E.A. (nom supprimé) c. Suisse, Communication No. 28/1995, U.N. Doc. CAT/C/19/D/28/1995 (1997).
Présentée par : E. A. (nom supprimé) (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Suisse
Date de la communication : 14 juin 1995
Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 10 novembre 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 28/1995 présentée au Comité
contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par l'auteur de la communication, son
conseil et l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la
Convention.
1. L'auteur de la communication est un citoyen turc de souche kurde, né en 1961. Il a quitté la Turquie en juillet 1990 et a demandé l'asile politique en Suisse le 23 juillet 1990. Au moment où il a présenté sa communication, il résidait en Suisse mais il a quitté ce pays le 10 août 1995 et on pense qu'il réside actuellement à Munich (Allemagne) chez des parents. Dans la communication, l'auteur déclarait que son expulsion vers la Turquie aurait constitué une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était sympathisant de l'organisation interdite Dev-Yol depuis
la fin des années 70. Il a participé à des activités de propagande jusqu'à
la fin de 1980, année où il a été arrêté par les autorités turques, est
resté en garde à vue pendant un mois et demi et a été torturé. Ultérieurement,
il a été de nouveau détenu pendant un mois pour non-comparution devant
un tribunal militaire.
2.2 En octobre 1980, l'auteur a commencé son service militaire. Le 22 avril
1983, le tribunal militaire l'a renvoyé des poursuites engagées contre
lui. L'auteur affirme qu'en dépit de cet acquittement il a continué à
être persécuté et notamment à être placé en détention pendant des périodes
de courte durée. Après le procès, il a cessé toute activité politique
publique. En juillet 1988, alors qu'il travaillait au barrage d'Atatürk,
il a été appréhendé par la police et interrogé sur les activités politiques
de ses collègues. Une semaine plus tard, il a été renversé par une jeep
de l'armée; il a eu une jambe fracturée et a été en arrêt de travail
pendant 17 mois. Selon l'auteur, il ne s'agissait en rien d'un accident;
on aurait cherché à lui faire peur.
2.3 L'auteur affirme que les activités politiques de certains membres de
sa famille lui faisaient aussi courir un danger. Il explique que son
frère aîné, emprisonné entre 1975 et 1979-1980 pour son appartenance
à l'organisation Dev-Yol, se cachait depuis et qu'il n'était plus en
contact avec lui, mais que la police lui avait demandé de se rendre au
poste pour donner des informations à son sujet environ cinq mois avant
son départ de Turquie. C'était après un nouvel appel de la police qu'il
avait pris peur et s'était résolu à quitter le pays. Sa femme et ses
enfants avaient dû quitter la ville de Cat où ils habitaient pour aller
vivre avec des parents à Mersin.
2.4 La demande de statut de réfugié présentée par l'auteur a été examinée
par l'Office fédéral des réfugiés à la lumière d'autres informations
pertinentes obtenues par l'ambassade de Suisse à Ankara. Il est apparu,
à l'issue de cet examen, que l'auteur ne courait pas personnellement
le risque d'être placé en détention ou d'être persécuté. Par décision
du 12 juillet 1994, sa demande a été rejetée. Le recours qu'il a présenté
a été examiné par la Commission de recours en matière d'asile qui a confirmé,
le 28 mars 1995, la décision qui avait été prise.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme qu'en Turquie la pratique de la torture est systématique
et que la situation des droits de l'homme n'a cessé de s'y détériorer
au cours des dernières années. Il dit qu'il risque d'être torturé à son
retour en Turquie parce qu'il est kurde, parce qu'il a été accusé d'appartenance
à un parti politique interdit et figure de ce fait sur une liste noire
et aussi parce que des membres de sa famille sont des militants politiques
et sont persécutés par les autorités. L'auteur se réfère aux déclarations
de trois militants kurdes, auxquels l'Allemagne a accordé le statut de
réfugié, qui ont affirmé que l'auteur risquerait d'être arrêté et torturé
s'il retournait dans son pays.
Considérations relatives à la recevabilité
4.1 Par note verbale du 22 décembre 1995, l'État partie a informé le Comité
que l'auteur avait quitté la Suisse le 10 août 1995 et qu'il ne relevait
plus de sa juridiction. L'État partie faisait valoir que l'auteur ne
possédait pas, au sens de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 107
du règlement intérieur du Comité, la qualité de victime requise aux fins
de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants.
4.2 Dans ses observations du 26 mars 1996, le conseil de l'auteur a fait
valoir que si l'auteur avait quitté le territoire suisse c'était parce
qu'il pensait être en danger imminent d'être renvoyé en Turquie, le Comité
n'ayant pas accédé à sa demande de prier le Gouvernement suisse, en application
du paragraphe 9 de l'article 108 du règlement intérieur, de ne pas l'expulser
tant que l'affaire serait examinée. L'auteur n'en souhaitait pas moins
maintenir sa plainte devant le Comité.
5.1 À sa seizième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
Il a noté qu'en vertu du paragraphe 1 de l'article 22 de la Convention,
il peut examiner une communication présentée par un particulier qui prétend
être victime d'une violation, par un État partie, d'une disposition de
la Convention, à condition que l'intéressé relève de la juridiction de
cet État et que ce dernier ait déclaré qu'il reconnaissait la compétence
du Comité en vertu de l'article 22.
5.2 Le Comité a constaté qu'au moment où il a soumis sa communication,
l'auteur relevait de la juridiction de l'État partie et que la communication
avait été dûment enregistrée. Le Comité n'avait pas à examiner les raisons
pour lesquelles l'auteur avait quitté le territoire de l'État partie
et il a estimé que le fait qu'il n'était plus en Suisse ne constituait
pas un motif d'irrecevabilité de la communication. En l'absence d'autres
causes d'irrecevabilité et étant donné que les recours internes avaient
été épuisés en Suisse, le Comité a conclu qu'il devait procéder rapidement
à l'examen de la communication quant au fond.
6. En conséquence, le Comité a décidé, le 8 mai 1996, que la communication
était recevable.
Observations de l'État partie quant au fond de la communication
7.1 L'État partie rappelle que la plainte de l'auteur a été dûment examinée
par l'Office fédéral des réfugiés (ODR) et par la Commission de recours
en matière d'asile (CRA) et que l'ambassade de Suisse à Ankara a été
priée d'enquêter sur certaines des allégations formulées par l'auteur.
Il note que l'auteur fonde sa plainte principalement sur le fait qu'il
était soupçonné d'appartenance à un parti politique interdit, mais que,
ces charges n'ayant pas été retenues contre lui, il a été acquitté en
1983 et n'a quitté la Turquie que sept ans plus tard.
7.2 En ce qui concerne le fond de la communication, l'État partie fait
valoir que, d'après les renseignements recueillis par son ambassade à
Ankara, l'auteur n'est pas fiché à la police, ce qui paraît logique dans
la mesure où il a été acquitté. Selon l'État partie, les déclarations
de l'auteur concernant les arrestations dont il a fait l'objet après
son acquittement sont contradictoires et divergent selon les autorités
auxquelles elles ont été faites. Quant à ses activités politiques après
1983, il n'en a jamais fait état devant l'ODR et les a évoquées pour
la première fois dans le recours qu'il a présenté à la CRA.
7.3 L'État partie estime, d'autre part, très peu probable que l'accident
dont l'auteur a été victime en 1988 ait été intentionnel étant donné
qu'il a eu lieu en plein jour, en présence de nombreux témoins et que
l'opération a échoué. L'État partie fait observer en outre qu'après avoir
déclaré tout d'abord qu'il avait été renversé par une jeep de la police,
l'auteur a ensuite affirmé qu'il s'agissait d'une jeep de l'armée. Selon
l'État partie, l'interrogatoire auquel l'auteur aurait été soumis par
la police une semaine auparavant apparaît comme une simple mesure de
routine et n'a aucun rapport avec l'accident.
7.4 En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles l'auteur a quitté
la Turquie, l'État partie note que celui-ci affirme avoir quitté la Turquie
de manière illégale grâce à un faux passeport. Or l'ambassade de Suisse
à Ankara a appris que les autorités compétentes de Tunceli lui avaient
délivré un passeport en 1991, ce que l'auteur n'a jamais indiqué. De
l'avis de l'État partie, si l'auteur avait vraiment fui la Turquie dans
les conditions qu'il a décrites, les autorités turques ne lui auraient
pas délivré un nouveau passeport.
7.5 L'auteur affirme en outre que des proches parents à lui, actifs sur
le plan politique, sont recherchés par la police et qu'il risque par
conséquent d'être torturé à son retour en Turquie. De l'avis de l'État
partie, il est difficile de croire que les autorités turques puissent
penser que l'auteur est resté en contact étroit avec son frère après
un séjour à l'étranger de cinq ans. L'État partie fait observer en outre
que le frère de l'auteur a été effectivement arrêté le 4 avril 1985 en
possession d'une fausse carte d'identité mais qu'il a été relâché par
la suite, ce qui semble indiquer qu'il n'est pas recherché par les autorités.
7.6 Quant aux activités politiques de l'auteur lui-même, l'État partie
note qu'elles remontent à plus de sept ans et qu'il a été jugé pour ces
motifs et acquitté. Il constate que l'organisation Dev-Yol ne se manifeste
plus de manière active et ne constitue plus un centre d'intérêt pour
les forces de sécurité turques.
7.7 L'État partie renvoie au texte de l'article 3 de la Convention et fait
observer qu'il n'implique pas qu'il y a automatiquement risque de torture
lorsque des violations des droits de l'homme ont lieu régulièrement dans
le pays concerné mais signifie seulement qu'il faut tenir compte de cette
situation pour déterminer si un tel risque existe. Le risque doit être
concret, c'est-à-dire que le requérant doit être directement menacé,
et sérieux, c'est-à-dire qu'il doit être très plausible. Compte tenu
de ces critères, l'État partie est d'avis que l'auteur de la communication
n'a pas prouvé qu'il existait des motifs sérieux de penser qu'il courrait
ce risque si jamais il retournait en Turquie.
7.8 L'auteur fait par ailleurs référence à la situation générale des Kurdes
en Turquie, ce qui pour l'État partie n'est pas en soi une preuve qu'il
serait exposé à un risque concret et sérieux. En outre, l'auteur pourrait
s'établir en Turquie ailleurs qu'à Tunceli s'il estime qu'il serait en
danger dans cette région. À ce propos, l'État partie rappelle que la
femme et les enfants de l'auteur vivent à présent à Mersin.
7.9 Enfin, l'État partie rappelle que la Turquie est partie à la Convention
contre la torture et a reconnu également la compétence du Comité pour
examiner des communications individuelles en vertu de l'article 22 de
la Convention. Selon lui, la constatation par le Comité d'une violation
de la Convention en l'espèce aurait des conséquences graves et paradoxales.
Commentaires du conseil sur les observations de l'État partie
8.1 Le conseil fait valoir que l'existence dans un pays d'un ensemble de
violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou
massives donne à penser qu'un risque de torture existe. À ce propos,
il note que l'État partie ne conteste pas l'existence de telles violations
systématiques des droits de l'homme en Turquie.
8.2 En outre, renvoyant à sa communication initiale, le conseil soutient
qu'il a des raisons individuelles de penser que l'auteur risquerait d'être
torturé. Il note à cet égard que l'État partie s'appuie sur des informations
communiquées par l'ambassade de Suisse à Ankara. Or, d'après lui, il
a été démontré à plusieurs occasions que les informations fournies par
cette ambassade étaient erronées et il conteste par conséquent la fiabilité
des renseignements fournis dans le cas de l'auteur.
8.3 Le conseil rappelle également que l'auteur est originaire de Tunceli
et que même les autorités suisses estiment qu'aucun requérant d'asile
ne devrait être renvoyé dans cette région de la Turquie en raison de
la violence qui y règne. Dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire
de l'auteur, la CRA a estimé que l'auteur pourrait retourner en toute
sécurité dans d'autres régions de la Turquie. D'après le conseil, la
CRA a depuis modifié sa jurisprudence et considère à présent qu'il n'existe
pas de lieu sûr pour les personnes originaires de Tunceli étant donné
que la province d'origine est toujours indiquée sur les cartes d'identité
et que Tunceli est considérée en Turquie comme une région favorable au
PKK; en conséquence, les personnes qui en sont originaires courent des
risques particuliers lors des contr_les d'identité.
8.4 En réponse à l'argument de l'État partie selon lequel une constatation
de violation conduirait à une situation paradoxale étant donné que la
Turquie est partie à la Convention contre la torture, y compris l'article
22, le conseil signale que le fait que la Turquie ait ratifié la Convention
et reconnu la compétence du Comité pour examiner des plaintes individuelles
ne dispense pas la Suisse d'appliquer l'article 3.
Nouvelles observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
9.1 Dans de nouvelles observations, l'État partie explique que les informations
erronées que l'ambassade reconnaît avoir fournies dans le passé portaient
sur des cas dans lesquels il était affirmé qu'une personne n'était pas
en possession d'un passeport et que cela n'a rien à voir avec les informations
fournies par la même ambassade au sujet de l'auteur. D'après l'État partie,
la CRA a estimé que les renseignements communiqués par l'ambassade étaient
tout à fait fiables. L'État partie fait observer en outre que les renseignements
fournis par ses représentations à l'étranger ne constituent qu'un des
éléments parmi d'autres sur lesquels les autorités fondent leurs décisions.
9.2 En ce qui concerne Tunceli, l'État partie reconnaît que la CRA a effectivement
rendu une décision dans laquelle il est dit que les personnes originaires
de Tunceli courent de ce fait des risques particuliers lors de contr_les
d'identité. Toutefois, il fait valoir que le seul fait que l'auteur soit
originaire de Tunceli ne suffit pas pour conclure qu'il ne peut pas vivre
en sécurité dans une autre ville de Turquie. Il signale à ce propos que
des milliers de Kurdes se sont établis ces dernières années dans l'ouest
de la Turquie, et que dans la seule ville d'Istanbul on en dénombre plus
de 3 millions.
10.1 Le conseil note que l'État partie n'a pas contesté que son ambassade
à Ankara ait fourni dans le passé des informations erronées, et soutient
que ces fausses informations ne concernaient pas seulement des déclarations
concernant la délivrance de passeports. Il se réfère à un rapport publié
par l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, dans lequel il est dit
que, même s'il est incontestable que les renseignements fournis par l'ambassade
sont fiables dans la plupart des cas, des erreurs sont toujours possibles
et qu'il existe même une liste des cas dans lesquels les informations
fournies par l'ambassade se sont révélées par la suite erronées. Le conseil
renvoie également aux constatations du Comité concernant la communication
No 21/1995 (Ismail Alan c. Suisse) dans lesquelles le Comité a conclu
que le renvoi en Turquie constituerait une violation de l'article 3 de
la Convention, bien que l'ambassade de Suisse à Ankara ait indiqué que
l'auteur n'était pas recherché par la police et n'était pas frappé d'une interdiction
de sortie du territoire.
10.2 Le conseil explique que c'est un fonctionnaire de l'ODR accrédité
auprès du Ministère des affaires étrangères qui est chargé de faire les
recherches dont les résultats sont transmis par l'ambassade. Selon lui,
les autorités turques ne fourniraient certainement aucune information
qui pourrait nuire à leurs intérêts. Étant donné que la plupart de ces
renseignements doivent être considérés comme ayant été recueillis illégalement,
c'est-à-dire sans base légale internationale, ils doivent, de l'avis
du conseil, être envisagés avec circonspection.
10.3 Le conseil indique que les Kurdes originaires de Tunceli n'ont pas
réellement la possibilité de s'établir ailleurs en Turquie, et qu'ils
sont victimes de violations des droits de l'homme également dans l'ouest
de la Turquie. Il renvoie aux constatations du Comité concernant la communication
No 21/1995 (Ismail Alan c. Turquie) dans lesquelles le Comité a estimé
que, dans la mesure où la police recherchait l'auteur, il était peu probable
qu'il existe en Turquie un lieu «sûr» pour lui.
10.4 Enfin, le conseil fait valoir que la situation des droits de l'homme
en Turquie ne s'est pas améliorée et que, dans son rapport annuel de
1996, Amnesty International signale que la torture continue à y être
régulièrement pratiquée, comme l'a d'ailleurs reconnu le Comité lui-même.
Le conseil se réfère également à un arrêt du Tribunal fédéral suisse
du 11 septembre 1996, relatif à une extradition vers la Turquie, dans
lequel le Tribunal a estimé que de graves violations des droits de l'homme
se produisent en Turquie, et que l'extradition ne devrait par conséquent
avoir lieu que sous réserve de certaines assurances.
Examen quant au fond
11.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements
que les parties lui ont communiqués, conformément au paragraphe 4 de
l'article 22 de la Convention.
11.2 Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l'article
3, s'il y a des motifs sérieux de croire que M. E. A. risquerait d'être
soumis à la torture s'il retournait en Turquie. Pour ce faire, le Comité
doit prendre en compte toutes les considérations pertinentes, conformément
au paragraphe 2 de l'article 3, notamment l'existence d'un «ensemble
de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives». Toutefois, le but de cet exercice doit être de déterminer
si la personne concernée risquerait personnellement d'être soumise à
la torture dans le pays où elle retournerait. Il s'ensuit que l'existence,
dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes
ou massives des droits de l'homme ne constitue pas, en soi, un motif
suffisant pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la
torture à son retour dans ce pays; il doit y avoir des raisons supplémentaires
de penser que cette personne serait personnellement en danger. De même,
l'absence
d'un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de
l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme
risquant d'être soumise à la torture dans sa situation particulière.
11.3 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel
le risque couru par la personne concernée doit être «sérieux», c'est-à-dire
très plausible. Le Comité n'accepte pas cette interprétation; il estime
que, si l'expression «motif sérieux» utilisée à l'article 3 implique
qu'il doit y avoir plus qu'une simple éventualité que l'intéressé risque
la torture, il n'est pas pour autant nécessaire que la torture soit hautement
plausible pour que les conditions énoncées dans cet article soient réunies.
11.4 En l'espèce, le Comité note que les activités politiques de l'auteur
remontent au début des années 80, époque à laquelle il a été arrêté,
torturé, jugé et acquitté. L'auteur lui-même indique qu'il n'a pas repris
ses activités et, bien qu'il ait été interrogé par la police à deux reprises
(une première fois en 1988 et une autre cinq mois avant son départ),
rien n'indique que la police ait l'intention de l'arrêter. À cet égard,
le Comité constate également que l'auteur n'a pas apporté la preuve qu'il
avait été délibérément renversé par une jeep en 1988 et que ce n'était
pas un simple accident. Il note par ailleurs que l'auteur n'a pas contesté
l'affirmation de l'État partie selon laquelle les autorités de Tunceli
lui avaient délivré un passeport en 1991, et que rien ne porte à croire
que la police le recherche actuellement.
11.5 Le Comité est conscient de la grave situation des droits de l'homme
qui règne en Turquie, mais il rappelle qu'aux fins de l'article 3 de
la Convention, il faut qu'une personne coure un risque prévisible, réel
et personnel d'être torturée dans le pays où elle est renvoyée. Compte
tenu des considérations qui précèdent, le Comité est d'avis que ce risque
n'a pas été établi.
11.6 Le Comité estime qu'il ne ressort pas des informations dont il dispose
qu'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait personnellement
d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Turquie.
12. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, est d'avis que les faits tels qu'ils
ont été établis ne font pas apparaître de violation de l'article 3 de
la Convention.