H.M.H.I. (nom supprimé) c. Australie, Communication No. 177/2001, U.N. Doc. CAT/C/28/D/177/2001 (2002).
Requérant : | H. M. H. I. (nom supprimé) |
Représenté par : | M. Simon Jeans |
État partie : | Australie |
Date de la requête : | 12 décembre 2000 |
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 1er mai 2002,
Ayant achevé l'examen de la requête no 177/2001, présentée au Comité en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.1 Le requérant est M. H. M. H. I.,
de nationalité somalienne, né en Somalie le 1er juillet 1960. Il affirme que
son expulsion en Somalie qui est actuellement envisagée constituerait une violation
de l'article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a transmis la communication à l'État partie le 25 janvier 2001. Dans le même
temps, agissant en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur,
il a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers la Somalie
tant que sa requête serait examinée par le Comité. Le 20 septembre 2001, l'État
partie a informé le Comité qu'il accédait à sa demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant appartient au sous-clan des Dabarre (clan des Rahanwein). Son
cousin était Ministre de l'enseignement supérieur sous le régime de Siad Barre.
Lorsque les affrontements entre clans ont éclaté, en 1991, le requérant et sa
famille résidaient à Baidoa, dont les habitants étaient à majorité des Rahanwein
mais qui était contrôlée par le beau-frère de Siad Barre qui était membre du
sous-clan des Marehan (clan des Darod). Selon le requérant, un sous-clan rival
a détruit la ville, tuant de nombreuses personnes avant que les forces des Rahanwein
n'y retournent, suivies par les forces des Marehan qui s'y sont livrées à des
pillages.
2.2 À la suite de la destruction de la maison du requérant, les forces des Marehan
l'ont arrêté avec sa femme. Lorsqu'ils ont appris qu'ils étaient des Rahanwein,
ils les ont faits prisonniers et forcés à travailler dans des fermes locales.
Le requérant affirme que sa femme a été violée mais qu'ils ont réussi à s'échapper
en avril 1992. Après que son beau-frère eut été tué par les forces d'un seigneur
de la guerre du clan des Hawiye, Hussain Aideed, le requérant, accompagné de
sa femme, a pu atteindre une région où vivaient certains membres de son sous-clan,
les Dabarre, et y a laissé sa famille. Comme les forces d'Aideed avaient tué
bon nombre de ses proches, il a quitté la région. En novembre 1992, alors qu'il
était à proximité de la frontière nationale, le requérant a entendu que le sous-clan
des Dabarre, auquel il appartenait, avait été attaqué par un autre sous-clan
des Rahanwein. En décembre 1994, il a appris que son oncle, un ancien ministre,
avait été tué par les forces d'Aideed.
2.3 Le 25 décembre 1997, le requérant est arrivé à Sydney (Australie) via la
Thaïlande sans pièce d'identité valide. Depuis lors, il est détenu par les services
de l'immigration. Le 2 janvier 1998, le requérant a demandé un «visa de protection»
(statut de réfugié) et s'est vu accorder l'aide d'un représentant en justice.
Il affirme craindre d'être victime d'un traitement pouvant être assimilé à de
la persécution en Somalie (torture ou exécution) du fait de sa race ou de sa
nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social
donné parce qu'il est membre d'un clan et a des liens de parenté avec une personnalité
politique du régime de Siad Barre. Le 15 janvier 1998, sa demande a été rejetée.
2.4 Après avoir entendu le requérant le 9 avril 1998, la Commission de contrôle
des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal) a rejeté, le
8 juillet 1998, sa demande de révision de la décision prise en première instance.
La Commission a jugé le requérant crédible et a ajouté foi à son récit concernant
ce qu'avaient vécu les membres de son clan et de son sous-clan. Elle a toutefois
estimé que les violations des droits de l'homme qu'il redoutait ne constituaient
pas une «persécution» au sens de la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés puisqu'il était plutôt une victime de la guerre civile.
2.5 Le 15 octobre 1998, le Tribunal fédéral d'Australie a rejeté le recours
de H. M. H. I. contre la décision de la Commission. Mais, le 9 avril 1999, le
Tribunal fédéral plénier a accepté sa demande tendant à ce que la décision du
Tribunal fédéral soit révisée. Le 26 octobre 2000, une majorité des membres
de la Haute Cour s'est prononcée en faveur d'un appel du Ministre de l'immigration
et des affaires multiculturelles contre la décision du Tribunal fédéral plénier
et a approuvé la décision de la Commission.
2.6 Le 30 novembre 2000 et le 2 février 2001, le Ministère de l'immigration
et des affaires multiculturelles a rejeté des demandes de dispense ministérielle
discrétionnaire à la décision de la Commission, présentées au titre de la loi
sur la migration.
Teneur de la requête
3.1 Le requérant affirme qu'il y a des motifs sérieux de croire qu'il sera soumis
à la torture s'il est renvoyé en Somalie, ce qui constituerait une violation
par l'État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3
de la Convention. Il fait valoir qu'il n'y a pas un seul endroit en Somalie
où il serait en sécurité dès lors que l'aéroport de Mogadishu et Baidoa sont
contrôlés par le clan d'Aideed, les Hawiye. Qui plus est, d'autres sous-clans
des Rahanwein sont en conflit avec son propre sous-clan. Le requérant affirme
en outre qu'il est personnellement en danger parce qu'il est un proche d'un
ancien ministre du régime de Siad Barre. Il craint qu'à son retour à Mogadishu,
le clan des Hawiye découvre immédiatement à quel clan il appartient et tente
de lui extorquer de l'argent. Il craint que les Hawiye ne le torturent ou l'exécutent
sommairement s'il n'est pas en mesure de leur donner ce qu'ils demandent. Il
affirme que même s'il n'est pas détenu ou exécuté à l'aéroport, comme il a perdu
tout contact avec ses proches et ses amis, il ne tarderait pas à être arrêté
et torturé par des clans hostiles.
3.2 En ce qui concerne la situation générale en Somalie, le requérant cite une
lettre d'Amnesty International (Australie), un rapport du HCR, un rapport du
Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, un rapport du Département
d'État des États-Unis et un rapport de l'US Committee for Refugees datant respectivement
d'octobre 1998, de septembre 1999, de janvier 2000, de février 2000 et d'août
2000, attestant l'existence de violations persistantes systématiques et flagrantes
des droits de l'homme dans de nombreuses régions du pays. À l'appui de son allégation
selon laquelle il risque personnellement d'être torturé, le requérant affirme
que ce que sa famille et lui ont vécu, y compris le fait qu'ils ont été astreints
à un travail forcé, le viol de sa femme et la mort de son beau-frère prouvent
que toutes ses craintes sont justifiées et qu'il serait torturé s'il retournait
en Somalie.
Observations de l'État partie
4.1 Dans une note verbale datée du 20 septembre 2001, l'État partie a contesté
à la fois la recevabilité de la communication et son bien-fondé.
4.2 L'État partie affirme que la communication est irrecevable à la fois parce
que les faits allégués n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention
ratione materiae et parce que les allégations ne sont pas suffisamment étayées
comme l'exige l'article 107 b) du règlement intérieur du Comité. Il fait observer
que les questions soulevées ont déjà été examinées d'une manière détaillée à
tous les niveaux de l'institution judiciaire et par le Ministre. Il fait valoir
que la demande de protection internationale formulée par le requérant a déjà
fait l'objet d'un examen complet et que ce dernier tente de se servir du Comité
pour faire examiner une demande d'asile.
4.3 L'État partie affirme que la communication est irrecevable ratione materiae
parce qu'à maints égards la Convention n'est pas applicable aux faits allégués.
Premièrement, le traitement auquel le requérant affirme qu'il sera soumis s'il
est renvoyé en Somalie ne relève pas de la définition de la torture donnée à
l'article premier de la Convention où il est question d'actes dans lesquels
est impliqué «un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant
à titre officiel». L'État partie se fonde également sur les travaux préparatoires
de la Convention pour affirmer qu'aux fins de la Convention pour qu'il y ait
torture, il faut qu'il y ait une responsabilité pour des actes de torture attribuables
à l'État.
4.4 L'État partie se réfère à cet égard à la jurisprudence du Comité. Dans l'affaire
G. R. B. c. Suède, (1) le Comité a, en effet, estimé que l'article 3 de la Convention
n'était pas applicable aux actes infligés par une entité non gouvernementale
sans le consentement exprès ou tacite de l'État partie. Dans l'affaire Elmi
c. Australie,(2) le Comité a nuancé ce principe dans le cas exceptionnel d'un
État sans gouvernement central depuis un certain temps où la communauté internationale
a négocié avec des factions belligérantes et où certaines de ces factions ont
mis en place des institutions quasi gouvernementales, étant donné que la Convention
pouvait s'appliquer aux actes des groupes exerçant de facto les pouvoirs d'un
gouvernement.
4.5 L'État partie souligne qu'il y a d'importantes différences de fait et de
droit entre le cas à l'examen et la situation dans l'affaire Elmi. Il note que
le gouvernement central a été rétabli en Somalie en août 2000 et que les 245
membres de l'Assemblée nationale transitoire ont été élus compte dûment tenu
des différents clans en veillant à ce qu'aussi bien les clans minoritaires que
les clans dominants soient représentés. En octobre 2000, le nouveau Premier
Ministre a constitué un gouvernement de 22 ministres dans lequel tous les clans
importants étaient représentés. Les membres du clan des Rahanwein y occupent
plusieurs postes importants et un membre du sous-clan des Dabarre détient aussi
un portefeuille ministériel. En outre, les actuels Président et Premier Ministre
étaient des ministres sous le régime de Siad Barre. Le gouvernement national
de transition est reconnu par la communauté internationale en tant que gouvernement
effectif de la Somalie et, par conséquent, au regard du droit international,
ce gouvernement constitue l'autorité étatique compétente aux fins de la Convention.
De ce fait, les groupes qui ne relèvent pas du gouvernement national de transition,
qui a été mis en place à Mogadishu et qui cherche à établir son contrôle effectif
sur l'ensemble de la Somalie et à restaurer pleinement la stabilité et l'ordre,
ne peuvent être considérés comme des agents de la fonction publique ou des personnes
agissant à titre officiel aux fins de l'article premier de la Convention. Rien
ne permet non plus de dire que le gouvernement national de transition consent
d'une manière expresse ou tacite aux actes de ces groupes.
4.6 L'État partie insiste sur la distinction entre les actes privés et les actes
publics en droit international et les circonstances dans lesquelles des actes
privés peuvent être imputés à l'État. Citant des doctes commentaires (3)et les
décisions de la Cour internationale de Justice (4) et du Tribunal des différends
irano-américains (5) ainsi que des décisions de hautes cours nationales, (6)
l'État partie fait observer qu'il est nécessaire que les actes de groupes privés
soient étroitement liés à l'État, et notamment que celui-ci en soit au courant
ou y ait donné son consentement ou qu'ils s'inscrivent dans le cadre de sa politique,
pour qu'ils puissent lui être attribués.
4.7 Abordant les faits de la cause, l'État partie mentionne diverses preuves
documentaires (7) indiquant que les incidents évoqués par le requérant étaient
dus à des affrontements entre factions et à des troubles civils plutôt qu'à
ses liens familiaux ou à des facteurs personnels. En particulier, il n'y a aucun
élément de preuve attestant que la destruction de la maison du requérant était
un acte commis par des personnes qui exécutaient les ordres des dirigeants des
Marehan en vue de porter préjudice à d'anciens membres du régime de Siad Barre,
surtout que le beau-frère de Barre contrôlait ce sous-clan. De même, en ce qui
concerne l'arrestation du requérant par les Marehan et le fait qu'il ait été
astreint à un travail forcé, il ne fait aucun doute qu'en fonction des affiliations
de l'époque, les circonstances de son arrestation auraient été les mêmes même
s'il avait appartenu à une autre tribu. S'agissant de l'assassinat du frère
du requérant, puis de son oncle, par les forces d'Aideed, rien ne prouve que
le requérant ait été poursuivi par quiconque en raison des liens que sa famille
avait avec le régime de Siad Barre. Quoi qu'il en soit, de tels règlements de
compte sont à présent moins fréquents et leurs motivations sont plutôt économiques
que politiques. En conséquence, l'État partie affirme que ce qui est allégué
n'est pas suffisant pour invoquer l'article 3 et un risque de torture en cas
de retour.
4.8 Deuxièmement, la requête devrait être considérée irrecevable ratione materiae
dans la mesure où le requérant n'a pas démontré l'existence de motifs sérieux
de craindre actuellement que lui soit extorqué de l'argent en cas de retour.
En tout état de cause, ce n'est pas de torture qu'il s'agit ici. En outre, les
craintes du requérant concernent une petite partie de Mogadishu et non l'ensemble
de la Somalie et, conformément à la pratique suivie en cas de renvoi, le requérant
a la possibilité de choisir sa destination en Somalie. D'ailleurs, l'État partie
n'a pas l'intention de le renvoyer à Mogadishu.
4.9 Pour ce qui est du fond, l'État partie affirme qu'il n'existe aucun motif
sérieux de croire que le requérant court un risque réel, prévisible et personnel
d'être torturé par le nouveau Gouvernement somalien en raison de ses liens familiaux.
Il note que la situation générale s'améliore et que les allégations du requérant
doivent être examinées en fonction des conditions actuelles. Il appelle en outre
l'attention sur les nouveaux arrangements concernant l'exercice du pouvoir en
Somalie et le fait que de nombreux membres du Gouvernement étaient liés au régime
de Siad Barre. Compte tenu de la mise en place d'un nouveau gouvernement et
de la stabilité relative qui s'instaure dans le pays, il n'y a aucune raison
de penser que le requérant risque d'être soumis à la torture par le Gouvernement
s'il est renvoyé en Somalie que ce soit du fait de ses liens familiaux avec
Siad Barre, de son appartenance à un clan donné ou pour tout autre motif.
4.10 L'État partie affirme que le requérant ne court en outre aucun risque réel,
prévisible et personnel d'être torturé par les forces d'Aideed ou d'autres sous-clans.
Il note que depuis la mise en place du nouveau Gouvernement, il n'y a apparemment
plus de combats prolongés dans la capitale et qu'il contesterait toute affirmation
selon laquelle les factions armées en présence dans le pays exerceraient une
autorité quasi gouvernementale. Depuis 1999, la région de Bay a connu une paix
relative et, selon la Rapporteuse spéciale de l'ONU, (8) la vie reprend son
cours à Baidoa. Quelle que soit la situation passée, il n'y a aucun signe de
menaces actuelles de la part du clan des Marehan ou des forces d'Aideed. Le
fait est qu'Aideed est le Président du Conseil de réconciliation et de reconstruction
de la Somalie créé en mars 2001, dont les Rahanwein et d'autres clans sont membres.
Les rapports de force entre les clans et les liens d'allégeance ont beaucoup
changé depuis la fuite du requérant. L'État partie affirme que même si le risque
d'être victime des affrontements entre factions subsiste à Mogadishu et dans
le sud de la Somalie, avec la mise en place d'un gouvernement central, c'est
l'ensemble de la population qui est en butte à ce risque, qui n'a rien de personnel.
4.11 Même si le requérant est renvoyé à Mogadishu, ce qui n'est pas l'intention
de l'État partie, il pourrait se réinstaller dans la région relativement stable
du nord-ouest ou du nord-est. L'État partie propose plutôt que le requérant
soit envoyé au Kenya pour qu'il puisse bénéficier du programme de rapatriement
volontaire du HCR pour se rendre dans une région stable de son choix.
Commentaires du requérant
5.1 Dans une lettre datée du 27 mars 2002, le requérant a formulé des commentaires
sur les observations de l'État partie. Pour ce qui est de la recevabilité de
la requête, il reconnaît que ses allégations ont été examinées en Australie
avant la présentation de la requête mais estime qu'avec l'épuisement des recours
internes le Comité peut les examiner. Le requérant affirme que le principe adopté
dans l'affaire Elmi est applicable à son cas, faisant valoir que l'évaluation
par l'État partie de la situation politique en Somalie ne résiste pas à une
réalité qui est connue de tous. Il affirme qu'il n'y a pas de gouvernement central
en Somalie et que les milices agissent d'une manière organisée pour réprimer
d'autres clans.
5.2 Sur le fond, le requérant rejette les observations de l'État partie, affirmant
que le climat politique et militaire demeure instable et qu'il risque d'être
torturé. Il rejette l'affirmation selon laquelle la situation a suffisamment
changé pour qu'il n'ait plus de crainte à se faire et que la plupart des actes
de violence qui se produisent actuellement ont des causes privées. Il se réfère
à divers rapports indiquant que l'instabilité persiste et qu'il règne un climat
caractérisé par l'existence de risques de violations des droits de l'homme.
Le requérant fait valoir que le gouvernement national de transition exerce un
pouvoir restreint dans le pays étant plutôt confiné dans Mogadishu. Il affirme
en outre que les déclarations de l'État partie selon lesquelles un gouvernement
central serait en place sont contredites par les instructions de voyage données
par le Gouvernement australien qui déconseille à ses concitoyens de se rendre
en Somalie.
5.3 Le requérant ne partage pas non plus l'opinion selon laquelle il doit apporter
la preuve directe qu'il serait soumis à la torture en Somalie, affirmant qu'il
est rare qu'un risque de cette nature puisse être prouvé d'une manière absolue.
Le requérant conteste aussi qu'il puisse être réinstallé dans une autre partie
de la Somalie que la région de Bay, dont il est originaire, notant simplement
qu'actuellement le HCR ne rapatrie pas des personnes se trouvant dans la position
du requérant dans les régions du Puntland ou du Somaliland.
Délibérations du Comité
6.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations
communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de
la Convention.
6.2 Avant d'examiner toute plainte figurant dans une requête, le Comité contre
la torture doit déterminer si elle est recevable en vertu de l'article 22 de
la Convention. À cette fin, le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le
faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que
la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité s'est
également assuré, comme l'exige le paragraphe 5 b) de l'article 22, que les
recours internes ont été épuisés.
6.3 Le Comité considère que les allégations formulées dans la requête ont été
étayées aux fins de la recevabilité et que le requérant a présenté les faits
et les fondements de sa plainte d'une manière suffisamment détaillée pour que
le Comité puisse prendre une décision. S'agissant des arguments de l'État partie
selon lesquels la communication est irrecevable ratione materiae, le Comité
considère qu'il est préférable d'aborder les questions relatives à la portée
des articles 1er et 3 et à l'applicabilité de ces articles aux faits de la cause
au stade de l'examen du fond. En conséquence, il estime qu'il n'y a aucun obstacle
à la recevabilité de la requête. Comme l'État partie et le requérant ont tous
deux formulé leurs observations sur le contenu de la requête, le Comité procède
sans plus tarder à son examen quant au fond.
6.4 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'obligation faite à
l'État partie à l'article 3 de la Convention de ne pas renvoyer contre son gré
une personne dans un autre État s'il existe de sérieux motifs de croire qu'elle
risque d'être soumise à la torture - telle qu'elle est dÚfinie Ó l'article premier
de la Convention - requiert que les actes visÚs soient commis par ½un agent
de la fonction publique ou toute autre personne agissant Ó titre officiel».
En conséquence, dans l'affaire G. R. B. c. Suède (9) le Comité a estimé que
les allégations faisant état d'un risque d'être torturé par le Sentier lumineux,
entité non étatique contrôlant d'importantes parties du Pérou, étaient en dehors
du champ d'application de l'article 3 de la Convention. D'autre part, dans l'affaire
Elmi c. Australie (10) , le Comité a jugé que, dans des circonstances exceptionnelles
caractérisées par l'absence totale d'une autorité étatique, la définition figurant
à l'article premier pouvait englober les actes des groupes exerçant une autorité
quasi gouvernementale auxquels s'appliqueraient alors les dispositions de l'article
3. Le Comité considère que trois années se sont écoulées depuis la décision
dans l'affaire Elmi, et que la Somalie possède actuellement une autorité étatique
revêtant la forme d'un gouvernement national de transition qui a des relations
avec la communauté internationale encore que quelques doutes puissent exister
quant à l'étendue de son pouvoir territorial et à sa longévité. En conséquence
le Comité n'est pas d'avis que la situation exceptionnelle décrite dans l'affaire
Elmi puisse être invoquée en l'espèce et applique sa règle générale selon laquelle
les actes d'entités non gouvernementales sont en dehors du champ d'application
de l'article 3 de la Convention.
6.5 De plus, le Comité a tenu compte de toutes les considérations pertinentes,
y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits
de l'homme, graves, flagrantes ou massives, bien que l'existence dans un pays
d'un tel ensemble de violations des droits de l'homme ne constitue pas en soi
un motif suffisant pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à
la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires
de penser que l'intéressé serait personnellement en danger. En l'espèce, le
Comité considère que le requérant n'a pas montré qu'il existait des motifs sérieux
de croire qu'il était personnellement exposé au risque d'être soumis à la torture
s'il était renvoyé en Somalie.
6.6 Le Comité note aussi que l'État partie n'a pas l'intention de renvoyer le
requérant à Mogadishu, mesure sur laquelle portent ses principales allégations
au titre de l'article 3, et que le requérant sera en outre libre de bénéficier
du programme de rapatriement du HCR et de choisir la région de la Somalie où
il souhaite retourner.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels
inhumains ou dégradants est d'avis que le renvoi du requérant d'Australie ne
constituerait pas une violation de l'article 3 ni de l'article 16 de la Convention.
Notes
1.Affaire no 83/1997.
2. Affaire no 120/1998.
3. R. Jennings; A. Watts (dir. pub.): Oppenheim's International Law (9th edition),
1992, p. 550.
4. Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à
Téhéran, rapport de la CIJ (1980), p. 3 («Otages de Téhéran»).
5. Short v. Islamic Republic of Iran 82 (1988) AJIL 140 et Yeager v. Islamic
Republic of Iran 82 (1988) AJIL 353.
6. R. v. Bow Street Metropolitan Stipendiary Magistrate ex parte Pinochet [2001]
1 AC 61 (United Kingdom); Marcos I 806 F.2d 358, Alfred Dunhill of London Inc.
v. Republic of Cuba 425 US 682, Sharon v. Time Inc. 599 F.Supp. 538 et Jimenez
v. Aristeguista 311 F.2d 547, United States v. Noriega 746 F.Supp 1506 (United
States of America).
7. US State Department Country Report of Human Rights Practices 1992; Refugee
Survey Quarterly Vol. 15m no 1, p. 48 et suiv.; Victims and Vulnerable Groups
in Somalia – Research Directorate Documentation, Information and Research Branch,
Immigration and Refugee Board, Ottawa, Canada; Rapport de la Rapporteuse spéciale
sur la situation des droits de l'homme en Somalie présenté conformément à la
résolution 1999/75 de la Commission des droits de l'homme en date du 26 janvier
2000, p. 4.
8. Ibid.
9. Op. cit.
10. Op. cit.