University of Minnesota


A.L.N. (nom supprimé) c. Suisse, Communication No. 90/1997, U.N. Doc. CAT/C/20/D/90/1997 (1998).


 

Présentée par : A. L. N. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

État partie : Suisse

Date de la communication : 25 juillet 1997

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 19 mai 1998,

Ayant achevé l'examen de la communication No 90/1997 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit :

 

Constations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention

1.L'auteur de la communication est A. L. N., de nationalité angolaise, né le 25 septembre 1978. Il est actuellement domicilié en Suisse, où il a demandé le statut de réfugié, et menacé de renvoi. L'auteur affirme que son expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Les faits présentés par l'auteur

2.1L'auteur affirme que son père, membre de l'União Nacional para a Independência Total de Angola (UNITA) lui a remis, le 16 février 1997, une cassette vidéo relative à des tortures et des massacres commis par le Mouvement populaire pour la libération d'Angola (MPLA) pour qu'il la dépose chez un ami. Sur cette cassette figurait une scène filmée en 1987 montrant des soldats en train de lui ébouillanter une main en présence de son père alors qu'il avait 9 ans. Il déclare que des cicatrices sont toujours visibles. Il a été arrêté en chemin au cours d'un contr_le d'identité par des soldats du MPLA, lesquels l'ont emmené à Luanda, dans un endroit inconnu où il a été battu. Ils l'ont ensuite contraint à les conduire au domicile familial dans le but d'arrêter son père. Arrivés à la maison, l'auteur a réussi à prendre la fuite, profitant d'une inadvertance des soldats. Le 19 février 1997, il a quitté le pays, muni d'un passeport d'emprunt au nom du fils d'un ami de son père, pour gagner l'Italie. Il est enfin arrivé en Suisse le 24 février 1997.

2.2 Le même jour, l'auteur a présenté une demande d'asile auprès du Centre d'enregistrement des réfugiés à Genève (CERA). Le 2 juin 1997, l'Office fédéral des réfugiés (ODR) a rejeté la demande et ordonné son renvoi, considérant que les déclarations de l'auteur ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance posées par l'article 12a de la Loi fédérale sur l'asile. L'Office a déclaré également qu'il n'y avait pas d'indices permettant de conclure que l'auteur serait de manière concrète et sérieuse exposé, en cas de retour dans son pays, à des actes de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

2.3 L'auteur a formé un recours contre cette décision auprès de la Commission de recours en matière d'asile (CRA) qui a été rejeté dans une décision du 16 juillet 1997. La Commission a considéré que l'auteur n'avait pas démontré que son retour dans son pays d'origine reviendrait à le mettre en danger. Elle précise, en outre, que l'auteur est jeune, en bon état de santé, et si l'on se réfère à ses déclarations, il est en mesure de se réinsérer à Luanda puisqu'il a déjà vécu dans cette ville où il pourrait compter sur l'aide de sa famille.

La teneur de la plainte

2. L'auteur indique qu'il est toujours recherché à cause de la cassette vidéo et qu'il craint pour son intégrité physique et psychique en cas de refoulement. Il ajoute qu'il fait partie de l'ethnie minoritaire Bakongo, et que la Commission suisse de recours en matière d'asile a reconnu elle-même que les membres de cette ethnie sont exposés à un certain nombre de dangers.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le bien-fondé de la communication

3. Le 16 octobre 1997, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial, a adressé la communication à l'État partie pour observations.

5.1 Dans une réponse datée du 15 décembre 1997, l'État partie signale que l'auteur a épuisé les voies de recours internes. La communication est donc en état d'être examinée sur le fond.

5.2 Le point essentiel de l'argumentation de l'auteur, à savoir son arrestation consécutive à la possession d'une cassette vidéo le mettant en scène alors que des soldats ébouillantaient sa main, n'a pas été relaté de manière constante au cours de ses deux auditions, d'abord au CERA, puis devant les autorités cantonales. Ses récits se sont révélés imprécis ou contradictoires tant sur la provenance de la cassette que sur la manière dont ce document aurait été tourné, ou encore sur son contenu exact.

5.3 L'auteur a déclaré que les soldats ne l'avaient pas interrogé sur la personne à qui la vidéocassette était destinée. Sur ce point également, la version de l'auteur n'est pas crédible. L'expérience démontre malheureusement que, en règle générale, lors de pareilles arrestations, la torture est précisément pratiquée dans le but d'obtenir des renseignements sur les personnes intéressées par des documents mettant en cause le régime en place.

5.4 Les circonstances entourant la fuite de l'auteur, telles qu'il les a relatées, ne sont pas non plus convaincantes. Il paraît exclu que l'auteur, escorté par cinq gardiens, ait réussi à échapper à leur surveillance avec la facilité décrite, sans même être poursuivi.

5.5 Quant aux cicatrices visibles sur sa main, les récits de l'auteur ne permettent pas de les imputer, avec le minimum de probabilité requis, à des actes de la nature de ceux proscrits par la Convention. On peut en effet tout aussi bien considérer que ces cicatrices ont pour origine un accident professionnel ou domestique, par exemple. D'autre part, l'auteur n'a présenté aucun certificat médical indiquant qu'il est encore traumatisé par cet événement, comme il le déclare dans sa communication.

5.6 L'État partie signale également qu'on ne peut pas établir de lien de causalité entre l'événement dénoncé – les sévices que les soldats du MPLA lui auraient fait subir –qui remonte à 1987, et le départ de l'auteur pour la Suisse.

5.7 En ce qui concerne la situation du pays, l'Angola ne se trouve plus dans une situation de guerre civile ou de violence généralisée depuis que le processus de paix a franchi une étape décisive avec l'instauration, le 11 avril 1997, d'un gouvernement d'unité et de réconciliation nationale. L'affirmation de l'auteur selon laquelle il aurait été arrêté puis battu par les soldats du MPLA le 16 février 1997 parce qu'il était en possession d'une cassette vidéo compromettante apparaît difficilement vraisemblable si l'on considère les démarches de réconciliation nationale entreprises par les différents groupes d'opposition, notamment par le MPLA et l'UNITA.

5.8 La CRA a considéré que d'une manière générale, l'exécution du renvoi dans les régions sous contr_le de l'UNITA ou à proximité des lignes de démarcation n'était pas raisonnablement exigible. Dans les autres régions, et en l'absence de risques spécifiques, les garanties pour un retour au pays dans la sécurité étaient suffisantes, à tout le moins dans la capitale et certaines grandes agglomérations c_tières. Les conditions de vie à Luanda, caractérisées par des difficultés sérieuses, n'étaient pas telles qu'il faille d'emblée exclure de l'exécution du renvoi, pour des raisons humanitaires, les personnes célibataires, jeunes et en bon état de santé.

5.9 Enfin, l'auteur signale qu'il appartient à une ethnie minoritaire, les Bakongos, dont la CRA aurait elle-même reconnu que ses membres sont exposés à un certain nombre de dangers. La CRA a effectivement signalé que les Bakongos, ainsi que les membres d'autres ethnies, ne pouvaient rejoindre à partir de Luanda leurs régions d'origine qu'en affrontant un certain nombre de dangers. Or, elle a signalé également que contrairement à certaines rumeurs, et en dépit de rivalités plus sociales qu'ethniques, il n'existait aucun indice que des mesures de discrimination ou de persécution aient, depuis la signature du Protocole de Lusaka, été lancées par les autorités gouvernementales ni directement ni indirectement contre des groupes de population minoritaires à Luanda, y compris les Bakongos, qui sont d'ailleurs représentés dans toutes les structures étatiques.

5.10 Le fait que les membres de cette ethnie aient précédemment séjourné à Luanda ou qu'ils y entretiennent des liens familiaux est un élément d'appréciation parmi d'autres pour admettre, ou non, une possibilité de refuge interne assurant leur intégration et leur survie économiques dans la capitale.

5.11 Dans le cas d'espèce, l'auteur n'a pas démontré que son retour dans son pays d'origine reviendrait à le mettre concrètement en danger. Il est jeune, en bon état de santé, et si l'on se réfère à ses déclarations, il est en mesure de se réintégrer à Luanda puisqu'il a déjà vécu dans cette ville où il pourra compter sur l'aide de sa famille.

5.12 Même si le Comité concluait que la situation des droits de l'homme en Angola, notamment quant au sort réservé à la minorité ethnique dont se réclame l'auteur, est grave et suscite des préoccupations, pareil constat ne suffirait pas pour admettre que ce dernier court un danger personnel d'être soumis à la torture, en l'absence de motifs supplémentaires.

5.13 Au bénéfice des considérations qui précède, l'État partie considère que le renvoi de l'auteur en Angola ne constitue pas une violation de la Convention.

Commentaires de l'auteur

6. Par lettre du 17 mars 1998, l'auteur signale que la situation en Angola est très instable et que ce pays est toujours en guerre. Une éventuelle expulsion mettrait donc en danger son intégrité physique.

Délibérations du Comité

7. Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et estime que rien ne s'oppose à ce qu'il déclare la communication recevable. L'État partie et l'auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité procède à l'examen quant au fond.

8.1 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi de l'auteur vers l'Angola violerait l'obligation de la Suisse, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

8.2 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Angola. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.3 Le Comité note que le fait d'avoir été soumis à la torture dans le passé est l'un des éléments que le Comité doit prendre en compte lorsqu'il examine une plainte pour violation de l'article 3 de la Convention, mais que le but qu'il poursuit, quand il examine la communication, est de déterminer si l'auteur risquerait d'être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays.

8.4 Dans le cas d'espèce, le Comité note que l'auteur affirme avoir été soumis à la torture en 1987 et que lors de son arrestation en février 1997, il a été battu. Il n'a cependant avancé aucun moyen de preuve, y compris des certificats médicaux, attestant des actes de torture ou de mauvais traitements ou des séquelles liées à ceux-ci. En particulier, le Comité note que l'auteur n'a fourni aucune information détaillée sur le traitement dont il a fait l'objet lors de son arrestation en février 1997, arrestation qui a motivé son départ vers la Suisse.

8.5 L'auteur fonde sa crainte d'être soumis à la torture sur le fait qu'il est toujours recherché par les soldats du MPLA à cause de la cassette vidéo. Le Comité note cependant qu'il n'a rapporté aucune preuve permettant d'affirmer que cette recherche continue. Il ne fait pas allusion non plus à la situation de sa famille, notamment de son père qui, selon l'auteur, était également recherché à cause de la cassette vidéo.

8.6 Le Comité note que la situation en Angola, dans le cadre du processus de paix, est toujours difficile, ainsi qu'il a été signalé dans un rapport récent du Secrétaire général sur la Mission d'observation des Nations Unies en Angola (MONUA). Selon ce même rapport, des violations des droits de l'homme, y compris la torture, attribuées notamment à la Police nationale, continuent à avoir lieu dans ce pays. Or, ce même rapport signale que des progrès significatifs ont été accomplis et que le Gouvernement et l'UNITA se sont mis d'accord sur des points importants qui devraient permettre d'avancer dans le processus de paix. Il semblerait donc que la situation dans le pays ne s'est pas détériorée depuis le départ de l'auteur.

8.7 Le Comité rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention, il doit exister pour le particulier concerné un risque prévisible, réel et personnel d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il est refoulé. Sur la base des considérations qui précèdent, le Comité estime qu'un tel risque n'a pas été établi.

8.8 Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les informations dont il est saisi ne prouvent pas qu'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque personnellement d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Angola.

9. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l'article 3 de la Convention.



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