University of Minnesota


M. V.N.I.M. c. Canada, Communication No. 119/1998, U.N. Doc. CAT/C/29/D/119/1998 (2002).


Présentée par : M. V. N. I. M. (représenté par un conseil)

Au nom de : M. V. N. I. M.

État partie : Canada

Date de la requête : 3 novembre 1998

Date de l'adoption de la décision : 12 novembre 2002

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 novembre 2002,

Ayant considéré la requête no 119/1998 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte des informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la requête et l'État partie,

Adopte la décision suivante:

 

1.1 Le requérant est M. V. N. I. M., né en 1966 et originaire du Honduras. Il vit actuellement au Canada où il a demandé l'asile le 27 janvier 1997. Cette demande ayant été rejetée, il prétend que son rapatriement forcé vers le Honduras constituerait une violation par le Canada de l'article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 18 novembre 1998. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers le Honduras tant que sa requête serait en cours d'examen.


Rappel des faits présentés par le requérant


2.1 Le requérant prétend qu'au cours du mois d'avril 1988 il a été accusé par l'armée d'avoir posé une bombe dans un bâtiment où il fut arrêté alors qu'il était la seule personne sur les lieux au moment de l'explosion, le 19 avril 1988. Grièvement blessé, il fut interrogé le lendemain de son arrestation et prétend que les médecins l'amputèrent d'un bras sous la menace des militaires afin qu'il révèle les noms de ses complices. Un officier de l'armée aurait déclaré à une infirmière et un docteur que lui enlever une partie de son bras était un moyen de faire un avertissement aux autres «gauchistes».

2.2 Suite à cette arrestation, il fut détenu pendant trois ans et quatre mois jusqu'au 8 août 1991. Entre-temps, un jugement de la troisième Cour criminelle de San Pedro Sula du 13 janvier 1989 abandonnait les poursuites contre le requérant par manque de preuves (1). Le requérant prétend que durant sa détention, il fut traité par les militaires comme le coupable de l'explosion et fut de nombreuses fois torturé et maltraité.

2.3 Avec l'aide de l'Église pentecôtiste, le requérant contacta alors les autorités canadiennes pour obtenir le statut de réfugié au Canada mais fut informé qu'il devait se rendre sur place pour faire une demande valable. En avril 1992, il fuit au Costa Rica. Pendant cette période, ses frères et sœurs furent continuellement harcelés par l'armée pour qu'ils leur disent où il se cachait. En mai 1992, son frère fut détenu illégalement pendant cinq jours pour ce motif. Il fut alors relâché non sans avoir encore fait l'objet de menaces de mort. Le requérant contacta alors encore une fois l'ambassade du Canada au Costa Rica pour obtenir de l'aide mais celle-ci lui fut refusée parce que, en raison d'actes terroristes commis par des citoyens honduriens durant cette période, la situation politique était délicate et les autorités canadiennes ne pouvaient l'aider. Par manque de moyens, le requérant retourna au Honduras en mars 1993 où il resta caché dans un petit village près de la frontière du Salvador jusqu'en 1995.

2.4 En 1995, une loi fut adoptée au Honduras invitant tous les citoyens à dénoncer les abus commis par l'armée. Le requérant tenta en vain d'exercer ce droit en soumettant différentes plaintes contre les officiers qui avaient ordonné ou étaient responsables de l'amputation de son bras.

2.5 En janvier 1996, le requérant tenta d'obtenir une pension d'invalidité, requête à l'appui de laquelle il a du présenter un dossier médical complet. L'hôpital lui refusa cependant l'accès à son dossier et informa l'armée de sa demande. Le requérant fut alors à nouveau arrêté par des militaires en civil qui le questionnèrent, le battirent et le frappèrent à l'abdomen. Gravement blessé, il dut à nouveau se cacher.

2.6 Le requérant raconte également que depuis 1994, il est resté en contact par courrier avec Radio Moscou et quelques amis de Cuba et qu'en janvier 1997, les autorités honduriennes ont intercepté une de ses lettres, utilisée plus tard comme preuve de ses «activités subversives».

2.7 Le requérant est resté caché jusqu'en janvier 1997 lorsque, ayant obtenu un passeport salvadorien, il quitta le Honduras. Le requérant arriva au Canada et demanda immédiatement le statut de réfugié.

2.8 Après le départ du requérant, sa sœur aurait été questionnée et menacée de mort à son lieu de travail par les militaires qui désiraient connaître l'endroit où se trouve le requérant.

2.9 Au Canada, le requérant s'est d'abord vu refuser sa demande d'asile en date du 17 septembre 1997. À l'encontre de cette dernière décision, le requérant fit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada qui fut rejetée le 6 février 1998.

2.10 Le requérant initia alors la procédure appropriée pour être inclus dans la «catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada» (demande de DNRSC). Cette demande fut rejetée et le requérant fit à nouveau une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Cette dernière rejeta également la demande.

2.11 Le 21 octobre 1998, le requérant déposa une demande de dispense ministérielle afin d'être exempté de l'application régulière de cette loi sur la base de considérations humanitaires (demande de statut humanitaire). Le 30 mars 1999, cette demande fut rejetée.


Teneur de la plainte

3.1 Le requérant estime que les droits de l'homme ne sont pas respectés au Honduras et que l'impunité est la règle pour les auteurs de violations. Il prétend que les personnes possédant des informations à propos d'actes illégaux commis par les militaires sont particulièrement menacées, ce qu'il considère être son cas. Il estime qu'en cas de retour au Honduras, il risque d'être la victime d'actes de torture ou d'une exécution extrajudiciaire ou pourrait faire l'objet d'une disparition forcée.

3.2 À l'appui de ses allégations liées au risque de violation de l'article 3 de la Convention, le requérant soumet notamment un rapport psychologique détaillé qui conclut à l'existence «d'un état de stress post-traumatique de type chronique» et ajoute: «[I]l vit une crainte concernant son intégrité physique, et l'anxiété se situe à un niveau très élevé. […] Le niveau d'anxiété est si élevé et les tensions sont si fortes que Monsieur ne peut utiliser ses ressources internes d'une façon constructive pour résoudre les problèmes quotidiens.». Le requérant indique par ailleurs que les autorités canadiennes n'ont apporté aucune considération à ce rapport psychologique, mentionnant uniquement qu'il avait été soumis tardivement. Le requérant explique à ce sujet que pour une série de raisons, notamment financières et psychologiques, il n'avait pas encore pu effectuer une telle évaluation psychologique.

3.3 Le requérant a soumis également une copie du jugement de la troisième Cour criminelle de San Pedro Sula du 13 janvier 1989 qui l'a innocenté de sa participation à l'attentat du 19 avril 1988. Le tribunal a conclu à l'acquittement du requérant sur la base, notamment, de déclarations faites par une série de témoins qui ont corroboré les dires du requérant (2).

3.4 Le requérant indique qu'il détient certaines informations sur les militaires qui l'ont torturé, notamment sur un certain Major Sanchez Muòoz, et soutient qu'il est notoire que ces militaires font tout ce qui est possible pour effacer les preuves de leurs crimes, notamment en faisant disparaître les victimes.

3.5 Le requérant affirme également, pour contrer l'argument des autorités canadiennes selon lequel il aurait encore vécu quelques années au Honduras après sa détention sans rencontrer de problème, qu'il ne peut lui être reproché d'avoir tenté de rester dans son pays.

3.6 Quant à la situation existant au Honduras, le requérant souligne que, même s'il existe actuellement un régime démocratique, les militaires représentent encore un «sous-État». Pour démontrer cette affirmation, le requérant se réfère à différents rapports d'Amnesty International et de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme). Dans son rapport pour l'année 1997, Amnesty International indique ainsi «qu'au moins cinq anciens membres de la [Direction nationale des enquêtes] […] ont été tués dans des circonstances portant à croire qu'il s'agissait d'exécutions extrajudiciaires», l'un d'eux devant témoigner au sujet d'un meurtre qui aurait été commis par des agents de cette Direction en 1994. Le requérant indique aussi que le Honduras est un des seuls pays à avoir été condamnés à maintes reprises par la Cour interaméricaine des droits de l'homme, citant notamment le cas Velasquez Rodriguez, lié à la disparition d'un étudiant et pour laquelle a été stigmatisée l'impunité dont ont bénéficié certains militaires au Honduras.


Observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête


4.1 L'État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité de la requête par une note verbale du 15 septembre 2000.

4.2 L'État partie soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes avant de présenter sa requête au Comité. En effet, le requérant n'a pas fait de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada à l'encontre de la décision lui refusant le statut humanitaire.

4.3 L'État partie rappelle à ce titre que toutes les décisions prises par les autorités canadiennes en matière d'immigration sont sujettes à contrôle judiciaire. Le requérant a d'ailleurs utilisé cette voie de recours à deux reprises antérieurement durant la procédure qu'il a initiée pour obtenir le statut de réfugié.

4.4 L'État partie estime également que ce recours est toujours ouvert au requérant alors même qu'il existe normalement un délai de 15 jours pour l'introduire. La loi prévoit en effet une possibilité de prolonger ce délai dans les cas où des raisons spéciales sont avancées pour justifier le retard. Il est à noter également que si cette possibilité de recours avait été utilisée, la loi permettait encore d'aller à l'encontre d'une éventuelle décision de la Cour fédérale devant la Cour d'appel fédérale et, de la même manière, jusqu'à la Cour suprême du Canada.

4.5 À l'appui de son argumentation, l'État partie se réfère à la décision du Comité dans l'affaire R.K. c. Canada (CAT/C/19/D/42/1996) où il avait considéré que la requête devait être déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes parce que le requérant n'avait pas fait de demande de contrôle judiciaire à l'encontre du rejet de la demande d'asile et n'avait, en outre, pas introduit de demande de statut humanitaire. Dans l'affaire P.S. c. Canada (CAT/C/23/D/86/1997), également citée par l'État partie, le Comité avait précisément considéré que le fait que le requérant avait, entre autres, négligé de faire une demande de contrôle judiciaire allait à l'encontre du principe d'épuisement des voies de recours internes. L'État partie se réfère encore à la décision du Comité dans l'affaire L.O. c. Canada (CAT/C/24/D/95/1997) à propos de l'absence d'une demande de statut humanitaire.

4.5 Faisant enfin référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'État partie soutient que le contrôle judiciaire revêt bien le caractère de recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que, même dans des cas où le requérant risque des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays, il doit respecter les formes et les délais des procédures internes avant de s'adresser aux instances internationales [Bahaddar c. Pays-Bas, no 145/1996/764/965 (19 février 1998)].

4.6 L'État partie conclut que, au vu de ces différentes raisons, le Comité devrait déclarer la présente requête irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes.


Commentaires du requérant


5.1 Par une lettre du 27 octobre 2000, le requérant a formulé ses remarques par rapport aux observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête.

5.2 Le requérant soutient tout d'abord qu'il a utilisé la possibilité de contrôle judiciaire contre la décision lui ayant refusé la qualité de réfugié et qu'il s'agissait là du dernier recours, dans l'entièreté de la procédure qu'il a poursuivie, dont l'objet portait sur la substance même des moyens invoqués à l'appui de sa demande d'asile. En effet, les appels et recours qui ont suivi n'avaient pour objet que des questions de procédure.

5.3 Le requérant estime également que la demande de contrôle judiciaire qu'il a faite à l'encontre de la décision rejetant la demande de DNRSRC se basait sur les mêmes moyens que celle qui aurait pu être faite à l'encontre de la décision sur le statut humanitaire et que les deux procédures avaient lieu en même temps. Il considère dès lors que la demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision sur le statut humanitaire aurait constitué un recours frivole puisque la Cour fédérale n'aurait assurément pas statué d'une autre manière que dans l'autre recours.

5.4 Le principe de la procédure pour inclure une personne dans la «catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada» (DNRSRC) ainsi que la demande d'un statut humanitaire ne sont pas, selon le requérant, des recours valables en droit international parce qu'ils sont totalement discrétionnaires. De la même manière, les contrôles judiciaires effectués le cas échéant par la Cour fédérale ne sont pas non plus des recours valables au sens du droit international parce qu'ils ne peuvent donner une décision finale et doivent renvoyer l'affaire devant les autorités administratives pour une nouvelle décision. De plus, il est de jurisprudence constante que la Cour fédérale n'intervient pas dans les questions de fait qui sont entièrement à la discrétion des autorités administratives mais uniquement sur le respect de certains principes devant diriger les procédures administratives.

5.5 Le requérant rappelle à ce sujet les raisons pour lesquelles les recours internes doivent être épuisés en vertu de l'article 22 de la Convention. Il rappelle que les recours internes devant être épuisés ne peuvent être dénués de toutes chances de succès. Ceci est le cas, selon le requérant, du contrôle judiciaire dont il est question dans la mesure où la jurisprudence selon laquelle le contrôle ne se fait que sur la procédure et pas sur les faits ou le droit est particulièrement bien établi au sein de la Cour fédérale du Canada. Une demande de contrôle judiciaire tendant à démontrer qu'une personne court de réels risques d'être torturée dans le pays où les autorités veulent la renvoyer n'a donc aucune chance de succès.

5.6 Selon le requérant, les recours qui doivent être épuisés sont ceux qui permettent d'établir, le cas échéant, la violation du droit invoqué. À ce titre, la demande d'asile et la demande de contrôle judiciaire qui s'ensuit, nonobstant la mise en doute de son caractère effectif, comme cela a été développé plus haut, sont des recours que le requérant estime devoir être épuisés. Par contre, ce dernier soutient que la demande de statut humanitaire ainsi que la demande de contrôle judiciaire qui lui fait le cas échéant suite ne sont pas des recours qu'il faut épuiser car même si dans certains cas il est justifié que des recours extraordinaires soient utilisés, cela ne peut être le cas pour un recours entièrement discrétionnaire comme la demande de statut humanitaire. Le requérant se réfère à ce titre à C. Amerasinghe (Local Remedies in International Law, p. 63) selon lequel il n'est pas nécessaire d'utiliser un recours extraordinaire s'il n'est que discrétionnaire et de nature non judiciaire à l'instar de ceux dont l'objet est d'obtenir une faveur et non de revendiquer un droit. Or, il est établi, et non contesté par l'État partie, que la demande de statut humanitaire n'a pas pour objet l'obtention d'un droit mais plutôt d'une faveur de l'État canadien, ce qui a d'ailleurs été maintes fois souligné par la Cour fédérale.

5.7 Les demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de décisions de type discrétionnaire comme celles qui font suite à une demande de statut humanitaire ne sont pas plus efficaces, et ce même quand la Cour fédérale se penche sur le fond de l'affaire. Le requérant illustre cette affirmation par un cas similaire dont la décision sur la demande de statut humanitaire avait fait l'objet d'un contrôle judiciaire à l'issue duquel la Cour fédérale avait estimé que la personne courait effectivement le risque d'être soumise à des tortures ou des traitements inhumains et dégradants. Cependant, étant donné que la Cour fédérale ne peut prendre une décision définitive dans cette procédure, elle avait dû renvoyer le cas à l'autorité administrative, laquelle prit une nouvelle décision à l'encontre des conclusions de la Cour fédérale, refusant d'accorder le statut humanitaire. Le requérant considère que le caractère illusoire du contrôle judiciaire est ainsi d'autant plus démontré.

5.8 Estimant avoir démontré le caractère inadéquat et ineffectif des recours qu'on lui reproche de ne pas avoir utilisés, le requérant attire ensuite l'attention du Comité sur le fait que, selon lui, l'État partie ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombe d'établir qu'il existe encore des recours internes disponibles et effectifs. Il se réfère à ce sujet à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Velasquez Rodriguez c. Honduras selon laquelle c'est à l'État qui conteste l'épuisement des voies de recours qu'il appartient de prouver qu'il existe des recours qui doivent encore être épuisés et que ces derniers sont effectifs. Le requérant suggère ainsi que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a opéré un transfert de la charge de la preuve de l'épuisement des voies de recours du requérant vers l'État. Il constate que telle est également la jurisprudence du Comité des droits de l'homme qui demande à l'État, outre des détails par rapport aux recours disponibles, des preuves qu'il existe des perspectives raisonnables que ces remèdes seraient effectifs. Le requérant considère que cela devrait également être l'attitude du Comité contre la torture.

5.9 Après avoir fait une critique plus générale de la réglementation de l'État partie en matière de réfugiés et des procédures qui y sont liées, le requérant soutient qu'il a fait la preuve de l'existence de ses droits et des risques qu'il encourt en cas de retour au Honduras.

5.10 En conclusion, le requérant considère que la règle de l'épuisement des voies de recours internes doit être interprétée en fonction des objectifs de la Convention contre la torture. Il souligne à ce sujet que ce principe est d'ailleurs celui de la Cour européenne des droits l'homme qui a expressément fait valoir que la Convention européenne des droits de l'homme devait être interprétée en fonction de ses objectifs ultimes qui sont la protection effective des droits de l'homme.

5.11 Par un courrier du 18 avril 2001, le requérant fait valoir que le 1er novembre 2000 il a finalement introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision de refus de lui accorder le statut humanitaire devant la Cour fédérale du Canada. Or, cette dernière a rejeté la demande de contrôle judiciaire en date du 2 mars 2001. Le requérant considère dès lors que, tout en maintenant l'argumentation qu'il a développée précédemment sur le principe de l'épuisement des voies de recours internes, les arguments initialement soulevés par l'État partie ne font plus obstacle à la recevabilité de sa requête.


Décision du Comité sur la recevabilité

6.1 Lors de sa vingt-sixième session, du 30 avril au 18 mai 2001, le Comité a examiné la recevabilité de la requête. Le Comité s'est ainsi assuré que la question soulevée dans la requête n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et a noté que la requête n'était pas un abus du droit de présenter une requête et n'est pas incompatible avec les dispositions de la Convention.

6.2 En ce qui concerne le critère de recevabilité de l'épuisement des voies de recours internes, énoncé à l'alinéa b du paragraphe 5 de l'article 22, le Comité a remarqué que la procédure initiée par le requérant s'était déjà déroulée sur une période dépassant les quatre années et a considéré qu'une prolongation supplémentaire de cette période aurait été en tout état de cause déraisonnable. Par conséquent, le Comité a déclaré la requête recevable.


Observations de l'État partie sur le fond


7.1 L'État partie a communiqué ses observations sur le fond de la requête en même temps que celles sur la recevabilité par sa note verbale du 15 septembre 2000.

7.2 L'État partie rappelle tout d'abord que c'est au requérant qu'il appartient de faire la preuve qu'il risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé dans son pays. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et à l'ouvrage United Nations Convention Against Torture: A Handbook, l'État partie rappelle également qu'un acte de torture implique des souffrances aiguës, l'intensité de la douleur étant l'élément essentiel qui distingue la torture des autres traitements inhumains. L'État partie, rappelant le caractère prospectif de l'article 3 de la Convention, souligne ensuite que le fait qu'une personne ait été torturée dans le passé ne suffit pas à démontrer que celle-ci risque de subir des traitements similaires dans le futur. Se référant à la jurisprudence du Comité, l'État partie précise aussi que le risque de torture doit être personnel, présent, prévisible et réel, ce qui implique entre autres qu'il ne suffit pas qu'il existe dans le pays d'origine un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, massives ou flagrantes. L'État partie décrit enfin, en se basant sur plusieurs décisions prises précédemment par le Comité, une liste non exhaustive d'indicateurs pertinents aux fins de l'application de l'article 3 et, notamment, l'existence d'éléments de preuve de nature médicale ou d'autres éléments de preuve de sources indépendantes à l'appui des allégations du requérant, les éventuels changements dans la situation interne du pays en matière de droits de l'homme, l'existence d'activités politiques dans le chef du requérant, les preuves de crédibilité du requérant ou encore les incohérences factuelles de ce que le requérant affirme.

7.3 Dans le cas d'espèce, l'État partie soutient que le requérant n'a pas établi qu'il existait un risque sérieux, personnel et prévisible qu'il soit soumis à la torture parce qu'il n'est pas crédible, qu'aucun fait ne permet de croire qu'il est recherché par les autorités honduriennes et qu'il n'a pas établi qu'il existait au Honduras un ensemble de violations massives des droits de l'homme.

7.4 L'État partie conteste la crédibilité du requérant notamment parce qu'il a donné différentes explications par rapport aux raisons pour lesquelles il se trouvait sur le lieu de l'explosion, le jugement l'ayant libéré mentionnant qu'il s'était rendu sur les lieux pour faire différents appels téléphoniques alors qu'il a affirmé aux autorités canadiennes qu'il s'était rendu sur les lieux pour chercher des documents pour préparer un examen à l'université et, selon un journal hondurien, qu'il serait entré dans l'édifice parce qu'il y avait vu de la lumière. De même, les affirmations du requérant selon lesquelles l'amputation de son bras et une opération qu'il a subie à l'estomac étaient inutiles ne sont pas crédibles dans la mesure où le jugement cité plus haut indique qu'il se trouvait tout près de l'endroit de l'explosion et que les restes d'une main ont été retrouvés. Le requérant avait lui-même déclaré qu'il avait été aveuglé par un éclat de lumière, et que ses yeux et ses oreilles saignaient, qu'il sentait qu'il était blessé au bras et qu'il a pu, en tâtonnant, sortir sur un balcon pour demander de l'aide. L'État partie considère donc qu'au vu de ces éléments, il est plus que probable que l'amputation de son bras ait été justifiée, de même que son opération à l'estomac afin d'en extraire un corps étranger. En outre, le requérant s'est contredit par rapport à son statut matrimonial, ayant déclaré dans la fiche de renseignements qu'il était célibataire et sans enfant alors que dans une demande de visa faite en 1995 il avait mentionné avoir une épouse et deux enfants. Le requérant s'est également contredit par rapport à un emploi exercé entre 1993 et 1995. Le requérant n'a de plus pas donné d'explications crédibles quant à ces contradictions et incohérences, ce que le rapport psychologique ne peut non plus expliquer.

7.5 L'État partie considère en outre que, objectivement, le requérant n'a jamais été un opposant actif ou membre d'une organisation d'opposants, qu'il n'existe aucune preuve qu'il est recherché par les autorités honduriennes, ayant pu obtenir un passeport de sortie en 1997 et les membres de sa famille n'ayant pas connu des difficultés avec les autorités, mis à part la détention de son frère pendant cinq jours, qu'il a vécu sans problèmes entre 1993 et 1995 et qu'il a quitté quatre fois son pays et y est chaque fois retourné volontairement. Il n'a en outre pas demandé le statut de réfugié au Guatemala ou au Costa Rica, pays signataires de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés.

7.6 L'État partie soutient que la crainte invoquée par le requérant liée à sa dénonciation des abus de pouvoirs commis par l'armée ne trouve pas beaucoup d'illustration documentaire dans la mesure où non seulement il y a fort peu de disparitions à l'heure actuelle, celles-ci visant surtout les défenseurs des droits de l'homme ou les criminels, mais il s'avère également que plusieurs militaires ont fait l'objet de poursuites pour abus de pouvoir. L'État partie soutient que le Honduras n'est pas un pays où il existe un ensemble de violations massives des droits de l'homme et que la situation du pays a significativement évolué depuis les années 80. Pour démontrer cette réalité, l'État partie souligne notamment que selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement, le nombre de cas de torture au Honduras a descendu de 156 en 1991 à 7 en 1996. Le rapport de 1999 du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la torture ne fait mention d'aucun cas de torture et pour la période précédant 1999, l'État partie souligne que le Gouvernement du Honduras a chaque fois fourni une réponse aux questions posées par le Rapporteur spécial. Un certain nombre d'appels urgents concernant des exécutions ont été lancés par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour des périodes allant de 1997 à 1999. Les rapports du Groupe de travail sur la détention arbitraire pour les années 1997, 1998 et 1999 ne font mention d'aucun cas concernant le Honduras. Les rapports du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires font apparaître que la plupart des cas de disparition ont eu lieu entre 1981 et 1984 et le rapport pour l'année 1998 mentionne un seul cas de disparition au sujet d'un prêtre jésuite. En ce qui concerne les autres sources documentaires, l'État partie souligne que pour l'année 1999, Amnesty International a fait mention de violations des droits de l'homme par rapport à des défenseurs des droits de l'homme, que le rapport de 1999 de Human Rights Watch ne traite pas du Honduras et que le «Country Reports on Human Rights Practices for 1999» du Département d'État américain mentionne que les droits de l'homme étaient généralement respectés au Honduras durant la période étudiée même si de sérieux problèmes persistaient concernant certaines allégations d'exécutions extrajudiciaires par des membres de la sécurité. Enfin, en ce qui concerne le document de la FIDH qui a été déposé par le requérant, l'État partie souligne qu'il se réfère aux défenseurs des droits de l'homme, qualité que le requérant ne peut revendiquer. En conclusion, l'État partie soutient que, même si ces informations font apparaître des préoccupations certaines, il n'existe pas au Honduras un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme et que la preuve documentaire ne soutient pas l'allégation d'un risque de torture dans le chef du requérant qui ne s'est jamais opposé au Gouvernement et qui n'a jamais fait partie d'une telle organisation.

7.7 Enfin, l'État partie rappelle l'attention du Comité sur le fait que ce type d'évaluation est confié au niveau interne à des organes hautement spécialisés et expérimentés et que cette dernière évaluation est soumise au contrôle de la Cour fédérale du Canada. Se référant à l'observation générale du Comité sur l'article 3 ainsi qu'à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme, l'État partie soutient qu'il n'appartient pas au Comité de substituer sa propre évaluation des faits à celle de ses autorités dans la mesure où le cas du requérant ne fait apparaître ni erreur manifeste, ni abus de procédure, ni quelque autre irrégularité et que le standard de l'article 3 a été appliqué par les autorités canadiennes dans l'évaluation du cas présent.


Délibérations du Comité


8.1 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi du requérant vers le Honduras violerait l'obligation de l'État partie, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

8.2 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Honduras. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Par contre, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.3 Le Comité rappelle son observation générale sur l'application de l'article 3, où l'on lit ce qui suit: «Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable» (A/53/44, annexe IX, par. 6).

8.4 Dans le cas d'espèce, le Comité note les observations de l'État partie selon lesquelles les déclarations du requérant par rapport aux risques invoqués de torture ne sont pas crédibles et ne sont pas corroborés par des éléments objectifs.

8.5 Sur la base des éléments qui lui ont été présentés, le Comité considère que le requérant n'a pas démontré qu'il est un opposant du régime, recherché pour des activités terroristes. Le Comité note qu'il a été acquitté de sa responsabilité pour l'explosion de 1988 et qu'il n'a pas été accusé d'avoir d'autres activités d'opposition depuis lors. Il n'a donc pas démontré qu'il existe un risque personnel d'être soumis à la torture s'il rentre au Honduras. Dans cette mesure, le Comité estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la situation générale du Honduras en matière de respect des droits de l'homme et est d'avis que le requérant n'a pas démontré qu'il existe un motif sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture en cas de retour dans son pays d'origine dans le sens de l'article 3 de la Convention.

9. Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Honduras ne constituerait aucune violation de l'article 3 de la Convention.



Notes


1. Le requérant prétend qu'il n'a pas été libéré le jour dudit jugement en raison d'un appel interjeté par la partie adverse.

2. Le requérant a également fourni une attestation du Révérend Leo Frade, évêque de la communauté anglicane du Honduras, qui, en se basant sur différents aspects de la situation générale au Honduras et par rapport à la situation personnelle du requérant, confirme les craintes de ce dernier.

 



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