilité de mettre en valeur leur potentiel créatif, artistique et intellectuel, non seulement dans leur propre intérêt, mais aussi dans celui de la collectivité, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural ... Les États devraient veiller à ce que les handicapés aient accès aux lieux d’activité culturelle...». Il en va de même pour les lieux de loisirs, de sports et de tourisme.

37. Le droit des personnes souffrant d’un handicap de participer pleinement à la vie culturelle et aux loisirs suppose en outre que les barrières de communication soient éliminées dans toute la mesure possible. À cet égard, il serait utile d’introduire l’usage «de livres parlés, de textes rédigés simplement, de présentation et de couleurs claires, pour les personnes souffrant d’incapacité mentale, [et d’adapter] des programmes de télévision et des pièces de théâtre aux besoins des sourds».

38. Pour faciliter l’égale participation des personnes souffrant d’un handicap à la vie culturelle, les gouvernements doivent informer et éduquer la population sur les handicaps. Des mesures doivent être prises en particulier pour éliminer les préjugés, les superstitions ou les croyances concernant les personnes souffrant d’un handicap, par exemple lorsque l’épilepsie est considérée comme une forme de possession de l’esprit ou lorsqu’un enfant souffrant d’un handicap est considéré comme un châtiment infligé à la famille. De même, la population en général doit être informée afin qu’elle sache que les personnes souffrant d’un handicap ont autant le droit que les autres personnes de fréquenter les restaurants, les hôtels, les centres de loisirs et les lieux culturels.


* Figurant dans le document E/1995/22.

Notes

Pour un examen complet de la question, voir le rapport final établi par M. Leandro Despouy, Rapporteur spécial, sur les droits de l’homme et l’invalidité (E/CN.4/Sub.2/1991/31).

Voir A/47/415, par. 5.

Voir le paragraphe 165 du Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées, adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 37/52 du 3 décembre 1982 (par. 1).

Voir le paragraphe 4 de la résolution 1992/48 et le paragraphe 7 de la résolution 1993/29 de la Commission des droits de l’homme.

Voir A/47/415, par. 6.

Règles pour l’égalisation des chances des handicapés, annexées à la résolution 48/96 de l’Assemblée générale, en date du 20 décembre 1993 (Introduction, par. 17).

Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (voir plus haut, note 3), par. 1.

A/C.3/46/4, annexe I. Voir également le rapport de la Réunion internationale sur le rôle et les fonctions des comités nationaux de coordination dans le domaine de l’invalidité dans les pays en développement, tenue à Beijing du 5 au 11 novembre 1990 (CSDHA/DDP/NDC/4). Voir aussi la résolution 1991/8 du Conseil économique et social et la résolution 46/96 de l’Assemblée générale, en date du 16 décembre 1991.

Résolution 46/119 de l’Assemblée générale, en date du 17 décembre 1991, annexe.

Règles (voir plus haut, note 6), Introduction, par. 15.

Voir A/47/415, passim.

Ibid., par. 5.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 1.

Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (voir plus haut, note 3), par. 3.

Voir plus haut, note 8.

Voir A/47/415, par. 37 et 38.

Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (voir plus haut, note 3), par. 25.

Voir E/CN.4/Sub.2/1991/31 (voir plus haut, note 1), par. 140.

Voir A/47/415, par. 35, 46, 74 et 77.

Voir plus haut, note 9.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 7.

Voir le document A/CONF.157/PC/61/Add.10, p. 13.

Voir également la Recommandation n o 99 (1955) concernant l’adaptation et la réadaptation professionnelles des invalides et la Recommandation n o 168 (1983) concernant la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 8, par. 1.

Voir le document A/47/415, par. 78.

Voir le document E/CN.4/Sub.2/1991/31 (voir plus haut, note 1), par. 190 et 193.

Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (voir plus haut, note 3), par. 74.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 9, par. 2.

Voir le document E/CN.6/1991/2, par. 14 et 59 à 68.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 4.

Ibid., Règle 2, par. 3.

Voir la Déclaration des droits des personnes handicapées (résolution 3447 (XXX) de l’Assemblée générale, en date du 9 décembre 1975), par. 6; et le Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (voir plus haut, note 3), par. 95 à 107.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 3.

Voir le document A/47/415, par. 73.

Règles (voir plus haut, note 6), Règle 6.

Ibid., Règle 10, par. 1 et 2.

Voir A/47/415, par. 79.

 



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