University of Minnesota



Ruben David c. Sweden, Communication No. 220/2002, U.N. Doc. CAT/C/34/D/220/2002 (2005).


 


Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-quatrième session

2 - 20 mai 2005


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

- Trente-quatrième session -



Communication No. 220/2002



Décision du Comité contre la torture au titre

de l'article 22 de la Convention




1.1 Le requérant est Ruben David, de nationalité bangladaise, qui est actuellement en attente d'expulsion de Suède vers le Bangladesh. Il affirme être victime d'une violation par la Suède des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par le cabinet d'avocats Peter Lindblom et Per-Erik Nilsson.

1.2 Le 12 novembre 2002, l'État partie a été prié, conformément au paragraphe 1 de l'article 108 du règlement intérieur du Comité, de ne pas expulser le requérant tant que le Comité examinerait sa requête. Dans ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, en date du 10 avril 2003, l'État partie a indiqué qu'il accédait à la demande du Comité de ne pas expulser l'auteur.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant, qui est de religion chrétienne, vivait dans un village situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Barisal, au Bangladesh, où son père était pasteur. Le 7 avril 1986, son père a été enlevé à son domicile par des inconnus. Quelques jours plus tard, il a été retrouvé mort et mutilé. Quelques jours plus tard, les mêmes hommes sont revenus, ont battu la mère de l'auteur et l'ont menacée, ainsi que les autres membres de sa famille, afin qu'ils s'abstiennent de porter plainte auprès des autorités. L'oncle du requérant a été tué lui aussi et les membres de sa famille ont été persécutés en raison de leur religion. Par suite de ces persécutions, il est parti avec sa famille vivre dans la ville de Barisal.

2.2 Le requérant affirme avoir subi des menaces et des actes d'intimidation à cause de sa religion. En 1988, il a adhéré au Parti de la liberté du Bangladesh (BFP) et a mené des activités politiques de 1990 à 1996. En 1991, il a été nommé coordonnateur adjoint. En 1995, alors que le Parti national du Bangladesh (BNP) était au pouvoir, il a été arrêté après avoir été faussement accusé de mener des activités contre l'État et a été gardé en détention pendant cinq jours. Une fois remis en liberté, il a poursuivi ses activités politiques. Après l'accession au pouvoir de la Ligue Awami, en juin 1996, il a cessé ses activités politiques car la police avait commencé d'arrêter les membres du BFP. Plusieurs tentatives ont été faites en vue de l'inciter à cesser ses activités pour le BFP et à rejoindre la Ligue Awami. À la fin de 1996, il est allé se cacher loin de son quartier puis a finalement quitté la ville.

2.3 En 1998, sa mère lui a dit qu'il était recherché par la police et accusé de meurtre et d'activités contre l'État. En 1999, alors qu'il rendait visite à sa famille en ville, il a été averti que la police allait l'arrêter et s'est enfui. Quelque temps plus tard, n'ayant pas réussi à retrouver le requérant, la police aurait arrêté son frère, l'aurait torturé dans un poste de police puis relâché après deux jours. En outre, en 1999, le requérant aurait été attaqué par des membres de la Ligue Awami alors qu'il allait rendre visite à sa mère.

2.4 Le 5 février 2000, le requérant est entré en Suède et a déposé une demande d'asile le même jour, au motif qu'il avait été persécuté à cause de sa religion et de ses liens avec le BFP. Suite à deux mandats d'arrêt délivrés en 1997, le requérant avait été condamné à l'emprisonnement à vie pour meurtre et activités contre l'État et serait arrêté s'il était renvoyé au Bangladesh. Le 27 mars 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d'asile du requérant.

2.5 Le 18 juin 2001, le requérant a fait appel de la décision devant la Commission de recours des étrangers et déclaré qu'il avait été torturé, violé et battu pendant deux jours, alors qu'il était en détention en 1997 ou 1998. Ensuite, il avait été soigné pendant une semaine, sous supervision policière, à l'école de médecine de Barisal. Il affirme avoir été remis en liberté après que sa mère eut promis qu'il rejoindrait la Ligue Awami.

2.6 Les renseignements d'ordre médical suivants ont été apportés: il s'agit des conclusions de plusieurs médecins suédois. Le docteur Edston a constaté que le requérant avait subi les tortures ci-après: il avait été frappé à l'aide d'instruments contondants, à coups de tournevis et de matraque, brûlé à la cigarette, avec un tournevis chauffé et peut-être même avec un fer à marquer, frappé systématiquement sur la plante des pieds, conduit au bord de l'asphyxie par l'introduction d'eau chaude dans le nez, frappé sur les jambes de façon répétée à coups de canne en bambou, et il avait subi des sévices sexuels, notamment des viols. Le médecin a constaté que le requérant souffrait de séquelles physiques permanentes: douleurs dans le genou gauche, diminution de la mobilité de l'épaule droite, réduction fonctionnelle de la main gauche, douleurs à la défécation. Le docteur Soendergaard a établi qu'il ne faisait aucun doute que le requérant souffrait de troubles post-traumatiques. Une psychiatre, le docteur Hemingstam, a déclaré que ses symptômes étaient caractérisés par des difficultés de concentration, un manque d'appétit, de l'angoisse, de l'agitation, des cauchemars et des hallucinations accompagnées de pulsions suicidaires. Elle concluait que le risque de suicide était grand si le requérant était soumis à des pressions et s'il perdait ses appuis et n'était plus médicalement suivi. D'après un certificat émanant du centre de soins de Fittja, le requérant éprouve de la confusion, il «disparaît» et il est difficile de l'atteindre pendant les entretiens; il a des visions des séances de torture qu'il a subies. Une autre psychiatre, le docteur Eriksson, a confirmé que le requérant avait été hospitalisé en mai 2001 à cause du risque de suicide. Elle a confirmé qu'il souffrait d'une dépression sévère avec risque de suicide.

2.7 Le 4 mars 2002, la Commission de recours des étrangers, tout en reconnaissant que les cicatrices pouvaient résulter des coups portés par ses adversaires politiques, a estimé néanmoins improbable, après examen de l'ensemble du dossier, qu'il soit un réfugié. Le fait que les renseignements concernant les actes de torture subis par le requérant n'avaient pas été révélés avant qu'elle n'ait été saisie de l'affaire était l'une des raisons pour lesquelles la Commission estimait que les affirmations du requérant étaient sujettes à caution. (1)

2.8 En mai 2002, une autre demande de permis de séjour a été déposée, accompagnée de renseignements médicaux supplémentaires. Dans deux nouveaux rapports médicaux datés du 2 et du 9 avril 2002, les médecins ont critiqué la décision de la Commission et ont indiqué, pour expliquer la présentation tardive des informations sur les actes de torture, que le requérant recevait un soutien psychologique qui lui avait apporté l'assurance dont il avait besoin pour parler ouvertement de ses tortures. Le 5 juillet 2002, la Commission de recours a rejeté son appel au motif que les nouveaux renseignements fournis ne montraient pas qu'il avait besoin de protection.

2.9 Le requérant invoque des informations émanant d'Amnesty International et du Département d'État des États-Unis (2) qui, selon lui, tendent à prouver que les actes de torture commis contre des opposants politiques par la police pour leur arracher des renseignements et les intimider sont souvent exécutés à l'instigation du Gouvernement et avec son appui.


Teneur de la plainte

3.1 Il est affirmé que le renvoi du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l'article 3 de la Convention parce qu'il y a des motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'y être soumis à la torture. Pour étayer cette affirmation, le requérant évoque ses liens avec le BFP, les persécutions subies par sa famille, les rapports médicaux établissant qu'il avait été torturé, sa condamnation, injustifiable pour meurtre et activités contre l'État, et le fait que des sources affirment qu'il existe au Bangladesh un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme.

3.2 Concernant ses liens avec le BFP, le requérant affirme que de nombreux dirigeants de ce parti ont été déclarés coupables de l'assassinat du cheikh Mujibur Rahman, en 1975, et ont été condamnés à mort. Il fait valoir qu'en raison de leur soutien à ces dirigeants emprisonnés les membres du parti ont été eux-mêmes stigmatisés et risquent de subir personnellement des persécutions policières, même sous le régime du BNP.

3.3 L'auteur affirme en outre que son expulsion forcée constituerait en soi une violation de l'article 16 de la Convention compte tenu de son état psychiatrique fragile, notamment des troubles post-traumatiques graves causés par les persécutions, les tortures et les viols auxquels le requérant et sa famille ont été soumis.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 En date du 10 avril 2003, l'État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de l'affaire. Il confirme que l'auteur a épuisé les recours internes, mais soutient que ses affirmations n'ont pas été étayées aux fins de la recevabilité, qu'il n'a pas démontré qu'il court personnellement un risque réel et prévisible d'être torturé et que, compte tenu de son état psychiatrique, le grief de violation de l'article 16 est incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.2 L'État partie invoque l'Observation générale du Comité concernant l'article 3, où il est stipulé qu'un État partie ne doit s'abstenir de renvoyer une personne dans un autre État que dans le cas où l'intéressé risquerait d'y être soumis à la torture telle qu'elle est définie à l'article premier. L'article 3, contrairement à l'article 16, ne fait pas référence à «d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». De même, l'article 16 ne fait pas référence à l'article 3 alors qu'il renvoie aux articles 10 à 13. L'État partie est d'avis que l'objet de l'article 16 est de protéger les personnes privées de liberté ou qui sont placées de fait sous l'autorité ou le contrôle de la personne responsable des peines ou traitements.

4.3 L'État partie fait valoir que quoique la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh soit «problématique», elle s'est améliorée dans la longue durée. Un système de démocratie parlementaire a été instauré au Bangladesh en 1991 et aucun acte d'oppression systématique des dissidents n'y a été signalé depuis. Il note toutefois que la violence est un aspect omniprésent de la vie politique et que la police aurait recours à la torture, à des tabassages et à d'autres formes de violence lorsqu'elle interroge les suspects. La police serait réticente à poursuivre les personnes affiliées au parti au pouvoir et le Gouvernement l'utiliserait fréquemment à des fins politiques. La Constitution établit certes que l'islam est la religion de l'État, mais elle affirme également le droit de chacun de pratiquer la religion de son choix. Le Gouvernement respecte généralement ce droit mais les minorités religieuses sont de fait défavorisées dans certains domaines, notamment dans l'accès aux emplois de la fonction publique et aux fonctions politiques.

4.4 En outre, l'État partie évoque un rapport confidentiel établi à la suite d'une «visite d'étude» effectuée par des membres de la Commission de recours des étrangers, en octobre 2002, d'où il ressort, entre autres choses, que l'emploi de faux documents est chose très fréquente au Bangladesh; que les persécutions politiques contre les militants ordinaires sont rares mais que les principaux chefs politiques de l'opposition, tels que les anciens membres du Parlement, font l'objet de fausses accusations, d'arrestations et d'actes de torture commis par la police; qu'un suspect ne peut vérifier un mandat d'arrêt étant donné que ce document est adressé à la police directement par le tribunal; que l'objet principal des demandes d'asile est d'obtenir un emploi et une source de revenus et que les militants politiques ordinaires qui subissent des persécutions politiques peuvent chercher refuge dans d'autres parties du pays.

4.5 Selon l'État partie, l'autorité nationale qui procède à l'entretien avec les demandeurs d'asile est la mieux placée pour évaluer la crédibilité du requérant. En l'occurrence, le Conseil des migrations a pris sa décision après avoir entendu le requérant trois heures durant. Vu les faits et le dossier concernant cette affaire, le Conseil a eu amplement le temps de faire d'importantes observations supplémentaires. L'État partie s'en remet à l'opinion du Conseil des migrations et de la Commission de recours des étrangers.

4.6 Concernant l'allégation du requérant qui dit qu'il risque d'être persécuté par des particuliers à cause de sa religion, l'État partie fait observer que le risque d'être soumis à des mauvais traitements par une entité non gouvernementale ou des particuliers sans le consentement ou l'aval du gouvernement du pays d'accueil ne fait pas l'objet de l'article 3 de la Convention. En tout état de cause, le requérant n'a pas étayé son affirmation selon laquelle il risque d'être soumis à un traitement visé à l'article 3. L'État partie note que le requérant n'a fourni aux services suédois d'immigration aucune information sur les persécutions religieuses que lui-même et sa famille auraient subies. Le requérant a affirmé que les persécutions qui avaient causé la mort de son père en 1986 avaient cessé peu après le départ de sa famille à Barisal. Il n'existe aucun élément de preuve montrant que le requérant ait fait personnellement l'objet de persécutions religieuses.

4.7 En ce qui concerne le grief tiré du risque de torture à cause de ses liens avec le BFP, l'État partie fait observer que le requérant a affirmé à plusieurs reprises qu'il avait été maltraité par ses adversaires politiques de la Ligue Awami, qui était le parti au pouvoir au Bangladesh pendant la période concernée, et qu'il craignait que ses partisans ne le tuent s'il retournait au Bangladesh. Toutefois, le risque d'être maltraité par des adversaires politiques faisant partie de l'opposition (3) ne peut pas être imputé à l'État partie et doit être considéré comme étant sans rapport avec l'objet de l'article 3. S'il existait un risque, il aurait probablement un caractère local étant donné que le requérant n'a mené ses activités politiques que sur ce plan. Rien n'indique qu'il ait quelque chose à craindre du BNP, qui est actuellement au pouvoir.

4.8 En ce qui concerne les allégations relatives à des tortures subies dans le passé, l'État partie fait observer que le requérant n'a indiqué ni pendant l'entretien aux fins de l'asile, administré en mars 2000, ni lors de la réunion avec des représentants de la Commission de recours des étrangers, en juillet 2002, qu'il avait été torturé par la police. Ce n'est qu'à l'occasion de son premier recours devant la Commission de recours des étrangers, le 18 juin 2001, qu'il a informé les autorités qu'il avait été torturé par la police en 1995 et en 1997 ou 1998. Lors de l'examen initial, en août 2001, il s'est plaint d'actes de torture commis par la police en 1997 et d'agressions commises par des opposants politiques et des musulmans en 1996 et 1999, mais n'a pas évoqué de tortures qui auraient été commises en 1995.

4.9 L'État partie se réfère au rapport médical d'où il ressort, en conclusion, que le requérant a été torturé de la manière qu'il a indiquée, et qui rappelle l'observation faite par la Commission de recours des étrangers qui a affirmé que les cicatrices pouvaient avoir été causées par l'agression des partisans de la Ligue Awami. Toutefois, le but de l'examen de la plainte par le Comité est d'établir si le requérant risquerait actuellement d'être torturé s'il était renvoyé au Bangladesh. Même si l'on considérait que les éléments de preuve présentés permettent d'établir que le requérant a été torturé en 1997, il n'avait pas pour autant étayé son affirmation selon laquelle il risquerait d'être torturé à l'avenir.

4.10 L'État partie met en doute la validité des documents fournis pour prouver que le requérant a été déclaré coupable de meurtre et d'activités contre l'État. Il affirme que des enquêtes menées par l'ambassade de Suède à Dhaka ont permis d'établir, après examen des archives des tribunaux, que le requérant ne figurait pas parmi les 18 accusés qui avaient été déclarés coupables de meurtre, comme il l'a affirmé et comme l'aurait apparemment confirmé une attestation établie par un avocat. L'État partie considère que les résultats de cette enquête mettent en doute la crédibilité du requérant et, en général, la véracité de ses affirmations. S'agissant des deux mandats d'arrêt qui ont été présentés à l'appui de ses affirmations, l'État partie fait observer que le requérant n'a pas expliqué comment il avait obtenu les documents en question.

4.11 En outre, l'État partie signale diverses incohérences et contradictions dans les renseignements fournis par le requérant. Il renvoie au raisonnement du Conseil des migrations, qui a estimé qu'il était improbable que le requérant, qui était chrétien et dont le père avait été pasteur, ait milité pendant plusieurs années pour un parti politique dont le principal objectif est de préserver le caractère islamique du Bangladesh. De plus, il ne pensait pas que le poste de coordonnateur adjoint aurait été confié à un chrétien. Pour cette raison, le Conseil a estimé qu'il était improbable que les autorités aient arrêté le requérant pour ses activités politiques ou qu'il ait été déclaré coupable de meurtre et d'activités contre l'État. L'État partie estime difficile de croire que le requérant aurait été remis en liberté en 1997 par le Tribunal de première instance (Magistrates Court) après que sa mère eut promis qu'il militerait pour la Ligue Awami, compte tenu de ses affirmations, qui auraient été confirmées par les mandats d'arrêt présentés, selon lesquelles la police aurait reçu l'ordre, en 1997, de l'arrêter en vue de le présenter à un tribunal pour répondre de l'accusation de meurtre. Il fait observer que le passeport du requérant a été renouvelé peu avant son départ, ce qui indique fortement qu'il n'intéressait pas les autorités.

4.12 L'État partie donne différentes raisons pour lesquelles le requérant ne devrait pas craindre d'être maltraité par les autorités du Bangladesh s'il était renvoyé dans ce pays: il n'a pas eu d'activités politiques depuis 1996; il a dit au fonctionnaire du Conseil des migrations qui l'a interrogé que c'était sa mère qui avait pris des dispositions en vue de son départ; bien qu'il prétende avoir été torturé en 1997, il n'a fait aucun effort pour quitter rapidement le pays et y est resté encore pendant plusieurs années; le fait que la mère du requérant, lors d'un entretien avec un journal, a demandé aux autorités bangladaises de l'aider serait incompréhensible s'il craignait justement que ces autorités ne le maltraitent.

4.13 En ce qui concerne l'article 16, l'État partie renvoie aux décisions adoptées par le Comité dans les affaires G. R. B. c. Suède (4) et S. V. et consorts c. Canada, (5) en notant que le Comité n'a pas considéré qu'il y avait eu violation de l'article 16 dans l'un ou l'autre cas. Tout en notant que, selon les rapports médicaux, le requérant souffre de troubles post-traumatiques et que son état de santé s'est dégradé, par suite des décisions des autorités suédoises de refuser de lui octroyer un permis de séjour, il considère que ses craintes de retourner au Bangladesh sont infondées. Sa famille pourra lui venir en aide à son retour et des soins médicaux lui seront accessibles, au moins dans les grandes villes. L'État partie note qu'en dépit de ses problèmes de santé le requérant a fréquenté une école et a également travaillé en Suède pendant des périodes considérables. En appliquant l'arrêté d'expulsion, l'État partie veillera à ce que son état de santé soit pris en considération dans les modalités de l'expulsion et à ce que les autorités bangladaises ne soient pas informées de son retour. Il est d'avis que le requérant n'a pas étayé son affirmation selon laquelle l'exécution en soi de l'arrêté d'expulsion constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 16 de la Convention.

4.14 En ce qui concerne la procédure, l'État partie demande au Comité d'examiner la communication quant au fond le plus tôt possible, étant donné que sa décision concernant cette affaire pourra être utile aux services d'immigration suédois lorsqu'ils examineront d'autres demandes d'asile émanant de citoyens bangladais.

Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie

5.1 Le 23 octobre et le 22 novembre 2003, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l'État partie et a procédé à une mise à jour des faits. Il est affirmé que, de crainte que le requérant ne se suicide, il avait été placé dans un centre psychiatrique le 23 octobre 2003. Il a été autorisé à en sortir à la fin de novembre 2003 et a été orienté vers des services de soins non hospitaliers. Il affirme qu'il existe un lien direct entre son état dépressif et sa peur d'être renvoyé au Bangladesh. Il soutient qu'il a suffisamment étayé son grief et affirme que l'objet général de l'article 16 est de protéger la santé et le bien-être des individus.

5.2 En ce qui concerne les renseignements figurant dans le rapport confidentiel, (6) il affirme que les rapports de cette nature sont établis en coopération étroite avec les autorités nationales et que les renseignements sont presque toujours fournis par des fonctionnaires tributaires du bon vouloir du pouvoir politique. Il affirme que les Bangladais sont considérés avec suspicion par les autorités suédoises et qu'ils doivent assumer une charge de la preuve plus lourde que tous les autres demandeurs d'asile. Concernant la question de l'attestation, qualifiée de fausse, confirmant que le requérant a été condamné pour meurtre, il fait valoir qu'aucune preuve objective, excepté une information provenant d'un enquêteur, n'a été fournie à l'effet de démontrer que le requérant ne figurait pas parmi les personnes condamnées. Ce document ne porte aucune signature ni le nom de la personne qui l'aurait signé. Il ne fournit pas non plus d'informations sur les compétences de l'enquêteur qui est simplement désigné dans la lettre comme étant son «avocat». Enfin, aucun renseignement n'a été donné quant au point de savoir si l'avocat du requérant a eu la possibilité de commenter ou de réfuter l'accusation de faux qui a été portée contre lui et, si tel est le cas, sur la teneur de sa réponse.

5.3 Le requérant affirme de nouveau qu'il a été condamné à l'emprisonnement à vie et qu'il serait pour cette raison arrêté par la police. En outre, il affirme que, comme son cas a suscité l'intérêt des médias suédois, il se pourrait qu'il ait également attiré l'attention des autorités bangladaises, aggravant ainsi le risque d'être torturé s'il était renvoyé dans son pays. Pour ce qui est de son passeport, le requérant souligne que «tout se vend − même les passeports».


Observations supplémentaires de l'État partie et du requérant

6.1 Le 19 février 2004, l'État partie a affirmé que l'état de santé du requérant s'était amélioré et qu'il avait été autorisé à quitter le centre de soins psychiatriques. En ce qui concerne le rapport confidentiel, l'État partie indique qu'un exemplaire en a été envoyé à l'ancien conseil du requérant le 19 mai 2003. Un exemplaire du rapport de l'ambassade de Suède a également été adressé le lendemain.

6.2 L'État partie relève certaines des observations portées dans son dossier médical pendant son placement en centre psychiatrique, notamment le fait que ses rapports personnels et officiels avec les médecins avaient été mauvais alors qu'il n'avait pas manifesté d'inhibition dans ses relations avec les autres patients; il ne s'était guère montré coopératif; il est difficile de dire dans quelle mesure il avait joué la comédie, vu sa situation présente. En outre, l'État partie évoque l'affaire récente T. M. c. Suède (7) dans laquelle le Comité a tenu compte de changements importants dans le pouvoir politique au Bangladesh pour conclure que le requérant n'avait pas étayé son affirmation selon laquelle il risquait d'être torturé.

6.3 Les 19 et 28 mars 2004, le requérant a envoyé un nouveau rapport médical apportant des éclaircissements sur les troubles post-traumatiques graves dont il souffre.

6.4 Le 26 octobre 2004, l'État partie a répondu au secrétariat qui lui avait demandé une copie du jugement dans lequel, d'après l'État partie, le nom du requérant ne figure pas parmi les 18 accusés et reconnus coupables de meurtre, en disant qu'il regrettait de ne pas pouvoir faire tenir ce jugement à bref délai car il lui faudrait environ deux mois pour en obtenir une copie. Il ajoutait que, quoi qu'il en soit, c'était au requérant qu'il appartenait de produire une copie du jugement puisque c'était lui qui invoquait cet élément. Il n'en avait donné copie ni aux autorités suédoises ni au Comité et n'avait pas expliqué pourquoi il ne l'avait pas fait. Le 30 novembre 2004, le Comité a demandé, par le biais du secrétariat, une copie de ce jugement en anglais. Le 22 avril 2005, il a reçu de l'État partie la copie demandée, dans laquelle le requérant ne figure pas parmi les personnes accusées et/ou condamnées.


Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, le Comité s'est assuré que la même question n'avait pas été et n'était pas examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

7.2 En ce qui concerne le grief tiré de l'article 16, relatif à l'expulsion du requérant en dépit de son état de santé mentale, le Comité rappelle sa jurisprudence précédente selon laquelle l'aggravation de l'état de santé physique ou mentale d'une personne due à l'expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l'absence d'autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l'article 16. (8) Le Comité prend note des renseignements médicaux présentés par le requérant, à l'effet d'établir qu'il souffre de troubles post-traumatiques graves causés fort probablement par les tortures subies en 1997. Le Comité estime cependant que l'aggravation de l'état de santé du requérant, qui pourrait être causée par son expulsion, est en soi une considération insuffisante pour étayer cette affirmation, qui est par conséquent irrecevable.

7.3 Pour ce qui est du grief de violation de l'article 3 concernant le risque de torture, le Comité estime, vu en particulier la relation faite des actes de torture subis antérieurement, que le requérant a étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En l'absence d'autres obstacles à la recevabilité, le Comité procède donc à l'examen de la requête quant au fond.


Examen au fond

8.1 Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l'obligation qu'impose à l'État partie l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risquerait d'être soumise à la torture.

8.2 Le Comité doit déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d'être soumis à la torture à son retour au Bangladesh. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments, y compris de l'existence dans l'État concerné d'un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme. Il s'agit toutefois de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence dans un pays d'un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu'une personne risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de violations graves des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes.

8.3 Le Comité relève que l'État partie n'a pas contesté l'allégation du requérant qui dit avoir été torturé, et note que la Commission de recours des étrangers était d'avis que les adversaires politiques du requérant ont pu être responsables de ces actes de torture. Toutefois, le Comité relève que sept ans ont passé depuis les actes de torture, que le niveau des responsabilités du requérant au sein du Parti de la liberté du Bangladesh était modeste et que sa participation se limitait à des activités locales. De plus, il relève que le requérant n'a apporté à l'État partie ou au Comité aucun élément de preuve, documentaire ou autre, montrant qu'il avait été reconnu coupable de meurtre et condamné à une peine de réclusion à perpétuité. En fait, il ressort clairement du jugement communiqué par l'État partie le 22 avril 2005 que le requérant ne figure pas parmi les personnes condamnées. Pour ces raisons, et étant donné que le Gouvernement a changé depuis que les actes de torture présumés ont été commis, le Comité estime que le requérant n'a pas démontré qu'il existait des motifs sérieux de croire qu'il courrait personnellement un risque réel d'être soumis à la torture s'il était expulsé de Suède.

9. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d'avis que le requérant n'a pas étayé l'affirmation selon laquelle il serait soumis à la torture à son retour au Bangladesh, et conclut par conséquent que son expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention par l'État partie.


___________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes

1. Aucune autre information sur l'argumentation de la Commission de recours des étrangers n'est donnée.

2. Amnesty International: Rapport annuel pour 2002 et Département d'État des États-Unis (Bangladesh: Torture and Impunity (ASA 13 janvier 2000)). Communiqué de presse d'Amnesty International: Bangladesh: Politically Motivated Detention of Opponents Must Stop (ASA 13 janvier 2002, paru le 6 septembre 2002).

3. Le Parti national du Bangladesh est de nouveau au pouvoir depuis 2001.

4. Affaire no 86/1997, décision adoptée le 15 mai 1998.

5. Affaire no 49/1996, décision adoptée le 15 mai 2001.

6. Ce rapport n'a pas été joint mais l'État partie a indiqué qu'il le ferait tenir au Comité si celui-ci le demandait.

7. Affaire no 228/2003, constatations adoptées le 18 novembre 2003.

8. Affaire no 83/1997, décision adoptée le 15 mai 1998; affaire no 49/1996, décision adoptée le 15 mai 2001; et affaire no 228/2003, décision adoptée le 18 novembre 2003.

 

 



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