University of Minnesota


J.U.A. (nom supprimé) c. Suisse, Communication No. 100/1997, U.N. Doc. CAT/C/21/D/100/1997 (1998).


 

Présentée par : J. U. A. (Nom supprimé)

(représenté par avocat)

Au nom de : L'auteur

État partie : Suisse

Date de la communication : 6 décembre 1997

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 10 novembre 1998,

Ayant achevé l'examen de la communication No 100/1997 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit :

 

Constatations au titre du paragraphe 7

de l'article 22 de la Convention

 

1. L'auteur de la communication est J. U. A., citoyen nigérian né en 1968. Il est actuellement domicilié en Suisse où il a demandé l'asile et est menacé de renvoi. Il affirme que son expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Les faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur affirme qu'il est membre du mouvement d'opposition NADECO (National Democratic Coalition). En 1994, il a fait partie d'un comité d'action contre le déroulement de la Coupe du monde junior de football qui devait avoir lieu à Lagos et qui constituait, à ses yeux, un acte de propagande politique de la part du gouvernement en place au Nigéria. Dans ce contexte, il a pris contact avec des personnalités et dirigeants universitaires en vue d'organiser des manifestations dans plusieurs villes, y compris Enugu, ville où il a grandi. En février 1995, un policier ami de son père l'a averti que la police à Lagos avait délivré un mandat d'arrêt contre lui pour son action contre l'organisation du championnat. Ayant appris cette nouvelle, l'auteur qui résidait normalement à Lagos, s'est rendu à Epe, ville où il s'est caché pendant quelques mois jusqu'à son départ pour l'Europe.

2.2 Le 14 août 1995, l'auteur a déposé une demande d'asile en Suisse qui a été rejetée le 28 mai 1996 par l'Office fédéral des réfugiés (ODR). Le 23 septembre 1997, son appel a été rejeté par la Commission suisse de recours en matière d'asile (CRA). Un recours en révision déposé le 6 novembre 1997, a été rejeté par la CRA le 18 novembre 1997.

2.3 A titre de preuve l'auteur a produit le mandat d'amener qui avait été délivré contre lui, document qu'il déclare avoir reçu du Nigéria. Les autorités suisses ont considéré que ce document était un faux. L'auteur prétend qu'il n'avait pas connaissance de ce fait et signale qu'il a été acquitté par une cour de district de St. Gall du chef de falsification de documents. Il signale également que les autorités suisses n'ont jamais pris contact avec aucune des personnes avec lesquelles il avait travaillé pour préparer les manifestations au Nigéria ni avec le policier mentionné ci-dessus, malgré le fait qu'il a donné le nom et l'adresse de celui-ci. Par ailleurs, il n'a pas eu accès au rapport établi par l'ambassade suisse à Lagos concernant son cas, dont il n'a reçu qu'un résumé. Enfin, il maintient que, lors de ses deux interrogatoires avec les autorités suisses d'immigration il a donné la même version des faits qui ont motivé son départ du Nigéria.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur fait valoir que depuis 1991 les autorités suisses n'ont accordé l'asile à aucun demandeur originaire du Nigéria, alors qu'une centaine de demandes sont présentées chaque année. Il affirme qu'au Nigéria les prisonniers sont systématiquement torturés et que les demandeurs d'asile déboutés sont arrêtés dès leur retour. Compte tenu des événements qu'il a vécu au Nigéria et des activités en faveur des droits de l'homme dans ce pays qu'il a entreprises en Suisse, notamment ses écrits dans les publications "Planetá", "Ostschweiz" et le journal "St. Galler Tagblatt", ainsi que sa participation à diverses manifestations, il court le risque d'être poursuivi par les autorités nigérianes en cas de retour dans son pays. Il serait selon toute vraisemblance arrêté et vivrait sous la menace de la torture.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le bien-fondé de la communication

4.1 Dans une lettre du 19 février 1998, l'État partie informe le Comité qu'à la suite de la demande formulée par celui-ci en application du paragraphe 9 de l'article 108 de son Règlement intérieur, les autorités ont décidé de surseoir à l'exécution du renvoi de l'auteur tant que sa communication sera pendante devant le Comité. L'État partie signale aussi que l'auteur a épuisé les voies de recours internes et ne conteste pas la recevabilité de la communication.

4.2 En ce qui concerne le fond, l'État partie signale que l'auteur a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par l'ODR du fait notamment qu'il n'avait pas réussi à rendre crédible son appartenance à la NADECO. La CRA a également rejeté le recours ainsi que la demande de révision en considérant que les allégations de l'auteur, relatives notamment aux motifs de départ de son pays d'origine, ne répondaient pas aux exigences de vraisemblance requises et qu'il n'existait pas en l'espèce de crainte fondée pour l'auteur d'être poursuivi par les autorités nigérianes en raison de ses activités politiques en exil.

4.3 À la suite de la décision de rejet de la demande d'asile par l'ODR, en particulier au motif que les allégations concernant les recherches policières dont il serait l'objet reposeraient sur deux faux mandats d'arrêt, une procédure pénale a été engagée par les autorités du canton de St. Gall pour faux dans les titres. Cette procédure a abouti à l'acquittement de l'intéressé. Or, dans son jugement d'acquittement, le tribunal a considéré notamment que la preuve de l'absence d'authenticité des documents n'avait pas été apportée. Le tribunal a en particulier constaté qu'il lui manquait du matériel comparatif pour se déterminer et a estimé que la procédure de l'ODR, qui n'avait pas recouru à un expert indépendant, ne remplissait pas les exigences du droit pénal.

4.4 L'État partie fait valoir que les exigences de preuves sont différentes en procédure pénale et en procédure administrative et que le jugement pénal du tribunal de district ne constate nullement l'authenticité des documents en question. Ce jugement n'est que sommairement motivé. Il n'en ressort aucunement pour quels motifs le tribunal s'est écarté des constatations de l'ODR quant aux nombreux indices de falsification. La procédure adoptée par l'ODR dans le cas d'espèce est tout à fait habituelle et conforme à la loi, à la jurisprudence et à la pratique. Elle est basée sur l'expérience et les connaissances de l'Office qui a à sa disposition sa propre documentation sur les pays de provenance des requérants d'asile.

4.5 Les arguments développés par l'auteur devant le Comité ont déjà été invoqués devant les autorités suisses et ont fait l'objet d'examen de la part de l'ODR et la CRA. En premier lieu, l'auteur a tenté de prouver l'existence des recherches policières au moyen de deux mandats d'arrêt qui, de l'avis de l'ODR, sont des faux. Deuxièmement, pour appuyer sa crainte d'arrestation, il a fourni une liste de membres de la NADECO, où figure son nom, qui auraient été arrêtés, alors qu'il s'est avéré selon les renseignements obtenus par l'ambassade de Suisse à Lagos, que cette liste n'était pas conforme à la réalité. En effet, la plupart des personnes figurant sur cette liste et prétendument détenues selon l'auteur ne le sont pas. Selon ces mêmes renseignements, le nom de l'auteur n'est pas connu des cercles proches de la NADECO et il n'est pas non plus recherché par la police. En outre, l'auteur n'a produit aucun document de légitimation officiel fiable dans la procédure d'asile, ce qui a pour conséquence que son identité n'est pas établie avec certitude.

4.6 Au surplus, plusieurs contradictions ont été relevées dans les déclarations de l'auteur. Par exemple, quant à l'endroit où il se serait caché avant de quitter son pays, à savoir Epe Town, il existe deux versions différentes sur sa localisation géographique, tantôt à Lagos, tantôt près d'Enugu, alors que ces deux villes sont distantes de 500 km.

4.7 L'auteur fait également valoir les risques de persécution qu'il encourt en raison de son engagement en faveur du respect des droits de l'homme au Nigéria, activités politiques qu'il a eues depuis qu'il est en Suisse. L'État partie est d'avis cependant qu'il n'y a aucun motif suffisant permettant de penser que les autorités nigérianes aient leur attention particulièrement attirée sur de telles opinions, voire aient la volonté de poursuivre l'auteur sur cette base, vu le contenu anodin de ses prises de position comparé aux critiques exprimées par la presse nigériane ou par l'opposition en exil à l'encontre du régime, si tant est qu'elles aient connaissance des publications de l'auteur, compte tenu du tirage peu important des journaux en question.

4.8 Enfin, l'argument consistant à prétendre que les requérants d'asile nigérians, d'une manière générale, et l'auteur en sa qualité de requérant d'asile, en particulier, sont arrêtés à leur retour n'est pas fondé, selon les informations fiables à la disposition des autorités suisses en matière d'asile. Il n'a été rapporté aucun cas sérieusement établi qui puisse appuyer la thèse selon laquelle les requérants d'asile déboutés seraient systématiquement persécutés au seul motif du dépôt d'une demande d'asile.

4.9 Dès lors, l'État partie est d'avis, après un examen minutieux du cas particulier et de la situation dans le pays d'origine, qu'il n'y a pas de motifs sérieux de croire que l'intéressé risque d'être soumis à la torture en cas de retour au Nigéria.

Commentaires de l'auteur

5.1 L'auteur insiste sur le fait que, malgré la brutalité du régime politique au Nigéria, les autorités suisses ont rejeté systématiquement toute demande d'asile de citoyens nigérians depuis au moins sept ans. Quant aux contradictions dans ses dépositions il a toujours déclaré qu'il s'était rendu à Epe après avoir pris connaissance du mandat d'arrêt, ce qui confirme sa crédibilité.

5.2 Il n'est pas établi que les documents qu'il a présentés aient été falsifiés. Le jugement du tribunal de district est motivé sommairement parce que le tribunal a proposé à l'auteur de renoncer à une motivation détaillée, mais la procédure n'a pas été instruite en forme sommaire.

Délibération du Comité

6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et estime que rien ne s'oppose à ce qu'il déclare la communication recevable. L'État partie et l'auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité procède à l'examen quant au fond.

6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi de l'auteur vers le Nigéria violerait l'obligation de l'État partie, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

6.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Nigéria. Pour prendre cette décision le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

6.4 Dans le cas d'espèce, le Comité note d'une part que l'auteur n'a pas été arrêté dans le passé et qu'il n'a jamais été soumis à des tortures. D'autre part, ce dernier n'a pas non plus dénoncé le fait que des personnes de son entourage ou celles ayant participé aux événements qui, selon lui, étaient à l'origine de son départ du pays, aient été arrêtées ou torturées. Ensuite, il n'a pas été clairement établi que l'auteur soit toujours recherché par la police nigériane et que le mandat d'arrêt qu'il a fourni comme preuve soit un document authentique. Enfin, l'auteur n'a pas cité de cas précis de personnes qui auraient été torturées au Nigéria après avoir été déboutées des pays où elles avaient demandé l'asile.

6.5 Le Comité note avec préoccupation les nombreux rapports faisant état de violations des droits de l'homme, y compris le recours à la torture, au Nigéria mais rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention il doit exister dans le pays vers lequel une personne est renvoyée un risque prévisible, réel et personnel pour celle-ci d'être torturée. Compte tenu des considérations ci-dessus, le Comité estime que l'existence d'un tel risque n'a pas été établie.

6.6 Sur la base des considérations qui précèdent, le Comité considère que les informations dont il est saisi ne prouvent pas qu'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque personnellement d'être soumis à la torture s'il est renvoyé au Nigéria.

7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l'article 3 de la Convention.



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