University of Minnesota


S.M.R. et M.M.R. (noms supprimés) c. Suède, Communication No. 103/1998, U.N. Doc. CAT/C/22/D/103/1998 (1999).


 

Présentée par : S.M.R. et M.M.R. (noms supprimés)

[représentés par un conseil]

Au nom de : Les auteurs

État partie : Suède

Date de la communication : 5 novembre 1997

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 mai 1999,

Ayant achevé l'examen de la communication No 103/1998 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui on été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit :

 

Constatations au titre du paragraphe 7

de l'article 22 de la Convention

 

1. Les auteurs de la communication sont S.M.R., son mari M.M.R. et leurs deux enfants. Les auteurs, de nationalité iranienne, résident actuellement en Suède, où ils ont demandé le statut de réfugié. S.M.R. et M.M.R. affirment qu'ils risqueraient d'être emprisonnés et torturés à leur retour en République islamique d'Iran et qu'en les renvoyant contre leur gré dans ce pays, la Suède violerait la Convention. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs déclarent que S.M.R. a milité au sein de l'organisation illégale des moudjahidin. Ses activités politiques lui ont valu d'être emprisonnée à deux reprises par les autorités iraniennes. Elle a été arrêtée une première fois en 1982 et a passé quatre ans à la prison d'Evin-Ghezelhesar. Elle a été remise en liberté en mai 1986, lorsque les autorités ont révisé des peines prononcées antérieurement. À l'époque de sa libération, les moudjahidin ont lancé une offensive militaire, et elle a été de nouveau arrêtée en août 1986, en même temps que d'autres militants dont les autorités iraniennes considéraient qu'ils constituaient une menace. Elle a été remise en liberté en mai 1990, faute de preuves, mais elle a dû, pendant les six mois suivants, se présenter régulièrement devant les autorités.

2.2 S.M.R. a subi des mauvais traitements et des tortures pendant sa détention, en particulier lorsqu'elle purgeait sa première peine d'emprisonnement. Elle déclare avoir été frappée sur la plante des pieds et fouettée à deux reprises, jusqu'à perdre connaissance et souffrir d'hémorragie rénale. Elle a été hospitalisée pendant deux jours, puis renvoyée à la prison. Elle déclare également avoir été soumise à un simulacre d'exécution.

2.3 En 1991, S.M.R. a repris ses activités aux c_tés des moudjahidin. Elle était membre d'un groupe de quatre militantes politiques qui se réunissaient trois fois par semaine à son domicile pour confectionner des tracts pour le compte des moudjahidin. Le groupe se réunissait toujours au domicile de S.M.R. parce que son mari, en raison de sa profession, possédait une machine à écrire dont les militantes se servaient pour taper les tracts. Les auteurs affirment cependant que M.M.R. n'était pas au courant des activités politiques de sa femme.

2.4 S.M.R. et ses enfants sont arrivés en Suède le 21 juillet 1995, munis d'un passeport valide, pour assister au mariage d'un parent. Elle déclare qu'à l'époque elle avait l'intention de retourner en Iran. Pendant son séjour en Suède, elle a appris que son époux, qui n'était pas un militant politique, avait été arrêté en août 1995 par la police iranienne chargée de la sécurité et interrogé sur les activités politiques de son épouse. La police l'avait informé que les autres femmes membres du groupe politique au sein duquel S.M.R. militait avaient été arrêtées et que l'une d'elles avait donné le nom de son épouse. La police avait aussi effectué une perquisition au domicile familial et confisqué la machine à écrire qui avait servi à taper les tracts. S.M.R. a alors décidé de ne pas retourner en Iran, où, prétend-elle, elle court le risque d'être de nouveau emprisonnée et torturée.

2.5 S.M.R. et ses deux enfants ont demandé l'asile le 30 novembre 1995. La demande a été rejetée par le Conseil national de l'immigration le 30 janvier 1996. Le 25 novembre 1996, la Commission de recours des étrangers l'a déboutée de son appel. Suite à une requête présentée par S.M.R., la Commission de recours des étrangers a décidé, le 5 mars 1997, de surseoir à l'expulsion jusqu'à ce qu'elle se prononce sur la demande d'asile présentée par son époux.

2.6 Après avoir quitté l'Iran illégalement en recourant aux services de passeurs, M.M.R. est arrivé en Suède le 6 novembre 1996 et a immédiatement demandé asile. Sa mère restée en Iran lui a dit par la suite que la police suédoise avait informé les autorités iraniennes qu'il avait quitté illégalement le pays. Il risquait désormais d'être emprisonné à son retour en Iran.

2.7 Le Conseil national de l'immigration a rejeté la demande d'asile de M.M.R. le 23 avril 1997. Le 27 octobre 1997, la Commission de recours des étrangers l'a débouté de son appel. Suite au rejet de la demande d'asile présentée par M.M.R., la Commission de recours des étrangers a annulé le sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion contre S.M.R. et ses enfants.

Teneur de la plainte

3.1 Étant donné que S.M.R. a été emprisonnée et torturée par le passé et que le Gouvernement iranien est au courant de ses activités politiques récentes, les auteurs affirment qu'il y a des motifs sérieux de croire que S.M.R., son époux et leurs enfants seraient soumis à la torture s'ils retournaient en Iran. Si la Suède les renvoyait dans ce pays contre leur gré, elle violerait la Convention.

3.2 Les auteurs appellent l'attention du Comité sur le fait que ni le Conseil national de l'immigration ni la Commission de recours des étrangers n'ont mis en doute le fait que S.M.R. avait milité au sein de l'organisation des moudjahidin et qu'elle avait été par le passé emprisonnée et torturée.

Observations de l'État partie

4.1 Dans une lettre datée du 21 avril 1998, l'État partie a informé le Comité qu'à la suite de la demande formulée par celui-ci en application du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur, le Conseil national de l'immigration avait décidé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion contre les auteurs, tant que le Comité resterait saisi de leur communication.

4.2 L'État partie a expliqué la procédure interne applicable en matière d'octroi du statut de réfugié. Il a souligné que conformément à la loi sur les étrangers, un étranger ne pouvait être renvoyé dans un pays où il y a des motifs raisonnables de croire qu'il risquerait d'être soumis à la peine capitale ou à des châtiments corporels, ou à la torture ou à d'autres traitements ou peines inhumains ou dégradants, ni dans un pays où il n'aurait aucune garantie de ne pas être envoyé dans un autre pays où il serait exposé à un tel risque. Un étranger qui n'est pas admis en Suède peut solliciter un permis de séjour s'il invoque des circonstances qui n'avaient pas été prises en compte auparavant en l'occurrence, s'il est fondé à obtenir l'asile en Suède ou si l'exécution de la décision de ne pas l'admettre sur le territoire ou de l'expulser serait incompatible avec le respect des principes humanitaires.

4.5 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l'État partie affirme qu'à sa connaissance, la même affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il précise que les auteurs peuvent à tout moment déposer à la Commission de recours des étrangers une nouvelle demande de réexamen de leur affaire en invoquant des faits nouveaux. Enfin, il soutient que, quant au fond, la communication devrait être déclarée irrecevable car elle est incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.6 S'agissant du fond de la communication, l'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité dans les affaires Mutumbo c. Suisse Communication No 13/1993, (CAT/C/12/D/13/1993), constations adoptées le 27 avril 1994. et Tapia Paez c. Suède Communication No 39/1996 (CAT/C/18/39/1996), constatations adoptées le 7 mai 1997. et aux critères établis par le Comité à propos de l'article 3 de la Convention : premièrement, une personne doit elle-même risquer d'être soumise à la torture et, deuxièmement, la torture doit être une conséquence nécessaire et prévisible du renvoi de cette personne dans son pays.

4.7 L'État partie rappelle que pour déterminer si l'article 3 de la Convention s'applique, il faut tenir compte des éléments suivants : a) la situation générale des droits de l'homme dans le pays concerné, encore que l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne soit pas en soi déterminante; b) le fait que l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé; c) le risque que court l'intéressé d'être soumis à la torture doit être une conséquence prévisible et nécessaire de son renvoi. L'État partie rappelle également que le simple fait qu'une personne puisse être soumise à la torture dans son pays d'origine ne constitue pas un motif suffisant pour conclure que son refoulement serait incompatible avec l'article 3 de la Convention.

4.8 L'État partie sait que la République islamique d'Iran est le théâtre de violations des droits de l'homme, y compris d'exécutions extrajudiciaires et sommaires et de disparitions, et que la torture et d'autres traitements dégradants y sont des pratiques fréquentes.

4.9 Pour ce qui est de déterminer si l'auteur courrait ou non personnellement le risque d'être soumis à la torture s'il était refoulé vers l'Iran, l'État partie s'appuie sur l'évaluation des faits et des éléments de preuve à laquelle le Conseil national de l'immigration et la Commission de recours des étrangers ont procédé. Aucun de ces deux organismes n'a trouvé de raisons de mettre en doute le fait que S.M.R. a été une militante politique pour le compte des moudjahidin et qu'elle a été emprisonnée dans les années 80. Les autorités suédoises ont cependant constaté que certains éléments fournis par les auteurs quant aux activités politiques récentes de S.M.R. et les circonstances entourant son départ d'Iran jettent des doutes sur leur crédibilité.

4.10 Dans sa décision du 30 janvier 1996, le Conseil national de l'immigration a noté que S.M.R. avait été remise en liberté en 1990 faute de preuves. S'agissant de ses activités politiques après sa remise en liberté, le Conseil a considéré qu'il était improbable que le groupe politique dont elle affirmait avoir été membre se soit réuni et ait confectionné des tracts trois fois par semaine à son domicile à l'insu de son époux. Le Conseil a considéré également qu'il était improbable que les autorités iraniennes la recherchent parce qu'une machine à écrire avait été trouvée chez elle. Quant aux circonstances de son départ d'Iran, le Conseil a noté que S.M.R. avait pu obtenir un passeport iranien en 1993 et qu'elle avait quitté l'Iran en toute légalité. C'est un élément de plus qui donne à penser que les autorités iraniennes ne s'intéressaient pas à elle. En outre, le Conseil a souligné qu'elle avait attendu quatre mois en Suède avant de déposer une demande d'asile.

4.11 Le 25 novembre 1996, la Commission de recours des étrangers a débouté S.M.R. et ses enfants de leur appel, sa conclusion s'ajoutant à celles du Conseil national de l'immigration, étant donné qu'elle n'avait déposé une demande d'asile que trois mois après avoir appris, d'après ses dires, que les autorités la recherchaient en Iran. De l'avis de la Commission, l'explication qu'elle avait donnée, à savoir qu'elle n'avait pas pris conscience jusqu'alors du vif intérêt que les autorités lui portaient, n'était pas convaincante. Ce délai à lui seul porte donc à douter qu'elle ait besoin de protection en Suède. La Commission ajoute que S.M.R. non seulement a pu obtenir un passeport iranien en 1993, mais encore qu'elle a pu quitter le pays à plusieurs reprises, ce qui montre que les autorités iraniennes ne lui portaient pas un intérêt particulier. De plus, la Commission n'a pas jugé crédible ses affirmations selon lesquelles elle s'était rendue en République arabe syrienne à la demande des autorités pour prouver qu'elle était une authentique musulmane. La Commission a estimé qu'elle essayait par là plut_t d'expliquer les cachets de sortie apposés sur son passeport.

4.12 Le Conseil national de l'immigration a rejeté la demande d'asile de M.M.R. le 23 avril 1997. Il a noté que les motifs avancés à l'appui de sa demande d'asile avaient un rapport avec les activités politiques de son épouse en Iran, activités dont il n'avait pas été jugé qu'elles étaient de nature à justifier la protection de celle-ci en Suède. L'argument de M.M.R. selon lequel il risquait d'être emprisonné pour avoir quitté l'Iran sans visa n'a pas été retenu comme constituant un motif justifiant l'octroi d'une protection.

4.13 La Commission de recours des étrangers a débouté M.M.R. de son appel le 27 octobre 1997. La Commission a noté qu'en septembre 1996, c'est-à-dire après la détention dont il aurait fait l'objet en août 1995, il avait obtenu un passeport valide et l'autorisation de quitter le pays. La Commission en a conclu que les autorités iraniennes ne lui portaient pas à cette époque un intérêt particulier. La Commission a noté aussi qu'à son entrée en Suède, il avait déclaré n'avoir eu aucun problème d'ordre politique en Iran.

4.14 L'État partie réaffirme qu'il ne met pas en doute les arguments de S.M.R. concernant son emprisonnement et les mauvais traitements qu'elle a subis par le passé. En revanche, il doute que S.M.R. ait eu des activités politiques depuis 1991 comme elle l'a prétendu et qu'elle risque par conséquent d'être torturée si elle retourne maintenant en Iran. À ce propos, l'État partie relève dans le récit des auteurs plusieurs faits et éléments qui jettent des doutes sur les activités politiques que S.M.R. aurait eues ces dernières années.

4.15 Premièrement, l'État partie affirme que, selon des informations dignes de foi dont le Gouvernement dispose, les moudjahidin n'opèrent depuis plusieurs années qu'à l'extérieur de l'Iran. En conséquence, il ne se peut pas que des tracts soient confectionnés et distribués en Iran pour le compte des moudjahidin. Par cette seule circonstance, la déclaration de S.M.R. concernant ses activités politiques n'est pas crédible.

4.16 L'État partie souligne aussi les conclusions du Conseil national de l'immigration et de la Commission de recours des étrangers concernant les passeports dont les auteurs sont détenteurs. S.M.R. était en possession d'un passeport iranien et d'un visa valides lorsqu'elle est entrée en Suède. Elle avait obtenu un passeport en 1993 et, selon les cachets qui y sont apposés, elle avait quitté l'Iran à plusieurs reprises avant de se rendre en Suède. Lors de la première enquête effectuée à la suite de sa demande d'asile, S.M.R. a déclaré qu'elle avait remis son passeport aux autorités en 1995 pour que son plus jeune enfant y soit enregistré. Elle a déclaré également que lorsqu'elle avait sollicité un nouveau passeport, les autorités lui avaient demandé de se rendre en Syrie pour prouver qu'elle était une authentique musulmane. L'État partie constate, conformément aux conclusions du Conseil national de l'immigration et de la Commission de recours des étrangers, que cette déclaration n'est pas crédible et qu'elle a été forgée de toutes pièces pour expliquer les cachets de sortie du territoire apposés sur son passeport. Ces faits contredisent l'affirmation de S.M.R. selon laquelle les autorités iraniennes lui portaient un intérêt tout particulier au moment de son départ. L'État partie souligne par ailleurs que M.M.R., après avoir été, selon ses dires, détenu en août 1995, est demeuré en Iran pendant plus d'un an, qu'il a obtenu un passeport valide et qu'il a déclaré à son entrée en Suède qu'il n'avait aucun problème d'ordre politique en Iran.

4.17 Enfin, l'État partie appelle l'attention du Comité sur le fait que S.M.R. n'a pu avancer aucun argument raisonnable pour expliquer pourquoi elle avait attendu plus de quatre mois avant de demander l'asile en Suède. L'État soutient que son explication n'est pas convaincante, d'autant plus qu'elle a prétendu que son mari avait été arrêté deux semaines après qu'elle est arrivée en Suède.

4.18 De l'avis de l'État partie, l'élément décisif en l'espèce pour évaluer le risque dont il est question à l'article 3 de la Convention est la crédibilité qui peut être attachée aux déclarations faites par les auteurs de la communication. Compte tenu des faits relatés plus haut, l'État partie considère que S.M.R. et M.M.R. n'ont pas étayé l'argument selon lequel ils courraient un risque personnel particulier d'être arrêtés et torturés s'ils retournaient en Iran.

4.19 L'État partie conclut qu'en l'espèce, le renvoi des auteurs en Iran n'aurait pas pour conséquence prévisible et nécessaire de les exposer à un risque réel de torture. L'exécution de l'arrêté d'expulsion pris contre les auteurs ne constituerait donc pas une violation de l'article 3 de la Convention.

Observations du conseil

5.1 Le conseil rappelle que l'État partie ne met nullement en doute le fait que S.M.R. a été emprisonnée et torturée par le passé. Il souligne par ailleurs que l'État partie est au courant des violations graves des droits de l'homme qui sont commises en Iran, et notamment du fait que la torture y est répandue. Il en conclut que S.M.R. risquerait sérieusement d'être de nouveau torturée si elle retournait en Iran.

5.2 Le conseil soutient aussi que le fait d'expulser une personne vers un pays où elle craint de retourner parce qu'elle y a été torturée par le passé est en soi un acte de torture, un traitement ou une peine cruels, inhumains ou dégradants.

5.3 Enfin, le conseil évoque le certificat établi par un psychiatre du Centre d'accueil de réfugiés torturés de la Croix-Rouge suédoise, à Stockholm, selon lequel le récit de S.M.R. concernant son incarcération et les tortures qu'elle a subies montrent clairement qu'il s'agit d'expériences vécues personnellement. Le psychiatre ajoute qu'à son avis, les déclarations de S.M.R. sur la manière dont, après sa remise en liberté en 1990, elle a poursuivi ses activités politiques et sa crainte d'être persécutée par les autorités iraniennes sont crédibles et sincères.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1 À sa vingt et unième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il s'est assuré que la même question n'avait pas été et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, et il a considéré que toutes les voies de recours internes disponibles avaient été épuisées, étant donné qu'il n'existait aucun fait nouveau à partir duquel l'auteur pourrait déposer une nouvelle demande auprès de la Commission de recours des étrangers. Il a décidé en conséquence que la communication était recevable.

6.2 Le Comité a noté que l'État partie avait indiqué que le Conseil de l'immigration avait décidé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris contre les auteurs, dans l'attente de la décision finale du Comité sur la communication.

6.3 Le Comité a noté en outre que l'État partie et le conseil des auteurs avaient formulé des observations sur le fond de la communication et que l'État partie avait demandé au Comité, s'il déclarait la communication recevable, de passer à l'examen de la communication au fond. Le Comité a considéré cependant que les informations dont il était saisi n'étaient pas suffisantes pour lui permettre d'adopter ses constatations à ce stade. Il a donc décidé de demander aux deux parties de présenter des communications supplémentaires dans un délai de trois mois, afin qu'il puisse examiner la communication au fond à sa vingt-deuxième session.

6.4 En particulier, le Comité a décidé de demander au conseil des auteurs des informations supplémentaires sur la nature des activités politiques de S.M.R. après 1990 et la situation actuelle des autres membres du groupe politique auquel elle appartenait. De même, le Comité a demandé à l'État partie et au conseil des auteurs des éclaircissements sur les circonstances dans lesquelles les auteurs avaient quitté l'Iran et étaient entrés en Suède, ainsi que les conditions dans lesquelles ils avaient obtenu un passeport. Des éclaircissements ont également été demandés concernant l'affirmation des auteurs selon laquelle la police suédoise avait informé les autorités iraniennes du départ illégal de M.M.R. d'Iran.

6.5 En vertu du paragraphe 3 de l'article 110 du règlement intérieur, le Comité a prié en outre l'État partie de ne pas renvoyer les auteurs en Iran tant que le Comité serait saisi de leur communication.

Informations supplémentaires communiquées par l'État partie

7.1 En réponse à la demande du Comité concernant les circonstances entourant le départ des auteurs d'Iran, leur entrée en Suède et la délivrance de leurs passeports, l'État partie indique que les informations qu'il a fournies sont fondées sur les propres déclarations des auteurs aux autorités d'immigration suédoises. Le passeport de S.M.R. a été délivré le 10 mai 1993 et sa date d'expiration était le 10 mars 1996. Elle a demandé un visa en janvier 1995 afin de pouvoir se rendre en Suède, accompagnée de ses deux enfants, pour rendre visite à son frère. Ils se sont vu accorder des visas d'entrée valables 30 jours, le départ pour la Suède ne pouvant intervenir après le 17 septembre 1995. Elle n'est arrivée en Suède que le 21 juillet 1995.

7.2 S.M.R. a déclaré qu'elle avait obtenu un passeport sans difficulté. En mars 1995, elle l'a retourné aux autorités afin d'y faire inscrire le nom de son dernier enfant. Après avoir été informée que son nom ressemblait à celui d'une personne qui n'était pas autorisée à quitter le pays, il lui a été demandé de se présenter aux services du parquet. Ces services ont découvert que son nom n'était pas orthographié correctement et ont décidé de ne pas lui rendre son passeport. Lorsqu'elle a demandé un nouveau passeport, les autorités ont posé comme condition qu'elle se rende d'abord en Syrie. Ce voyage était une épreuve, les autorités voulant vérifier qu'elle était une véritable musulmane, favorable au régime. Elles ont ajouté comme condition complémentaire qu'elle devait leur remettre le titre de propriété de sa maison avant son départ. Son passeport lui a été rendu une semaine avant qu'elle ne parte pour la Syrie avec son mari et ses enfants.

7.3 L'État partie affirme que la déclaration de S.M.R. concernant son voyage en Syrie n'est pas crédible, et qu'il s'agit en fait d'une tentative pour expliquer la présence de cachets de sortie sur son passeport. Il note que son époux n'a rien dit d'un voyage en Syrie ni d'un passeport dont il devait nécessairement être en possession pour se rendre en Syrie.

7.4 D'après des sources fiables, il est impossible de quitter l'Iran sans passeport valable et sans visa de sortie. Les personnes reconnues coupables d'une infraction grave, soupçonnées d'avoir commis une telle infraction ou placées sous surveillance pour d'autres motifs ne sont pas autorisées à quitter le pays. Étant donné que S.M.R. n'a eu aucune difficulté à obtenir un passeport et un visa ni à quitter le pays, il est peu vraisemblable qu'elle présentait un intérêt quelconque pour les autorités iraniennes à l'époque de son départ. D'autre part, son mari, qui aurait été arrêté et interrogé, a été libéré une semaine après et a séjourné en Iran pendant plus d'un an après les faits. Par la suite, il a obtenu un passeport valide, délivré le 30 septembre 1996, et l'autorisation de quitter l'Iran. À l'évidence, les autorités iraniennes ne s'intéressaient pas non plus particulièrement à lui au moment de son départ en 1996.

7.5 M.M.R. est arrivé en Suède dépourvu de visa d'entrée. Lors de l'interrogatoire initial suivant sa demande d'asile, il a déclaré qu'il avait obtenu son passeport sans difficulté, qu'il n'avait eu aucun problème d'ordre politique en Iran et qu'il cherchait à retrouver sa femme et ses enfants. Il a aussi déclaré qu'il n'avait pas demandé de visa d'entrée parce qu'il était convaincu qu'il n'en obtiendrait pas. C'est pourquoi il avait payé un passeur pour lui acheter un billet et l'aider à franchir les points de contr_le de l'aéroport de Téhéran.

7.6 L'État partie conteste la déclaration de M.M.R. selon laquelle la police suédoise a informé les autorités iraniennes de son départ illégal d'Iran. Cependant, M.M.R. ne possédant pas de visa d'entrée valable, les autorités de police suédoises ont informé Iran Air de son arrivée en Suède. Cette démarche était conforme aux dispositions de la loi sur les étrangers visant à inciter les transporteurs à contr_ler de manière approfondie les documents de voyage des passagers pour éviter qu'ils n'arrivent en Suède sans papiers.

7.7 L'État partie a connaissance d'informations selon lesquelles toute personne rentrant en Iran après avoir quitté le pays illégalement risque une amende et peut être mise en garde à vue pendant trois jours tout au plus. Il n'a cependant connaissance d'aucune information indiquant que les citoyens iraniens qui ont été expulsés de Suède ont subi des mauvais traitements à leur retour en Iran. Il doute que les autorités iraniennes considéreraient le départ de M.M.R. comme illégal, étant donné qu'il détenait un passeport valide, qu'il s'était soumis aux formalités de départ et avait été autorisé à voyager par Iran Air.

7.8 Enfin, l'État partie signale qu'il a été décidé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris contre les auteurs dans l'attente de la décision finale du Comité.

Informations supplémentaires communiquées par le conseil

8.1 En réponse à la demande d'éclaircissements du Comité concernant la nature des activités politiques de S.M.R. après 1990, le conseil déclare qu'elle était chargée de taper les textes qu'elle recevait de la dirigeante de son groupe. Une fois tapés, les textes étaient reproduits et distribués par d'autres personnes sous forme de tracts. Le groupe était composé de quatre personnes et se réunissait deux ou trois fois par semaine lorsque M.M.R. n'était pas chez lui. Ces activités se sont poursuivies jusqu'à ce que S.M.R. quitte l'Iran. Lorsque S.M.R. s'est rendue en Suède, son intention était de revenir et de poursuivre ses activités politiques. Alors qu'elle était en Suède, elle a continué de travailler pour son organisation en participant à des tâches administratives et à l'édition d'un journal. Elle également pris part à des manifestations.

8.2 S.M.R. n'a eu aucun contact avec les membres de son groupe en Iran. Elle a cependant été informée par son organisation qu'ils avaient été arrêtés et que leur chef avait été condamné à 10 ans d'emprisonnement. Lorsque M.M.R. a été arrêté, on lui a montré une photographie de la dirigeante du groupe et on lui a demandé s'il la reconnaissait. Les autres membres du groupe n'ont pas été mentionnés.

8.3 Pour ce qui est des éclaircissements concernant le passeport de S.M.R., le conseil déclare qu'elle avait demandé un passeport trois ans après sa sortie de prison. Elle n'avait aucune intention de l'utiliser mais voulait simplement vérifier s'il lui était possible d'en obtenir un. D'après la loi, elle aurait dû être interrogée par un tribunal après avoir déposé sa demande. En fait, elle ne l'a pas été et son passeport lui a été envoyé dans les 24 heures. Lorsque S.M.R. a demandé que son enfant soit inscrit sur le passeport, les autorités ont découvert qu'elle n'avait pas le droit d'en détenir un et lui ont interdit de quitter le pays. Elle a dû s'adresser à un tribunal où on l'a interrogée sur ses activités et les motifs qu'elle avait de quitter le pays. Elle a répondu qu'elle désirait se rendre au mariage de son frère. On lui a alors dit que quelqu'un devait se porter garant d'elle et que son premier voyage à l'étranger devait être à destination d'un pays islamique. C'est pourquoi elle s'était rendue en Syrie avec son mari et son enfant. Pour obtenir l'autorisation de se rendre en Suède, elle a dû remettre le titre de propriété de la maison de la famille comme garantie de son retour.

8.4 M.M.R. a obtenu son passeport sans difficulté. Il n'avait eu aucun problème avec les autorités depuis longtemps. Il a été arrêté puis libéré au bout d'une à deux semaines étant donné qu'il n'avait commis aucune infraction. À l'époque, il ne pensait pas que sa femme était en Suède et il avait donc suggéré aux autorités de s'enquérir auprès de l'agent de voyage de la destination qu'elle avait prise. Au moment de quitter le pays, il a payé un citoyen pakistanais pour l'aider à pénétrer clandestinement dans l'avion. Il incombe aux compagnies aériennes de vérifier que les passagers ont des visas valables; peut-être est-ce la raison pour laquelle les autorités suédoises ont contacté les autorités iraniennes. Les gardiens de la révolution iraniens ont rendu visite à la mère de M.M.R. et lui ont demandé si celui-ci avait quitté le pays sans visa. Elle a répondu qu'elle n'en savait rien.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention.

9.2 La question dont le Comité est saisi est de savoir si l'expulsion des auteurs vers l'Iran violerait l'obligation de la Suède en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

9.3 Le Comité doit décider, conformément au paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que les auteurs risquent d'être soumis à la torture à leur retour en Iran. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le but de cet exercice est toutefois de déterminer si les intéressés risqueraient personnellement d'être soumis à la torture dans le pays dans lequel ils seraient renvoyés. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas un motif suffisant en soi pour affirmer qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs précis de penser qu'elle serait personnellement en danger. De même, l'absence d'un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans sa situation particulière.

9.4 Dans le cas d'espèce, le Comité note la déclaration de l'État partie selon laquelle le risque de torture devrait être une "conséquence prévisible et nécessaire" du retour d'un individu. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence Communication No 101/1997 (CAT/C/21/D/101/1997), constatations adoptées le 20 novembre 1998. selon laquelle la condition de nécessité et de prévisibilité devrait être interprétée à la lumière de son Observation générale sur l'application de l'article 3, qui se lit comme suit : "Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable" (A/53/44, annexe IX, par. 6).

9.5 Le Comité ne partage pas l'opinion du Conseil national de l'immigration selon laquelle il est peu probable que S.M.R. ait tenu régulièrement des réunions dans sa maison à l'insu de son mari. En outre, le Comité n'a aucune raison de mettre en doute la crédibilité de S.M.R. s'agissant de ses incarcérations passées, de ses activités politiques et de la façon dont elle a obtenu un passeport. Cependant, le Comité estime, sur la base des informations communiquées, que les activités politiques que S.M.R. affirme avoir exercées après 1991, en Iran et à l'étranger, ne sont pas de nature à faire penser qu'elle risque d'être torturée à son retour. Le Comité note en particulier qu'après la libération de M.M.R., aucune question ne lui a été posée sur les activités de sa femme ni sur le lieu où elle pouvait se trouver, et qu'il n'a pas été molesté par les autorités iraniennes. En outre, rien n'indique que S.M.R. fasse l'objet d'un mandat d'arrêt. Le conseil affirme que les autres membres du groupe de S.M.R. ont été arrêtés et que la dirigeante de ce groupe a été condamnée à une peine de prison. Mais aucune information n'est présentée quant aux motifs de sa condamnation et rien n'indique que ces femmes aient subi des tortures ou des mauvais traitements.

9.6 Le Comité considère en outre que le fait que M.M.R. ait quitté l'Iran sans visa pour entrer en Suède ne constitue pas un argument supplémentaire permettant de conclure que les auteurs risquent d'être torturés à leur retour en Iran. Aucun élément de preuve n'a été fourni au Comité qui lui permette de penser qu'un tel acte est puni en Iran d'une peine de prison, et moins encore de torture.

9.7 Le Comité note avec préoccupation les nombreuses informations faisant état de violations des droits de l'homme, notamment de recours à la torture, en Iran, mais rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention, l'individu concerné doit courir personnellement un risque prévisible, réel, d'être torturé dans le pays dans lequel il est renvoyé. Vu ce qui précède, le Comité estime que l'existence d'un tel risque n'a pas été établie.

9.8 Sur la base des considérations exposées ci-dessus, le Comité estime que les informations dont il est saisi ne permettent pas de conclure qu'il existe des motifs sérieux de croire que les auteurs risqueraient personnellement d'être torturés s'ils retournaient en Iran.

10. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l'État partie de renvoyer les auteurs en Iran ne constitue pas une violation de l'article 3 de la Convention.



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