University of Minnesota


 

R.K. (nom supprimé) c. Canada, Communication No. 42/1996, U.N. Doc. CAT/C/19/D/42/1996 (1997).


Présentée par : R. K. (nom supprimé) (représenté par un conseil)

État partie : Canada


Date de la communication
: 22 février 1996


Le Comité contre la torture
, institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 20 novembre 1997,


Adopte la décision suivante :

 

Décision concernant la recevabilité


1. L'auteur de la communication est M. Richard Kollo, citoyen libérien appartenant au groupe ethnique krahn, né le 30 novembre 1967, résidant actuellement au Canada. Il affirme que son renvoi au Libéria constituerait une violation par le Canada de l'article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil.


Faits présentés par l'auteur


2.1 L'auteur dit que son oncle, qui l'a élevé à la mort de son père lorsqu'il avait deux ans, avait des activités politiques; il était membre du Mouvement uni de libération du Libéria (ULLIMO). En 1985, des membres de la communauté krahn qui soutenaient un certain candidat politique ont été accusés de fraude électorale. Par opposition aux krahns et en raison de la fraude dont ils étaient accusés, un autre parti politique a été créé en 1987 : le Front national patriotique du Libéria (NPFL).


2.2 D'après l'auteur, en 1990, des membres (militaires) du NPFL ont assassiné son oncle. Ils ont également arrêté son cousin. À la suite de ces événements, l'auteur a décidé de chercher refuge au Bureau de la Croix-Rouge. Il a payé quelqu'un pour l'aider à passer en Sierra Leone; il a traversé la frontière avec cinq autres personnes. En Sierra Leone, il s'est caché dans un bureau de l'ULLIMO.


2.3 Une nuit, où des soldats du NPFL fouillaient les maisons à la recherche de membres de l'ULLIMO, l'auteur s'est enfui en Israël en utilisant son passeport libérien. Au cours de son séjour en Israël, quelqu'un lui a volé ses bagages et ses papiers.


2.4 Le propriétaire de l'endroit où il séjournait l'a aidé à fuir au Canada où il est arrivé le 8 février 1993. Le 26 février 1994, l'auteur a épousé une Canadienne; le couple a eu un enfant le 19 avril 1995.


2.5 Immédiatement après son arrivée au Canada, l'auteur a demandé l'asile politique. Le 20 avril 1994, sa demande a été rejetée par la Commission du statut de réfugié du Canada. L'auteur a demandé à la Cour fédérale du Canada de lui accorder l'autorisation de former un recours contre la décision de la Commission. La Cour a rejeté sa demande. Le 15 décembre 1995, la demande déposée par le requérant sur la base de la procédure ultérieure d'évaluation des risques a été rejetée. L'auteur a été informé qu'il devait quitter le pays avant le 22 février 1996.


2.6 Il ressort également de la communication que l'épouse de l'auteur se porte garante de sa demande d'immigration au Canada. Le 20 décembre 1995, les autorités de l'immigration ont rejeté la demande de l'auteur tendant à ce qu'il soit sursis à son expulsion en attendant l'issue de la procédure d'examen de la demande d'immigration, qui avait déjà été entamée. L'auteur se plaint de ce que les autorités canadiennes ne veulent pas croire à la bonne foi de son mariage. Les agents de l'immigration auraient toujours refusé d'accorder une entrevue à son épouse pour qu'elle puisse prouver la validité du mariage.


La teneur de la plainte


3.1 Selon l'auteur, s'il retournait au Libéria, il y serait tué comme son oncle. À l'appui de ses affirmations concernant les graves violations des droits de l'homme commises au Libéria, où plusieurs factions s'affrontent, l'auteur cite plusieurs extraits d'un rapport d'Amnesty International et du Country Reports on Human Rights Practices de 1994.


3.2 L'auteur affirme que son renvoi au Libéria constituerait une violation par le Canada de l'article 3 de la Convention contre la torture. Il prie le Comité de demander au Canada de ne pas l'expulser tant que sa communication sera en cours d'examen devant le Comité.


Les observations de l'État partie


4. Le 19 mars 1996, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial, a transmis la communication à l'État partie pour qu'il formule ses observations et l'a prié de ne pas expulser l'auteur tant que sa communication serait en cours d'examen par le Comité; ce qui a été fait.


5.1 Dans une note du 9 septembre 1996, l'État partie conteste la recevabilité de la communication. Il fait valoir que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes disponibles avant de présenter sa communication au Comité contre la torture. De plus, sa communication ne révèle pas le fondement minimum nécessaire afin de la rendre compatible avec l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.


5.2 L'État partie explique que tout au long du processus canadien d'immigration, l'auteur a soutenu pour l'essentiel les mêmes allégations que celles qu'il avance au soutien de sa communication auprès du Comité contre la torture. Il prétendait que son oncle avait été membre de l'ULLIMO et tué par le NPFL, une faction armée opposée, en raison de ses activités politiques. Du fait du lien qui l'unissait à son oncle, l'auteur prétendait que sa vie ou sa sécurité seraient en péril s'il retournait au Libéria, il craignait notamment d'y être torturé.


5.3 L'État partie fait valoir que l'enquête effectuée par les autorités canadiennes réveillèrent des lacunes importantes relativement à des aspects essentiels et déterminants des prétentions de l'auteur. Il n'a pas su établir qu'il était originaire du Libéria et que son renvoi au Libéria comportait pour lui des risques réels pour sa vie ou sa sécurité. Des incohérences apparaissant dans ses témoignages minaient sérieusement sa crédibilité et se conjuguaient à une absence de preuves objectives appuyant ses dires.


5.4 D'après l'État partie, l'auteur avait pourtant la possibilité d'intenter plusieurs recours internes afin de contester les conclusions des autorités canadiennes. Ces recours, s'il les avait entrepris, lui auraient permis de démontrer dans la mesure du possible que les incohérences relevées dans ses témoignages n'étaient qu'apparentes et qu'une explication rationnelle ignorée par les décideurs à son dossier rendait ses allégations vraisemblables. Par contre, il n'a pas maintenu en état et poursuivi une demande d'autorisation et de contr_le judiciaire par la Cour fédérale et il n'a pas fait de demande d'autorisation et de contr_le judiciaire par la Cour fédérale à l'encontre de deux autres décisions des autorités canadiennes. Il n'a également pas fait de demande de dispense ministérielle pour des raisons d'ordre humanitaire.


5.5 Ces recours, si l'auteur les avaient poursuivis, auraient été susceptibles de lui donner satisfaction dans un délai raisonnable. Ils lui offraient tous la possibilité de corriger et d'expliquer les lacunes apparaissant dans son dossier avant la date d'exécution de la mesure de renvoi qui lui était opposée, et ces recours permettaient ultimement que lui aurait offerte l'opportunité de s'établir au Canada.


5.6 L'État partie prétend que le défaut de M. Kollo de poursuivre ces recours avant de faire appel à la juridiction du Comité contre la torture fait que sa communication contrevient à la condition énoncée à l'alinéa b) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il demande au Comité de déclarer irrecevable la communication.


Les commentaires du Conseil


6.1 Dans sa réponse, datée du 20 février 1997, le Conseil qualifie de spéculations les observations de l'État partie selon lesquelles l'auteur, s'il avait entrepris les recours mentionnés, aurait eu l'occasion de démontrer que le Gouvernement s'était mépris et lui aurait permis d'avoir gain de cause.


6.2 Il se dit surpris que l'État partie plaide que l'auteur «n'a pas épuisé tous ces recours», alors que ce même Gouvernement l'avait convoqué au bureau local d'immigration afin qu'il prenne des arrangements de départ. À cette occasion, l'auteur s'est fait confirmer par un agent d'immigration qu'il devait se présenter et être expulsé vers le Libéria. Étant donné que ces paroles ont été prononcées par un agent d'immigration chargé des renvois, l'auteur n'a aucun doute que da déportation vers le Libéria était éminente, et qu'elle aurait lieu dans les jours qui ont suivi cette première convocation. D'ailleurs, n'eut été le recours intenté par l'auteur au Comité contre la torture, des arrangements auraient été pris et l'auteur aurait déjà été déporté vers le Libéria sans plus de délais. Il n'y a aucun doute dans l'esprit du requérant, d'ailleurs les agissements du Canada à cet égard sont on ne peut plus clairs, que le département des renvois s'apprêtait à le déporter.


6.3 Il est soutenu, que le Gouvernement canadien a eu toutes les chances possibles et imaginables de «corriger lui-même» un manquement à ses obligations internationales, mais que sa mauvaise foi et son manque de volonté totale en ce qui a trait au dossier de l'auteur sont illustratives de son manque de volonté à lui porter assistance. À cet égard, le Conseil rappelle que l'auteur a d'abord épuisé l'ensemble de ces recours de détermination au statut de réfugié et qu'une décision négative lui a été donnée. Qui plus est, le Gouvernement canadien admet lui-même que de nombreux revendicateurs placés dans la situation de l'auteur, et provenant du même pays, se voient accorder le statut de réfugié.


6.4 En ce qui concerne la demande d'autorisation de contr_le judiciaire à la Cour fédérale, le Conseil explique que le fait d'introduire une demande de recours judiciaire à la Cour fédérale, n'est nullement un gage de succès, un très faible pourcentage de ces demandes étant acceptées. Qui plus est, même si en théorie un demandeur n'a qu'à démontrer qu'il existe «une cause raisonnable d'action» (fairly arguable case), de moins en moins de permissions d'en appeler sont accordées. En principe, cela rend ce recours tout à fait illusoire, pour la grande majorité des réfugiés, y inclus l'auteur.


6.5 De toute manière, étant donné que le requérant était marié, on lui a conseillé de déposer une demande de parrainage ayant pour cause le mariage, ce qui, vu sa situation, comportait de nombreuses chances de succès, mais qui n'a pas réussi.


6.6 En ce qui concerne les informations de l'État partie selon lesquelles l'auteur dispose «de présumé recours judiciaire à la Cour fédérale», le Conseil prétend que dans les faits, ces recours sont inexistants, prescrits, ou totalement inefficaces et illusoires, étant donné qu'ils sont inaccessibles, discrétionnaires, et n'empêchent nullement le Gouvernement canadien de procéder à la déportation de l'auteur de toute manière.


6.7 Le Conseil fait valoir que le Gouvernement canadien sait très bien que des procédures de ce type ne sont en pratique à près jamais accordées, et que de toute manière, elles n'empêchent pas le Gouvernement canadien d'aller de l'avant avec son renvoi.


Délibération du Comité


7.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention.


7.2 Conformément à l'alinéa b) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'elles donneraient satisfaction à la victime présumée. En l'espèce, l'auteur admet de ne pas avoir poursuivi une demande de contr_le judiciaire par la Cour fédérale et de n'avoir pas fait de demande de dispense ministérielle pour les raisons d'ordre humanitaire. Même si l'auteur a prétendu que ces recours seraient illusoires, il n'a pas fourni d'éléments étayant que ces recours auraient peu de chances d'aboutir. Le Comité constate que les conditions prescrites à l'article 22, paragraphe 5 b) de la Convention ne sont pas remplies.


8. Le Comité décide en conséquence :


a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication et à l'État partie.



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