University of Minnesota



Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza c. Sweden, Communication No. 233/2003, U.N. Doc. CAT/C/34/D/233/2003 (2005).


 


Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-quatrième session

2 - 20 mai 2005


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

- Trente-quatrième session -

Communication No. 233/2003 *




Présentée par: Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza (représenté par un conseil, M. Bo Johansson, du Swedish Refugee Advice Centre)

Au nom de: Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza

État partie: Suède

Date de la requête: 25 juin 2003



Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 20 mai 2005,

Ayant examiné la requête no 233/2003, présentée par M. Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza, en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l'État partie,

Adopte la décision ci-après:


Décision du Comité au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention



1. Le requérant est Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza, de nationalité égyptienne, né le 8 novembre 1962 et qui se trouvait en détention en Égypte quand la requête a été présentée. Il affirme qu'en le renvoyant en Égypte le 18 décembre 2001, la Suède a commis une violation de l'article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, qui produit une procuration signée du père du requérant attestant qu'il a mandat pour agir. Le requérant lui-même, étant incarcéré, n'aurait pas le droit de signer un document à usage externe sans autorisation spéciale du Procureur général égyptien et, d'après le conseil, on ne peut pas s'attendre à ce que cette autorisation soit donnée.


Rappel des faits

2.1 En 1982, le requérant a été arrêté du fait de ses liens de parenté avec un cousin qui avait été arrêté parce qu'il était soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat de l'ancien Président égyptien, Anouar el-Sadate. Avant d'être libéré, en mars 1983, il aurait été torturé. Le requérant, qui militait à l'université au sein du mouvement islamique, avait achevé ses études en 1986 et épousé Mme Hannan Attia. Il avait échappé à plusieurs reprises aux recherches de la police mais avait connu des difficultés, comme l'arrestation de son avocat, lorsqu'il avait engagé une action civile en 1991 contre le Ministère de l'intérieur pour les souffrances endurées pendant sa détention.

2.2 En 1991, pour des raisons de sécurité, le requérant a quitté l'Égypte pour l'Arabie saoudite et de là pour le Pakistan, où sa femme et ses enfants l'ont rejoint. L'ambassade d'Égypte au Pakistan ayant refusé de renouveler leur passeport, ils sont partis en juillet 1995 pour la Syrie, sous des noms d'emprunt soudanais, dans l'idée de continuer vers l'Europe. Ce plan a échoué et la famille s'est installée en Iran, où le requérant a obtenu une bourse universitaire.

2.3 En 1998, le requérant a été jugé par contumace en Égypte pour activités terroristes par une juridiction militaire supérieure, en même temps que plus de 100 autres inculpés. Il a été reconnu coupable d'appartenance au groupe terroriste du Jihad et a été condamné sans possibilité d'appel à 25 ans d'emprisonnement. En 2000, le rapprochement entre l'Égypte et l'Iran lui faisant craindre d'être renvoyé en Égypte, le requérant a pris des billets d'avion pour lui-même et sa famille, sous des noms d'emprunt saoudiens, à destination du Canada et ils ont demandé l'asile en Suède pendant une escale à Stockholm, le 23 septembre 2000.

2.4 Dans sa demande d'asile, le requérant a dit qu'il avait été condamné par contumace à la «réclusion à perpétuité» pour terrorisme lié au fondamentalisme islamique et que, s'il était renvoyé en Égypte, il serait exécuté comme d'autres personnes accusées dans le même procès l'avaient, d'après lui, été. Sa femme a fait valoir que si elle était renvoyée en Égypte elle serait emprisonnée pendant de nombreuses années, en tant qu'épouse du requérant. Le 23 mai 2001, le Conseil des migrations a invité les service de la Sûreté nationale suédoise à donner son avis sur la question. Le 14 septembre 2001, le Conseil des migrations a procédé à une «audition principale» du requérant, suivie le 3 octobre 2001 d'une nouvelle audition. Le même mois, les services de la Sûreté ont interrogé le requérant. Le 30 octobre 2001, ils ont informé le Conseil des migrations que le requérant jouait un rôle de premier plan dans une organisation coupable d'actes de terrorisme et qu'il était responsable des activités de cette organisation. Le Conseil des migrations a donc renvoyé l'affaire au Gouvernement, le 12 novembre 2001, pour qu'il prenne une décision conformément au paragraphe 2.2 de l'article 11 (chap. 7) de la loi sur les étrangers. Pour le Conseil des migrations, d'après les renseignements dont il disposait, le requérant pouvait être considéré comme répondant aux conditions requises pour bénéficier du statut de réfugié; mais selon l'appréciation des services de la Sûreté, que le Conseil n'avait aucune raison de contester, il en allait autrement. Il appartenait donc au Gouvernement d'apprécier le besoin de protection que pouvait avoir le requérant par rapport à l'appréciation faite par les services de la Sûreté. Le 13 novembre 2001, la Commission de recours des étrangers, à laquelle le Gouvernement avait demandé son avis, a déclaré partager les conclusions du Conseil des migrations sur le fond et a également estimé qu'il incombait au Gouvernement de trancher. Dans une déclaration, le requérant a démenti qu'il appartenait à l'organisation mentionnée dans la déclaration des services de la Sûreté, faisant valoir que l'une des organisations désignées n'était pas une organisation politique mais une publication en langue arabe. Il a également affirmé qu'il avait critiqué Oussama Ben Laden et les Talibans afghans dans une lettre adressée à un journal.

2.5 Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a rejeté les demandes d'asile du requérant et de sa femme. À la demande de l'État partie, le Comité a accepté que les raisons ayant motivé ces décisions ne figurent pas dans le texte de la présente décision. Il a donc été ordonné d'expulser le requérant immédiatement et son épouse dès que possible. Le 18 décembre 2001, le requérant a été expulsé tandis que sa femme passait dans la clandestinité pour échapper à la police.

2.6 Le 23 janvier 2002, l'Ambassadeur de Suède en Égypte est allé voir le requérant à la prison de Mazraat Tora à l'extérieur du Caire. Le même jour, les parents du requérant lui ont rendu visite pour la première fois. Ils affirment que, quand ils l'ont vu dans le bureau du gardien, il était soutenu par un surveillant et était sur le point de s'écrouler; pouvant à peine serrer la main de sa mère, il était pâle et en état de choc. Il avait le visage enflé (surtout autour des yeux) et les pieds gonflés; ses joues et son nez en sang paraissaient tuméfiés. Le requérant aurait dit à sa mère qu'il avait été brutalisé quand il avait été arrêté par les autorités suédoises. Pendant les huit heures de vol, gardé par des Égyptiens, il serait resté les pieds et les mains liés. À l'arrivée il aurait été soumis à des «méthodes d'interrogatoire poussées» aux mains des agents de la sécurité de l'État égyptiens qui lui auraient dit que les assurances données par le Gouvernement égyptien à son sujet ne servaient à rien. Le requérant a dit à sa mère qu'un appareil électrique spécial muni d'électrodes placées sur son corps avait été utilisé et que des décharges électriques étaient envoyées s'il ne répondait pas correctement aux ordres.

2.7 Le 11 février 2002, un correspondant de la radio suédoise est allé voir le requérant en prison. D'après ce journaliste, le détenu avait du mal à marcher mais il ne portait pas de marque de torture. Répondant à une question du conseil, le correspondant a dit qu'il avait expressément demandé au requérant s'il avait été torturé et que celui-ci avait répondu qu'il ne pouvait rien dire. Après la première visite, l'Ambassadeur ou d'autres diplomates suédois ont été autorisés à aller voir le requérant plusieurs fois. Le conseil dit qu'il ressort des dépêches diplomatiques envoyées jusqu'au mois de mars 2003 que le requérant avait été traité «relativement bien» et qu'il n'avait pas été soumis à la torture même si les conditions carcérales étaient dures.

2.8 Le 16 avril 2002, les parents du requérant sont retournés le voir. Il aurait déclaré à sa mère qu'après la visite de janvier il avait de nouveau été torturé à l'électricité et qu'il était placé en isolement depuis 10 jours. Il avait les mains et les jambes attachées et ne pouvait pas aller aux toilettes. À la visite suivante, il a dit à ses parents qu'il était toujours à l'isolement mais qu'il n'était plus attaché. Il avait maintenant le droit d'aller aux toilettes une fois par jour, la cellule était froide et sombre. En parlant d'un garde de sécurité, il aurait dit à sa mère «Tu sais ce qu'il me fait la nuit?». On lui avait dit de plus que sa femme serait bientôt renvoyée en Égypte et que sa mère et sa femme seraient violées devant lui. À partir de ce moment-là, les parents du requérant lui ont rendu visite une fois par mois jusqu'en juillet 2002 puis une fois tous les 15 jours. D'après le conseil, les renseignements disponibles sont qu'il est incarcéré dans une cellule de 2 mètres carrés, rafraîchie artificiellement, sombre et dépourvue de matelas. Il ne pourrait aller aux toilettes librement.

2.9 En décembre 2002, l'avocat égyptien du requérant, M. Hafeez Abu Saada, dirigeant d'une organisation égyptienne de défense des droits de l'homme qui connaît bien les conditions de détention et les méthodes d'interrogatoire de ce pays, a rencontré au Caire M. Thomas Hammarberg, Directeur du Centre international Olaf Palme. M. Abu Saada s'est déclaré convaincu que le requérant avait subi des tortures.

2.10 Le 5 mars 2003, l'Ambassadeur de Suède est allé voir le requérant en compagnie d'un envoyé du Ministère suédois des affaires étrangères spécialisé dans les droits de l'homme. Le requérant aurait dit pour la première fois qu'il avait été torturé. À la question de savoir pourquoi il n'en avait pas parlé plus tôt, il aurait répondu «Ce que je dis n'a plus d'importance, de toute façon je serai toujours traité de la même manière.».


Teneur de la plainte

3.1 Le conseil fait valoir que s'il a adressé la requête au Comité plus d'un an et demi après l'expulsion du requérant, c'est parce que pendant longtemps on ne savait pas très bien qui pouvait le représenter. D'après le conseil, il était question au début que l'avocat qui avait défendu les intérêts du requérant dans les procédures internes en Suède soumette la requête; mais, «en raison des circonstances», cet avocat s'était trouvé «dans l'impossibilité de se charger de cette affaire» et l'a renvoyée au conseil actuel «il y a quelques mois». Le conseil ajoute qu'il avait été difficile de convaincre le requérant de consentir à adresser la requête.

3.2 Pour ce qui est du fond, le conseil fait valoir qu'en renvoyant le requérant en Égypte la Suède a commis une violation des droits consacrés à l'article 3 de la Convention. Son argumentation repose sur les éléments connus au moment où le requérant a été expulsé ainsi que sur les événements ultérieurs. Il fait valoir qu'il est maintenant établi de façon convaincante que le requérant a bien été soumis à la torture après son retour dans son pays.

3.3 Le conseil affirme que la torture est fréquemment utilisée en Égypte en tant que méthode d'interrogatoire et en tant que peine, en particulier quand il s'agit de questions politiques et d'affaires de sécurité, et que le requérant, qui était accusé d'actes politiques graves, courait donc un risque réel de torture. De l'avis du conseil, l'État partie ne pouvait pas ne pas être conscient de ce risque et a donc cherché à avoir l'assurance que les droits fondamentaux du requérant seraient respectés. Le conseil souligne qu'aucune disposition n'avait néanmoins été prise avant l'expulsion pour déterminer comment les garanties en question seraient respectées après le renvoi du requérant en Égypte. Il se réfère à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (Chahal c. Royaume-Uni) dans lequel la Cour a considéré que les garanties données dans cette affaire par le Gouvernement indien constituaient à elles seules une protection insuffisante contre des violations des droits de l'homme.

3.4 Ce qui s'est passé par la suite accréditerait cette opinion. Premièrement, dans des communiqués datés des 19 et 20 décembre 2001, des 10 et 22 janvier et du 1er février 2002, Amnesty International s'est déclarée préoccupée par la situation du requérant. Deuxièmement, il ne faudrait pas tenir compte des conclusions que l'État partie a tirées après les visites de son ambassadeur parce que celles-ci ont eu lieu dans des circonstances qui laissaient à désirer. En particulier les visites ont été de courte durée, elles ont eu lieu dans une autre prison que celle où le requérant était incarcéré, elles ne se sont pas déroulées en privé et aucun médecin ni expert n'était présent. Troisièmement, des éléments de preuve indépendants tendent à confirmer que la torture a bien été pratiquée. Il convient d'accorder le crédit voulu au témoignage des parents du requérant parce que, bien qu'il y ait eu un gardien présent, tous les propos tenus n'ont pas été enregistrés, contrairement à ce qui se fait dans le cas des visites officielles, et le requérant avait l'occasion de donner des renseignements qu'il n'aurait pas donnés autrement, en particulier au moment de dire au revoir à sa mère. Pendant ces visites, la surveillance se relâchait et des personnes entraient et sortaient de la pièce. Le conseil fait valoir que ce ne serait pas dans l'intérêt des parents ou du requérant d'exagérer la situation car cela exposerait inutilement le requérant à un risque de traitement préjudiciable et affligerait la famille du requérant restée en Suède. De plus, les parents, qui sont des personnes âgées totalement étrangères à la politique, se mettraient eux-mêmes en danger de représailles.

3.5 En outre, l'avocat égyptien du requérant est tout à fait qualifié pour conclure que le requérant a été torturé, après l'avoir rencontré. M. Hammarberg de son côté considère que son témoignage est crédible. Dans un avis daté du 28 janvier 2003 qu'il a donné au conseil, M. Hammarberg a estimé qu'il y avait un commencement de preuve de torture. Il s'est également déclaré d'avis que les dispositions prises par les autorités suédoises pour suivre la situation présentaient des lacunes étant donné que, pendant les premières semaines, les autorités ne sont pas allées voir le requérant et que, par la suite, les entretiens ne se sont pas déroulés en privé et qu'il n'a été procédé à aucun examen médical.

3.6 De l'avis du conseil, la seule source indépendante sur la question, le correspondant de la radio suédoise confirme les conclusions exposées plus haut puisque le requérant a refusé de répondre quand on lui a demandé directement s'il avait été torturé. Il ne se serait pas conduit ainsi s'il n'avait pas craint des représailles. Le 5 mars 2003, le requérant a même déclaré directement à l'Ambassadeur de Suède qu'il avait subi des tortures, ayant à ce stade perdu tout espoir de voir la situation changer.

3.7 Le conseil conclut que le requérant n'a eu que très peu de possibilités de prouver qu'il avait été torturé mais avait fait de son mieux pour faire connaître ce qu'il vivait en prison. Il lui avait été impossible de relater en détail ce qu'il avait subi ou d'apporter des éléments de preuve, comme des certificats médicaux.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans une réponse datée du 5 décembre 2003, l'État partie conteste la recevabilité autant que le fond. Il considère que la requête est irrecevable i) du fait du temps écoulé depuis que les recours internes ont été épuisés, ii) parce qu'elle constitue un abus de la procédure, et iii) parce qu'elle est manifestement dénuée de fondement.

4.2 L'État partie reconnaît que ni la Convention ni la jurisprudence du Comité ne prévoient de délai fixe pour la présentation d'une requête mais il fait valoir que, eu égard à la teneur de l'article 107 f) du règlement intérieur du Comité, cela ne veut pas dire qu'il ne peut jamais y avoir prescription. L'État partie se réfère à la pratique de la Cour européenne des droits de l'homme qui applique un délai de six mois pour les requêtes qui lui sont soumises, même en ce qui concerne les affaires d'expulsion fondées sur l'article 3 de la Convention européenne, et il rappelle l'argument solide de la sécurité juridique, valable pour le requérant aussi bien que pour l'État, qui justifie cette règle. L'État partie avance que le principe de la sécurité juridique doit être considéré comme un des principes fondamentaux de l'ordre juridique international. Étant donné que la Convention contre la torture et la Convention européenne sont deux éléments importants du droit international relatif aux droits de l'homme, il serait naturel que l'un des régimes s'inspire de l'autre sur une question qui n'est pas traitée par le premier. Eu égard donc à l'article 107 f) du règlement intérieur du Comité, on est fondé à avancer qu'un délai de six mois pourrait servir de point de départ pour guider le Comité.

4.3 En ce qui concerne la présente affaire, l'État partie fait valoir qu'aucun élément convaincant n'a été apporté pour justifier le délai de plus d'un an et demi écoulé avant de soumettre la requête. Comme le mandat pour agir a été donné au conseil par le père du requérant et non par le requérant lui-même, on ne voit pas pourquoi il n'a pas été obtenu plus tôt. Il ne semble pas non plus que quelqu'un ait cherché à obtenir une procuration immédiatement après l'expulsion auprès du père ou d'un autre parent, par exemple la femme du requérant restée en Suède. L'État partie se réfère à la requête soumise par le même conseil au nom de la femme du requérant, en décembre 2001, dans laquelle le conseil avançait que sa situation était si étroitement liée à celle du requérant actuel qu'il était impossible de plaider la cause de l'épouse sans se référer à la situation du requérant. Les arguments avancés dans le cas de l'épouse montrent que le conseil connaissait bien les circonstances de la présente affaire et on ne peut pas le laisser affirmer que le retard est dû au fait qu'il n'a été chargé de l'affaire de cette famille que beaucoup plus tard. De l'avis de l'État partie, il n'y avait aucune raison de ne pas soumettre la première requête (celle de décembre 2001) également au nom du requérant actuel. En conséquence, l'État partie fait valoir que, dans l'intérêt de la sécurité juridique, le délai écoulé depuis l'épuisement des recours internes est excessivement long et la requête est donc irrecevable conformément au paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention et à l'article 107 f) du règlement intérieur du Comité.

4.4 L'État partie considère également que la requête constitue un abus de la procédure devant le Comité, contestant que le requérant puisse être considéré comme ayant un intérêt légitime à défendre en soumettant sa requête à l'examen du Comité. Les faits qui fondent la plainte à l'examen sont les mêmes que ceux qui faisaient grief dans la requête soumise au nom de l'épouse, en décembre 2001, la question fondamentale dans les deux affaires portant sur les garanties données par les autorités égyptiennes avant l'expulsion du requérant et de sa famille et demandées en vue de cette expulsion. Dans sa décision sur la première affaire, le Comité a apprécié la valeur des garanties et a constaté qu'il n'y avait pas de violation de la Convention, ce qui fait qu'il a déjà examiné la question qui est au cœur de la plainte à l'examen. Cette question devrait donc être considérée comme chose jugée.

4.5 De plus, dans le cadre de la procédure relative à la requête de l'épouse, les mêmes renseignements détaillés ont été donnés sur ses activités passées, sa situation actuelle et ses conditions de détention. Comme les deux requêtes ont été soumises par le même conseil, la requête à l'examen constitue une charge inutile pour le Comité comme pour l'État partie. Par conséquent, on ne voit pas quel est l'intérêt pour le requérant de faire examiner son cas par le Comité. La requête devrait donc être considérée comme un abus du droit de plainte et donc être déclarée irrecevable en application du paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention et de l'article 107 b) du règlement intérieur du Comité.

4.6 Enfin, l'État partie estime que la requête est manifestement dénuée de fondement car les griefs ne sont pas étayés par le minimum d'éléments nécessaires, compte tenu des arguments sur le fond exposés plus loin. Elle devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention et de l'article 107 b) du règlement intérieur du Comité.

4.7 En ce qui concerne le fond, l'État partie expose les mécanismes particuliers de la loi de 1989 sur les étrangers, applicables à des cas comme celui du requérant. Bien que les demandes d'asile soient normalement traitées par le Conseil des migrations puis par la Commission de recours des étrangers, dans certaines circonstances l'un ou l'autre de ces organes peut renvoyer le dossier au Gouvernement en y joignant son propre avis. Tel est le cas si la question est jugée importante pour la sécurité de l'État ou la sécurité en général ou pour les relations de l'État avec une puissance étrangère (art. 11, par. 2.2, chap. 7 de la loi). Si le Conseil des migrations renvoie une affaire, il doit d'abord la soumettre à la Commission de recours des étrangers qui formule son propre avis.

4.8 L'étranger qui a besoin d'une protection en raison d'une crainte fondée de persécution de la part des autorités d'un autre État pour les raisons énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés (selon l'article 2 du chapitre 3 de la loi) peut toutefois se voir refuser un permis de séjour dans certains cas exceptionnels, suite à une appréciation de ses activités antérieures et des exigences de sécurité du pays (art. 4, chap. 3, de la loi). Cela étant, aucune personne qui risque d'être soumise à la torture ne peut se voir refuser un permis de séjour (art. 3, chap. 3, de la loi). En outre, si le permis de séjour a été refusé et qu'une décision d'expulsion a été prise, la situation de l'intéressé doit être réévaluée avant que la décision ne soit exécutée pour écarter tout risque notamment de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.9 L'État partie rappelle la résolution 1373 du Conseil de sécurité, en date du 28 septembre 2001, dans laquelle les États Membres de l'ONU sont engagés à refuser de donner asile à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes de terrorisme ou en recèlent les auteurs. Le Conseil de sécurité a demandé aux États Membres de prendre les mesures appropriées, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme et aux droits des réfugiés, afin de s'assurer que les demandeurs d'asile n'ont pas organisé ou facilité la perpétration d'actes de terrorisme et n'y ont pas participé. Il a aussi demandé aux États Membres de veiller, conformément au droit international, à ce que les auteurs ou les organisateurs d'actes de terrorisme ou ceux qui facilitent de tels actes ne détournent pas à leur profit le statut de réfugié. À ce sujet, l'État partie se réfère à la déclaration faite par le Comité en date du 22 novembre 2001, dans laquelle il a exprimé l'espoir que la riposte à la menace du terrorisme international adoptée par les États parties serait conforme aux obligations qu'ils avaient contractées en vertu de la Convention.

4.10 L'État partie rappelle également le rapport intérimaire soumis en juillet 2002 par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en application de la résolution 56/143 de l'Assemblée générale, en date du 19 décembre 2001. Dans ce rapport, le Rapporteur spécial a prié les États «de veiller à ce qu'en aucun cas les personnes qu'ils ont l'intention d'extrader, pour qu'elles répondent du chef de terrorisme ou d'autres chefs, ne soient livrées, à moins que le gouvernement du pays qui les reçoit ne garantisse de manière non équivoque aux autorités qui extradent les intéressés que ceux-ci ne seront pas soumis à la torture ou à aucune autre forme de mauvais traitement à leur retour et qu'un dispositif a été mis en place afin de s'assurer qu'ils sont traités dans le plein respect de la dignité humaine» (par. 35).

4.11 Pour ce qui est des faits de la présente cause, l'État partie expose en détail les informations recueillies par ses services de sécurité, qui l'ont conduit à considérer que le requérant représentait une grave menace pour la sécurité. À la demande de l'État partie, cette information, qui avait été communiquée au conseil du requérant dans le cadre de la procédure confidentielle prévue par l'article 22 de la Convention, n'est pas exposée dans la décision du Comité.

4.12 L'État partie fait observer que, le 12 décembre 2001, après le renvoi de l'affaire par le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers, un secrétaire d'État du Ministère des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien au Caire. À la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité, aucune information sur l'identité de l'interlocuteur n'est donnée dans la présente décision. Étant donné que l'État partie envisageait de ne pas accorder au requérant la protection prévue dans la Convention relative au statut des réfugiés, le but de cette visite était de déterminer s'il était possible pour la Suède de renvoyer le requérant et sa famille en Égypte, sans violer ses obligations internationales, notamment celles qui découlent de la Convention. Après avoir examiné minutieusement la solution consistant à demander aux autorités égyptiennes des assurances au sujet du traitement qui leur serait réservé, le Gouvernement de l'État partie a conclu qu'il était possible autant que judicieux de demander si l'on pouvait lui donner la garantie que le requérant et sa famille seraient traités dans le respect du droit international quand ils rentreraient en Égypte. À défaut de telles garanties, le retour ne serait pas envisagé. Le 13 décembre 2002, les garanties requises ont été données.

4.13 L'État partie expose ensuite en détail les raisons pour lesquelles il a rejeté, en date du 18 décembre 2001, la demande d'asile du requérant et de sa femme. Ces raisons ne figurent pas dans le texte de la présente décision, à la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité.

4.14 L'État partie dit que, actuellement, la situation juridique du requérant est, d'après les Ministères égyptiens de la justice et de l'intérieur, la suivante: il exécute une peine prononcée par une juridiction militaire qui l'a condamné par contumace pour divers crimes, notamment pour meurtre et activités terroristes. Sa famille s'est arrangée pour qu'il bénéficie des services d'un avocat et, en février 2002, une demande de révision a été déposée auprès du Président. En octobre 2002, la requête avait déjà été examinée par le Ministère de la défense et serait bientôt remise au Cabinet du Président qui devait se prononcer. Pour ce qui est de la surveillance de la situation du requérant une fois expulsé, l'État partie fait savoir que l'ambassade de Suède au Caire s'en occupait, principalement en allant voir le détenu environ une fois par mois. Quand la communication a été envoyée, il y avait déjà eu 17 visites. Plusieurs fois, l'Ambassadeur de Suède lui-même s'est rendu à la prison et, d'autres fois, c'était un fonctionnaire de haut rang du Ministère des affaires étrangères.

4.15 D'après l'ambassade, avec le temps les visites ont fini par se dérouler toujours de la même manière, dans le bureau du directeur de la prison, pendant environ 45 minutes. À aucun moment le requérant n'était entravé de quelque manière. L'atmosphère était détendue et amicale et les visiteurs et le requérant se sont vu offrir des rafraîchissements. À la fin de la visite de juin 2002, le personnel de l'ambassade a observé que le requérant était en conversation apparemment détendue avec plusieurs gardiens, en attendant d'être reconduit en cellule. À chaque fois, il portait des vêtements ordinaires propres et avait la barbe et les cheveux soignés. Il semblait être bien nourri et ne pas avoir perdu de poids entre les visites. À aucune de ces visites il ne présentait de signes de mauvais traitements ou de sévices physiques et il pouvait se déplacer sans difficulté. En mars 2002, à la demande de l'Ambassadeur, il a enlevé sa chemise et son maillot de corps, a montré son dos, et il n'y avait aucune marque de torture.

4.16 Il apparaît dans le rapport de l'ambassade sur la première visite (janvier 2002) que le requérant ne semblait pas hésiter à parler librement et a dit à l'Ambassadeur qu'il n'avait pas à se plaindre de la façon dont il était traité en prison. À la question de savoir s'il avait subi des sévices, le requérant n'a rien répondu. Lors de la visite d'avril 2002, quand on lui a demandé s'il avait été maltraité, il a répondu qu'il n'avait pas été maltraité physiquement ou d'une autre manière. À chacune des visites ou presque, il se plaignait de sa santé en général, de son dos, d'un ulcère à l'estomac, d'une infection des reins et d'un dysfonctionnement de la glande thyroïde, ce qui lui provoquait notamment des troubles du sommeil. Il avait vu plusieurs médecins spécialistes de la prison et extérieurs à la prison et il avait subi une IRM de la colonne vertébrale; il avait des séances de physiothérapie pour son dos. La radiographie de la glande thyroïde qui avait été pratiquée a fait apparaître une petite tumeur et il lui faudra subir d'autres examens. En août 2003, il a dit à l'Ambassadeur, comme il l'avait déjà fait, qu'il était satisfait des soins médicaux qu'il recevait. À la visite de novembre 2003, il a signalé qu'un neurologue avait recommandé une opération du dos. Il suivait un traitement pour plusieurs de ses problèmes de santé.

4.17 Pendant les visites de mai et de novembre 2002, le requérant s'est plaint des conditions générales de détention. Il a signalé qu'il n'y avait pas de lit ni de toilettes dans la cellule et qu'il était incarcéré dans un quartier de la prison réservé aux non-condamnés. D'après lui, la situation s'était généralement améliorée après décembre 2002 parce qu'il n'était plus séparé des autres prisonniers et pouvait marcher dans la cour. En janvier 2003, pour raisons de santé, il a été transféré dans un secteur de la prison doté d'une infirmerie. En mars 2003, il a répondu aux visiteurs qui le lui demandaient qu'il n'était traité ni mieux ni plus mal que les autres prisonniers; les conditions pénitentiaires générales lui étaient appliquées. Il n'a plus jamais réitéré ses griefs.

4.18 Le 10 février 2002, c'est-à-dire au début de la détention du requérant, la radio nationale suédoise a rendu compte d'une visite de l'un de ses correspondants au requérant, qui s'était déroulée dans le bureau d'un haut responsable de la prison. Le requérant portait une veste et un pantalon bleu marine et il n'avait aucune marque visible de mauvais traitements physiques, en tout cas sur les mains ou le visage. Il avait bien quelques difficultés à se déplacer mais il mettait cela sur le compte d'un mal de dos qu'il avait depuis longtemps. Il s'était plaint de ne pas être autorisé à lire et de ne pas avoir de radio ainsi que de ne pas avoir le droit de faire de l'exercice.

4.19 Le requérant a aussi discuté régulièrement avec le personnel de l'ambassade des visites de sa famille et des avocats. Après la visite de juin 2002, il semble que des parloirs bimensuels aient été mis en place. Quand les présentes observations ont été envoyées, ce régime était toujours en vigueur encore que les visites des familles aient été limitées en mai et juin 2003 pour des raisons de sécurité. Le requérant a fait remarquer qu'il n'avait reçu que deux visites de son avocat, en février et en mars 2002. Il n'avait pas demandé à voir son avocat parce qu'il pensait que cela ne servait à rien. La question a été abordée lors des réunions ultérieures de l'ambassade avec les hauts responsables égyptiens, qui ont confirmé que l'avocat du requérant pouvait aller le voir librement et qu'il n'y avait aucune restriction.

4.20 Vu que, plusieurs fois et en réponse à des questions directes, le requérant avait affirmé qu'il n'avait pas été victime de sévices, l'Ambassadeur a conclu après la visite de novembre 2002 que, bien que la détention soit effectivement mentalement éprouvante, rien n'indiquait que les autorités égyptiennes n'avaient pas respecté les assurances qu'elles avaient données. L'État partie reprend en détail certains griefs formulés ultérieurement par le requérant et les mesures qu'il a prises pour y donner suite. À la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité, les détails ne figurent pas dans le texte de la présente décision.

4.21 Pour ce qui est de l'application de la Convention, l'État partie fait remarquer que l'affaire à l'examen est différente de la plupart des requêtes fondées sur l'article 3 soumises au Comité en ce que l'expulsion a déjà eu lieu. Toutefois, l'article 3 de la Convention est libellé de telle manière qu'il implique que le Comité doit, en examinant l'affaire, s'intéresser surtout au moment où le requérant a été renvoyé dans son pays d'origine. Les faits survenus ou les observations formulées par la suite peuvent assurément présenter une utilité pour déterminer si les garanties données ont été respectées et sont importants pour établir si le Gouvernement de l'État partie avait eu raison de considérer que le requérant ne serait pas traité d'une façon attentatoire à la Convention. Néanmoins, si ces éléments sont importants, l'État partie maintient que la principale question dans l'affaire à l'examen est de déterminer si les autorités avaient lieu de croire, le 18 décembre 2001, date de l'expulsion, qu'il existait des motifs sérieux de penser qu'il risquait d'être soumis à la torture.

4.22 L'État partie renvoie à la jurisprudence constante du Comité qui a établi que les personnes menacées d'expulsion devaient montrer que le risque de torture était prévisible et encouru personnellement et réellement. L'existence d'un tel risque ne doit pas reposer sur de simples supputations ou soupçons mais il n'est pas nécessaire qu'il soit hautement probable. Pour l'évaluation du risque, qui est prévue en droit suédois, les assurances données par le Gouvernement égyptien revêtent une grande importance. L'État partie rappelle la décision rendue par le Comité dans la plainte de l'épouse du requérant, où il a considéré que les garanties − qui étaient les mêmes − étaient suffisantes et il renvoie aux décisions rendues par les organes européens en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme.

4.23 Dans l'affaire Aylor-Davis c. France (arrêt du 20 janvier 1994), la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que les garanties données par le pays de destination, les États-Unis, étaient de nature à écarter le risque d'une condamnation à mort pour la requérante. La peine de mort ne pouvait en effet être prononcée que si elle était effectivement requise par le procureur. En revanche, dans l'affaire Chahal c. Royaume-Uni, elle n'avait pas la conviction que l'assurance donnée par le Gouvernement indien qu'un séparatiste sikh «jouirait de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu'il n'avait aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d'aucune sorte par les autorités indiennes» offrirait une garantie suffisante de sécurité. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement indien, la Cour a relevé que, malgré les efforts de réforme déployés notamment par le Gouvernement et les tribunaux indiens, les violations des droits de l'homme commises par des membres des forces de sécurité au Penjab et ailleurs en Inde étaient un problème récurrent. La jurisprudence donne à penser par conséquent que des garanties peuvent être acceptées dans les cas où on pense que les autorités du pays de destination maîtrisent la situation.

4.24 Selon ce critère, l'affaire à l'examen ressemble davantage, de l'avis de l'État partie, à l'affaire Aylor-Davis. Les garanties ont été données par un haut responsable du Gouvernement égyptien. L'État partie fait remarquer que, pour que les garanties soient suivies d'effet, elles doivent avoir été données par une personne censée être en mesure d'en surveiller l'application ce qui, d'après l'État partie, est le cas en l'espèce compte tenu du poste élevé du représentant égyptien. De plus, pendant l'entretien de décembre 2001 entre le Secrétaire d'État suédois et le responsable égyptien, le Secrétaire d'État a indiqué clairement à son interlocuteur quels étaient les enjeux pour la Suède: l'article 3 de la Convention ayant un caractère absolu, il lui a expliqué longuement pourquoi il fallait que les garanties soient effectives. Le Secrétaire d'État a réaffirmé qu'il était important pour la Suède de respecter ses obligations internationales, y compris la Convention, et que de ce fait des conditions précises devaient être remplies pour qu'une expulsion soit possible. Il était donc nécessaire d'obtenir la garantie écrite que le requérant bénéficierait d'un procès équitable, qu'il ne serait pas soumis à la torture ou à d'autres traitements inhumains et qu'il ne serait pas condamné à mort ni exécuté. Le procès serait suivi par l'ambassade de Suède au Caire et il fallait qu'il soit possible de voir le requérant, même une fois condamné. De plus, sa famille ne devait pas faire l'objet de mesures de harcèlement sous quelque forme que ce soit. Il a été précisé que la Suède se trouvait dans une position difficile et que le fait pour l'Égypte de ne pas respecter les garanties données aurait des conséquences importantes dans l'avenir pour d'autres affaires en Europe.

4.25 L'État partie donne des détails sur les garanties. Les indications ne figurent pas dans le texte de la présente décision à la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité. L'État partie souligne que les garanties en question sont nettement plus importantes que celles qui ont été données dans l'affaire Chahal et sont formulées en termes beaucoup plus fermes et positifs. L'État partie rappelle que l'Égypte est partie à la Convention, que l'interdiction de la torture est énoncée dans la Constitution du pays et que le fait de commettre ou d'ordonner des actes de torture constitue une infraction majeure en droit pénal égyptien.

4.26 De l'avis de l'État partie, pour se prononcer sur la requête il importe de savoir si les garanties ont été respectées et si elles le sont toujours. L'État partie rappelle les griefs de mauvais traitements avancés par la mère du requérant puis par des organisations non gouvernementales, et en particulier la description faite par sa mère de son état physique quand elle l'a vu la première fois, le 23 janvier 2002. La visite de l'Ambassadeur de l'État partie a eu lieu le même jour, immédiatement après celle de la mère, et l'Ambassadeur n'a constaté aucun signe de mauvais traitements physiques. Comme il a été déjà signalé, le requérant semblait parler librement, ne s'est pas plaint d'avoir été torturé et, quand on lui a demandé explicitement s'il avait subi des mauvais traitements systématiques en prison, il n'a pas répondu par l'affirmative. L'État partie conclut donc que les griefs de mauvais traitements faits ce jour-là ont été effectivement démentis par les constatations de son ambassadeur.

4.27 L'État partie affirme que, à en juger par les nombreux rapports établis par l'Ambassadeur, le personnel de l'ambassade et le haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères, les garanties données ont dûment été appliquées à l'égard du requérant. Les allégations de celui-ci affirmant le contraire n'ont pas été étayées et maintes fois il a confirmé à l'Ambassadeur de Suède qu'il n'avait pas été torturé ni maltraité. Les allégations faites en mars 2003 ont été réfutées par les autorités égyptiennes. Le requérant reçoit les soins médicaux requis par son état de santé et les services d'un avocat lui ont été assurés par sa famille. Le fait qu'à ce jour cet avocat ne se soit pas montré diligent pour obtenir la révision de la sentence est totalement étranger à la plainte. De plus, sa famille lui rend visite régulièrement. Dans l'ensemble, compte tenu des contraintes inhérentes à toute détention, le requérant semble être en assez bonne santé. L'État partie conclut qu'étant donné que les allégations de torture n'ont pas été étayées, elles ne peuvent pas servir de base à un examen de l'affaire par le Comité. L'État partie fait remarquer aussi que l'affaire a été rapportée largement dans les organes d'information nationaux et a fait l'objet d'une attention internationale. On peut supposer que les autorités égyptiennes le savent, et il est probable qu'elles feront en sorte qu'il ne soit pas soumis à des mauvais traitements.

4.28 L'État partie rappelle que, dans sa décision concernant la plainte de l'épouse du requérant, le Comité semblait avoir fait un pronostic pour elle à la lumière des renseignements relatifs à l'efficacité des garanties données pour son mari − le requérant dans la présente affaire − à laquelle elle avait associé son cas uniquement sur la base de ses liens de parenté. Le Comité a jugé «satisfaisantes les garanties données contre tout traitement abusif» et a relevé que l'État partie en vérifiait «régulièrement le respect sur place». Il a également noté que l'Égypte avait «l'obligation de traiter convenablement les détenus relevant de sa juridiction». De l'avis de l'État partie donc, la conclusion du Comité, qui a établi que la requérante n'avait pas montré qu'il y avait violation de l'article 3 dans le cas de sa propre plainte, revêt une «importance essentielle» pour l'examen de la requête de son époux.

4.29 En conclusion, l'État partie fait valoir qu'en obtenant du haut fonctionnaire égyptien compétent les garanties demandées il a tenu ses engagements en vertu de la Convention tout en remplissant les obligations énoncées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1373 (2001). Avant d'expulser le requérant, il a obtenu des garanties suffisantes de l'autorité la mieux placée pour en assurer le respect. La teneur des garanties correspond à ce que le Rapporteur spécial demande (voir plus haut, par. 4.10) et le mécanisme de surveillance mis sur pied fonctionne depuis près de deux ans. En conséquence, le requérant n'a pas montré que, dans la pratique, les garanties n'avaient pas été respectées. Si le Comité devait conclure autrement, la question cruciale qui se pose est de savoir ce que le Gouvernement de l'État partie avait lieu de croire au moment où il a expulsé le requérant. Étant donné que celui-ci n'a pas étayé son grief de violation de l'article 3, son expulsion vers son pays d'origine ne constitue pas une violation de cette disposition.


Commentaires du conseil sur les observations de l'État partie

5.1 Par une lettre datée du 21 janvier 2004, le conseil conteste les observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond. En ce qui concerne les arguments de l'État partie relativement à la date à laquelle la requête a été envoyée, il fait valoir que pendant longtemps on ne savait pas clairement qui avait le droit de représenter le requérant. Il ajoute que le précédent avocat n'avait pas réussi à faire signer un mandat avant l'expulsion, très rapide, du requérant et avait considéré qu'il était déchargé de l'affaire après l'expulsion. Le conseil fait valoir qu'après avoir été expulsé le requérant ne pouvait plus être consulté directement et qu'il fallait donc avoir de plus amples renseignements sur la situation dans laquelle il se trouvait avant de réfléchir, avec les parents du requérant, pour savoir s'il était opportun de déposer une requête en son nom. Le conseil souligne que les circonstances décrites dans la requête de l'épouse du requérant étaient «complètement différentes» car elle était restée en Suède, et il était donc nécessaire d'envoyer une requête d'urgence afin d'empêcher son expulsion. Dans l'affaire à l'examen, le requérant avait déjà été expulsé et il n'y avait pas d'urgence de soumettre la requête avant d'avoir minutieusement apprécié le fond. Le conseil ajoute que le délai de six mois imposé pour soumettre une communication ne vise que les requêtes présentées en vertu de la Convention européenne et que l'existence de régimes conventionnels différents ne pose pas de difficulté. Quoi qu'il en soit, le conseil fait valoir que la question de principe qui est soumise au Comité, qui concerne la protection satisfaisante offerte par des garanties diplomatiques, est si importante que le Comité devrait examiner le fond plutôt que de déclarer la requête irrecevable.

5.2 Le conseil conteste que la requête constitue un abus du droit de présenter des plaintes. Il reconnaît que bon nombre des «éléments de base» sont les mêmes dans le cas du requérant et dans le cas de son épouse et que les circonstances «se recouvrent dans une large mesure», mais il fait valoir que c'est le requérant, dans l'affaire à l'examen, qui court le plus grand risque de subir des tortures. Son épouse, qui, elle, a fondé sa plainte simplement sur son étroite parenté avec une personne recherchée pour activités terroristes, est dans une situation subsidiaire et court moins de risques que son mari. Par conséquent, les deux affaires présentent des «différences majeures» et la requête ne doit pas être déclarée irrecevable pour ce motif. Le conseil rejette en outre l'idée que la plainte est manifestement dénuée de fondement.

5.3 En ce qui concerne le fond, le conseil dit qu'une idée générale de l'utilisation massive et flagrante de la torture par les autorités égyptiennes est donnée par les rapports de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme. Le rapport sur la situation des droits de l'homme du Ministère suédois des affaires étrangères fait lui-même état de cas fréquents de recours à la torture par la police égyptienne, surtout dans le cadre des enquêtes sur les affaires de terrorisme. Le conseil fait valoir que le requérant n'a été impliqué dans aucune activité terroriste et n'accepte pas que la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité puisse être applicable. Quoi qu'il en soit, cette résolution ne peut pas l'emporter sur d'autres obligations internationales comme celles qui découlent de la Convention. Le conseil nie que le requérant ait participé à des activités terroristes, même par l'intermédiaire des organisations pour lesquelles les services de la Sûreté suédoise affirment qu'il travaillait. De toute façon, les allégations de participation à des organisations terroristes n'auraient servi qu'à accroître l'intérêt que pouvaient porter les autorités égyptiennes au requérant, qui a été reconnu coupable d'actes terroristes, et cette circonstance aggravante, qui augmente le risque de torture, aurait dû être prise en considération par l'État partie avant l'expulsion.

5.4 Pour le conseil, la question fondamentale est de savoir non pas si un haut fonctionnaire du Gouvernement a donné des assurances, mais si celles-ci peuvent être effectivement observées et, dans l'affirmative, comment. Les garanties ont été données dans de brefs délais, elles sont vagues et sont muettes sur la façon dont elles seraient respectées dans le cas du requérant. Le Gouvernement égyptien n'a pas donné de renseignements à ce sujet et les autorités suédoises n'en ont pas demandé. Elles n'ont pas non plus prévu d'arrangements concrets et à long terme pour la surveillance, et la première visite a eu lieu plus d'un mois après l'expulsion. Cet arrangement, décidé peu de temps après que le Comité eut demandé des mesures provisoires de protection à l'égard de l'épouse du requérant, apparaît comme une réaction dictée par les circonstances plutôt que comme un élément d'un plan de surveillance bien conçu. Le conseil réaffirme ses doutes quant à l'efficacité des arrangements de surveillance, faisant observer que les procédures de routine prévues dans ce genre de situations par des organisations telles que le Comité international de la Croix-Rouge n'étaient pas suivies. Apparemment, les autorités suédoises n'ont pas cherché à obtenir une expertise médicale alors qu'en mars 2003 le requérant s'était directement plaint d'actes de torture. D'après le conseil, les différences entre ce que le requérant disait à ses parents, d'une part, et aux autorités suédoises, qu'il ne connaissait pas et venaient le voir accompagnées de hauts fonctionnaires égyptiens, d'autre part, sont explicables.

5.5 Le conseil conteste la décision du Comité concernant la requête soumise par l'épouse du requérant car quand elle avait affirmé que son mari avait subi des mauvais traitements c'était sur la foi de diverses sources, et ces griefs ne pouvaient pas être déclarés non fondés. Le conseil conteste l'interprétation donnée par l'État partie de la jurisprudence des organes européens, considérant que la teneur des garanties données dans la présente affaire et de celles qui avaient été données par le Gouvernement indien dans l'affaire Chahal étaient «essentiellement les mêmes». Il fait remarquer que la Cour européenne n'a pas mis en doute la bonne foi du Gouvernement indien mais a considéré que le problème fondamental était les violations des droits de l'homme commises au niveau opérationnel par les forces de sécurité. De même, dans la présente affaire, même en créditant de la même bonne volonté, au niveau politique, les autorités égyptiennes telles que le représentant qui a donné les garanties, la réalité, au niveau opérationnel des services de sécurité de l'État et des autres autorités qui traitent avec le requérant, est que la torture est couramment pratiquée. L'affaire Aylor-Davis au contraire ne peut pas être invoquée car les garanties avaient été données par un État dont la réalité ne peut pas être comparée avec celle de l'Égypte.

5.6 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie selon lequel les autorités égyptiennes ont réfuté les allégations avancées par le requérant en mars 2003, le conseil fait remarquer qu'il aurait été étonnant que les autorités réagissent autrement et que la réfutation n'infirme pas la plainte du requérant. De l'avis du conseil, c'est à l'État partie qu'il incombe de montrer que les mauvais traitements n'ont pas eu lieu, car il est le mieux placé pour apporter des éléments de preuve et organiser une surveillance appropriée. Le conseil dit que l'État partie ne s'est pas assuré de cette charge de la preuve.

5.7 Le conseil reconnaît que l'Égypte est partie à la Convention mais fait observer que cet acte de forme ne garantit malheureusement pas que les États respectent les engagements qu'ils ont pris. Pour ce qui est des effets salutaires de la publicité dans les organes d'information, il signale que la presse s'est fait l'écho de l'affaire du requérant et de celle de sa femme à l'époque de l'expulsion du requérant mais que par la suite son intérêt s'est affaibli. Quoi qu'il en soit, il est permis de douter que le fait que la presse en ait parlé ait eu quelque effet protecteur et, même quand l'écho médiatique est intense, ses effets positifs sont douteux.

5.8 Le conseil fait valoir que, si le Comité devait considérer que des assurances telles que celles qui ont été données dans la présente affaire représentent une protection suffisante contre le risque de torture, on pourrait imaginer que des expulsions massives aient lieu vers des États qui ne sont pas des modèles de respect des droits de l'homme mais qui ont donné quelque forme stéréotypée de garantie. Dans les cas du moins où la volonté et la capacité de l'État qui expulse d'assurer une surveillance appropriée sont insuffisantes, cela pourrait aisément aboutir à donner toute latitude aux autorités de l'État d'accueil pour commettre des tortures et des mauvais traitements et s'en cacher. En conséquence, le conseil invite le Comité à conclure i) qu'il y a eu violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention au moment où le requérant a été expulsé, à la lumière à la fois des renseignements disponibles à cette époque et des événements ultérieurs, et ii) que le requérant a été soumis à la torture après son expulsion.


Observations complémentaires des parties

6.1 Dans une lettre datée du 20 avril 2004, le conseil indique que, le 18 février 2004, le requérant a reçu la visite de sa mère en prison. Il l'a informée que des agents chargés de l'interroger avaient menacé de le tuer ou de le torturer et, le même jour, il a porté plainte pour actes de torture. Le 19 février 2004, il a été transféré à la prison de Abu Zabaal à environ 50 km du Caire, transfert contre lequel il a protesté en faisant une grève de la faim qui a duré 17 jours. Il aurait été placé, à titre de sanction, dans une petite cellule d'isolement de 1,5 m², où il aurait vécu dans des conditions d'hygiène déplorables, recevant une bouteille d'eau par jour. Le 8 mars 2004, des représentants de l'ambassade de Suède lui ont rendu visite. Les résultats de cette visite n'ont pas été communiqués. Le 20 mars 2004, après que la mère du requérant eut tenté à plusieurs reprises, sans succès, de lui rendre visite, il a été annoncé qu'aucun membre de la famille du requérant ne serait autorisé à lui rendre visite en dehors des principaux jours de fête, en raison de son statut de personne emprisonnée pour des raisons de sécurité soumise à des restrictions particulières. Le 4 avril 2004, il a été renvoyé à la prison de Mazraat Tora. Le 10 avril 2004, un deuxième procès s'est ouvert devant la treizième juridiction militaire supérieure sous l'inculpation d'appartenance, avec des fonctions de direction, à une organisation ou un groupe illégal et d'association de malfaiteurs. Le requérant a plaidé non coupable. Un représentant de Human Rights Watch a été admis au procès mais ni la famille du requérant, ni les journalistes, ni les représentants de l'ambassade de Suède n'ont pu y assister. L'avocat du requérant a demandé un report d'audience pour pouvoir lire le dossier d'inculpation qui comptait 2 000 pages et préparer la défense. Le procès a donc été reporté de trois jours, l'avocat étant uniquement autorisé à prendre des notes par écrit. De l'avis du conseil, cet élément d'information montre que le requérant a été torturé par le passé, a été menacé d'actes de torture et court un risque considérable d'être de nouveau soumis à la torture. Il montre également qu'il a été traité de manière cruelle et inhumaine et qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable.

6.2 Dans une lettre datée du 28 avril 2004, le conseil indique que, le 27 avril 2004, le requérant a été reconnu coupable et condamné à 25 ans de prison. Il indique aussi que le tribunal a rejeté une demande présentée par le requérant et visant à l'autoriser à subir un examen médical, étant donné qu'il avait été torturé pendant sa détention. De l'avis du conseil, la déclaration du requérant devant le tribunal et le rejet de sa demande par ce même tribunal indiquent de nouveau clairement que le requérant a été soumis à la torture.

7.1 Dans une communication datée du 3 mai 2004, l'État partie répond à la lettre du conseil en date du 20 avril 2004. Il indique que depuis la dernière visite (la dix-septième) signalée au Comité le 5 décembre 2003, quatre autres visites ont eu lieu les 17 décembre 2003, 28 janvier 2004, 8 mars 2004 et 24 mars 2004. L'État partie fait savoir que, de décembre 2003 à janvier 2004, la situation du requérant est restée globalement la même et qu'il a entrepris des études de droit. Tout en se plaignant que ses deux compagnons de cellule l'empêchaient de disposer du calme nécessaire aux études, il a réussi à préparer des examens qui ont eu lieu dans la prison en janvier 2004. La prison de Abu Zabaal, dans laquelle il a été transféré et qui serait un établissement à sécurité maximale, serait généralement réservée aux prisonniers condamnés à des peines de longue durée. Parallèlement, le directeur de la prison a indiqué que le requérant avait reçu l'ordre de passer 15 jours à l'isolement à titre de sanction disciplinaire pour avoir tenté de provoquer une rébellion des détenus de Mazraat Tora. L'État partie a obtenu plusieurs éléments de preuve concordants indiquant que i) le requérant avait tenté de provoquer une émeute en «criant des propos appelant à la désobéissance aux instructions et au règlement de la prison» et que ii) le courrier et les visites avaient fait l'objet de restrictions pendant trois mois. L'État partie fait observer que le requérant a été reconnu coupable d'un des deux délits dont il était accusé, à savoir avoir dirigé l'organisation terroriste Islamic Al-Fath Vanguards et en être responsable. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité, sans travaux forcés (abolis en 2003). Il se trouve actuellement à la prison de Mazraat Tora en attente d'une décision concernant son futur placement.

7.2 L'État partie maintient ses positions précédentes concernant la recevabilité de la requête ainsi que le fond, à savoir que le requérant n'a pas étayé ses arguments selon lesquels les autorités égyptiennes n'avaient pas respecté dans la pratique les garanties données. Il a rappelé que la question essentielle était de savoir ce que l'État partie pouvait raisonnablement croire, à la lumière des garanties données, au moment de l'expulsion. L'État partie fait donc valoir qu'il s'est pleinement acquitté de ses obligations en vertu de la Convention.

8.1 Dans une lettre du 3 mai 2004, le conseil indique qu'il a d'abord reçu uniquement une version éditée du rapport diplomatique fourni après la première réunion entre l'Ambassadeur et le requérant le 23 janvier 2002. Il fait valoir que le rapport dans son intégralité vient de lui être remis par un avocat représentant un tiers expulsé en même temps que le requérant. Il affirme que, d'après ce rapport, le requérant a informé l'Ambassadeur qu'il avait été torturé (il a été passé à tabac par des gardiens de prison) et soumis à des traitements cruels et dégradants (bandeau sur les yeux, emprisonnement cellulaire dans une très petite cellule, privation de sommeil et refus de lui donner les médicaments qu'on lui avait prescrits). Le conseil indique que l'État partie n'a pas communiqué ces éléments d'information au Comité. Il fournit en outre un rapport de Human Rights Watch critiquant les assurances diplomatiques dans ce contexte, ainsi qu'une déclaration du 27 avril 2004 de l'Organisation égyptienne pour les droits de l'homme critiquant le nouveau procès du requérant.

8.2 Dans une lettre du 4 mai 2004, le conseil fournit sa traduction du rapport diplomatique en question. Après avoir décrit la position qui lui avait été imposée pendant le vol vers l'Égypte, le requérant aurait expliqué à l'Ambassadeur, à la première réunion, en présence de responsables égyptiens, qu'il avait été «forcé de garder les yeux bandés pendant l'interrogatoire, placé dans des cellules trop étroites de 1,5 m x 1,5 m pendant la même période, privé de sommeil en raison de la supervision dans les cellules, forcé d'attendre 10 jours avant d'obtenir ses médicaments pour ses problèmes gastriques (après examen médical), battu par des gardiens pendant le transport entre sa cellule et le lieu de l'interrogatoire et menacé par les responsables des interrogatoires de représailles contre sa famille s'il ne disait pas tout sur la période passée en Iran». L'Ambassadeur a conclu qu'il ne pouvait pas apprécier la véracité de ses dires mais n'a pas interprété les propos du requérant comme dénonçant une forme systématique de torture physique. Selon le conseil, ces nouvelles informations indiquent clairement que le requérant a été soumis à la torture. Le conseil fait aussi valoir que la vraie raison pour laquelle le requérant a été transféré à la prison de Abu Zabaal est qu'il a porté plainte pour menace de torture. Il indique également que le requérant n'a pas bénéficié «réellement et équitablement» des moyens nécessaires à la préparation de sa défense et observe que l'État partie n'a pas abordé les questions soulevées par le procès du requérant.

8.3 Par une autre lettre datée du 4 mai 2004, le conseil transmet une déclaration faite le même jour par Human Rights Watch et intitulée «Suspected Militants Unfair Trial and Torture Claim Implicate Sweden», dans laquelle le nouveau procès du requérant et les arrangements de surveillance pris par l'État partie sont critiqués. Le conseil transmet également une lettre qui lui a été adressée par un chercheur de Human Rights Watch qui confirmerait la teneur du premier rapport diplomatique non expurgé évoqué plus haut, concluant que les allégations de mauvais traitements étaient crédibles.

8.4 Dans une communication datée du 5 mai 2004, l'État partie indique qu'il estime que le Comité est à même de prendre une décision sur la recevabilité et, si nécessaire, sur le fond de la requête, sur la base des dispositions de la Convention et des informations soumises au Comité. Par conséquent, il n'a pas l'intention de formuler de nouvelles réponses complémentaires en plus de celles déjà communiquées le 3 mai 2004. Il fait observer en conclusion que la lettre du conseil en date du 4 mai 2004 soulève entre autres des questions qui ne relèvent pas du champ d'application de la Convention.


Décision du Comité concernant la recevabilité

9.1 À sa trente-deuxième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'était pas actuellement examinée par d'autres instances internationales d'enquête ou de règlement.

9.2 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui a fait valoir que la requête constituait un abus de la procédure, ce qui la rendait irrecevable, le Comité a fait observer que la requête soumise au nom de l'épouse du requérant afin d'empêcher son expulsion avait nécessairement été déposée rapidement et portait, du moins quand le Comité avait rendu sa décision, sur la question de savoir si à ce moment-là les circonstances étaient telles que son expulsion représenterait une violation de l'article 3 de la Convention. Pour conclure que ce n'était pas le cas, le Comité avait examiné la chronologie des faits jusqu'au moment de sa décision, recherche obligatoirement plus large que celle qui était requise dans la présente affaire, qui était axée sur la situation du requérant au moment de son expulsion, en décembre 2001. Dans sa décision concernant la première requête, le Comité avait au demeurant remarqué qu'il n'avait pas à trancher la question de savoir si l'expulsion du requérant dans la présente affaire constituait en soi une violation de l'article 3. Les deux requêtes concernaient des personnes différentes, dont l'une ne relevait déjà plus de la juridiction de l'État partie au moment où la requête avait été soumise tandis que l'autre restait placée sous sa juridiction tant qu'elle n'avait pas été expulsée. Le Comité a estimé que les deux requêtes n'étaient donc pas fondamentalement identiques et n'a pas considéré que la requête à l'examen était une simple répétition d'une question déjà tranchée. Certes, il eût été préférable que la requête à l'examen soit soumise plus tôt, mais le Comité a estimé qu'il ne serait pas juste de considérer que le temps passé avant d'obtenir l'autorisation du père du requérant était excessif au point de constituer un abus de la procédure.

9.3 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui a invoqué l'article 107 f) du règlement intérieur du Comité comme motif d'irrecevabilité de la requête, le Comité a relevé que cet article disposait que le délai écoulé avant de soumettre la requête devait être de nature à rendre l'examen «anormalement difficile». Dans la présente affaire, l'État partie savait déjà où trouver tous les renseignements factuels, les observations et l'argumentation nécessaires, et si le moment où les deux requêtes avaient été envoyées n'était peut-être pas le meilleur, on ne pouvait pas dire pour autant que l'examen de la présente affaire ait été rendu anormalement difficile par les 18 mois écoulés depuis l'expulsion. Le Comité rejetait donc l'argument invoqué par l'État partie pour fonder l'irrecevabilité sur ce motif.

9.4 Le Comité a noté que l'Égypte n'avait pas fait la déclaration prévue à l'article 22 reconnaissant la compétence du Comité pour examiner des communications présentées par des particuliers contre cet État partie. Le Comité a toutefois fait observer que conclure, comme le demandait le requérant, qu'il y avait eu effectivement torture après l'expulsion du requérant vers l'Égypte (par. 5.8), serait conclure que l'Égypte, État partie à la Convention, avait commis une violation de ses obligations en vertu de la Convention sans lui avoir donné la possibilité de présenter ses arguments. Cette partie distincte de la requête, dirigée contre l'Égypte, était par conséquent irrecevable ratione personae.

9.5 Relativement à l'argument de l'État partie qui a fait valoir que le reste de la plainte n'était pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, le Comité a estimé que le requérant avait apporté assez d'éléments concernant la Suède pour lui permettre d'examiner l'affaire sur le fond. En l'absence d'autres obstacles à la recevabilité opposés par l'État partie, le Comité était prêt à procéder à l'examen de la requête sur le fond.

9.6 En conséquence, le Comité contre la torture a décidé que la requête était en partie recevable, comme il était indiqué aux paragraphes 9.2 à 9.5 ci-dessus.


Observations complémentaires des parties sur le fond de la requête

10.1 Dans une lettre datée du 20 août 2004, le conseil du requérant formule des observations complémentaires sur le fond de l'affaire, donnant de plus amples renseignements au sujet du nouveau procès dont a fait l'objet le requérant en avril 2004. Il indique que l'avocat chargé d'assurer la défense du requérant n'a reçu copie que de certaines parties du dossier de l'enquête pénale qui avait été menée, bien qu'il ait demandé à pouvoir le photocopier dans sa totalité. À la reprise du procès, le 13 avril, le requérant n'a pu s'entretenir avec son avocat que pendant une quinzaine de minutes. L'État a cité un colonel des services d'enquête de la Sûreté de l'État à comparaître comme témoin à charge contre le requérant pour attester du fait que celui-ci était depuis 1980 l'un des chefs de file du groupe Jamaa et qu'il avait depuis 1983 des liens avec Ayman al Zawahiri, figure centrale du groupe. Le colonel a également affirmé que le requérant avait pris part à des camps d'entraînement au Pakistan et en Afghanistan ainsi qu'à une formation au maniement des armes. Au cours du contre-interrogatoire, le colonel a déclaré qu'il y avait constamment des changements à la tête du groupe Jamaa, que sa déposition reposait sur des informations secrètes, qu'il ne pouvait révéler l'identité de ses informateurs sous peine de mettre leur vie en danger et que lui-même avait joué un rôle d'appoint dans l'enquête aux côtés d'autres agents qu'il ne connaissait pas. Selon le conseil du requérant, le tribunal, dans son verdict du 27 avril 2004, a rejeté la demande d'examen médico-légal formulée par le requérant au cours du procès mais a fait référence à un rapport établi par le médecin de la prison indiquant que le requérant avait subi des lésions corporelles en détention.

10.2 Le conseil mentionne une émission de la télévision suédoise diffusée le 10 mai 2004 sous le titre «Kalla Fakta», qui revient sur les circonstances de l'expulsion du requérant et d'une autre personne. Il était dit dans l'émission que les deux hommes avaient été emmenés menottés à l'aéroport de Stockholm, qu'un avion privé des États-Unis d'Amérique s'était posé et que la police suédoise avait remis les deux hommes à un groupe d'agents spéciaux. Ceux-ci avaient dévêtu les deux hommes, leur avaient administré des suppositoires de nature inconnue, leur avaient mis des couches et leur avaient fait endosser des combinaisons noires. Lorsqu'ils ont été conduits à l'avion, ils avaient les mains et les pieds attachés à une sorte de harnais spécialement conçu à cet effet, les yeux bandés et la tête recouverte d'une cagoule. M. Hans Dahlgren, Secrétaire d'État au Ministère des affaires étrangères, a déclaré au cours d'un entretien que le Gouvernement égyptien n'avait pas respecté les garanties qu'il avait données concernant la tenue d'un procès équitable.

10.3 D'après le conseil du requérant, à la suite de cette émission, le Ministère suédois des affaires étrangères a envoyé deux représentants de haut niveau en Égypte pour s'y entretenir avec les autorités égyptiennes du traitement qui avait été réservé aux deux expulsés. On ignore les résultats de cet entretien. Tout ce que l'on sait, c'est que les autorités égyptiennes ont nié les mauvais traitements et qu'une enquête va être menée sous l'égide de l'Égypte, mais avec une participation internationale, y compris d'experts médicaux. Il faut signaler aussi l'ouverture en Suède, après cela, de trois enquêtes séparées, qui sont en cours: i) une enquête entreprise de sa propre initiative par le médiateur en chef pour déterminer si les mesures prises étaient légales; ii) une enquête pénale ouverte par le Procureur général de Stockholm, à la suite d'une plainte déposée à titre privé, aux fins d'établir si la Police de la Sûreté suédoise avait commis une quelconque infraction en relation avec l'expulsion; et iii) une enquête de la Commission constitutionnelle du Parlement sur la légalité du traitement de ces affaires par les autorités suédoises.

10.4 Le 15 juin 2004, la Commission de recours des étrangers a accordé à l'épouse du requérant et à ses cinq enfants le statut de résident permanent en Suède pour des raisons humanitaires. Peu de temps après, toujours en juin, le Gouvernement égyptien, usant de son droit de grâce, a ramené la peine d'emprisonnement du requérant de 25 à 15 ans. Selon le conseil du requérant, le dernier entretien de celui-ci avec des représentants des autorités suédoises date de juillet 2004. Il s'agissait pour la première fois d'un entretien entièrement privé. Le requérant a vu ensuite sa mère, à qui il a raconté qu'avant l'entretien on lui avait ordonné d'être prudent et de tenir sa langue, un employé l'ayant averti: «Ne t'imagine pas que nous n'entendons pas, nous avons des oreilles et des yeux.».

10.5 Au 20 août 2004, date d'envoi des observations, on ne savait rien au sujet de l'enquête annoncée en Égypte. La Ministre suédoise des affaires étrangères a néanmoins annoncé ce jour-là à la radio que le Gouvernement égyptien avait fait parvenir une note dans laquelle il rejetait toutes les allégations de torture formulées par le requérant et déclarait considérer qu'une enquête internationale était superflue et inacceptable. La Ministre suédoise des affaires étrangères voyait aussi là une raison pour les autorités suédoises de faire leur autocritique sur la manière dont elles avaient traité l'affaire.

10.6 Le conseil fait observer que le nouveau procès n'a manifestement pas été conforme aux normes internationales: le requérant a été jugé par un tribunal militaire et son avocat a disposé de peu de temps pour préparer sa défense et a eu un accès limité aux éléments du dossier, si bien que le verdict a été établi sur la base de preuves peu convaincantes et insuffisantes. Le non-respect des garanties données sur ce point, reconnu par M. Dahlgren, suscite de sérieux doutes quant à l'observation des autres engagements pris. Le conseil indique que le requérant a dit à sa mère qu'on l'envoyait de temps en temps à l'hôpital pour ses maux de dos, mais rien d'indique qu'il a été examiné par un médecin légiste. De l'avis du conseil, si l'on ajoute aux informations déjà communiquées la constatation par le médecin de la prison des lésions corporelles subies par le requérant (voir plus haut, par. 8.1) et le refus des autorités égyptiennes d'autoriser l'ouverture d'une enquête internationale, on a là un ensemble d'éléments montrant que le requérant a été soumis à la torture. La charge de prouver le contraire doit incomber à l'État partie, qui dispose de ressources et de moyens d'influer sur la procédure sans commune mesure avec ceux du requérant.

10.7 Réitérant les arguments qu'il a formulés précédemment, le conseil soutient que le requérant courait un risque réel de torture au moment où il a été expulsé, quelles qu'aient pu être les garanties obtenues d'un pays tel que l'Égypte, dont on sait comment il se comporte en la matière. Le conseil renvoie à ce sujet à un rapport du Conseil de l'Europe sur la Suède daté du 8 juillet 2004 dans lequel des critiques sont émises concernant l'utilisation des garanties. Le conseil fait également valoir que les mesures prises pour empêcher le recours à la torture et vérifier que les garanties étaient respectées ont été insuffisantes. En plus des arguments qu'il a déjà avancés, il note qu'aucun plan ou programme détaillé prévoyant par exemple des instructions particulières relatives aux techniques d'interrogatoire admissibles, l'obligation pour l'État partie de destination de confirmer que le personnel subordonné avait connaissance des garanties et les respecterait, ou des arrangements quant au traitement qui serait réservé au requérant après son expulsion et à son jugement n'a été mis en œuvre.

11.1 Dans une réponse datée du 21 septembre 2004, l'État partie fait observer que, depuis l'envoi de sa dernière communication, le 3 mai 2004, il y a eu de nouvelles visites les 4 mai, 2 juin, 14 juillet et 31 août 2004. Toutes, sauf la dernière, ont eu lieu à la prison de Mazraat Tora, où le requérant exécute apparemment sa peine. Le dernier entretien s'est déroulé à l'hôpital universitaire du Caire. L'État partie indique que, sur le plan juridique, la situation du requérant s'est améliorée; sa peine a été ramenée à 15 ans d'emprisonnement et, à ses dires, elle pourrait encore être réduite en cas de bonne conduite. Le Ministère égyptien de l'intérieur fait régulièrement le point en la matière. En mai, le requérant avait contracté une pneumonie, mais son état de santé s'est amélioré depuis. Dès son retour à la prison de Mazraat Tora, le 4 avril 2004, il a repris son traitement. Fin août 2004, il a subi à l'hôpital universitaire du Caire une intervention pour un problème de disques vertébraux. Le neurochirurgien qui l'a pratiquée a informé l'ambassade, le 31 août, que l'opération avait duré cinq heures et avait nécessité une microchirurgie, mais qu'elle avait réussi et qu'il n'y avait pas eu de complications. Selon le médecin, les maux de dos du type de ceux dont souffrait le requérant pouvaient toucher n'importe qui et n'avaient pas de cause apparente.

11.2 Pour ce qui est des conditions générales d'incarcération à la prison de Mazraat Tora, le requérant n'a pas formulé de plainte particulière lorsque le personnel de l'ambassade l'a interrogé à ce sujet. Les parloirs ont repris dès son retour dans cet établissement. Il a été heureux d'apprendre que sa femme et ses enfants avaient obtenu un titre de séjour permanent; quant à lui, il poursuivait ses études de droit et se présentait aux examens.

11.3 Les allégations répétées de mauvais traitements formulées par le conseil du requérant, son avocat égyptien et certaines ONG ont amené le Gouvernement de l'État partie à pousser plus loin son travail d'investigation. Le 18 mai 2004, il a dépêché en Égypte une émissaire spéciale, Mme Lena Hjelm-Wallén, ancienne Ministre des affaires étrangères et Vice-Premier Ministre, qui était accompagnée du Directeur général des affaires juridiques du Ministère suédois des affaires étrangères. Mme Hjelm-Wallén s'est entretenue avec le Vice-Ministre égyptien de la justice et le Ministre de tutelle du service des renseignements généraux, et a fait part à ses interlocuteurs des préoccupations de l'État partie quant aux mauvais traitements que le requérant aurait subis pendant les premières semaines qui avaient suivi son retour en Égypte. Elle a demandé qu'une enquête indépendante et impartiale soit menée au sujet de ces allégations avec la participation d'experts médicaux internationaux. Le Gouvernement égyptien a rejeté ces allégations comme étant dénuées de fondement, mais a accepté d'ouvrir une enquête. Le 1er juin 2004, la Ministre suédoise des affaires étrangères a adressé au Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux une lettre dans laquelle elle indiquait que, pour recueillir le plus large soutien possible sur le plan international, l'enquête égyptienne devrait être menée en collaboration avec ou par une autorité indépendante, avec la participation d'experts juridiques et médicaux, et si possible d'experts internationaux ayant des compétences reconnues dans le domaine des enquêtes sur la torture. Elle y disait également qu'elle accepterait volontiers qu'un responsable suédois, par exemple un fonctionnaire de haut rang de la police ou un procureur, y apporte son concours et ajoutait que la lutte contre le terrorisme devait impérativement s'inscrire dans le plein respect de la légalité et des obligations internationales relatives aux droits de l'homme. Dans sa réponse, datant de fin juillet 2004, le Ministre égyptien concerné a réfuté les allégations de mauvais traitements comme étant dépourvues de fondement et a mentionné, sans donner de détails, le travail d'enquête des autorités égyptiennes. Il a confirmé que le requérant avait bénéficié d'une remise de peine, mais n'a pas fourni de réponse directe à la demande d'ouverture d'une enquête indépendante formulée par la Suède.

11.4 L'État partie indique que les autorités suédoises ne se satisfont pas de la réponse de l'Égypte. Il est extrêmement important qu'au moment où elles réfléchissent à la démarche qui pourrait être adoptée elles aient une quelconque confirmation de ce que cette démarche sera conforme aux souhaits du requérant lui-même car il ne faudrait pas que de nouvelles mesures nuisent en quoi que ce soit à ses intérêts légaux, à sa sécurité ou à son bien-être. Il faut aussi, dans les circonstances de l'affaire, que le Gouvernement égyptien consente et coopère à tout complément d'enquête.

11.5 L'État partie a de nouveau fait observer que les considérations fondées sur les carences du nouveau procès sortent du cadre de la présente affaire, où il s'agit de déterminer si le renvoi du requérant en Égypte allait à l'encontre de l'interdiction absolue de la torture. Il répète que le requérant n'a pas démontré qu'il avait subi des mauvais traitements après son retour et, donc, que les garanties données n'avaient pas été respectées. L'État partie rappelle que la question cruciale à trancher est celle de savoir ce que son gouvernement pouvait raisonnablement croire, compte tenu des garanties reçues, au moment de l'expulsion. En conséquence, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, y compris l'article 3.

11.6 Par une lettre du 16 octobre 2004, le conseil a répondu aux observations complémentaires de l'État partie, soulignant que les circonstances dans lesquelles s'étaient déroulées les quatre visites effectuées de mai à août 2004 dont parle l'État partie restaient peu claires mais qu'il était vraisemblable que des fonctionnaires égyptiens y avaient assisté et qu'il était difficile de s'exprimer librement dans ces conditions. Il est possible que la situation ait été différente en ce qui concerne la visite à l'hôpital. Le conseil critique l'État partie pour avoir déclaré que la prison de Mazraat Tora semblait être l'établissement pénitentiaire où la peine était exécutée, affirmant que, comme il est de notoriété publique que le requérant purgeait sa peine à la prison d'Estekbal Tora, l'État partie semblait mal informé des conditions dans lesquelles celui-ci était détenu.

11.7 Le conseil fait observer que le mal de dos du requérant avait déjà été diagnostiqué, comme modéré, en Suède. Ces problèmes se sont aggravés après son retour et, en 2003, il a subi des examens à l'hôpital du Caire à l'issue desquels une opération a été recommandée. Ce n'est qu'un an plus tard qu'une opération «absolument nécessaire» a été effectuée. Il est resté 11 jours à l'hôpital sous supervision et les membres de sa famille ont pu lui rendre visite sous contrôle. Bien qu'il fût loin d'être rétabli, il a alors été renvoyé en prison dans un véhicule de transport ordinaire et non dans une ambulance. Le conseil affirme que l'État partie connaissait l'état de santé du requérant mais avait négligé de s'en occuper pendant deux ans et demi, l'exposant pendant tout ce temps à des traitements tels que l'enfermement dans des cellules «très petites», les bras liés derrière le dos. Outre qu'il causait d'intenses douleurs, un tel traitement risquait fortement d'aggraver sa maladie.

11.8 Le conseil affirme que la réduction de peine n'a aucune incidence sur la manière dont le requérant a été, est et sera traité jusqu'à sa libération. Pour ce qui est des études de droit, on ne sait pas si le requérant a pu se présenter à des examens ni avec quels résultats. Le conseil nie qu'il y ait eu une amélioration significative de la situation du requérant au cours de l'été 2004, concédant seulement une amélioration par rapport à la situation dans laquelle il se trouvait immédiatement après son retour. Il affirme qu'en mars 2004 encore le requérant était détenu dans une très petite cellule sans installations sanitaires suffisantes ni eau courante. De l'avis du conseil, il subsiste un risque considérable que le requérant soit soumis à la torture ou à des traitements du même ordre. En tout état de cause, le conseil affirme que la condition actuelle du requérant ne permet pas d'établir de quelle manière il a été traité dans le passé.

11.9 Le conseil souligne que l'avocat égyptien du requérant a présenté une demande de révision du verdict à la plus haute juridiction de sûreté de l'État, aux motifs que la juridiction de jugement militaire n'avait pas apprécié comme il convenait les éléments de preuve, que l'enquête préliminaire était gravement viciée, que les droits de la défense avaient été violés au procès et qu'au cours de l'enquête le requérant avait été soumis à des violences et à la torture. L'avocat a aussi déposé une plainte spéciale auprès du Ministre égyptien de l'intérieur, du Procureur général et du Directeur général des établissements pénitentiaires, affirmant que le requérant n'avait pas été traité comme il convenait au cours de son hospitalisation, notamment qu'il avait été enchaîné à son lit et immobilisé pour des raisons médicales, puis remis en prison avant d'avoir été rétabli.

11.10 Le conseil affirme qu'après la publicité faite à cette affaire par l'émission de télévision mentionnée plus haut au paragraphe 10.2, l'État partie avait modifié sa position consistant à nier catégoriquement qu'il y ait eu torture pour se montrer seulement réticent à l'admettre, ainsi qu'en témoignent les mesures qu'il a alors prises en engageant le dialogue avec l'Égypte. Le conseil met en avant que le refus courtois de l'Égypte de considérer les allégations comme fondées a incité la Suède à demander une enquête, sans aller jusqu'à donner des détails sur l'enquête qui aurait été conduite. Ceci inciterait fortement à penser que le requérant a en fait été torturé, car l'Égypte aurait grand avantage à pouvoir démontrer aux autres pays, par une enquête indépendante montrant que le requérant n'avait pas été torturé, que l'on pouvait y renvoyer des prisonniers sensibles en étant sûr qu'elle respecterait les assurances données.

11.11 Le conseil se réfère au refus apparent de l'État partie d'insister davantage auprès des autorités égyptiennes, par crainte d'éventuelles atteintes aux intérêts juridiques ou au bien-être du requérant. Un tel manque d'empressement laisserait penser que l'État partie admet, contrairement à l'opinion qu'il avait émise auparavant, que le requérant risque d'être soumis à des pressions externes si l'on insiste pour qu'une enquête indépendante soit effectuée. En fait, le requérant, par le truchement de ses parents, a fait savoir à plusieurs reprises qu'il désirait que ses intérêts soient défendus du mieux possible.

11.12 Le conseil se réfère ensuite à la jurisprudence pertinente des juridictions nationales. Dans l'affaire Bilasi-Ashri, le Gouvernement égyptien a refusé de remettre une déclaration détaillée d'assurances, prévoyant notamment une surveillance après le retour, au Ministre autrichien de la justice qui le lui avait demandé à la suite d'une décision à cet effet d'une cour d'appel autrichienne. Dans l'affaire Ahmed Zakaev, une juridiction d'extradition britannique a estimé qu'un réel risque de torture n'était pas écarté par les assurances données en audience publique par un vice-ministre russe en charge des prisons. Le conseil affirme que c'est ce type d'approche rigoureuse, où une protection effective est fournie par l'appareil judiciaire, qui aurait dû être suivi dans le cas du requérant.

11.13 Le conseil développe la mention qui est faite plus haut au paragraphe 10.2 d'une intervention des États-Unis d'Amérique dans l'affaire du requérant, citant un livre intitulé «Chain of Command» de Seymour Hersh. Il y est affirmé que «l'opération Bromma» (désignant l'aéroport d'où le requérant a été renvoyé en Égypte) a été menée par des membres du Special Access Program du Ministère de la défense nationale des États-Unis dont l'activité consistait à renvoyer des personnes soupçonnées de terrorisme dans leur pays d'origine en utilisant des «méthodes peu orthodoxes». Il y est déclaré que le renvoi du requérant a été l'une des premières opérations effectuées au titre de ce programme et un participant à cette opération l'a décrite comme «l'une des moins réussies». D'après le conseil, cette intervention d'un État tiers au stade du renvoi dans un contexte de lutte contre le terrorisme aurait dû confirmer ce que l'État partie savait déjà du recours fréquent à la torture en Égypte et la vulnérabilité particulière du requérant, à savoir qu'il courait un risque réel de torture au moment de son renvoi, en contravention avec l'article 3.

11.14 Par une autre lettre du 16 novembre 2004, le conseil a fait tenir au Comité un exemplaire du rapport de Human Rights Watch intitulé «Recent Concerns regarding the Growing Use of Diplomatic Assurances as an Alleged Safeguard against Torture» («Préoccupations récentes concernant le recours croissant aux assurances diplomatiques comme une prétendue garantie contre la torture»). On examine dans ce rapport des exemples récents de la pratique dans le domaine des assurances diplomatiques de l'Allemagne, des États-Unis d'Amérique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et du Canada. Il est affirmé dans ce rapport que de telles assurances sont de plus en plus considérées comme un moyen de contourner le caractère absolu des obligations de non-refoulement et qu'elles commencent à déborder le cadre de la lutte contre le terrorisme pour se répandre dans le domaine des revendications du statut de réfugié. On y soutient que l'on ne demande d'assurances qu'aux pays dans lesquels la torture est un problème grave et systématique, ce qui atteste donc du risque réel de torture présent dans de telles affaires.

11.15 Eu égard aux expériences nationales, on parvient dans ce rapport à la conclusion que les assurances ne sont pas une garantie suffisante pour diverses raisons. La protection des droits de l'homme ne se prête pas à la diplomatie, laquelle a une propension à l'opacité et à placer la relation d'État à État au premier rang des considérations. Demander de telles assurances revient à faire confiance à un délinquant récidiviste dont on ne peut pas croire par ailleurs qu'il se conforme à ses obligations internationales. Cela revient aussi à donner à un pays délinquant récidiviste un «passe-droit» en ce qui concerne une affaire particulière alors même que la torture y est répandue. Enfin, l'efficacité du contrôle après le retour comporte les limitations suivantes: beaucoup de tortures infligées de façon professionnelle ne sont pas détectables; dans la plupart des arrangements types de surveillance, la participation de médecins spécialistes n'est pas prévue; les victimes de la torture refusent de dénoncer les tortionnaires par crainte de représailles; enfin, ni l'État d'envoi ni l'État d'accueil ne sont prêts à endosser la responsabilité d'avoir exposé un individu à des tortures.

11.16 En conclusion, on y mentionne le rapport présenté en octobre 2004 à l'Assemblée générale par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture, dans lequel celui-ci soutient qu'en règle générale il ne convient pas de recourir aux assurances diplomatiques dans les cas où la torture est systématique et que si une personne est membre d'un groupe spécifique d'individus habituellement pris pour cible et torturés, ce facteur doit être pris en considération. En l'absence de l'un ou l'autre de ces facteurs, le Rapporteur spécial n'écarte pas le recours aux assurances, pour autant qu'elles constituent une garantie non équivoque, sérieuse et vérifiable.

12.1 Par une lettre du 11 mars 2005, l'État partie a fait tenir de nouvelles observations sur le fond de la plainte. Il fait observer que les membres du personnel de l'ambassade de Suède au Caire ont continué de suivre la situation du requérant, lui rendant visite à la prison de Tora les 3 octobre 2004, 21 novembre 2004, 17 janvier 2005 et 2 mars 2005. L'État partie fait observer, pour que les choses soient claires, qu'il existe plusieurs bâtiments dans l'enceinte de la prison, dont l'un est appelé Mazraat et l'autre Estekbal. Le requérant a été détenu, et des visites ont eu lieu, dans ces deux parties du complexe pénitentiaire à différentes dates.

12.2 En ce qui concerne sa situation juridique, le requérant a déclaré qu'il avait chargé son avocat égyptien de présenter au Président de la République arabe d'Égypte une requête tendant à ouvrir un nouveau procès devant une juridiction civile, invoquant l'engagement de lui donner un procès équitable qu'avait pris l'Égypte avant son expulsion de Suède. Il n'avait pas rencontré l'avocat en personne; il semble que c'est sa mère qui donnait des instructions à ce dernier. D'après le requérant, elle avait été ultérieurement informée par l'avocat que la requête avait été présentée. Le requérant n'était cependant pas très optimiste quant à l'issue d'une telle requête.

12.3 En ce qui concerne son état de santé, le requérant se rétablissait normalement de l'opération du dos qu'il avait subie en août 2004 à l'hôpital universitaire du centre-ville du Caire. De retour à la prison de Tora, il avait passé quelque temps à l'hôpital de la prison avant de retrouver une cellule normale. Il avait reçu un traitement de physiothérapie et passé une IRM de la colonne vertébrale. Il s'est plaint de ne pas avoir d'autres séances de physiothérapie qui, a-t-il déclaré, devaient avoir lieu à l'hôpital. Ceci était dû au fait qu'on ne disposait pas du matériel nécessaire dans la prison. Pour consolider davantage son dos, il était prévu qu'il subisse un traitement magnétique spécial.

12.4 En ce qui concerne la question des conditions générales de détention, l'État partie fait observer qu'en mars 2005 le requérant avait été placé dans une cellule où il était seul. Il a continué de recevoir la visite de sa mère, qui lui apportait des livres, des vêtements et un supplément de nourriture. Il semble qu'elle lui ait aussi fourni régulièrement des informations sur sa famille en Suède. Cela ne l'a pas empêché de se plaindre qu'on lui ait refusé de voir sa femme et ses enfants. En outre, il avait l'intention de poursuivre ses études de droit. Il avait réussi à passer d'autres examens au cours de l'automne.

12.5 Outre les mesures décrites dans ses dernières lettres au Comité, le 21 septembre 2004, l'État partie déclare qu'il a fait de nouveaux efforts pour qu'il soit enquêté sur les mauvais traitements qu'aurait subis le requérant de la part des autorités égyptiennes au cours de la phase initiale de la détention. Dans une nouvelle lettre datée du 29 septembre 2004, adressée au Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux, la Ministre suédoise des affaires étrangères, Mme Laila Freivalds, a réagi à la réponse que celui-ci lui avait donnée en juillet de la même année. Mme Freivalds a fait observer que la lettre qu'elle avait reçue en juillet 2004 ne contenait aucune information sur le type d'enquêtes qui avaient été menées par les autorités égyptiennes et sur lesquelles le Ministre égyptien fondait ses conclusions. Elle a conclu pour sa part que, compte tenu des circonstances, elle n'excluait pas d'avoir à aborder de nouveau la même question avec lui à un stade ultérieur.

12.6 Au cours de la visite rendue par l'ambassade de Suède au requérant le 3 octobre 2004, la question de savoir quelle était sa position quant au fait de relancer les enquêtes sur les allégations de mauvais traitements a été de nouveau soulevée. Lorsque cette question avait été évoquée avec lui pour la première fois (au cours de la visite du 14 juillet 2004), sa peine d'emprisonnement avait été récemment réduite à 15 ans et il s'inquiétait de ce que de nouvelles enquêtes puissent compromettre ses chances d'obtenir de nouvelles réductions de peine pour bonne conduite. Mais le 3 octobre 2004, le requérant s'était ravisé. Il a alors déclaré qu'il était favorable à une enquête indépendante et qu'il souhaitait y contribuer.

12.7 L'État partie attachant de l'importance aux souhaits du requérant à cet égard, il a estimé que cette nouvelle position l'autorisait à prendre de son côté de nouvelles mesures. Comme l'enquête envisagée devait naturellement nécessiter une nouvelle approbation et la coopération du Gouvernement égyptien, l'Ambassadeur de Suède en Égypte a reçu pour instruction le 26 octobre 2004 de soulever cette question devant le Ministère égyptien des affaires étrangères, à l'échelon le plus élevé possible. L'Ambassadeur a donc rencontré le Ministre égyptien des affaires étrangères le 1er novembre 2004. Il lui a fait savoir que le Gouvernement suédois continuait d'être préoccupé par les allégations selon lesquelles le requérant avait subi des tortures et d'autres mauvais traitements au cours des premiers temps de son retour en Égypte. Il a souligné la nécessité d'un examen approfondi, indépendant et impartial de ces allégations, conformément au principe de l'état de droit et d'une manière qui soit acceptable pour la communauté internationale. Il lui a été répondu que le Ministre avait l'intention d'examiner cette question avec le Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux. Toutefois, le Ministre égyptien des affaires étrangères prévoyait qu'une enquête internationale soulèverait deux problèmes. Premièrement, l'Égypte n'avait pas pour tradition d'inviter des représentants de la communauté internationale à enquêter sur des affaires internes de cette nature. Ceci serait probablement interprété comme une ingérence fâcheuse dans les affaires intérieures du pays. Deuxièmement, le fait de tenter de prouver qu'il n'y avait pas eu de mauvais traitements pouvait poser un problème de nature technique, compte tenu en particulier que plusieurs années s'étaient écoulées depuis que ces mauvais traitements étaient censés avoir eu lieu.

12.8 L'État partie fait savoir que, comme suite à la réunion tenue avec le Ministre des affaires étrangères, son ambassadeur a rencontré le Sous-Secrétaire d'État aux renseignements généraux les 22 novembre et 21 décembre 2004. Au cours de la première de ces réunions, le Sous-Secrétaire d'État a mentionné que l'Égypte souhaitait ardemment se conformer, dans toute la mesure possible, à la demande d'enquête formulée par le Gouvernement suédois. Cependant, au cours de la deuxième réunion, l'Ambassadeur s'est vu remettre par le Ministre de tutelle du service des renseignements généraux une lettre contenant la réponse officielle du Gouvernement égyptien à la nouvelle demande d'enquête formulée par la Suède. La teneur en était analogue à celle de la lettre précédente émanant du même Ministre, datée de juillet 2004. Ainsi, les allégations selon lesquelles le requérant avait été maltraité étaient de nouveau rejetées comme dénuées de fondement. De plus, aucune réponse directe n'était fournie à la demande d'enquête indépendante.

12.9 La question a de nouveau été posée par Mme Freivalds lors d'une visite à Stockholm le 15 février 2005 du Vice-Ministre égyptien des affaires étrangères chargé des questions multilatérales. Mme Freivalds a informé celui-ci de l'affaire du requérant et des allégations selon lesquelles il aurait été maltraité. Elle a souligné qu'il devait être de l'intérêt commun de la Suède et de l'Égypte d'examiner ces allégations et demandé au Vice-Ministre d'user de son influence auprès des autorités égyptiennes pour faire valoir la position suédoise. Le Vice-Ministre a assuré qu'il soulèverait cette question à son retour au Caire.

12.10 L'État partie rappelle aussi que la question d'une enquête internationale a été soulevée auprès de Mme Louise Arbour, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, lors d'une visite de celle-ci à Stockholm en décembre 2004. À cette occasion, Mme Freivalds a bien marqué que le Gouvernement suédois accueillerait favorablement toute action que pourrait entreprendre la Haut-Commissaire en vue d'enquêter sur les allégations selon lesquelles le requérant avait été soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements alors qu'il était détenu en Égypte. L'État partie fait également observer que l'enquête ouverte par le Médiateur en chef du Parlement suédois (Ombudsman) sur les circonstances qui avaient entouré l'exécution de la décision du Gouvernement d'expulser le requérant de Suède n'est pas encore achevée.

12.11 L'État partie rappelle que dès le mois de mai 2004, le conseil du requérant avait envoyé au Comité un compte rendu écrit du rapport de l'ambassade sur sa première visite au requérant après son retour en Égypte, le 23 janvier 2002. Un exemplaire de ce rapport a été remis par le conseil au Comité en août 2004. De l'avis de l'État partie, par conséquent, le Comité possédait ainsi toutes les informations pertinentes pour l'examen de la présente affaire. Avant d'expliquer pourquoi il n'a pas été pleinement rendu compte de ce rapport par le Gouvernement dans ses observations initiales du 5 décembre 2003, l'État partie produit la traduction suivante de la partie pertinente du rapport de l'Ambassadeur:

12.12 L'État partie dit savoir que le Comité s'est, dans le passé, heurté à des difficultés pour faire respecter la confidentialité de ses débats. C'est pourquoi il a rédigé ses communications avec beaucoup de soin lorsqu'il y dévoilait des informations classées en vertu de la loi suédoise sur le secret d'État. Pour l'État partie, il s'agissait d'établir un équilibre, entre, d'une part, la nécessité de révéler des informations pour fournir au Comité des bases factuelles exactes lui permettant d'administrer comme il convient la justice, et, d'autre part, la nécessité de protéger l'intégrité des relations de la Suède avec les puissances étrangères, les intérêts de la sécurité nationale, de même que la sécurité et la sûreté des personnes.

12.13 L'État partie affirme que sa position à cet égard devrait être considérée en tenant compte des leçons tirées des travaux relatifs à l'affaire Hanan Attia. De l'avis de l'État partie, il est apparu clairement au cours de ces débats que les préoccupations en matière de confidentialité, déjà présentes à cette époque, n'étaient pas dénuées de fondement. Dans cette affaire, le Comité a donné à l'État partie en septembre 2002 la possibilité de retirer ses observations initiales datées du 8 mars 2002 et de présenter une nouvelle version eu égard au fait qu'il ne pouvait garantir qu'«aucune des informations présentées par les parties à l'affaire ne serait divulguée dans aucune de ses décisions ou constatations sur le fond de l'affaire». De plus, en janvier 2003, le conseil d'Hanan Attia a joint en appendice à ses propres observations une note du bureau d'Amnesty International à Londres dont il ressortait clairement qu'il avait communiqué les observations de l'État partie datées du 8 mars 2002 à Amnesty International.

12.14 L'État partie affirme que ses préoccupations concernant l'aptitude du Comité à garantir le respect de la confidentialité de ses travaux étaient reflétées dans ses demandes et observations répétées concernant la confidentialité des informations qui figuraient en fait dans les observations initiales du 5 décembre 2003 en l'espèce. Cependant, vu ce qui précède, on est parvenu à la conclusion que seule une partie des informations classées figurant dans l'opinion écrite de la police de sécurité datée du 30 octobre 2001, adressée au Conseil des migrations, pouvait être révélée. On est également parvenu à la conclusion que les informations figurant dans le rapport de l'ambassade sur sa première visite, du 23 janvier 2002, au requérant en détention ne pouvaient pas non plus faire l'objet d'un compte rendu intégral. La raison en était qu'on ne pouvait exclure que les informations sur de mauvais traitements fournies par le requérant au cours de la première visite de l'ambassade se retrouveraient ultérieurement dans le domaine public et que les autorités égyptiennes finiraient ainsi par en avoir connaissance.

12.15 L'État partie conclut que, pour ces raisons, les informations qu'a pu glaner l'ambassade lors de sa première visite n'ont pas toutes été révélées au Comité. Si ces informations non confirmées avaient été divulguées à ce stade, et avec l'aide indirecte du Gouvernement suédois, des représailles auraient pu être exercées contre le requérant. Le risque de représailles n'a pas été jugé insignifiant, que ces informations fussent exactes ou non. Si les informations concernant les mauvais traitements subis par le requérant étaient exactes − même s'ils ne relèvent pas, semble-t-il, de la torture au sens de la Convention −, cela aurait voulu dire que les assurances diplomatiques n'avaient pas eu l'effet voulu, à savoir le protéger d'un traitement contraire aux obligations internationales de la Suède, notamment un traitement interdit en vertu de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. En pareil cas, la divulgation de ces informations pouvait apparemment exposer le requérant à être de nouveau maltraité, et peut-être même torturé. D'un autre côté, si l'on avait divulgué des informations inexactes, cela aurait pu avoir des incidences négatives sur les relations entre la Suède et l'Égypte, et cela aurait pu causer des problèmes à l'ambassade dans ses activités de surveillance. Dans cette situation, une fois les différents risques pesés, on est parvenu à la conclusion que la meilleure ligne de conduite serait d'attendre le rapport de la visite suivante de l'ambassade.

12.16 L'État partie fait valoir que selon le rapport de l'ambassade sur sa deuxième visite au requérant dans l'établissement de détention, aucun signe de torture ou d'autres mauvais traitements n'était apparent à l'époque. Cependant, même avant la troisième visite effectuée le 14 avril 2002, des informations circulaient selon lesquelles la mère du requérant avait déclaré publiquement que son fils avait été torturé à son retour en Égypte. Le rapport de l'ambassade sur la première visite, le 23 janvier 2002, a confirmé les informations fournies par la mère du requérant, à savoir que la visite au cours de laquelle elle aurait remarqué des signes de mauvais traitements sur le corps de son fils avait été interrompue par la première visite de l'Ambassadeur de Suède. Le fait que l'Ambassadeur ait indiqué qu'il n'avait pas été en mesure de déceler de signes de sévices physiques ce même jour a conduit l'État partie à douter de la véracité des affirmations de la mère du requérant et a rejailli sur son évaluation de la crédibilité des informations données par le requérant lui-même à l'Ambassadeur le même jour.

12.17 L'État partie constate que le requérant n'a fourni aucune information nouvelle faisant état de mauvais traitements au cours de l'année suivante et que l'opinion selon laquelle les informations présentées au cours de la première visite de l'ambassade avaient été inexactes s'est progressivement imposée. Il était essentiel que l'ambassade ne subisse pas d'entraves dans sa surveillance périodique, et c'est ce qui aurait pu arriver si l'État partie avait transmis des informations non confirmées ou inexactes au Comité. Dès les premiers mois de 2002, compte tenu de la situation en avril 2002, date à laquelle la teneur d'une lettre de la mère du requérant a été dévoilée, il n'a pas été jugé approprié, tout bien considéré, de compléter à cette date les informations concernant la première visite de l'ambassade déjà présentées par l'État partie dans ses observations du 8 mars 2002.

12.18 L'État partie a procédé à une appréciation tout à fait différente de la situation lorsque le requérant a réitéré, le 5 mars 2003, ses plaintes faisant état de mauvais traitements de la part des autorités égyptiennes au cours des premiers temps de sa détention. Les allégations étaient beaucoup plus graves cette fois-ci, le requérant affirmant notamment qu'il avait été soumis à la torture à l'électricité. Le simple fait que le requérant soit revenu plus d'un an plus tard sur ce qui s'était déjà produit selon lui dès le début de la période de détention a contribué à ce qu'une évaluation différente soit effectuée en mars 2003. Ces allégations de torture ont donc été immédiatement soulevées auprès de représentants des autorités égyptiennes compétentes, qui les ont rejetées catégoriquement. L'État partie a rendu compte des informations présentées par le requérant, de même que des réactions des autorités égyptiennes à ces informations, dans ses lettres au Comité datées du 26 mars 2003. Il convient de réaffirmer que les informations en cause étaient considérablement plus graves que celles fournies par le requérant un an plus tôt et qu'elles concernaient la même période.

12.19 L'État partie affirme en outre qu'en mars 2003 les raisons de maintenir la confidentialité n'étaient pas aussi impérieuses qu'auparavant. Même si les informations provenant de la dixième visite de l'ambassade, le 5 mars 2003, étaient entrées dans le domaine public bien que les débats du Comité fussent confidentiels en vertu des dispositions applicables de la Convention et de son propre règlement intérieur, les effets néfastes que cela pouvait avoir n'étaient plus considérés comme aussi graves qu'auparavant. À la suite des premières lettres de l'État partie au Comité, des informations circulaient déjà qui − si elles étaient exactes − pouvaient faire croire à une violation par l'Égypte de ses assurances diplomatiques. En outre, la question de la torture avait déjà été soulevée auprès des autorités égyptiennes en mars 2003. Par ailleurs, la surveillance exercée par l'ambassade durait depuis plus d'un an à l'époque et était devenue une routine, tant pour les autorités égyptiennes que pour l'ambassade et le requérant lui-même. La probabilité d'une incidence négative sur la surveillance, qui ferait qu'il serait plus difficile dans l'avenir de veiller au respect continu desdites assurances, avait donc disparu. L'État partie souligne aussi que les allégations faites par le requérant au cours de la première visite de l'ambassade ne constituaient pas à son avis des allégations de torture au sens de la Convention. Mais il est clair que les mauvais traitements dont il se plaignait à l'époque auraient constitué des traitements inhumains, et peut-être aussi cruels, si ses allégations avaient été étayées.

12.20 L'État partie renvoie le Comité à la récente décision rendue par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme, le 4 février 2005, dans l'affaire Mamatkulov et consorts c. Turquie. Cette affaire concernait l'extradition des requérants vers l'Ouzbékistan en mars 1999, en vertu d'un traité bilatéral avec la Turquie. Les deux requérants avaient été soupçonnés d'homicide, d'avoir causé des lésions corporelles à autrui par l'explosion d'une bombe en Ouzbékistan et d'une tentative d'attentat terroriste contre le Président de l'Ouzbékistan. Après leur extradition, ils ont été reconnus coupables de diverses infractions et condamnés à des peines de 20 et 11 ans d'emprisonnement, respectivement.

12.21 Devant la Cour européenne, les requérants ont affirmé que la Turquie avait violé, entre autres, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Pour sa défense, la Turquie a invoqué les assurances données par les autorités ouzbèkes concernant ces deux requérants. D'après ces assurances, fournies par le Procureur de la République d'Ouzbékistan, les requérants ne devaient pas être soumis à des actes de torture ni condamnés à la peine capitale. Ces assurances contenaient aussi l'information selon laquelle l'Ouzbékistan était partie à la Convention contre la torture et acceptait et réaffirmait l'obligation qui lui était faite de se conformer aux prescriptions des dispositions de celle-ci «concernant tant la Turquie que la communauté internationale dans son ensemble». Des fonctionnaires de l'ambassade de Turquie à Tachkent avaient rendu visite aux requérants dans leur lieu respectif de détention en octobre 2001. Ils étaient selon eux en bonne santé et ne s'étaient pas plaints de leurs conditions carcérales. La Turquie a aussi produit des certificats médicaux dressés par des médecins militaires dans les prisons où les requérants étaient détenus.

12.22 L'État partie fait valoir que la Cour européenne a évalué l'existence de ce risque principalement à la lumière de circonstances dont l'État partie avait ou devait avoir connaissance au moment de l'extradition, les renseignements ultérieurs pouvant servir à confirmer ou infirmer la manière dont l'État partie avait jugé du bien-fondé des craintes d'un requérant. La Cour a conclu qu'elle devait évaluer la responsabilité de la Turquie au titre de l'article 3 en se référant à la situation qui régnait à la date de l'extradition des requérants, c'est-à-dire le 27 mars 1999. Tout en prenant acte des rapports des organisations internationales de défense des droits de l'homme dénonçant une pratique administrative de la torture et d'autres formes de mauvais traitements infligés aux dissidents politiques ainsi que la politique répressive du régime ouzbek à l'égard de ces dissidents, la Cour a déclaré par ailleurs que, bien que ces constatations fassent une description de la situation générale en Ouzbékistan, elles n'étayaient pas les allégations spécifiques faites par les requérants en l'espèce et devaient être corroborées par d'autres éléments de preuve. Compte tenu des assurances obtenues par la Turquie et des certificats médicaux délivrés par les médecins des prisons ouzbèkes dans lesquelles les requérants étaient détenus, la Cour a jugé qu'elle ne pouvait conclure qu'il existait à la date pertinente des motifs sérieux de croire que les requérants étaient exposés à un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 de la Convention européenne.

12.23 L'État partie invite le Comité à adopter la même approche. Il souligne que des assurances analogues à celles données dans l'affaire portée devant la Cour européenne ont bien été obtenues par le Gouvernement suédois dans la présente affaire. S'il est vrai que les garanties données dans la présente affaire ne mentionnaient pas les obligations incombant à l'Égypte en vertu de la Convention contre la torture, cela est sans conséquence particulière puisque l'Égypte, comme l'Ouzbékistan, est en fait liée par la Convention. On peut douter que la valeur des assurances doive être considérée comme accrue par le simple fait qu'elles comportent une référence aux obligations d'un État en matière de droits de l'homme. Le facteur important doit être que l'État en cause s'est effectivement engagé à se conformer aux dispositions d'une convention protégeant les droits de l'homme en y devenant partie. Le fait que l'Égypte était partie à la Convention contre la torture était connu de l'État partie lorsqu'il a obtenu des assurances diplomatiques en l'espèce et décidé subséquemment d'expulser le requérant.

12.24 L'État partie affirme ensuite que les assurances obtenues en l'espèce doivent être considérées comme ayant plus de poids encore que celles données dans l'affaire où la Turquie était attaquée puisqu'elles ont été données par la personne responsable du service de sécurité égyptien. On peut difficilement trouver une personne mieux placée en Égypte pour garantir que les assurances diplomatiques aient l'effet voulu, c'est-à-dire protéger le requérant d'un traitement contraire aux obligations de la Suède au titre de plusieurs instruments relatifs aux droits de l'homme.

12.25 L'État partie reconnaît qu'aucun certificat médical n'a été invoqué en l'espèce. Cependant, les certificats médicaux présentés dans l'affaire turque avaient été établis par des médecins militaires ouzbeks travaillant dans les prisons où les requérants dans ladite affaire étaient détenus. De l'avis de l'État partie, de tels certificats n'ont guère de valeur si l'on considère qu'ils n'ont pas été délivrés par des experts qui pouvaient être considérés comme véritablement indépendants à l'égard des autorités publiques en cause. En outre, dans la présente affaire, on doit considérer que l'absence de certificats médicaux de cet ordre est raisonnablement compensée par le mécanisme de surveillance mis en place par le Gouvernement suédois. À ce jour, près de 30 visites au requérant en détention ont été faites par son ambassade au Caire, sur une période totale de plus de trois ans. Ceci devrait être mis en regard de l'unique visite effectuée par deux fonctionnaires de l'ambassade turque à Tachkent plus de deux ans et demi après l'extradition des requérants dans l'affaire examinée par la Cour européenne.

12.26 Par une lettre datée du 7 avril 2005, le conseil du requérant a adressé de nouvelles observations. En ce qui concerne les soins médicaux, le conseil fait valoir que le traitement prescrit après l'opération subie par le requérant en août 2004 a été interrompu avant qu'il ne soit tout à fait rétabli et qu'il n'a pas reçu les stimulations électriques que son état exigeait.

12.27 Le conseil relève qu'en décembre 2004 et en janvier 2005, l'expulsion du requérant et une autre affaire analogue ont fait l'objet d'un débat au Parlement et dans les médias suédois. Le Premier Ministre et le Ministère de l'immigration ont indiqué que les expulsés étaient des terroristes et que leur renvoi était nécessaire pour prévenir de nouveaux attentats et pour garantir que la Suède ne leur serve pas de refuge. D'après le conseil, les policiers égyptiens ont montré ces déclarations au requérant pendant un interrogatoire. Pour lui, cela démontre que les services de sécurité égyptiens continuent d'interroger leur requérant et de chercher à lui extorquer des renseignements, ce qui l'expose en permanence à un risque de torture.

12.28 Le conseil joint les conclusions (en suédois avec un résumé en anglais) datées du 22 mars 2005 de l'enquête ouverte par l'Ombudsman parlementaire sur les circonstances qui ont entouré l'expulsion de la Suède vers le Caire, en mettant en lumière le traitement subi par les expulsés à l'aéroport de Bromma. D'après le résumé de l'Ombudsman, quelques jours avant le 18 décembre 2001, la CIA a proposé à la Sûreté nationale suédoise un de ses avions pour procéder à l'expulsion directe vers l'Égypte. La Sûreté, après semble-t-il avoir informé le Ministre des affaires étrangères, a accepté. Vers midi, le 18 décembre, la Sûreté a été informée que des personnels de sécurité américains seraient à bord de l'avion et qu'ils souhaitaient procéder à un contrôle de sécurité sur la personne des expulsés. Des dispositions ont été prises pour que le contrôle soit effectué dans un poste de police de l'aéroport de Bromma à Stockholm.

12.29 Immédiatement après la décision du Gouvernement, l'après-midi du 18 décembre, les expulsés ont été appréhendés par la police suédoise puis conduits à l'aéroport de Bromma. L'avion américain a atterri peu après 21 heures. Plusieurs membres du personnel de sécurité américain, portant des masques, ont procédé au contrôle de sécurité qui s'est déroulé comme suit, avec peut-être aussi d'autres actes. Les vêtements des expulsés ont été coupés à l'aide de ciseaux et enlevés, les inspecteurs ont procédé à des fouilles à corps ; les expulsés avaient les mains et les pieds entravés, portaient des sortes de pyjamas et avaient la tête recouverte de cagoules grossièrement ajustées. Enfin, ils ont été conduits, pieds nus, jusqu'à l'appareil et dans la cabine ils ont été attachés par des sangles à des matelas. Ils sont restés dans cette position pendant tout le vol jusqu'en Égypte. On leur aurait de plus administré un sédatif par voie rectale, ce dont l'enquête de l'Ombudsman n'a pas permis d'établir la réalité. L'Ombudsman a relevé que, pendant toute cette opération, la Sûreté suédoise était restée passive. Il a considéré que, vu que la proposition des États-Unis avaient été reçue seulement trois mois après les événements du 11 septembre, on aurait pu attendre de la Sûreté qu'elle demande si la proposition impliquait des dispositions de sécurité spéciales. Rien de tel n'avait été fait, même quand la Sûreté avait appris que du personnel de sécurité des États-Unis serait présent et souhaitait procéder à un contrôle. Quand la police suédoise a vu ce en quoi consistaient réellement les contrôles, les choses se passant à l'aéroport de Bromma, elle y a assisté passivement.

12.30 De l'avis de l'Ombudsman, l'enquête révélait que la Sûreté suédoise avait perdu le contrôle de la situation à l'aéroport et pendant toute la durée du vol vers l'Égypte. Le personnel de sécurité américain avait pris les choses en mains et avait été autorisé à procéder seul aux contrôles de sécurité. Cet abandon total de l'exercice de l'autorité publique sur le territoire suédois était, d'après l'Ombudsman, clairement contraire à la loi suédoise. De plus, quelques-unes au moins des mesures de coercition appliquées pendant les contrôles de sécurité étaient incompatibles avec la loi suédoise. De surcroît, le traitement des expulsés, pris dans son ensemble, ne pouvait qu'être qualifié d'inhumain et était donc inacceptable et pouvait représenter un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'Ombudsman a souligné que le traitement inhumain auquel les expulsés avaient été soumis ne pouvait pas être toléré. La Sécurité aurait dû décider d'interrompre la procédure d'expulsion et méritait d'être sévèrement blâmée pour la façon dont elle avait agi dans cette affaire.

12.31 Le conseil relève que l'Ombudsman n'a pas voulu engager d'action contre des particuliers car il n'était pas possible de considérer que l'un quelconque d'entre eux pouvait répondre des actes devant un tribunal. Le conseil fait valoir qu'au moins le maintien prolongé d'une cagoule sur la tête représentait une torture et que ce qui s'était passé dans l'appareil pouvait également être formellement imputé à l'État suédois. Il ajoute que, dans le climat qui régnait alors, l'État partie aurait dû s'interroger sur la motivation des Américains quand ils ont proposé d'assurer le transport des expulsés vers l'Égypte et n'aurait pas dû accepter aussi rapidement les garanties données par l'État égyptien.

12.32 Par une lettre du 12 avril 2005, l'État partie a lui aussi joint le résumé du rapport de l'Ombudsman, à titre de «renseignements permettant de saisir pleinement que l'exécution de la décision du Gouvernement d'expulser le requérant de Suède n'est pas en jeu dans l'affaire soumise à l'examen du Comité, qui porte sur la question des assurances diplomatiques données par l'Égypte au sujet du requérant».

12.33 Dans une lettre datée du 21 avril 2005, le conseil du requérant a présenté des remarques finales. Il critique les modalités des visites les plus récentes de l'État partie en avançant les mêmes raisons que pour les visites précédentes. En ce qui concerne les soins médicaux, le requérant a été examiné de nouveau deux fois dans l'établissement où il avait été opéré en 2004 et il se peut qu'il ait besoin d'une nouvelle intervention. Pour ce qui est de la proposition de mener une enquête internationale, le conseil objecte que la seule raison pour laquelle l'Égypte refuse de coopérer est qu'elle n'a pas respecté les assurances qu'elle avait données.

12.34 Le conseil rejette les motifs invoqués par l'État partie pour ne pas divulguer au Comité une partie du premier rapport de l'ambassade, faisant valoir que ces motifs ne peuvent être avancés que pour protéger le requérant contre des représailles de l'Égypte pour avoir parlé des tortures subies. Le requérant a fait sa déclaration en présence du gardien de la prison et d'autres responsables et l'Ambassadeur a évoqué la question avec le Ministère des affaires étrangères. Quoi qu'il en soit, comme le requérant avait déjà subi des représailles, il n'y avait plus rien à protéger en retenant l'information. Les mauvais traitements subis par le requérant avaient déjà été publiquement dénoncés par la mère du requérant et par Amnesty International peu de temps après janvier 2002. Le conseil fait valoir que la position de l'État partie reflète également une «confiance limitée» dans le respect des garanties données par l'Égypte. Le conseil dit aussi qu'il ne voit pas en quoi la sécurité nationale pourrait être compromise si les allégations du requérant étaient divulguées. En somme, la seule raison plausible de cacher l'information était pour l'État partie d'éviter des désagréments et des embarras.

12.35 En ce qui concerne le fait qu'il ait communiqué à des organisations non gouvernementales des informations données dans le contexte de la procédure mise en place par l'article 22 de la Convention, le conseil fait valoir qu'à ce moment-là il ne voyait pas ce qui pouvait l'en empêcher car rien dans la Convention ni dans le règlement intérieur n'interdisait à son avis de le faire. Il n'avait jamais eu l'intention de transmettre les renseignements aux médias ni au grand public. Le conseil fait valoir que, depuis qu'il suit les consignes du Comité qui lui a fait savoir que les renseignements afférents à la requête étaient confidentiels, sa capacité de défendre le requérant se trouve singulièrement réduite, en particulier du fait de la disparité entre les ressources dont l'État partie dispose et celles dont lui-même dispose. De toute façon, l'État partie a divulgué au Comité d'autres renseignements confidentiels ce qui dément son souci de ne pas voir indûment répandus des renseignements sensibles. Le conseil fait valoir que le traitement décrit est bien, contrairement à ce qu'a pu dire l'Ambassadeur, un acte de torture tel que le Comité l'entend, compte tenu du fait que le requérant a sans doute hésité à tout dire à l'Ambassadeur et que plusieurs éléments attestant la gravité du traitement ont été révélés par le témoignage de sa mère.

12.36 En ce qui concerne la décision de la Cour européenne dans l'affaire Mamatkulov et consorts, le conseil la distingue de l'affaire à l'examen. Il souligne cependant que dans les deux cas la rapidité avec laquelle l'expulsion a été exécutée empêchait l'exercice effectif d'un mécanisme de plainte, circonstance qui, de l'avis de la Cour européenne, constituait une violation de l'article 34 de la Convention européenne. De l'avis du conseil, dans l'affaire Mamatkulov, les membres de la Cour n'ont pas pu conclure à une violation de l'article 3 de la Convention européenne parce que, contrairement à la présente affaire, la Cour ne disposait pas d'éléments de preuve suffisants. Une autre différence est que le traitement subi au moment de l'expulsion était un signe clair, dans l'affaire à l'examen, qu'il y avait risque de torture par la suite. Étant donné l'objectif de prévention de l'article 3, il ne peut pas être admis que l'État qui expulse transfère simplement à l'État de destination, par le moyen des assurances diplomatiques, la responsabilité de la situation de l'expulsé.

12.37 Enfin, le conseil fait tenir au Comité un rapport de Human Rights Watch daté du 15 avril 2005 intitulé «Still at Risk: Diplomatic Assurances no Safeguard against Torture» («Le risque demeure: les assurances diplomatiques ne sont pas une garantie contre la torture»), qui passe en revue la jurisprudence contemporaine et les cas dans lesquels les assurances diplomatiques ont été données pour conclure qu'il ne s'agit pas d'un instrument efficace permettant d'atténuer les risques dans le contexte de l'article 3. Pour ce qui est de l'affaire à l'examen, Human Rights Watch fait valoir qu'il existe «des preuves crédibles et dans certains cas accablantes, que les garanties n'ont pas été respectées» (p. 59).


Délibération du Comité

Examen quant au fond

13.1 Conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête quant au fond en tenant compte des informations qui lui ont été présentées par les parties. Le Comité reconnaît que les mesures prises, conformément aux résolutions obligatoires du Conseil de sécurité, pour lutter contre le terrorisme, qui consistent notamment à leur refuser l'asile sont à la fois légitimes et importantes. Elles doivent toutefois être appliquées dans le plein respect des règles applicables du droit international, y compris des dispositions de la Convention, comme l'a affirmé maintes fois le Conseil de sécurité.


Examen de la plainte au regard de l'article 3

13.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Égypte, l'État partie a violé l'obligation qui lui est faite à l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture. Le Comité souligne qu'il doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements dont les autorités de l'État partie étaient au courant ou auraient dû être au courant au moment de l'expulsion. Les événements ultérieurs sont utiles pour évaluer la connaissance, effective ou déductive, qu'avait l'État partie au moment de l'expulsion.

13.3 Le Comité doit déterminer s'il y avait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait personnellement d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Égypte. Le Comité rappelle qu'il s'agit de déterminer si l'intéressé risquait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il a été renvoyé. Dès lors, l'existence dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l'individu risquait d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu'il courait personnellement un tel risque. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans sa situation particulière.

13.4 Le Comité relève qu'au départ les autorités de l'État partie savaient ou auraient dû savoir au moment de l'expulsion du requérant que l'Égypte avait recours de manière systématique et sur une vaste échelle à la torture à l'égard des prisonniers détenus pour des raisons politiques et des raisons de sécurité. L'État partie savait que ses propres services de renseignements considéraient que le requérant était impliqué dans des activités terroristes et qu'il constituait une menace à la sécurité nationale et c'est pour cette raison que ses tribunaux ordinaires ont renvoyé l'affaire au Gouvernement pour qu'une décision non susceptible d'appel soit prise au plus haut niveau du pouvoir exécutif. L'État partie savait également que le requérant intéressait les services de renseignements de deux autres États: selon les faits soumis par l'État partie au Comité, le premier État étranger a offert par l'intermédiaire de ses services de renseignements un avion pour le transport du requérant vers le deuxième État, l'Égypte, où l'État partie savait qu'il avait été condamné par contumace et qu'il était recherché pour participation présumée à des activités terroristes. De l'avis du Comité, la conclusion naturelle découlant de ces différents éléments pris ensembles, à savoir que le requérant courait un risque réel d'être torturé en Égypte en cas d'expulsion, a été confirmée lorsque immédiatement avant l'expulsion le requérant a été soumis sur le territoire de l'État partie à un traitement contraire ne serait-ce qu'à l'article 16 de la Convention par des agents étrangers avec l'acquiescement de la police de l'État partie. Il s'ensuit que l'expulsion du requérant par l'État partie était contraire à l'article 3 de la Convention. L'obtention d'assurances diplomatiques qui, de surcroît, n'étaient assorties d'aucun mécanisme pour assurer leur respect n'était pas suffisante pour protéger le requérant contre ce risque manifeste.

13.5 Au vu de ces éléments le Comité considère qu'il convient de souligner que sa décision dans l'affaire à l'examen tient compte de plusieurs facteurs dont il n'était pas au courant lors de l'examen de l'affaire, en grande partie analogue, Hanan Attia, où il s'était, en particulier, déclaré satisfait des assurances fournies. Dans cette affaire où la requérante n'avait pas été expulsée, le Comité s'est prononcé en tenant compte des éléments de preuve dont il était saisi à la date de l'adoption de sa décision. Le Comité note qu'il ne disposait pas des informations faisant état de mauvais traitements communiquées par le requérant dans la présente affaire à l'Ambassadeur lors de sa première visite et qui n'avaient pas été fournies par l'État partie au Comité (voir par. 14.10 ci-dessous); les mauvais traitements infligés au requérant par des agents des renseignements étrangers sur le territoire de l'État partie avec l'acquiescement de la police de ce dernier; la participation de services de renseignements étrangers, qui ont offert et fourni les moyens de l'expulsion; la découverte progressive d'informations sur l'étendue des mesures prises par de nombreux États pour exposer des individus soupçonnés de participation à des activités terroristes à des risques de torture à l'étranger; la violation par l'Égypte du volet des assurances visant à garantir au requérant un procès équitable qui entame le crédit que l'on peut accorder à l'ensemble des assurances données et la réticence des autorités égyptiennes à mener une enquête indépendante en dépit des exhortations émanant des autorités de l'État partie au plus haut niveau. Le Comité note en outre que l'évaluation du risque dans le cas de la femme du requérant, dont l'expulsion n'aurait eu lieu que quelques années après celle de son époux, a soulevé des questions différentes de celles examinées dans la présente affaire.


Examen procédural au regard de l'article 3

13.6 Le Comité fait observer que le droit a un recours utile contre une violation de la Convention s'inscrit en filigrane de toute la Convention, car, dans le cas contraire, les protections fournies par la Convention auraient un caractère largement illusoire. Dans certains cas, le texte même de la Convention énonce un recours concernant certaines violations particulières de celle-ci. Dans d'autres, le Comité a interprété une disposition de fond comme contenant en elle-même une voie de recours en cas de violation de cette disposition. De l'avis du Comité, pour renforcer la protection de la norme en question et interpréter de manière cohérente la Convention, l'interdiction du refoulement figurant à l'article 3 devrait être interprétée de la même manière comme englobant un recours au cas où elle serait enfreinte, même si l'on peut penser qu'elle ne comporte pas à première vue un tel droit de recours.

13.7 Le Comité fait observer qu'en cas d'allégation de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à un recours suppose qu'une enquête effective, indépendante et impartiale sur ces allégations soit conduite a posteriori. La nature du refoulement est telle, toutefois, qu'une allégation de violation de l'article correspondant porte sur une expulsion ou un renvoi futur; en conséquence, le droit à un recours utile que contient l'article 3 exige, dans ce contexte, qu'il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d'expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l'on est en présence d'une allégation plausible mettant en cause le respect de l'article 3. La jurisprudence du Comité est conforme à cette interprétation des prescriptions de l'article 3, puisqu'il a estimé que l'impossibilité de contester une décision d'expulsion devant une autorité indépendante, à savoir les tribunaux, relevait d'une constatation de violation de l'article 3. (23)

13.8 Le Comité fait observer qu'en temps normal, l'État partie assure avec son Conseil des migrations et sa Commission de recours des étrangers un mécanisme d'examen des décisions d'expulsion satisfaisant aux prescriptions de l'article 3 prévoyant l'examen effectif, indépendant et impartial d'une décision d'expulsion. En l'espèce cependant du fait de préoccupations tenant à la sécurité nationale, ces tribunaux ont abandonné l'affaire du requérant au Gouvernement, qui a pris la décision initiale et en même temps finale de l'expulser. Le Comité souligne qu'il n'y a eu aucune possibilité d'examen, d'aucune sorte, de cette décision. Il rappelle que les protections prévues par la Convention sont absolues, même en cas de préoccupation touchant la sécurité nationale, et que de telles considérations font ressortir l'importance de mécanismes d'examen appropriés. Si des préoccupations en matière de sécurité nationale peuvent justifier que des ajustements soient apportés à la procédure particulière d'examen, le mécanisme choisi doit continuer de répondre aux prescriptions de l'article 3 prévoyant un examen effectif, indépendant et impartial. Par conséquent, en l'espèce, au vu des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que l'absence de toute possibilité d'examen judiciaire ou administratif indépendant de la décision du Gouvernement d'expulser le requérant constitue un manquement à l'obligation de procédure d'assurer l'examen effectif, indépendant et impartial requis par l'article 3 de la Convention.


Privation du droit de saisir le Comité au titre de l'article 22 de la Convention

13.9 Le Comité note en outre qu'en faisant la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention, l'État partie s'est engagé d'assurer aux personnes relevant de sa juridiction le droit de se prévaloir de la compétence qu'a le Comité d'examiner des plaintes. Cette compétence habilitait le Comité à prendre, si nécessaire, des mesures provisoires permettant de surseoir à l'expulsion et de faire en sorte qu'il ne soit pas préjugé des questions en cause tant qu'une décision finale n'a pas été prise. Pour que l'exercice du droit de présenter des requêtes soit effectif et non illusoire, un individu doit toutefois disposer d'un délai raisonnable avant l'exécution de la décision finale pour déterminer, s'il y a lieu, de saisir le Comité au titre de l'article 22 de la Convention et, le cas échéant, de le faire. Or, le Comité note en l'espèce que le requérant a été arrêté et expulsé par l'État partie dès que le Gouvernement a décidé de l'expulser; en effet, la décision elle-même n'a été officiellement notifiée qu'au conseil du requérant le lendemain. En conséquence, il était impossible pour ce dernier d'envisager la possibilité d'invoquer l'article 22 de la Convention et encore moins de saisir le Comité. De ce fait, le Comité conclut que l'État partie a enfreint l'obligation de respecter le droit effectif qu'a toute personne de présenter une communication qui est garanti à l'article 22 de la Convention.


Absence d'une coopération pleine et entière de l'État partie avec le Comité

13.10 Ayant examiné la plainte quant au fond, le Comité doit se pencher sur l'absence de coopération pleine et entière de l'État partie dans le règlement de la plainte à l'examen. Le Comité fait observer qu'en faisant la déclaration prévue à l'article 22, qui donne aux particuliers le droit de le saisir d'une plainte faisant état d'une violation à leur égard par un État partie des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, les États parties assument l'obligation de coopérer pleinement avec le Comité, au travers des procédures énoncées audit article et dans son règlement intérieur. En particulier, le paragraphe 4 de l'article 22 fait obligation à un État partie de communiquer au Comité toutes les informations pertinentes et nécessaires pour lui permettre de régler comme il convient la plainte qui lui est présentée. Le Comité fait observer que ses procédures sont suffisamment souples et ses pouvoirs suffisamment étendus pour prévenir un abus de procédure dans une affaire particulière. Il s'ensuit que l'État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22 de la Convention en ne révélant pas au Comité les informations pertinentes et en s'abstenant de lui faire part de ses préoccupations pour qu'il prenne une décision de procédure appropriée.

14. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention.

15. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur, le Comité demande à l'État partie de l'informer, dans les 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu'il aura prises comme suite aux constatations énoncées plus haut. L'État partie est aussi tenu d'éviter que des violations similaires se produisent à l'avenir.


_____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


*Le texte d'une opinion séparée, partiellement dissidente, de M. Alexander Yakovlev est joint au présent document


Opinion séparée de M. Alexander Yakovlev

(partiellement dissidente)


Malheureusement, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la majorité concernant les questions relatives à l'article 3. Le Comité fait, à juste titre, du moment de l'expulsion le point clef pour l'évaluation du bien-fondé de l'expulsion du requérant au regard de cet article. Ainsi qu'il ressort de sa décision, l'essentiel des renseignements dont dispose le Comité a trait à des événements révélés après l'expulsion sans grand rapport avec la situation qui prévalait au moment de l'expulsion.

Il est clair que l'État partie était conscient de ses obligations au titre de l'article 3 de la Convention, notamment de l'interdiction du refoulement. C'est précisément pour cette raison qu'il a cherché à obtenir du Gouvernement égyptien, à un haut niveau, des assurances quant à un traitement convenable du requérant. Une personnalité aussi importante que l'ancien Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la question de la torture, M. van Boven, a jugé acceptable dans son rapport de 2002 à la Commission, le recours à de telles assurances dans certaines circonstances, exhortant les États à fournir une garantie non équivoque que les personnes concernées ne seront pas soumises à la torture ni à aucune autre forme de mauvais traitement à leur retour. C'est précisément ce que l'État partie a fait et ce que le Comité lui reproche à présent. À l'époque, l'État partie était habilité à accepter les assurances fournies et a même consenti des efforts considérables pour suivre la situation en Égypte. Il n'est pas à l'heure actuelle nécessaire de répondre à la question de savoir qu'est-ce qu'il en serait si la situation se répétait aujourd'hui. Il est tout à fait clair toutefois qu'au moment où l'État partie a expulsé le requérant, il a agi de bonne foi et conformément aux dispositions de l'article 3 de la Convention. La conclusion qui en découle donc en l'espèce est que l'expulsion du requérant n'a pas constitué une violation de l'article 3 de la Convention.


(Signé) Alexander Yakovlev




[Adopté en anglais (version originale), en français, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes


1. Le conseil explique la différence avec la peine prononcée en indiquant qu'une condamnation à 25 ans d'emprisonnement équivaut à la réclusion à perpétuité car il y a peu de personnes qui peuvent supporter un emprisonnement aussi long.

2. D'après le conseil, les renseignements qui suivent concernant l'endroit où se trouve le requérant et son état général proviennent de sources diplomatiques suédoises, des parents du requérant, d'un journaliste de la radio suédoise et de l'avocat égyptien du requérant.

3. Arrêt du 15 novembre 1996.

4. L'article 107 f) du règlement intérieur dispose ce qui suit: «Afin de se prononcer sur la recevabilité d'une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l'article 98 ou au paragraphe 3 de l'article 106 s'assure: … f) que le délai écoulé depuis l'épuisement des recours internes n'est pas excessivement long, au point que l'examen de la plainte par le Comité ou l'État partie en est rendu anormalement difficile.».

5. Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia c. Suède, requête no 199/2002, décision adoptée le 17 novembre 2003.

6. Ibid.

7. L'article 107 b) dispose ce qui suit: «Afin de se prononcer sur la recevabilité d'une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l'article 98 ou au paragraphe 3 de l'article 106 s'assure: … b) que la requête ne constitue pas un abus de la procédure devant le Comité ou n'est pas manifestement dénuée de fondement.».

8. A/57/173, 2 juillet 2002.

9. Dates des visites: 23 janvier, 7 mars, 14 avril, 27 mai, 24 juin, 22 juillet, 9 septembre et 4 novembre 2002, 19 janvier, 5 mars, 9 avril, 14 mai, 9 juin, 29 juillet, 25 août, 30 septembre et 17 novembre 2003.

10. Ibid.

11. Ibid.

12. Human Rights Watch: «Les promesses faites par les gouvernements ne garantissent pas le non-recours à la torture dans les cas de transfert de personnes soupçonnées d'activités terroristes», avril 2004, vol. 16, no 4 (D).

13. Le conseil a fourni une transcription de l'émission.

14. Le conseil communique une déclaration publique d'Amnesty International datée du 28 mai 2004 intitulée «Suède: préoccupations en ce qui concerne l'expulsion de deux Égyptiens» (EUR/42/001/2004), dans laquelle l'organisation demande qu'une enquête approfondie, indépendante et impartiale soit menée à l'échelle internationale, et une déclaration de Human Rights Watch du 27 mai 2004 allant dans le même sens, qui a pour titre «Torture Inquiry Must Be Under UN Auspices».

15. Le conseil cite à l'appui de cette affirmation une déclaration publique de Human Rights Watch du 4 mai 2004 intitulée «Sweden/Egypt: Suspected Militant's Unfair Trial and Torture Claims Implicate Sweden».

16. Rapport de M. Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux droits de l'homme, sur la visite qu'il a effectuée en Suède (21-23 avril 2004) (CommDH(2004)13) où, au paragraphe 19, il est dit ceci: «Le deuxième point concerne l'utilisation des assurances diplomatiques données quant au traitement des étrangers dans les pays où ils sont renvoyés. Cet exemple, qui n'est pas propre à la Suède, montre clairement les risques qu'il y a à accorder foi aux assurances diplomatiques. La faille inhérente au système des assurances diplomatiques tient au fait que, lorsque de telles assurances sont nécessaires, c'est qu'il existe clairement un risque avéré de torture et de mauvais traitements. Eu égard au caractère absolu de l'interdiction de la torture et des autres traitements inhumains ou dégradants, des assurances formelles ne peuvent suffire lorsqu'il subsiste malgré tout un risque. Comme le Rapporteur spécial de l'Organisation des Nations Unies sur la question de la torture l'a relevé, de telles assurances ne doivent pas laisser place au doute, et il est indispensable qu'un dispositif soit mis en place afin que l'on puisse s'assurer qu'elles sont respectées. S'agissant d'apprécier la crédibilité des assurances diplomatiques, un critère primordial doit être que l'État de destination ne pratique ou ne tolère pas la torture ou les mauvais traitements et qu'il exerce un contrôle effectif sur les actes des agents non étatiques. Lorsque tel n'est pas le cas, il n'est nullement certain que des assurances puissent être considérées comme une garantie absolue qu'il n'y aura ni torture ni mauvais traitements.».

17. Op. cit.

18. Résolutions 1566 (2004) (troisième et sixième alinéas du préambule), 1456 (2003) (par. 6) et 1373 (2001) (par. 3 f)) du Conseil de sécurité.

19. Voir, entre autres, le rapport du Comité contre la torture à l'Assemblée générale (A/51/44), par. 180 à 222 et les conclusions et recommandations du Comité concernant le quatrième rapport périodique de l'Égypte (CAT/C/CR/29/4, 23 décembre 2002).

20. Op. cit.

21. Voir les articles 12 à 14 relatifs à une allégation de torture.

22. Dzemajl c. Yougoslavie (affaire no 161/2000), décision adoptée le 21 novembre 2002, par. 9.6: «Les obligations positives découlant de la première phrase de l'article 16 de la Convention englobent l'obligation d'accorder une réparation et une indemnisation aux victimes d'un acte au sens de ladite disposition. Le Comité est donc d'avis que l'État partie ne s'est pas acquitté de ses obligations en vertu de l'article 16 de la Convention en n'ayant pas permis aux requérants d'obtenir réparation et en ne leur ayant pas accordé une indemnisation équitable et adéquate.».

23. Arkauz Arana c. France (affaire no 63/1997), décision adoptée le 9 novembre 1999, par. 11.5 et 12.

 



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