University of Minnesota


M. Imed ABDELLI c. Tunisie, Communication No. 188/2001, U.N. Doc. CAT/C/31/D/188/2001 (2003).


Présentée par : M. Imed ABDELLI (représenté par l'organisation non gouvernementale Vérité-Action)

Au nom du : Requérant

État partie : Tunisie

Date de la requête : 29 juin 2000

Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2003,

Ayant achevé l'examen de la requête no 188/2001, présentée par M. Imed Abdelli en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

DÉCISION AU TITRE DU PARAGRAPHE 7 DE L'ARTICLE 22

DE LA CONVENTION

1.1 Le requérant est M. Imed Abdelli, ressortissant tunisien, né le 3 mars 1966 à Tunis, résidant en Suisse depuis le 7 juillet 1998 où il bénéficie du statut de réfugié. Il affirme avoir été victime de violations, par la Tunisie, des dispositions des articles 1, 2 (par. 1), 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention. Il est représenté par l'organisation non gouvernementale Vérité-Action.
1.2 La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et fait la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant déclare avoir été un membre actif de l'organisation islamique ENNAHDA (ex-MTI). En juillet 1987, à 1 h 30 du matin, le requérant a été arrêté à son domicile au motif qu'il appartenait à une association non autorisée. Il précise qu'au cours de l'arrestation, les policiers ont malmené sa mère et frappé, au moyen de matraques, deux de ses frères. Le requérant a été placé durant deux jours au poste de police du quartier, dans une cave sale et sans eau; 10 jours au centre d'incarcération d'El Gorjani avec des déplacements quotidiens au commissariat d'arrondissement de Jebel Jelloud pour interrogatoire; et un mois au centre de détention de Bouchoucha.

2.2 Le requérant donne un descriptif détaillé des différents actes de torture qu'il a subis.

2.3 Le requérant fait état de ce qu'on appelle communément la position du «poulet rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer introduite derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables et battue, en particulier sur la plante des pieds, les genoux et la tête). Le requérant précise qu'il a subi cette torture durant deux séances de plus d'une heure chacune. Il ajoute que ses tortionnaires ont procédé, au cours d'une séance, à sa masturbation afin de se moquer de lui et de l'épuiser.

2.4 Le requérant affirme avoir, en outre, été soumis à la torture de la chaise (contrainte de s'asseoir sur les genoux et de porter une chaise avec les deux mains le plus haut possible, la victime est frappée de coups de fouet à chaque mouvement de relâche).

2.5 Par la suite, et durant un mois, au centre d'incarcération de Bouchoucha relevant des renseignements généraux, le requérant a subi des interrogatoires sous la torture, à savoir la position du «poulet rôti» jusqu'à perte de conscience. Le requérant précise que, chaque jour, lors des déplacements de sa cellule aux bureaux, il recevait des gifles et des coups de matraque. En outre, selon le requérant, sa famille ne parvenait pas à obtenir de ses nouvelles, et sa mère a été détenue, durant un jour, dans les bâtiments du Ministère de l'intérieur pour avoir demandé à rencontrer son fils. Le requérant affirme avoir été témoin de scènes de torture sur d'autres détenus, tels Zoussef Bouthelja et Moncef Zarrouk, ce dernier étant décédé dans sa cellule le 13 août 1987 suite aux mauvais traitements subis.

2.6 De la fin août au 25 octobre 1987, le requérant a été incarcéré à la prison de Tunis dans une cellule surpeuplée et sans installations sanitaires.

2.7 Le 25 octobre 1987, le requérant a été placé dans la prison de Mornag après sa condamnation à deux ans de prison ferme. Un jugement de non-lieu lui a permis d'être libéré le 24 décembre 1987.

2.8 Deux mois plus tard, le requérant a été interpellé par la police en possession d'une cassette vidéo sur les événements sanglants de l'année 1987 commis par la sûreté de l'État du gouvernorat de Sousse. Il a été détenu au siège du Ministère de l'intérieur durant 15 jours, et a subi des interrogatoires accompagnés de gifles et autres coups ainsi que d'actes d'intimidation. Le requérant a été libéré le 30 mars 1988.

2.9 Après les élections d'avril 1989, le requérant explique avoir cessé de rentrer au domicile familial suite à une vague d'arrestations à l'encontre, en particulier, des membres et sympathisants des partis d'opposition. Selon le requérant, en 1990, sa famille a fait l'objet de harcèlements (visites nocturnes, convocations et confiscations de passeports). En mai 1991, les frères du requérant, Lofti et Nabil, ont été arrêtés et torturés afin d'obtenir des informations sur le requérant.

2.10 Le 20 novembre 1991, à 7 heures du matin, le requérant a été arrêté par la sûreté de l'État. Durant 25 jours, le requérant affirme avoir été victime de plusieurs formes de torture. Le requérant fait état de la pratique du «balanco» (attachée la tête en bas, la victime est immergée dans une eau sale mélangée à de la Javel et autres substances chimiques jusqu'à ce qu'elle suffoque). Le requérant ajoute que ses tortionnaires ont attaché son pénis à un fil qu'ils tiraient, à coups successifs dans toutes les directions, jusqu'à l'écoulement d'un mélange de sang et de sperme.

2.11 Le requérant a également été placé sur une table où il a été masturbé et frappé de coups sur le sexe en érection. Il déclare avoir subi des injections dans les testicules, lesquelles provoquaient, tout d'abord, une forte excitation, puis une douleur insupportable. Il ajoute avoir été soumis à des séances de gifles pratiquées par des spécialistes (gifles sur les deux oreilles, en même temps, jusqu'à l'évanouissement) dont il garde des séquelles au niveau de l'ouïe. Il affirme également que ses tortionnaires étaient assistés d'un médecin afin de doser les niveaux de torture adéquate.

2.12 Selon le requérant, le vingt-cinquième jour, le Directeur de la sûreté de l'État, Ezzedine Djmail, a éteint des cigarettes sur son corps, en particulier à proximité des organes génitaux.

2.13 Le 13 janvier 1992, le requérant a été conduit à la prison centrale de Tunis.

2.14 Après de brèves auditions devant le juge, le 12 mars 1992, le requérant a été condamné à deux ans de prison ferme et à trois ans de contrôle administratif pour participation au maintien d'une association non reconnue, verdict confirmé en appel le 7 juillet 1992. Le requérant produit une attestation d'un représentant de l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch présent lors d'une séance du tribunal et déclarant que son cas était troublant.

2.15 Le requérant précise que l'on a refusé sa demande de contrôle médical et qu'en outre il a été menacé par un membre de l'administration pénitentiaire d'être à nouveau torturé s'il se plaignait de son traitement auprès du juge.

2.16 Après six mois à la prison centrale de Tunis, le requérant a fait l'objet de plusieurs transferts entre les établissements pénitentiaires du pays (entre autres, prison civile du Kef du 19 juillet au 15 octobre 1992; de Kasserine du 15 au 18 octobre 1992; et ensuite de Gafsa, etc.), selon lui dans le but d'empêcher tout contact avec sa famille. Le requérant déclare avoir été traité comme un «intouchable», à savoir interdiction de parler et de s'aider entre détenus et obstacles au courrier et aux visites de la famille. Le requérant précise que sa mère était toujours maltraitée lors des visites en prison (foulard arraché et convocation pour interrogatoire après la visite).

2.17 À sa sortie de la prison de Gafsa le 11 janvier 1994, le requérant a été conduit au siège du commandement général de la sécurité du gouvernorat afin de remplir une fiche d'information et de répondre à un interrogatoire sur les activités d'autres prisonniers et ses projets d'avenir. Il lui a été ordonné de contacter, dès son arrivée à Tunis, le commissariat de police de l'arrondissement de Gorjani.

2.18 Le requérant a, en outre, été placé sous contrôle administratif deux fois par jour, à 10 heures et 16 heures, au poste de police du quartier, et quotidiennement au commissariat. Selon le requérant, ce contrôle s'apparentait dans la pratique à une assignation à résidence accompagnée d'une interdiction de travail. Par ailleurs, quelques semaines après sa libération, le requérant a dû se rendre aux convocations de différents organes de la sécurité (garde nationale de la route X, Bardo; centre d'investigations lié à la garde nationale, Bardo; renseignements généraux; sûreté de l'État; et caserne de la garde nationale de l'Aouina). Ceux-ci le soumettaient à un interrogatoire, et lui demandaient de collaborer pour le suivi d'opposants, sous peine du maintien du harcèlement à son encontre et contre sa famille (visites de nuit et convocations).

2.19 Après avoir menacé de boycotter le contrôle administratif, le requérant affirme avoir pu reprendre ses études universitaires, lesquelles ont été cependant fortement perturbées par de multiples convocations au commissariat de Sijoumi en raison du refus de collaboration du requérant.

2.20 Au printemps de l'année 1995, le requérant a de nouveau été arrêté au motif de tentative de fuite du pays. Il a été détenu durant 10 jours et soumis à des mauvais traitements (coups, gifles et menaces d'agressions sexuelles) afin de l'obliger à collaborer. Sous la contrainte, le requérant a signé, le 12 avril 1995, un procès-verbal attestant qu'il était un membre actif de l'organisation non autorisée ENNAHDHA.

2.21 Le requérant a ensuite été condamné, le 18 mai 1995, par le tribunal de première instance de Tunis à une peine de prison ferme de trois ans et à un contrôle administratif de cinq ans; verdict confirmé en appel, le 31 mai 1996.

2.22 Le requérant précise qu'il avait demandé au juge de première instance de Tunis de le protéger des sévices quotidiennement subis en prison, tout en l'informant qu'il poursuivait une grève de la faim depuis une semaine. Cependant, selon le requérant, la police l'a alors fait sortir de la salle devant le juge, lequel n'a pas réagi.

2.23 Détenu à la prison centrale de Tunis du 13 avril 1995 au 31 août 1996, le requérant a été soumis à la torture, en l'occurrence la «falka» (les tortionnaires frappent sur la plante des pieds attachés à une barre et soulevés). Le requérant précise que le Sous-Directeur de la prison a personnellement participé aux séances de torture, par exemple en attachant le requérant à la porte de la cellule avant de le frapper à l'aide d'une matraque sur la tête jusqu'à l'évanouissement. À la fin du mois d'août et au début de septembre 1995, le requérant a été placé en isolement total et privé de bain. Le requérant a alors entamé une grève de la faim afin de bénéficier de soins médicaux et ne plus subir un traitement discriminatoire.

2.24 Transféré à la prison de Grombalia, le requérant, poursuivant sa grève de la faim du 28 novembre au 13 décembre 1997, a de nouveau été battu sur ordre du Directeur.

2.25 Le requérant précise que, durant ses années de détention, il n'a pu s'entretenir qu'une seule fois avec ses avocats, en présence d'un agent de la prison.

2.26 Libéré le 12 avril 1998, le requérant a fait l'objet de harcèlements sous la forme notamment de convocations, d'interrogatoires et de contrôles quotidiens, jusqu'à sa fuite pour la Suisse le 22 juin 1998 où il a obtenu le statut de réfugié en décembre 1998.

2.27 Le requérant précise que, depuis sa fuite, les membres de sa famille font l'objet d'interrogatoires et autres humiliations (y compris le refus de délivrer un passeport à sa mère).

2.28 Le requérant a fourni une liste des personnes ayant pratiqué la torture à son encontre, à savoir, de manière précise, Ezzeddine Jnaieh (Directeur de la sûreté de l'État en 1991); Mohamed Ennaceur (Directeur des renseignements généraux en 1995); Moncef Ben Gbila (cadre supérieur à la sûreté de l'État en 1987); Mojahid Farhi (lieutenant-colonel); Belhassen Kilani (lieutenant de galant); Salim Boughnia (lieutenant de galant); Faouzi El Attrouss (commandant); Hédi Ezzitouni (lieutenant de galant); Abderrahman Guesmi (agent du Ministère de l'intérieur); Faycal Redissi (agent du Ministère de l'intérieur); Tahar Dlaiguia (agent du centre de détention de Bouchoucha); Mohamed Ben Amor (sûreté de l'État); Hassen Khemiri (adjudant-chef); Mohamed Kassem (Sous-Directeur de la prison de Messadine en 1997); Habib Haoula (chef de pavillon à la prison de Messadine); Mohamed Zrelli (chef de pavillon à la prison de Grombalia). Le requérant ajoute que le Ministre de l'intérieur de l'époque, Abdallah Kallel, porte une responsabilité dans le traitement qu'il a subi dans la mesure où ce dignitaire l'avait désigné comme responsable d'une campagne de terreur lors d'une conférence de presse tenue le 22 mai 1991.

2.29 Le requérant fait état des séquelles résultant de la torture et de ses conditions de détention, en l'occurrence des problèmes d'audition (un certificat d'un spécialiste ORL suisse est produit par le requérant), de rhumatisme, de dermatologie, d'ulcère et des difficultés psychiques.

2.30 Relativement à l'épuisement des voies de recours internes, le requérant fait valoir que de tels recours en Tunisie, bien que consacrés par le droit, sont impossibles dans la pratique du fait de la partialité des juges et de l'impunité accordée aux auteurs de violations. Le requérant ajoute que les organes ayant un rôle dans la défense des droits de l'homme, tels le Comité supérieur pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales et le Conseil constitutionnel, sont de par leur statut incapables de soutenir des plaintes de torture. Le requérant cite à l'appui de son argumentation des rapports d'organisations non gouvernementales telles qu'Amnesty International.


Teneur de la plainte


3.1 Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:

Article 1. Les pratiques ci-dessus exposées («falka», position du «poulet rôti», «balanco», «chaise», etc.) dont le requérant a été victime constituent des actes de torture.
Article 2, paragraphe 1. Non seulement l'État partie n'aurait pas pris des mesures efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.

Article 4. L'État partie n'aurait pas incriminé tous les actes de torture dont le requérant a été victime au regard du droit pénal.

Article 5. L'État partie n'aurait pas engagé de poursuites à l'encontre des tortionnaires du requérant.

Article 11. Les autorités n'auraient pas usé de leur pouvoir de surveillance pour empêcher la torture, cette dernière étant au contraire prescrite par des instructions à cet effet.

Article 12. L'État partie n'aurait pas diligenté une enquête sur les actes de torture commis à l'encontre du requérant.

Article 13. L'État partie n'aurait pas garanti, dans les faits, le droit du requérant de porter plainte devant les autorités compétentes.

Article 14. L'État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte, et l'aurait ainsi privé de son droit à réparation.

Article 15. Le requérant aurait été condamné en 1992 et 1995 à des peines de prison sur la base d'aveux obtenus sous la torture.

Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (isolement cellulaire, violation du droit aux soins médicaux et à des médicaments, à la correspondance, restriction des visites de proches, assignation à résidence, harcèlement de la famille, etc.) utilisées par l'État partie à l'encontre du requérant constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

3.2 Le requérant se plaint également des atteintes portées à sa pratique religieuse lors de sa détention, à sa liberté de mouvement et à son droit au travail lors des mesures de contrôle administratif ainsi qu'à son droit de poursuivre des études. Le requérant demande réparation pour les préjudices dont il a été victime ainsi que sa famille et notamment l'arrêt du harcèlement quotidien de la police locale à l'encontre de ses proches et l'obtention de passeports pour ces derniers.

Observations de l'État partie sur la recevabilité


4.1 Le 4 décembre 2001, l'État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que le requérant n'a ni utilisé ni épuisé les recours internes disponibles. Il soutient, en premier lieu, que le requérant peut exercer les voies de recours internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.

4.2 L'État partie explique que, sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris à partir de l'étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de son choix de déposer ladite plainte ou demander à un avocat étranger de le faire avec le concours d'un confrère tunisien.

4.3 Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d'instruction saisi de l'affaire entendra l'auteur de la plainte conformément à l'article 53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre des témoins, interroger des suspects, procéder à des constatations sur les lieux et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra également ordonner les expertises et accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et à décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront à la juridiction du jugement à fonder sa décision.

4.4 L'État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie civile devant le juge d'instruction en cours d'information pour demander une réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de l'infraction dont il prétend être victime.

4.5 Si le juge d'instruction estime que l'action publique n'est pas recevable, que les faits ne constituent pas une infraction ou qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre l'inculpé, il déclare par ordonnance qu'il n'y a pas lieu à poursuites. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit passible d'une peine d'emprisonnement, il renvoie l'inculpé devant le juge compétent, en l'occurrence la chambre d'accusation lors d'un crime. Toutes les ordonnances du juge d'instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au procès, y compris au plaignant qui s'est constitué partie civile. Après notification dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration écrite ou orale est reçu par le greffier de l'instruction. S'il y a des présomptions suffisantes de culpabilité, la chambre d'accusation renvoie l'inculpé devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal de première instance), en statuant sur tous les chefs d'inculpation résultant de la procédure. Elle peut également ordonner, s'il échet, un complément d'information par l'un de ses conseils ou par le juge d'instruction; voire même des poursuites nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n'ayant pas encore fait l'objet d'une instruction. Les décisions de la chambre d'accusation sont immédiatement exécutoires.

4.6 Après notification, les décisions de la chambre d'accusation peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile. Ce pourvoi est recevable lorsque l'arrêt de la chambre d'accusation a dit qu'il n'y a pas lieu à poursuivre; a déclaré soit l'irrecevabilité de l'action de la partie civile, soit l'action publique prescrite; a prononcé l'incompétence de la juridiction saisie; ou a omis de statuer sur un chef d'inculpation.

4.7 L'État partie souligne que, conformément à l'article 7 du Code de procédure pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction saisie de l'affaire (tribunal correctionnel ou chambre d'accusation près le tribunal de première instance) et, selon le cas, pourra interjeter appel, soit devant la cour d'appel si l'infraction poursuivie est un délit, soit devant la chambre criminelle près la cour d'appel s'il s'agit d'un crime. Le plaignant pourra également se pourvoir en cassation.

4.8 L'État partie fait valoir, en second lieu, que les recours internes sont efficaces. Selon lui, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations sévères ont été infligées aux auteurs d'abus et violations de la loi. L'État partie affirme que, du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s'est prononcée sur 302 cas d'agents de la police ou de la garde nationale au titre de divers chefs d'accusation, dont 227 s'inscrivent dans le cadre de l'abus d'autorité. Les peines infligées varient de l'amende à l'emprisonnement durant plusieurs années. (1)

4.9 En troisième lieu, l'État partie affirme que les motivations «politiques et partisanes» du requérant ainsi que ses propos «insultants et diffamatoires» permettent de considérer que sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des communications.

4.10 L'État partie explique que l'idéologie et le programme politique du «mouvement» dont le requérant était un membre actif se fondent exclusivement sur des principes religieux, épousant une vue extrémiste de la religion négatrice des droits démocratiques et des droits de la femme. Il s'agit d'un «mouvement» illégal prônant la haine religieuse et raciale et faisant usage de la violence. Selon l'État partie, ce «mouvement» s'est illustré par des attentats terroristes ayant causé des pertes humaines et matérielles durant la période 1990-1991. C'est pourquoi, et en raison du fait qu'il contrevient à la Constitution et à la loi sur les partis politiques, ce «mouvement» n'a pas été reconnu par les pouvoirs publics.

4.11 L'État partie précise que le requérant émet des allégations infondées selon lesquelles «les autorités tunisiennes n'incriminent pas ces actes de torture...». Selon l'État partie, cette allégation est démentie par le fait que le législateur a, par la loi no 99-89 du 2 août 1999, modifiant et transposant certaines dispositions du Code pénal, transposé la définition de la torture telle qu'énoncée dans la Convention contre la torture.


Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie

5.1 Par lettre du 7 mai 2002, le requérant conteste l'argument de l'État partie sur sa prétendue absence de volonté de saisir la justice tunisienne afin d'user des voies de recours internes.

5.2 Le requérant considère que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il rappelle, à cet égard, que la procédure d'appel de sa condamnation en 1995 s'est déroulée en 18 séances de juin 1995 à la fin mai 1996. Selon le requérant, ces délais ont résulté de la seule responsabilité des autorités, qui avaient à plusieurs reprises reporté l'examen de l'appel en raison de leur embarras à devoir condamner une personne, qui plus est un opposant politique, pour tentative de sortie illégale du territoire, une telle condamnation étant en soi préjudiciable à l'image du régime et ne permettant pas d'infliger de lourdes peines. Le requérant considère que ce retard pour une simple procédure d'appel démontre qu'un dépôt de plainte pour torture, si tant est qu'une telle plainte soit acceptée, aurait impliqué encore davantage de temps. Le requérant précise, en outre, qu'alors que son nom figurait dans divers rapports d'organisations non gouvernementales, notamment après sa condamnation de 1995, les autorités ont agi dans le sens d'une aggravation de ses conditions de détention (châtiments corporels et psychiques et transfert dans des prisons éloignées du domicile familial) et du harcèlement à l'encontre de sa famille soumise à davantage de contrôle. Le requérant cite également à l'appui de son argumentation le cas de M. Abderraouf Khémais Ben Sadok Laribi décédé dans les locaux de la police suite aux mauvais traitements subis. D'après le requérant, alors que la famille du défunt a déposé plainte, le 9 août 1991, contre le Ministre de l'intérieur pour homicide volontaire, et malgré la médiatisation de ce cas ayant conduit à une indemnisation matérielle de la famille, et à un entretien avec un conseiller du Président, le dossier a été clos sans réelle investigation et, depuis lors, avec une totale protection du régime à l'endroit du ministre de l'époque.

5.3 Le requérant considère également que les procédures de recours ne lui donneraient pas satisfaction. Le requérant rappelle ses démarches entreprises, sans succès, en 1992 pour la demande d'une expertise médicale, et en 1995 auprès des autorités judiciaires afin d'obtenir une protection contre les sévices à son encontre. C'est pourquoi, il était alors paru improbable au requérant d'obtenir satisfaction devant les autorités judiciaires. Le requérant précise que son cas devant le juge ne représentait pas une exception et produit, à ce sujet, un extrait d'un rapport du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie. Le requérant soutient que l'appareil judiciaire n'est pas indépendant et ne lui a apporté aucune protection lors de ses deux condamnations en 1992 et 1995. Le requérant déclare être une victime de la «culture de la torture» en Tunisie et que le dépôt de sa plainte auprès du Comité contre la torture supposait de sa part un grand effort psychologique du fait de sa crainte de représailles à l'encontre de sa famille. Il ajoute, enfin, que malgré ses grèves de la faim afin de contester ses mauvais traitements, en dehors de quelques satisfactions matérielles, rien de plus n'a été obtenu. De même, ses quelques lettres adressées à l'administration générale des prisons suite à ses grèves n'ont donné aucune satisfaction au requérant. En outre, le passage des services pénitentiaires sous la tutelle du Ministère de la justice n'a apporté aucun changement à la complicité de ces services. Le requérant cite des extraits de rapports de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie à l'appui de son constat de non-aboutissement des plaintes de torture et des pressions exercées par les autorités afin d'empêcher le dépôt de telles plaintes. Le requérant affirme, en outre, que dans le contexte du contrôle administratif auquel il était astreint et qui impliquait un contrôle permanent par huit autorités différentes accompagné d'actes d'intimidation, le dépôt d'une plainte l'aurait mis en danger.

5.4 Le requérant conteste, en outre, l'argument de l'État partie sur la possibilité de charger un avocat tunisien afin de porter plainte à partir de l'étranger.

5.5 Le requérant fait état des violations graves portées par les autorités à l'exercice libre et indépendant de la profession d'avocat. Selon le requérant, les avocats qui osent défendre des plaintes de torture sont victimes de harcèlements et autres atteintes, y compris des condamnations à des peines de prison. Le requérant cite, à titre d'exemple, les cas de Mes Néjib Hosni, Béchir Essid et Anouar Kosri ainsi que des extraits de rapports et de déclarations d'Amnesty International, de l'Observatoire mondial contre la torture (OMCT), de la FIDH et de la Commission internationale des juristes. Le requérant ajoute, toujours sur la foi de ces rapports non gouvernementaux, que les plaintes déposées par des victimes de torture depuis plusieurs années, particulièrement à la suite de la promulgation en 1988 de l'article 13 bis du Code de procédure pénale instituant la possibilité de la visite médicale, ont toutes été classées sans suite. Il précise également que, dans certains cas, des expertises médicales sont accordées après un long délai alors que les traces de sévices ont disparu, et qu'il arrive que des expertises soient faites par des médecins de complaisance qui ne relèveront aucune anomalie dans la condition physique des détenus même si des traces de torture peuvent être évidentes. Le requérant estime que, dans ces conditions, nommer un avocat n'aura pas une grande signification.

5.6 Le requérant mentionne, par ailleurs, comme obstacle le fait que l'assistance judiciaire, non seulement n'est pas une pratique ancrée en Tunisie mais encore que son appréciation ne présente pas les garanties nécessaires.

5.7 Le requérant souligne que le dépôt d'une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l'étranger est susceptible de tomber sous le coup de l'article 305, paragraphe 3, du Code de procédure pénale tunisien qui stipule que «peut être également poursuivi et jugé par les tribunaux tunisiens tout Tunisien qui commet, en dehors du territoire tunisien, l'une des infractions mentionnées à l'article 52 bis du Code pénal, alors même que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation de l'État où elles ont été commises». Le requérant considère qu'une plainte de sa part à partir de l'étranger pourrait être assimilée à une offense au régime, l'État partie ayant qualifié le requérant de terroriste.

5.8 Le requérant explique, d'autre part, que sa situation de réfugié politique en Suisse ne lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des restrictions posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays. Le requérant explique que la cessation de toute relation avec le pays d'origine est l'une des conditions de l'octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important lors de l'appréciation de la révocation de l'asile. Selon le requérant, il peut en effet être mis fin à l'asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément de la protection de son pays d'origine, par exemple en entretenant des contacts étroits avec ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.

5.9 Le requérant conteste également les explications de l'État partie quant à l'existence de recours disponibles. Il estime que l'État partie s'est contenté de réciter la procédure décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d'être appliquée dans la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Le requérant cite à l'appui de son constat des rapports d'Amnesty International, de Human Rights Watch, de l'Organisation mondiale contre la torture, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme en France et du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Il se réfère également aux observations finales sur la Tunisie du Comité contre la torture en date du 19 novembre 1998. Le requérant souligne que le Comité contre la torture a recommandé entre autres que l'État partie a) garantisse aux victimes de torture le droit de porter plainte sans crainte de faire l'objet de représailles, de harcèlement, de traitements brutaux ou de persécutions de toute nature, même si les résultats de l'enquête ne confirment pas leurs allégations, et de demander et d'obtenir réparation si ces allégations s'avèrent justes; b) fasse en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d'allégations de violation et qu'une autopsie soit pratiquée dans tous les cas de décès en garde à vue; c) fasse en sorte que les résultats de toutes les enquêtes concernant les cas de torture soient rendus publics et que ces informations comprennent le détail des infractions commises, le nom des auteurs, les dates, lieux et circonstances des incidents et les sanctions imposées aux coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu'une grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n'était pas respectée en pratique. Il s'est également déclaré préoccupé par le large fossé existant entre le droit et la pratique en ce qui concerne la protection des droits de l'homme et particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratiques répandues de torture et d'autres traitements cruels et dégradants perpétrés par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées en garde à vue.

5.10 Le requérant rappelle, en outre, le manque d'indépendance de l'appareil judiciaire et des organes institués afin de contrôler l'application des lois. Le requérant souligne, enfin, que la réponse de l'État partie, dans le cas d'espèce, montre qu'aucune enquête interne n'a été entreprise sur les informations suffisamment précises apportées dans la présente requête.

5.11 Le requérant conteste, d'autre part, l'argumentation de l'État partie sur l'efficacité des recours internes.

5.12 Relativement aux 302 cas d'agents de police ou de la garde nationale ayant fait l'objet de décisions de justice selon l'État partie, le requérant soutient l'absence de preuve tangible de la véracité de ces cas non publiés et n'ayant pas été rendus publics; l'absence de pertinence des 277 cas évoqués par l'État partie au titre de l'abus d'autorité dans le cas d'espèce; ainsi que la référence par l'État partie à des cas ne portant pas atteinte à l'image de la Tunisie et donc ne couvrant aucun cas de traitement inhumain ou dégradant. Le requérant précise que les cas avancés par l'État partie se situent au cours de la période 1988-1995, ayant fait l'objet des observations finales du Comité contre la torture ci-dessus mentionnées.

5.13 Enfin, le requérant estime que les commentaires de l'État partie sur son appartenance au mouvement ENNAHDA et à son encontre démontrent l'existence et la permanence d'une discrimination à l'encontre de l'opposition, toujours considérée comme illégale. Selon le requérant, par ses qualifications relatives au terrorisme dans le cas d'espèce, l'État partie prouve sa partialité et dès lors l'impossibilité d'introduire un recours en Tunisie. En outre, le requérant souligne que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est une garantie qui ne souffre d'aucune exception, y compris pour un terroriste.

5.14 Finalement, au vu des explications précédentes, le requérant réfute le commentaire de l'État partie considérant la présente requête comme un abus du droit de soumettre des communications, argument que le requérant estime pertinent à l'endroit de l'État partie ayant décidé, dans le cas d'espèce, de se livrer à une manœuvre politique sans aucune pertinence juridique.


Observations supplémentaires de l'État partie sur la recevabilité de la requête

6.1 Le 8 novembre 2002, l'État partie a contesté à nouveau la recevabilité de la requête. L'État partie soutient, en premier lieu, que les allégations du requérant relatives à la saisine de la justice tunisienne et à l'utilisation des voies de recours internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées par aucune preuve. L'État partie précise que les procédures de recours n'excèdent pas des délais raisonnables et que l'action publique relative aux allégations soulevées dans la requête n'est pas prescrite car le délai de prescription dans le cas d'espèce est de 10 ans. En second lieu, l'État partie estime que les allégations du requérant, selon lesquelles le dépôt d'une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l'étranger pourrait tomber sous le coup de l'article 305.3 du Code de procédure pénale permettant de poursuivre les auteurs d'actes terroristes, sont dépourvues de tout fondement. En troisième lieu, l'État partie affirme que contrairement aux allégations du requérant, celui-ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte depuis l'étranger. L'État partie ajoute que le statut de réfugié du requérant ne saurait le priver de son droit de porter plainte devant les juridictions tunisiennes. En quatrième lieu, l'État partie soutient que les recours internes devant les instances judiciaires tunisiennes sont non seulement possibles dans le cas d'espèce mais bel et bien efficaces tel qu'illustré par le fait que des victimes de violations en Tunisie ont obtenu satisfaction. Finalement, l'État partie précise que ses propos dans le cadre de sa réponse du 4 décembre 2001 ne visent pas à diffamer le requérant, lequel néanmoins fait un usage abusif du droit de soumettre des requêtes.


Délibérations du Comité sur la recevabilité

7.1 À sa vingt-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, déclaré qu'elle était recevable.

7.2 Relativement à la question de l'épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que l'État partie contestait la recevabilité de la requête au motif que les recours internes disponibles et utiles n'avaient pas été épuisés. Dans le cas présent, le Comité a constaté que l'État partie avait fourni un descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant ainsi que des cas d'aboutissement de tels recours à l'endroit d'auteurs d'abus et de violations de la loi. Le Comité a considéré, néanmoins, que l'État partie n'avait pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les circonstances propres au cas du requérant qui se dit victime de violations de ses droits. Le Comité a précisé ne pas mettre en doute les informations de l'État partie sur l'existence de poursuites et de condamnations visant les membres des forces de l'ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu'il ne saurait perdre de vue dans le cas d'espèce que les faits datent de 1987, et que si la prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question de la prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou suspension du délai de prescription, information que l'État partie n'avait pas fournie. Le Comité a noté, en outre, que les allégations du requérant avaient trait à des faits anciens dénoncés publiquement auprès des autorités. Le Comité a indiqué ne pas avoir connaissance, à ce jour, d'enquêtes diligentées spontanément par l'État partie. En conséquence, le Comité a été d'avis que dans le cas présent il y avait très peu de chances que l'épuisement des recours internes donne satisfaction au requérant, et a décidé de faire application de l'alinéa b du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention.

7.3 Le Comité a noté, en outre, l'argument de l'État partie faisant valoir que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes. Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul l'examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l'engagement politique et partisan du requérant contesté par l'État partie ne s'opposait pas à l'examen de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention.


Observations de l'État partie quant au fond de la communication

8.1 Dans ses observations du 3 avril et du 25 septembre 2003, l'État partie conteste le bien-fondé des allégations du requérant tout en réitérant sa position sur l'irrecevabilité de la requête.

8.2 Eu égard aux allégations se rapportant à la «complicité» et à l'inertie de l'État partie face aux «pratiques de torture», l'État partie explique avoir mis en place un dispositif préventif (2) et dissuasif (3) de lutte contre la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité et à l'intégrité physique de la personne humaine.

8.3 Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et «à l'impunité des auteurs de torture», l'État partie estime que le requérant n'a présenté aucune preuve à l'appui de ses prétentions. L'État partie souligne que, contrairement aux allégations du requérant, il a pris toutes les mesures sur le plan de la loi et dans la pratique, au niveau des instances judiciaires et administratives, afin d'empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs, conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même, d'après l'État partie, le requérant n'a présenté aucun motif justifiant son inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives (voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l'État partie souligne que le requérant n'invoque pas seulement des «faits» remontant à 1987, mais des «faits» remontant aux années 1995, 1996 et 1997, c'est-à-dire au moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit interne tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend avoir fait l'objet lors de sa détention à «la prison centrale de Tunis» et à «la prison de Grombalia». Les délais de prescription ne sont donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l'intéressé, d'interrompre ces délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit en faisant des actes interruptifs. L'État partie fait également état des possibilités de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise par un agent public lors de l'exercice de son service, (4) étant précisé que le délai de prescription est de 15 ans. (5) L'État partie rappelle que les tribunaux tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.10).

8.4 Eu égard aux allégations de non-respect des garanties de procédure judiciaire, l'État partie les considère comme non fondées. D'après l'État partie, les autorités n'ont pas privé le requérant de porter plainte devant la justice et, au contraire, le requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant «l'obligation» incombant au juge de ne pas tenir compte des déclarations faites sous la torture, l'État partie se réfère à l'article 15 de la Convention contre la torture, et estime qu'il appartient au prévenu de présenter au juge au moins un commencement de preuve pouvant attester qu'il a fait ses dépositions dans des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir la preuve de ses allégations, par la présentation d'un rapport médical ou d'une attestation prouvant qu'il aurait déposé une plainte auprès du ministère public, ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou de mauvais traitements. Or l'État partie explique que le requérant n'a pas cru utile de présenter de plainte, ni au cours de sa détention, ni lors de son procès, une telle démarche s'inscrivant dans une stratégie adoptée par le mouvement illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer les institutions tunisiennes en alléguant, de manière systématique, avoir fait l'objet d'actes de torture et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.

8.5 Concernant les allégations se rapportant aux aveux, l'État partie estime dépourvue de fondement l'affirmation du requérant d'avoir été condamné sur la base de ses aveux comme seuls éléments de preuve. L'État partie précise que le dernier alinéa de l'article 69 et de l'article 152 du Code de procédure pénale disposent que l'aveu de l'inculpé ne peut dispenser le juge de rechercher d'autres éléments de preuve et que l'aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges. Et sur cette base, la jurisprudence tunisienne en matière pénale considère constamment qu'il ne peut y avoir de condamnation uniquement sur la base des aveux. (6) Dans le cas d'espèce, le tribunal s'est basé, outre les aveux que l'intéressé a faits tout au long de la procédure judiciaire, sur les témoignages de ses complices. L'État partie rejette également comme non fondée l'allégation du requérant selon laquelle il avait signé un procès-verbal sans en connaître le contenu, ceci au motif que la loi exige la lecture du procès-verbal au prévenu avant sa signature, ce qui fut d'après l'État partie le cas. Concernant les allégations du requérant sur son procès tantôt expéditif, tantôt long, l'État partie précise que la durée des procès est commandée par le respect du droit de la défense. En outre, afin d'éviter des manœuvres dilatoires de la part de l'avocat ou même du parquet pour le report d'audiences, l'État partie soutient que les décisions du juge sont toujours motivées, de même que celles de report des audiences relatives aux poursuites pénales contre le requérant.

8.6 Eu égard aux allégations quant aux conditions carcérales et notamment à la comparaison des établissements pénitentiaires à des «centres de concentration», l'État partie les considère comme non fondées. S'agissant des mesures de transfert d'une prison à une autre, et considérées comme étant abusives par le requérant, l'État partie explique que le transfert, tel que régi par les textes en vigueur, est décidé en fonction des différentes phases du procès, du nombre des affaires et des instances judiciaires territorialement compétentes. Les prisons sont classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues à titre préventif; celles d'exécution pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté; et celles semi-ouvertes pour les personnes condamnées, pour cause de délit, habilitées au travail agricole. D'après l'État partie, ayant passé du statut de détenu à titre préventif à celui de détenu condamné à des peines privatives de liberté et compte tenu aussi des besoins d'investigation dans l'affaire qui le concernait ou encore dans d'autres affaires similaires, le requérant a été transféré d'une prison à l'autre, conformément à la réglementation en vigueur. En outre, et quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient conformes à la réglementation relative à l'organisation des prisons régissant les conditions de détention en vue d'assurer l'intégrité physique et morale du détenu. L'État partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement protégés en Tunisie, sans aucune distinction et quelle que soit la situation pénale, ceci dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes internationales et à la législation tunisienne. Une prise en charge médicale et psychosociale est assurée ainsi que la visite des membres de la famille.

8.7 Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre le requérant sont dues aux pratiques de la torture, l'État partie soutient l'absence de lien de causalité. De plus, d'après l'État partie, contrairement aux allégations du requérant de refus de sa demande de contrôle médical (voir par. 2.15), ce dernier a bénéficié, tout au long de son séjour en prison, des soins appropriés et du suivi médical requis, tel que prévu par la réglementation des prisons

8.8 Concernant les allégations de privation de visites, d'après l'État partie, le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu régulièrement la visite de son frère Belhassen Abdelli, comme cela est établi par les registres des visites des prisons où le requérant a été incarcéré.

8.9 Eu égard aux allégations se rapportant à l'article 11 de la Convention, l'État partie les rejette et fait valoir l'exercice d'une surveillance systématique (7) sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde (8) et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées. (9)

8.10 Eu égard aux allégations quant au contrôle administratif et à la situation sociale de la famille de M. Abdelli, l'État partie explique que le contrôle administratif ne peut être assimilé à un mauvais traitement en vertu de la Convention contre la torture, puisqu'il s'agit d'une peine judiciaire complémentaire prévue par l'article 5 du Code pénal. D'après l'État partie, l'application de cette mesure n'a pas empêché le requérant de continuer à vivre normalement, et notamment de poursuivre des études suite à sa libération en 1994. Il est précisé que le fait que ces études n'aient pu être terminées ne peut constituer une preuve de prétendues restrictions imposées en vertu du contrôle administratif. D'après l'État partie, les allégations de pratiques abusives sont dénuées de fondement, et les convocations produites par le requérant ne constituent pas un mauvais traitement ou un abus de la procédure de contrôle administratif. En outre, l'État partie affirme que la convocation datant de 1998 constitue une preuve irréfutable du caractère mensonger des allégations du requérant. L'État partie soutient également que la famille du requérant ne fait l'objet d'aucune forme de harcèlement ou de restriction; que suite au décès de son époux, la mère de l'intéressé reçoit une pension, et que finalement la famille du requérant vit dans des conditions décentes.


Commentaires du requérant


9.1 Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à chacun des points contenus dans les observations ci-dessus exposées de l'État partie.

9.2 Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant estime que l'État partie se limite à une énumération d'un arsenal de lois et de mesures d'ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui, nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l'appui de son constat un rapport de l'organisation non gouvernementale «Conseil national pour les libertés en Tunisie» (CNLT).(10)

9.3 Eu égard à la mise en place d'un référentiel législatif de lutte contre la torture, le requérant estime que l'article 101 bis du Code de procédure pénale a été adopté tardivement en 1999, en particulier suite aux préoccupations du Comité contre la torture du fait que la formulation de l'article 101 du Code pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d'usage de la violence en cours d'interrogatoire. Le requérant affirme également que ce nouvel article n'a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie entre 1991 et 1998 établie par l'organisation non gouvernementale «Vérité-Action». Il précise également que les cas utilisés par l'État partie pour prouver sa volonté d'agir contre la torture ne portent que sur des accusations d'abus de pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit commun, et non pas sur les cas de torture ayant provoqué la mort et ceux concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.

9.4 Concernant la pratique de la torture et l'impunité, le requérant maintient que l'impunité des tortionnaires subsiste, et qu'en particulier aucune enquête sérieuse n'a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture. Le requérant estime que, dans son cas, l'État partie a opéré, dans ses observations, un choix sélectif des faits en passant de 1987 à 1996, alors que les violations les plus graves se sont déroulées en 1991. Par ailleurs, selon le requérant, alors qu'un état de droit doit donner suite, et d'office, à toute dénonciation d'acte pénal qualifiable de crime, les autorités tunisiennes se contentent d'accuser les victimes alléguées de terrorisme et de manipulation. Le requérant estime avoir rendu au moins vraisemblables ses allégations dans les détails (noms, lieux et traitements infligés) de la torture subie alors que l'État partie se contente de nier en bloc. Ce n'est pas pour leur appartenance aux forces de l'ordre que des tortionnaires ont été cités par le requérant, mais pour des violations concrètes et répétées dans le temps contre son intégrité physique et morale et sa vie privée et familiale. L'ouverture d'une enquête afin de vérifier si une personne appartenant aux forces de l'ordre a commis des actes de torture ou autre ne constitue pas une violation de la présomption d'innocence, mais une démarche juridique indispensable pour instruire un dossier et le soumettre, le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de le trancher. Relativement aux recours juridictionnels, le requérant estime que l'État partie se contente de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques offertes aux victimes contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre à la décision de recevabilité en son paragraphe 7.2, dernier alinéa. Le requérant réitère son argumentation sur l'inutilité des possibilités légales théoriques exposées par l'État partie, tout en exposant à l'appui de sa conclusion des cas dans lesquels on a fait fi des droits des victimes.

9.5 Concernant l'inertie et l'inaction du requérant, ce dernier estime que l'État partie se contredit en soulevant que les actes de torture sont qualifiés de crime en droit tunisien et donc poursuivis d'office, tout en attendant la dénonciation par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant souligne, à nouveau, ses démarches réelles pour exiger une expertise médicale et une enquête sur la torture subie.

9.6 Concernant les allégations se rapportant au procès, le requérant estime que l'État partie passe sous silence les conditions du déroulement de son procès, et n'a entrepris aucune enquête afin de vérifier les déclarations de torture faites par le requérant devant le juge.

9.7 Concernant les allégations se rapportant aux aveux, le requérant maintient avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports du CNLT, déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques et parfois les affaires de droit commun. Relativement à la durée des procès, le requérant précise que celui de 1992 fut expéditif car s'inscrivant alors dans une vague de procès visant à incarcérer un maximum de membres du mouvement ENNAHDA, alors que celui de 1995 fut long dans la mesure où les avocats ont insisté sur l'autorité de chose jugée. Le requérant note également que l'État partie passe sous silence son arrestation, quelques mois après la grâce présidentielle de 1987.

9.8 Concernant les conditions de détention, le requérant estime que l'État partie se réfugie derrière des textes de loi afin de dénoncer ses informations circonstanciées. Il précise qu'il n'a jamais été question de transfert pour besoin d'investigation et il demande à l'État partie de prouver le contraire.

9.9 Eu égard aux visites, le requérant explique qu'à chaque transfert, sa famille rencontrait des difficultés pour localiser le nouveau lieu de détention. Le requérant estime que le recours à la privation de visites constituait un moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu'il réclamait un droit et agissait à cet effet, notamment par des grèves de la faim. Le requérant précise que les registres d'entrées et de sorties des prisons peuvent prouver ses explications. En outre, la famille du requérant rencontrait des difficultés à exercer le droit de visite en raison des conditions de la visite (la mère du requérant étant maltraitée afin d'ôter son foulard et devait attendre de longues heures pour une visite de quelques minutes).

9.10 Concernant les allégations se rapportant aux soins, le requérant porte l'attention du Comité sur le certificat médical produit dans son dossier. Relativement au traitement invoqué par l'État partie, le requérant demande la production de son dossier médical par l'État partie.

9.11 Eu égard au contrôle administratif, le requérant estime que toute peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d'inhumaine et dégradante, si l'objectif poursuivi n'est pas notamment sa réconciliation avec son environnement social. Or, le requérant rappelle en particulier que la reprise de ses études s'est traduite par une aggravation du contrôle administratif telles l'obligation de se présenter deux fois par jour à la police, la surveillance pressante de la police universitaire et l'interdiction de contacts avec les étudiants. Concernant ses convocations, le requérant précise que les trois ans s'étant écoulés entre ses deux convocations de 1995 et 1998 correspondent à sa période d'emprisonnement suite à sa nouvelle arrestation en 1995. D'après le requérant, le contrôle administratif ne sert qu'à assurer la mainmise par la police du droit à la liberté de circulation de l'ex-détenu.

9.12 Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance subie à travers le contrôle policier et l'intimidation sous diverses formes. Le requérant rappelle l'incarcération en vue de son arrestation de deux de ses frères (Nabil et Lofti) ainsi que la détention de sa mère durant toute une journée. De plus, selon le requérant, le choix délibéré des autorités de l'éloigner de sa famille a affecté le rythme des visites.

9.13 Relativement à l'application de l'article 11 de la Convention, le requérant estime que l'État partie se contente, à nouveau, d'un exposé théorique de son arsenal juridique et d'une référence aux activités du Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, institution non indépendante. Or, se référant à des documents d'organisations non gouvernementales, (11) le requérant fait état des violations relativement au contrôle de la détention et de la garde à vue, telles la manipulation des dates de consignation des arrestations et la détention au secret. Le requérant constate que l'État partie ne répond pas à ses allégations précises de détention de plus d'un mois en 1987, de 56 jours en 1991 et de 18 jours en 1995.

9.14 En ce qui concerne le mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation est, contrairement aux explications de l'État partie, connue pour ses idéaux démocratiques et son opposition à la dictature et à l'impunité. En outre, le requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par l'État partie et s'inscrivant en fait dans le cadre d'une affaire montée de toutes pièces.

9.15 Finalement, selon le requérant, l'État partie tente de mettre l'entier fardeau de la preuve sur la victime accusée d'inertie et d'inaction, se cache derrière une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes de porter plainte, et se dérobe à son devoir de veiller à la poursuite d'office des crimes dont celui de torture. Selon le requérant, l'État partie néglige ainsi sciemment le fait que la jurisprudence et le droit internationaux en matière de torture insistent plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre l'aboutissement d'une procédure. Or le requérant constate que l'État partie porte la charge de la preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves à l'appui (dossiers de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.) sont uniquement détenus par l'État partie sans possibilité d'accès pour le requérant. Se référant à la jurisprudence européenne, (12) le requérant rappelle que la Cour et la Commission européennes invitent les États parties, lors d'allégations de torture ou de mauvais traitements, à «mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements» et non à se contenter de citer l'arsenal théorique des voies ouvertes devant la victime pour se plaindre.


Examen quant au fond

10.1 Le Comité a examiné la communication, compte dûment tenu de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention.

10.2 Le Comité a pris note des observations de l'État partie du 3 avril et du 25 septembre 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que les éléments mis en avant par l'État partie ne sont pas susceptibles de permettre un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier, de l'absence d'information nouvelle ou supplémentaire de l'État partie quant à la question des enquêtes diligentées spontanément par l'État partie (voir par. 7.2). Le Comité estime donc ne pas devoir revenir sur sa décision de recevabilité.

10.3 Le Comité passe immédiatement à l'examen de la requête sur le fond et note que le requérant impute à l'État partie les violations des articles 1; 2, paragraphe 1; 4; 5; 11; 12; 13; 14; 15 et 16 de la Convention.

10.4 Eu égard à l'article 12 de la Convention, le Comité note qu'en vertu de cette disposition, les autorités ont l'obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une importance particulière. (13)

10.5 Le Comité constate que le requérant soutient s'être plaint d'actes de torture à son encontre devant le juge dans le cadre de ses procès en 1992 et en 1995. Le requérant précise avoir demandé en 1992 un contrôle médical lui ayant été refusé, et en 1995 la protection du juge de première instance de Tunis contre les sévices quotidiennement subis en prison. Le Comité note que l'État partie conteste l'affirmation du requérant de refus de contrôle médical sans pour autant se prononcer sur le traitement dénoncé par le requérant auprès du juge, ni fournir les résultats du suivi médical dont aurait bénéficié M. Abdelli lors de sa détention. Le Comité prend note également de l'absence de commentaires de l'État partie quant aux allégations précises ci-dessus exposées pour l'année 1995. Enfin, le Comité constate l'existence d'informations détaillées et étayées du requérant faisant état de ses grèves de la faim en 1995 à la prison centrale de Tunis, et du 28 novembre au 13 décembre 1997 à la prison de Grombalia, ceci afin de bénéficier de soins médicaux et de contester les traitements subis. Le requérant fait, par ailleurs, état de lettres adressées à l'administration générale des prisons suite à ses grèves et n'ayant pas abouti. Le Comité constate que ces informations n'ont pas été commentées par l'État partie. Le Comité considère que l'ensemble de ces éléments aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n'a pas eu lieu, ceci contrairement à l'obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, faite à l'article 12 de la Convention.

10.6 Le Comité note, en outre, que l'article 13 de la Convention n'exige pas qu'une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d'exercer l'action pénale; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d'une autorité de l'État pour que naisse pour celui-ci l'obligation de considérer cela comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d'obtenir l'ouverture d'une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention. (14)

10.7 Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant explique s'être effectivement plaint des traitements à son encontre auprès de magistrats en 1992 et 1995, avoir eu recours aux grèves de la faim et avoir adressé des lettres à ce sujet auprès des autorités chargées des prisons afin de se plaindre de la condition lui étant faite. Le Comité regrette que l'État partie n'ait pas répondu ou apporté les clarifications nécessaires sur ces points. De plus, et contrairement à la jurisprudence au titre de l'article 13 de la Convention, le Comité note la position de l'État partie soutenant que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de recours internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation soit d'une attestation prouvant le dépôt d'une plainte auprès du ministère public, soit de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal, soit d'un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter son attention, il ressort que, d'un côté, le requérant soutient s'être vu refuser sa demande de contrôle médical en 1992 et que, de l'autre, l'État partie conteste cette allégation au motif que le requérant a bénéficié tout au long de son séjour en prison des soins appropriés et du suivi médical requis, tel que prévu par la réglementation des prisons. Le Comité constate qu'il s'agit de la part de l'État partie d'une réponse catégorique et générale qui ne recouvre pas nécessairement l'affirmation précise du requérant quant à sa demande de contrôle médical auprès du juge en 1992. Finalement, le Comité renvoie à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, lors duquel il avait recommandé à l'État partie de faire en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d'allégations d'abus.

10.8 A la lumière des constatations ci-dessus, le Comité estime que les manquements qui viennent d'être exposés sont incompatibles avec l'obligation faite à l'article 13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.

10.9 Enfin, le Comité estime ne pas être en mesure de se prononcer sur les griefs de violation d'autres dispositions de la Convention soulevés par le requérant, dans l'attente de disposer des résultats de l'enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements devant être diligentée par l'Etat partie.

11. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention, est d'avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

12. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l'État partie à procéder à une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant, et à informer le Comité, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu'il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.



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[Adopté en anglais, en espagnol ,en français (version originale) et en russe. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



Notes



1. Les exemples donnés par l'État partie sont disponibles, pour information, dans le dossier.

2. Entres autres, enseignement des valeurs des droits de l'homme dans les écoles des forces de sécurité, à l'Institut supérieur de la magistrature et à l'École nationale de formation et de recyclage des cadres et agents des établissements pénitentiaires et correctionnels; code de conduite destiné aux responsables chargés de l'application des lois en matière de droits de l'homme; transfert de la tutelle des établissements pénitentiaires et correctionnels du Ministère de l'intérieur à celui de la justice et des droits de l'homme.

3. Mise en place d'un dispositif référentiel législatif: contrairement aux allégations du requérant sur la non-incrimination par les autorités tunisiennes des actes de torture, l'État partie explique avoir ratifié sans réserves la Convention contre la torture, laquelle fait partie intégrante du droit interne tunisien et peut être invoquée devant les tribunaux; dispositions pénales sévères et précises incriminant la torture (art. 101 bis du Code pénal tunisien).

4. La loi du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif permet d'engager la responsabilité de l'État même lorsqu'il agit comme puissance publique si ses représentants, agents ou fonctionnaires ont causé un dommage matériel ou moral à autrui. La partie lésée peut demander à l'État la réparation du préjudice commis (art. 84 du Code des obligations et des contrats), cela sans préjudice de la responsabilité directe de ses fonctionnaires envers les parties lésées.

5. Jurisprudence du tribunal administratif (arrêts nos 1013 du 10 mai 1993 et 21816 du 24 janvier 1997).

6. Arrêt no 4692 du 30 juillet 1996 publié dans la Revue de jurisprudence et législation (R.J.L.), arrêt no 8616 du 25 février 1974 R.J.L. 1975, et arrêt no 7943 du 03 septembre 1973 R.J.L. 1974.

7. Outre la législation, des mécanismes institutionnels de protection ont été progressivement mis en place, telles les visites inopinées dans des établissements pénitentiaires du Président du Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'institution, le 31 juillet 2000, de la fonction de «juge d'exécution des peines» chargé de suivre concrètement l'application des peines privatives de liberté et effectuant des visites périodiques dans les établissements pénitentiaires.

8. La loi no 99-90 du 2 août 1999 a modifié et complété certaines dispositions du Code de procédure pénale, et notamment réduit la durée de la garde à vue à trois jours, renouvelable une seule fois pour la même période. Aux termes de cette loi, les officiers de police judiciaire ne peuvent garder le suspect pour une durée dépassant trois jours; ils doivent en aviser le Procureur de la République. Celui-ci peut, par décision écrite, prolonger la durée de la garde à vue une seule fois pour la même période. L'officier de police judiciaire doit informer le suspect de la mesure prise à son encontre, de son délai et lui énonce ce que lui garantit la loi, notamment la possibilité d'être soumis à un examen médical durant la garde à vue. L'officier doit également informer l'un des ascendants ou descendants ou frères ou sœurs ou conjoint du suspect de son choix de la mesure prise à son encontre. Ces garanties sont davantage renforcées à la faveur de la réforme de la Constitution du 26 mai 2002 ayant élevé le contrôle judiciaire de la garde à vue au niveau d'une règle constitutionnelle prenant soin de spécifier que cette mesure privative de liberté ne peut être effectuée que sur mandat judiciaire.

9. La loi du 24 avril 2001 relative aux conditions d'incarcération et au traitement des détenus a consolidé les garanties de protection des détenus et permis la préparation des détenus à la vie active en leur donnant la possibilité d'exercer un travail rémunéré.

10. «Le procès-Tournant: Àpropos des procès militaires de Bouchoucha et de Bab Saadoun en 1992», octobre 1992; «Pour la réhabilitation de l'indépendance de la justice» avril 2000-décembre 2001.

11. Rapport alternatif de la FIDH au deuxième rapport périodique de la Tunisie au Comité contre la torture et communiqué du 20 février 2003 de l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques en Tunisie.

12. Guide de jurisprudence sur la torture et les mauvais traitements: art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, Debra long (APT); affaire Ribitsch c. Autriche; affaire Assenov c. Bulgarie.

13. Requête no 59/1996 (Encarnación Blanco Abad c. Espagne).

14. Requêtes nos 6/1990 (Henri Unai Parot c. Espagne) et 59/1996 (Encarnación Blanco Abad c. Espagne).



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