University of Minnesota



M. M. K. c. Sweden, Communication No.
221/2002, U.N. Doc. CAT/C/34/D/221/2002 (2005).


 

 


Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-quatrième session

2 - 20 mai 2005


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

- Trente-quatrième session -



Communication No. 221/2002



Présentée par: M. M. K. (représenté par Mme Gunnel Stenberg, de l'étude d'avocats Peter Lindblom)

Au nom de: M. M. K.

État partie: Suède

Date de la requête: 19 novembre 2002


Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l'examen de la requête no 221/2002, présentée par M. M. K. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:




Décision au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention



1.1 Le requérant est M. M. M. K., de nationalité bangladaise, qui réside actuellement en Suède où il a demandé l'asile. Il affirme que son renvoi au Bangladesh, (1) au cas où sa demande d'asile serait refusée, constituerait une violation par la Suède (2) des articles 3 et 16 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l'État partie le 21 novembre 2002. En application du paragraphe 1 de l'article 108 du règlement intérieur révisé du Comité, l'État partie a été prié de ne pas expulser le requérant au Bangladesh tant que sa requête serait à l'examen. Le 8 janvier 2002, l'État partie a informé le Comité qu'il avait décidé de surseoir jusqu'à nouvel avis à l'exécution de l'arrêté d'expulsion.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 En 1993, alors qu'il vivait au Bangladesh, le requérant a été nommé secrétaire local à l'action sociale du Parti Jatiya à Mymensingh. Il a occupé ce poste jusqu'à son arrivée en Suède en 2002. Son travail consistait à informer les citoyens bangladais de leurs droits et de la corruption qui sévissait sur une vaste échelle dans le pays. En 1995, le requérant a reçu des menaces d'enlèvement et de mort émanant de partisans du Parti nationaliste du Bangladesh («BNP») et plus tard, entre 1999 et 2002, de partisans de la Ligue Awami.

2.2 Entre 1993 et 1996, le requérant a fait des études en Inde; il revenait au Bangladesh pendant les vacances et chaque fois que ses responsabilités au sein du Parti Jatiya l'exigeaient. Pendant près d'une année, entre 1995 et 1996, il est resté à l'étranger par crainte d'être enlevé et parce qu'il avait reçu des menaces de mort.

2.3 En 1995, alors qu'il était en vacances au Bangladesh, le requérant a été enlevé par des partisans du BNP et détenu quatre jours. Pendant cette période, il aurait subi de graves sévices et aurait eu les bras et les mains lacérés avec des couteaux. Le but était de le contraindre à renoncer à ses activités politiques et à sa lutte contre la corruption. Au bout de quatre jours, il a été abandonné dans la rue et des passants l'ont emmené à l'hôpital. Il a signalé l'incident à la police mais comme il avait les yeux bandés quand ses ravisseurs le torturaient, il n'a pas été en mesure de les identifier. La police n'a pu arrêter aucune des personnes impliquées.

2.4 En juin 1995, le requérant a été faussement accusé d'un meurtre commis dans sa ville natale de Mymensingh. Pour cette raison et parce que la police le recherchait, il n'est pas retourné chez lui et est resté la plupart du temps à Dhaka. Il a poursuivi ses activités politiques dans d'autres régions du pays.

2.5 En septembre/octobre 1999, le requérant a été arrêté alors qu'il participait à une manifestation à Dhaka. Il était accusé d'enlèvement. Il affirme que l'accusation était fausse et que selon le rapport de la police, la Ligue Awani en était la source. Il a été libéré sous caution en janvier/février 2000 après s'être plaint de tortures. Tout au long de sa détention, le requérant a été torturé chaque semaine pendant deux ou trois jours. Il décrit comme suit les actes de torture qu'il a subis: on lui a rasé le crâne et versé de l'eau sur la tête et dans les narines; on lui a ensuite administré des décharges électriques et frappé à coups de bâton, de matraque et de longue baguette. On l'a aussi électrocuté en l'obligeant à uriner dans un récipient d'eau chaude parcouru de fils électriques. Le but était de lui arracher des aveux et de l'obliger à cesser toute activité politique. Selon le conseil du requérant au Bangladesh, les autorités responsables ont reconnu qu'il avait subi de mauvais traitements mais pas des «formes de torture plus graves», faisant observer qu'il fallait parfois employer un petit peu de force ou de torture pour connaître «la vérité». La procédure engagée contre le requérant est toujours en cours.

2.6 Remis en liberté, le requérant a passé quelque temps dans une clinique privée où il a été soigné pour les séquelles mentales et physiques de la torture. En mai/juin 2000, bien qu'il n'eût recouvré qu'environ 70 % de ses capacités, le requérant a repris ses activités politiques.

2.7 En juillet 2000, le requérant était de nouveau arrêté sur fausse accusation de possession illégale d'armes et de trafic de drogues. On a refusé de le libérer sous caution en raison de la gravité des chefs d'accusation et il est resté en détention pendant deux mois et demi dans l'attente de son jugement. Le requérant indique que son père «s'est arrangé» pour que cette affaire ne soit pas jointe à l'affaire de meurtre. Pendant sa détention, le requérant a été soumis à des tortures psychiques et obligé à assister aux séances de torture d'autres prisonniers. Lorsqu'il a été libéré sous caution en septembre 2000, il a de nouveau reçu un traitement médical.

2.8 En février 2001, le requérant a quitté le Bangladesh non pas en raison d'un incident isolé mais à cause de tout ce qui lui était arrivé depuis 1995 et parce qu'il craignait d'être tué par des partisans de la Ligue Awami ou du BNP et d'être torturé à nouveau. Le fait que le BNP et ses coalisés aient remporté les élections en octobre 2001 n'était pas pour dissiper ses craintes.

2.9 Le 14 février 2001, le requérant est entré en Suède et a demandé l'asile le même jour. Son conseil a demandé le report de l'examen de son cas jusqu'au 31 janvier 2002 afin de pouvoir obtenir des documents sur sa situation au Bangladesh. Le Conseil des migrations a refusé.

2.10 Pendant qu'il était en Suède, le requérant a appris qu'au Bangladesh la police le recherchait et qu'elle avait un mandat d'arrêt contre lui parce qu'il ne s'était pas présenté au tribunal. Il a demandé une assistance médicale en Suède au dispensaire des demandeurs d'asile de Fittja.

2.11 Le 19 décembre 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d'asile, estimant invraisemblable que le requérant ait été persécuté par les autorités bangladaises alors qu'il était recherché pour meurtre mais avait pu faire plusieurs fois le voyage entre le Bangladesh et l'Inde. Le Conseil des migrations a également relevé qu'une page du passeport du requérant avait été arrachée et que vu les graves accusations qui pesaient sur lui, il était peu probable qu'il ait été libéré sous caution. Dans ses conclusions, le Conseil a également déclaré qu'il jugeait peu probable que le requérant ait été torturé ou qu'il ait des raisons fondées de craindre d'être soumis à la torture ou à un châtiment corporel.

2.12 Le requérant a fait appel auprès de la Commission de recours des étrangers, à qui il a présenté des preuves écrites provenant du Bangladesh, notamment deux rapports médicaux. Le conseil du requérant a de son côté soumis un troisième rapport médical émanant du dispensaire des demandeurs d'asile de Fittja (Suède). Il a indiqué que si la Commission avait des doutes quant à l'authenticité des documents, elle pouvait procéder à des vérifications par l'intermédiaire de l'ambassade de Suède à Dhaka. La Commission n'a demandé aucune investigation. Le conseil lui a demandé d'envisager une autre enquête médicale mais la Commission n'a pas jugé que c'était nécessaire.

2.13 Le 6 août 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Conseil des migrations, faisant valoir qu'il était facile d'obtenir de faux documents au Bangladesh et que les pièces présentées avaient, selon elle, peu de valeur probante. La Commission a conclu que les renseignements fournis par le requérant sur ses activités politiques et sur les «tortures» qu'il aurait subies ne lui permettaient pas de conclure qu'il risquait d'être victime de persécutions politiques ou d'être torturé au Bangladesh s'il y était renvoyé.


Teneur de la plainte

3.1 Le requérant affirme qu'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé au Bangladesh et que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention.

3.2 Il fait valoir que l'exécution de l'arrêté d'expulsion constituerait en lui-même une violation de l'article 16 de la Convention, compte tenu de sa fragilité sur le plan psychiatrique et des troubles post-traumatiques graves dont il souffrait par suite des tortures auxquelles il avait été soumis.

3.3 Le requérant affirme que ses craintes personnelles d'être torturé ont été étayées tout au long de la procédure d'examen de sa demande d'asile et par des rapports médicaux. Il fait observer que la Commission de recours des étrangers n'a pas jugé nécessaire de faire examiner ses blessures ni de vérifier l'authenticité des documents qu'il avait présentés, y compris les rapports médicaux provenant du Bangladesh. Il affirme également que la Commission n'a pas mis en doute les renseignements qu'il avait fournis au sujet du traitement auquel il avait été soumis ou de ce qui lui était arrivé au Bangladesh.


Observations de l'État partie

4.1 Le 19 mai 2003, l'État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il demande que le grief tiré de l'article 3 soit déclaré irrecevable dans la mesure où il n'a pas été suffisamment étayé pour qu'il puisse être considéré comme compatible avec les dispositions de la Convention.

4.2 Pour ce qui est de l'allégation de violation de l'article 16, l'État partie affirme qu'elle devrait être déclarée irrecevable dès lors que la disposition en question n'est pas applicable en l'espèce. Selon l'observation générale du Comité sur l'article 3, un État partie n'est obligé de ne pas renvoyer une personne dans un autre État que si cette personne risque d'être soumise à la torture, telle qu'elle est définie à l'article premier de la Convention. Contrairement à l'article 16, l'article 3 ne vise pas «d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants» et l'article 16 ne contient aucune référence à l'article 3. Pour l'État partie, l'article 16 a pour objet de protéger les personnes privées de leur liberté ou soumises de fait au pouvoir ou au contrôle de la personne responsable du traitement ou de la peine en cause et le requérant n'est pas une victime dans ce sens. Quoi qu'il en soit, la plainte au titre de l'article 16 n'est pas suffisamment étayée pour qu'elle soit considérée comme compatible avec les dispositions de la Convention.

4.3 En tout état de cause, l'État partie affirme que les allégations du requérant sont infondées.

4.4 Pour ce qui est du grief tiré de l'article 3, l'État partie reconnaît que la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh est problématique mais objecte qu'elle s'est améliorée sur le long terme et note que la persécution pour des raisons politiques est rare dans la population en général et qu'il est possible dans tous les cas d'y échapper en se réfugiant dans une autre région du pays.

4.5 La jurisprudence relative à l'article 3 exige que le requérant court personnellement un risque prévisible et réel d'être torturé dans le pays où il doit être renvoyé, et les autorités suédoises appliquent le même type de critère lorsqu'elles examinent une demande d'asile dans le cadre de la loi sur les étrangers. L'État partie affirme que les autorités nationales sont bien placées pour évaluer les requêtes émanant de demandeurs d'asile bangladais dans la mesure où la Suède en a reçu 1 427 entre 1990 et 2000 et que des permis de séjour ont été accordés dans 629 cas.

4.6 Pour ce qui est de l'allégation du requérant qui affirme qu'il risque d'être maltraité par d'anciens opposants politiques à son retour au Bangladesh, l'État partie fait observer que le risque qu'une entité non gouvernementale ou des particuliers le soumettent à des mauvais traitements sans le consentement ou l'aval de l'État ne relève pas de l'article 3 de la Convention.

4.7 En ce qui concerne le risque d'être torturé par la police, l'État partie note que le requérant a été, selon ses propres déclarations, arrêté et torturé par la police sur instruction du parti au pouvoir à l'époque, la Ligue Awami, en raison de ses activités politiques pour le compte du Parti Jatiya et que de fausses accusations portées par la Ligue ont fait qu'une procédure pénale, qui n'est pas encore achevée, a été engagée contre lui. Or en octobre 2001, la Ligue Awami a été remplacée au pouvoir par un gouvernement de coalition composé de représentants du BNP et de trois autres partis politiques de plus petite taille, dont une fraction du Parti Jatiya. Comme la Ligue Awami est actuellement dans l'opposition, le risque que le requérant soit soumis à des harcèlements par les autorités à l'instigation de ce parti a dû diminuer fortement.

4.8 En ce qui concerne l'allégation du requérant qui affirme que des partisans du BNP lui ont infligé des mauvais traitements en 1995, l'État partie fait valoir que rien n'indique que les autorités bangladaises aient été impliquées de quelque manière que ce soit dans ces actes ou que le requérant ait quoi que ce soit à craindre des partis actuellement au pouvoir.

4.9 L'État partie note que le requérant n'a pas apporté de preuves matérielles sur son affiliation au Parti Jatiya et sur ses activités pour le compte de ce parti. Il ressort de ces déclarations aux services suédois de l'immigration qu'il n'occupait pas une position importante au sein de ce parti. Un éventuel risque de harcèlement du fait de son action politique revêtirait donc uniquement un caractère local et il pouvait l'éviter en allant dans une autre région du pays comme il l'avait fait lorsqu'il avait été accusé de meurtre en 1995.

4.10 L'État partie constate que le requérant n'a présenté qu'un seul certificat provenant du Bangladesh et un autre émanant du dispensaire de Fittja à l'appui de l'allégation selon laquelle il avait été torturé. Le certificat établi au Bangladesh ne porte aucune date et indique seulement que le requérant est arrivé à la clinique le 15 octobre 2000 après avoir été victime de tortures physiques et qu'il a été soigné pour des blessures et un état dépressif. Toutefois, lorsqu'il a été interrogé par le Conseil des migrations, le requérant a souligné qu'après avoir été arrêté en juillet 2000, il a été soumis à des tortures psychiques mais non à des sévices physiques. Le certificat provenant du dispensaire de Fittja ne traite pas de la question de savoir si le requérant a été torturé et ne fait pas état ni de blessures ou ni de troubles post-traumatiques.

4.11 L'État partie a chargé l'ambassade de Suède à Dhaka de s'informer par l'intermédiaire d'un avocat local sur deux procédures en cours à l'encontre du requérant. Cet avocat a appris que le requérant avait été acquitté de l'accusation de meurtre le 29 août 2000, mais il faisait l'objet d'autres accusations dans une deuxième affaire encore en instance. Il apparaît donc que le requérant n'avait plus à répondre d'aucune accusation de meurtre lorsque les autorités suédoises ont examiné sa demande d'asile. En dépit des carences imputées au système judiciaire bangladais, le requérant ne peut affirmer qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable en ce qui concerne les accusations de meurtre susmentionnées, et il pourrait également être acquitté dans l'affaire d'enlèvement encore en instance. En ce qui concerne l'enlèvement présumé, il bénéficie d'une représentation en justice et peut faire appel devant une juridiction supérieure. L'État partie rappelle qu'au Bangladesh de telles juridictions sont réputées jouir d'une large indépendance à l'égard du pouvoir exécutif.

4.12 Même si le requérant risque d'être arrêté à son retour au Bangladesh pour être jugé ou pour exécuter une peine de prison, cela ne permet pas de conclure qu'il risque d'être torturé. Le requérant n'a pas démontré de quelle façon il pourrait être sous la menace de persécutions pour des motifs politiques qui le rendraient particulièrement exposé à la torture en cas de détention.

4.13 Pour ce qui est de l'allégation au titre de l'article 16, l'État partie conteste l'argument du requérant selon lequel en raison de sa fragilité sur le plan psychiatrique et des troubles post-traumatiques aigus dont il souffre, une expulsion constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens du paragraphe 1 de l'article 16 de la Convention. Il se réfère aux décisions du Comité dans les affaires G. R. .B. c. Suède (3) et S. V. et consorts c. Canada, (4) et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme pour faire valoir que c'est seulement dans des circonstances exceptionnelles qu'un renvoi peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Or, il n'a pas été argué de telles circonstances dans le cas d'espèce:

a) Premièrement, le requérant n'a présenté que des rapports médicaux succincts à l'appui de sa demande d'asile. Devant le Conseil des migrations, il n'a soumis aucune preuve médicale. Devant la Commission de recours des étrangers, il a présenté un certificat médical émanant du dispensaire de Fittja indiquant qu'il était profondément traumatisé; toutefois le certificat ne dit pas qu'il souffre de troubles post-traumatiques aigus ou qu'il voulait se suicider. En outre, le dossier des services de l'immigration révèle qu'en dépit de ses problèmes de santé, le requérant travaillait dans un restaurant à Stockholm. Selon l'État partie le fait que le requérant n'ait présenté aucun certificat médical avant que sa requête ne soit examinée par la Commission de recours des étrangers indique peut-être que son état de santé s'est détérioré surtout par suite de la décision du Conseil des migrations de rejeter sa demande d'asile;

b) Deuxièmement, les craintes exprimées par le requérant en ce qui concerne son retour au Bangladesh n'ont pas été étayées. Sa famille au Bangladesh peut l'aider et il peut obtenir au besoin des soins médicaux dans ce pays, au moins dans une grande ville comme Dhaka où vivent la plupart de ses proches;

c) Troisièmement, les autorités suédoises sont tenues d'appliquer la mesure d'expulsion d'une manière qui soit humaine et respectueuse de la dignité de l'étranger et qui tienne compte de son état de santé.


Commentaires du requérant

5.1 Dans des commentaires datés du 28 juillet 2003, le conseil affirme que le requérant ignorait, avant d'avoir reçu les observations de l'État partie, qu'il avait été acquitté dans l'affaire de meurtre. Le fait que les investigations effectuées par la Suède ont montré qu'il y avait deux procédures à l'encontre du requérant au Bangladesh prouvent que les documents qu'il a présentés étaient authentiques.

5.2 Le conseil réaffirme que le requérant a présenté des éléments de preuve crédibles à l'appui de ses allégations de torture au Bangladesh et que des charges pesaient sur lui dans ce pays.

5.3 L'État partie s'étant référé à l'expérience de la Suède en ce qui concerne les demandeurs d'asile bangladais, le conseil renvoie au rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui indique que 245 586 demandes ont été présentées par des demandeurs d'asile en Suède entre 1990 et 1999, dont 1 300 seulement par des citoyens bangladais. En outre, s'agissant de l'argument de l'État partie selon lequel le risque que le requérant soit maltraité par des opposants politiques ne relève pas de l'article 3 de la Convention, le conseil précise que le requérant affirme qu'il risque d'être maltraité non pas par des opposants politiques mais par la police bangladaise.

5.4 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui fait valoir que le requérant ne risque plus d'être victime de sévices infligés par des partisans de la Ligue Awami puisque ce parti n'est plus au pouvoir alors qu'une fraction du Parti Jatiya est dans la coalition gouvernementale, le conseil fait observer que les fausses accusations portées contre le requérant étaient aussi le fait de partisans du BNP. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui ont intenté une action en justice contre lui en 1995. Le requérant n'a été acquitté qu'en août 2000, soit plus de cinq ans après l'inculpation. Pour ce qui est des autres charges qui pèsent encore sur lui, le requérant risque toujours d'être arrêté et, partant, torturé par la police.

5.5 En réponse à l'argument de l'insuffisance des preuves présentées pour étayer ses affirmations, le conseil signale qu'au cours de la procédure devant la Commission de recours des étrangers, il avait demandé qu'un examen soit effectué par un médecin légiste et un psychiatre mais que la Commission n'a pas jugé nécessaire de le faire. Le conseil du requérant a néanmoins demandé au Kris-och Traumacentrum (KTC) d'examiner le requérant mais cette institution ne pouvait pas le faire durant l'automne 2002.

5.6 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle le requérant a déclaré devant le Conseil des migrations qu'il n'avait été victime que de tortures mentales pendant sa détention en juillet-octobre 2000, alors que le certificat médical provenant du Bangladesh indiquait qu'il avait subi un préjudice à la fois physique et psychique, le Conseil rappelle qu'il est courant que les victimes de la torture ne se souviennent pas exactement de ce qu'elles ont subi à chaque incident.

5.7 Le conseil fait observer au sujet du changement de gouvernement que les militants du Parti de la Liberté (5) sont encore dans l'opposition et continuent d'être l'objet de fausses accusations, arrêtés et torturés par la police.


Autres commentaires de l'État partie et du requérant

6.1 Dans une note datée du 12 septembre 2003, l'État partie se réfère à l'allégation du Conseil concernant les partisans du Parti de la liberté et affirme que ce parti a sans doute été mentionné par erreur et que le requérant continuait de se réclamer du Parti Jatiya. Il rappelle qu'une fraction du Parti Jatiya fait partie du gouvernement au pouvoir au Bangladesh.

6.2 Selon l'État partie, bien que le conseil affirme que le requérant est actuellement un membre actif de l'opposition politique bangladaise, rien dans les renseignements dont disposent les services d'immigration suédois ne corrobore cette affirmation. S'agissant de l'enlèvement, le requérant a affirmé que la Ligue Awami était derrière cette affaire. L'État partie considère en conséquence que le transfert du pouvoir politique a notablement réduit le risque que le requérant soit arrêté et torturé. Il pense en outre que les autorités bangladaises ne s'intéressent guère au requérant dans la mesure où il a pu se déplacer pendant plusieurs années à l'intérieur du pays pour ses activités politiques bien qu'étant accusé de meurtre.

6.3 Dans des commentaires supplémentaires datés des 9 et 11 décembre 2003, le conseil indique que le requérant n'appartient pas à la fraction Naziur Rahmen du Parti Jatiya qui est actuellement au gouvernement au Bangladesh. Il signale que cette fraction est l'une des causes des problèmes que rencontre l'Ershad, aile dont fait partie le requérant, en ce sens qu'elle exerce des pressions politiques sur les membres de l'Ershad pour qu'ils rejoignent la fraction Naziur Rahmen. Le requérant a décrit de manière détaillée devant le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers ses activités politiques et aucune de ces deux institutions ne les a mises en doute.

6.4 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui estime que le requérant n'intéresse pas les autorités bangladaises dès lors qu'il a pu sillonner le pays alors qu'il était accusé de meurtre, le conseil fait valoir que ses déplacements étaient limités et qu'il n'a été appréhendé par la police qu'en 1999 parce qu'il n'existe pas de base de données centralisée au Bangladesh.

6.5 Le conseil soumet des documents montrant que le requérant a été examiné en décembre 2003 par des médecins du Centre pour les victimes de la torture. Dans son rapport, un psychiatre conclut qu'il ne fait aucun doute que M. M. M. K. a subi des tortures telles qu'il les a décrites. Il constate aussi que le requérant présente une tendance suicidaire. Dans ce rapport sont énumérées les cicatrices et blessures constatées, qui se retrouvent de façon caractéristique sur le corps des victimes de violences et qui corroborent la description que le requérant a faite des traitements subis.

6.6 Le conseil joint également une déclaration du vice-président du comité central du Parti Jatiya confirmant que le requérant était un membre actif de ce parti depuis 1991 et qu'il avait été l'objet de harcèlement et de persécutions de la part du gouvernement en raison de ses convictions politiques.

6.7 Dans une note datée du 23 avril 2004, l'État partie objecte que les nouvelles pièces produites par le conseil arrivent trop tard et que le Comité ne devrait pas les prendre en considération. S'il décide d'en tenir compte il doit bien voir que les rapports d'expertise sont soumis longtemps après que les autorités suédoises se sont déjà prononcées et juste avant que le Comité s'apprête à examiner l'affaire. Le fait que des preuves d'ordre médical soient obtenues et invoquées aussi tard dans la procédure est généralement de nature à en amoindrir la valeur. En ce qui concerne l'action pénale en cours contre le requérant, l'ambassade de Suède a engagé un avocat qui lui a fait savoir que, au 29 février 2004, le tribunal de Bogra n'avait pas encore achevé le procès et rendu son jugement parce qu'aucun témoin ne s'était présenté à la barre.


Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note également que l'État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés.

7.2 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui fait valoir que la plainte au titre de l'article 3 devrait être déclarée irrecevable faute d'être suffisamment étayée, le Comité note qu'il a reçu des informations détaillées sur les procédures judiciaires en cours contre le requérant, dont l'une pourrait déboucher sur son arrestation et sa détention à son retour au Bangladesh, et que le requérant a décrit par le menu ses activités pour le compte d'un parti politique et les tortures qu'il aurait subies. Le Comité considère donc que ses griefs doivent être examinés quant au fond.

7.3 Concernant l'argument du requérant qui affirme que l'État partie violerait l'article 16 en l'exposant au risque d'être soumis à des mauvais traitements au Bangladesh, le Comité relève que c'est seulement dans des circonstances très exceptionnelles qu'un renvoi peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Or, il n'a pas été argué de telles circonstances dans le cas d'espèce. En conséquence, l'allégation au titre de l'article 16 est irrecevable ratione materiae, étant incompatible avec les dispositions de la Convention.

7.4 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui objecte que les nouvelles pièces ont été produites trop tard et ne devraient pas être prises en considération, le Comité note que ces documents n'ont pas été soumis comme suite à une demande d'information de sa part, à laquelle il aurait fallu répondre dans le délai fixé au paragraphe 6 de l'article 109 du règlement intérieur, mais après un examen médical subi récemment par le requérant et après réception, récemment aussi, d'une déclaration du comité central du Parti Jatiya. Le Comité considère que les parties à la procédure devraient faire parvenir leurs arguments et les pièces tendant à les étayer dans des délais prescrits mais il estime que des éléments d'une importance cruciale pour l'appréciation d'une plainte peuvent être soumis hors délai, dès que l'une ou l'autre partie en a connaissance.

7.5 Le Comité note que les nouvelles pièces lui ont été adressées trois mois après que le requérant les a obtenues. Il considère toutefois que dans les circonstances de l'affaire, étant donné que l'État partie avait refusé l'examen médical demandé par le requérant et que les certificats médicaux précédents n'établissaient pas qu'il y avait bien eu torture, le nouveau rapport médical doit être accepté et pris en considération pour examiner la plainte. Les nouvelles pièces ont été transmises à l'État partie pour observations, afin de garantir l'égalité des moyens, et l'État partie a répondu. Le Comité conclut donc qu'il devrait tenir compte du nouveau rapport médical dont il est saisi. De la même manière il accepte comme élément de preuve la déclaration du vice-président du comité central du Parti Jatiya.

7.6 Le Comité déclare donc la plainte au titre de l'article 3 recevable et procède donc à son examen quant au fond.


Examen au fond

8.1 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Bangladesh, l'État partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture. Dès lors, conformément à la jurisprudence du Comité l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l'individu risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.2 Le Comité prend note des informations reçues du requérant au sujet de la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh, en particulier au sujet des cas répétés de violence policière sur la personne de prisonniers et d'opposants politiques. Tout en reconnaissant l'existence d'actes de torture imputés à la police et d'affrontements violents entre opposants politiques, l'État partie considère que les hautes autorités judiciaires font preuve d'une grande indépendance.

8.3 La principale raison pour laquelle le Comité note que le requérant craint d'être torturé s'il retourne au Bangladesh c'est parce qu'il y a été torturé autrefois par la police et qu'il risque d'être arrêté à son retour en raison des accusations pénales qui pèsent sur lui.

8.4 Le Comité note que les services de l'immigration suédois ont méticuleusement étudié le dossier du requérant et examiné la question de savoir s'il risque d'être torturé ou persécuté au Bangladesh; ils sont arrivés à la conclusion qu'il ne courait aucun danger.

8.5 Pour ce qui est du grief du requérant qui affirme avoir subi des tortures, le Comité considère que, même si les premiers certificats médicaux soumis en l'espèce ne corroboraient pas le récit du requérant, le rapport de l'établissement suédois qui a été adressé en mars 2004 confirme que M. M. M. K. a subi des tortures et des mauvais traitements comme il l'affirme. Le fait que l'examen médical ait eu lieu plusieurs années après les actes de sévices allégués n'amoindrit en rien l'importance de ce rapport. Cela étant, le Comité estime que, s'il est probable que l'auteur a bien été soumis à la torture, la question qui se pose est de savoir s'il risque le même sort s'il est renvoyé aujourd'hui au Bangladesh.

8.6 Pour répondre à cette question, le Comité prend note de l'argument de l'État partie pour qui dans la mesure où la Ligue Awami est actuellement dans l'opposition, il n'y a plus grand risque que le requérant soit harcelé par les autorités à l'instigation de membres de ce parti. L'État partie fait valoir en outre que le requérant n'a rien à craindre des formations politiques actuellement au pouvoir puisqu'il est membre d'un des partis de la coalition. Tout en prenant acte des informations du requérant qui explique qu'il appartient à une fraction du Parti Jatiya opposée à celle qui est actuellement au gouvernement, le Comité ne considère pas que ce fait permet à lui seul de conclure que le requérant risque d'être persécuté et torturé par des partisans de la fraction du Parti Jatiya actuellement au gouvernement ou du BNP.

8.7 Enfin, en ce qui concerne l'allégation du requérant qui fait valoir qu'il risque d'être arrêté à cause des accusations pénales dont il est actuellement l'objet et qu'en détention il sera inévitablement soumis à la torture, le Comité estime que le fait que la torture soit pratiquée dans les lieux de détention ne permet pas, en tant que tel, de conclure à une violation de l'article 3 étant donné que le requérant n'a pas montré qu'il risque personnellement d'être victime de tortures.

8.8 Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n'a pas établi que lui-même courrait personnellement un risque réel et prévisible d'être soumis à la torture au sens de l'article 3 de la Convention.

9. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant au Bangladesh par l'État partie ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.


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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes

1. La Convention est entrée en vigueur pour le Bangladesh le 4 novembre 1998 mais l'État partie n'a pas fait la déclaration prévue à l'article 22.

2. La Convention est entrée en vigueur pour la Suède le 26 juin 1987 et l'État partie a reconnu la compétence du Comité en vertu de l'article 22.

3. Communication no 83/1997, constatations adoptées le 15 mai 1998.

4. Communication no 49/1996, constatations adoptées le 15 mai 2001.

5. Il s'agit apparemment d'une erreur (voir par. 6.1 ci-dessous) à propos de laquelle le conseil n'a pas donné d'explication.

 



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