Faïsal Barakat et sa famille c. Tunisie, Communication No. 14/1994, U.N. Doc. CAT/C/14/D/14/1994 (1995).
Présentée par : B. M'B. (nom supprimé)
Au nom de : Faïsal Barakat et sa famille
État partie : Tunisie
Date de la communication : 29 mars 1994
Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants,
Réuni le 5 mai 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est B. M'B., ressortissant tunisien résidant actuellement en France, où il bénéficie du statut de réfugié politique. Il soumet la communication au nom de Faïsal Barakat, décédé, et de sa famille. Il affirme que ceux-ci sont victimes de violations par la Tunisie du paragraphe 1 de l'article 2 et des articles 11, 12, 13 et 14 de la Convention contre la torture.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare que la victime présumée, Faïsal Barakat, étudiant
en Tunisie, a été arrêté le 8 octobre 1991 au matin par des membres de
la Brigade de recherche de la Garde nationale de Nabeul. Après son arrestation,
la victime aurait été rouée de coups et, vers midi, conduite au quartier
général de la Brigade, où elle "a
tout de suite eu les mains et les pieds liés avant d'être suspendue entre
deux chaises avec un gros bâton, la tête en bas, la plante des pieds
et les fesses exposées, dans ce que l'on appelle communément la position
du 'poulet r_ti'. À partir de ce moment-là, les coups et les hurlements
n'ont pas cessé et ce jusqu'à la tombée de la nuit. À ce moment-là, des
agents l'ont jeté dans le couloir, après avoir introduit un autre détenu
dans le bureau. Faïsal Barakat était très mal en point et semblait agoniser.
Les agents ont pourtant interdit à la trentaine de détenus présents,
parmi lesquels son propre frère Jamel, de lui porter secours. Au bout
d'une demi-heure, il semblait avoir succombé."
2.2 Le 17 octobre 1991, le père de la victime a été conduit à Tunis par
le chef de la Brigade routière; on lui a dit que son fils était mort
dans un accident de voiture. À l'h_pital Charles Nicole, on lui a demandé
de reconnaître son fils à la morgue. Il a constaté que son fils avait
le visage défiguré et qu'il était méconnaissable. Il n'a pas été autorisé
à voir le reste du corps. On lui a fait signer une déclaration dans laquelle
il reconnaissait que son fils avait été tué dans un accident; à l'époque,
son autre fils, Jamel, était toujours en prison; il aurait servi d'otage
pour empêcher le père de révéler dans quelles circonstances Faïsal était
mort. À l'enterrement, les policiers portaient le cercueil et surveillaient
le déroulement de la cérémonie; le cercueil était resté fermé.
2.3 L'auteur produit plusieurs rapports médicaux, établis à partir du rapport
d'autopsie officiel, dans lesquels il est conclu que la victime est décédée
des suites des tortures décrites plus haut.
2.4 L'auteur demande au Comité de prier la Tunisie de prendre des mesures
pour protéger la sécurité physique, morale et économique de sa famille,
de la famille de la victime ainsi que des témoins et de leur famille.
2.5 Enfin, l'auteur dit que le secrétariat international d'Amnesty International
à Londres a accepté de fournir des preuves à l'appui de sa communication.
2.6 Dans des lettres datées du 12 septembre 1994, du 8 octobre 1994 et
du 26 avril 1995, l'auteur déclare être inquiet pour la sécurité des
témoins, qui auraient été détenus et interrogés par les autorités tunisiennes
à propos de la soumission de la communication au Comité. Par ailleurs,
des membres de la famille de l'auteur et de la famille de la victime
auraient fait l'objet de manoeuvres d'intimidation.
Renseignements communiqués par l'État partie
3.1 Par lettres datées du 9 août 1994, du 10 novembre 1994 et du 18 avril
1995, l'État partie réfute les allégations de l'auteur et, invoquant
l'article 107 du règlement intérieur et faisant valoir que les communications
doivent être présentées par les victimes ou leurs représentants dûment
désignés et autorisés, affirme que la communication est irrecevable.
Il soutient que M. B. M'B. n'a pas été dûment autorisé par la famille
à soumettre une communication au Comité.
3.2 En outre, l'État partie prétend que l'auteur semble agir en tant que
représentant d'Amnesty International et qu'il ne jouit de ce fait d'aucune
qualité pour agir au regard de l'article 22 de la Convention.
Considérations concernant la recevabilité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
contre la torture doit décider si cette communication est ou n'est pas
recevable en vertu de l'article 22 de la Convention et de son règlement
intérieur.
4.2 Le paragraphe 1 de l'article 22 de la Convention stipule que "tout
État partie à la présente Convention peut, en vertu du présent article,
déclarer à tout moment qu'il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir
et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers
relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation,
par un État partie, des dispositions de la Convention" (non souligné dans le texte).
4.3 L'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 107 du règlement intérieur
du Comité dispose que "...
la communication doit être présentée par le plaignant lui-même ou par
des parents ou des représentants désignés ou par d'autres personnes au
nom d'une prétendue victime lorsqu'il appert que celle-ci est dans l'incapacité
de présenter elle-même la communication et que l'auteur de la communication
peut justifier qu'il agit au nom de la victime".
4.4 Le Comité a examiné les arguments de l'auteur et les objections de
l'État partie quant à la recevabilité de la communication, au regard
de la qualité de l'auteur pour agir. Le Comité estime en l'état actuel
des choses que l'auteur n'a pas soumis de preuves suffisantes pour établir
son droit d'agir au nom de la victime.
5. En conséquence, le Comité contre la torture décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que le Comité peut recevoir et examiner une nouvelle communication à
ce sujet soumise par toute personne dont le droit d'agir au nom de la
victime présumée est dûment établi;
c) Que l'État partie sera à nouveau invité, comme il l'a été dans la décision
du Comité du 21 avril 1994, à veiller à ce qu'il ne soit fait aucun mal
à la famille de l'auteur, à la famille de la victime présumée ainsi qu'aux
témoins et à leur famille;
d) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.