University of Minnesota



Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Turquie, U.N. Doc. CAT/C/20/Add.8 (2002).


Deuxièmes rapports périodiques des États parties
devant être présentés en 1993

Additif

TURQUIE*

[28 novembre 2001]


TABLE DES MATIÈRES

                                                                                                                             Paragraphes    

Introduction............................................................................................................... 1 − 7               

I....... GÉNÉRALITÉS............................................................................................. 8 − 21              

A...... Cadre juridique général.......................................................................... 8 − 17              

B...... Instruments internationaux auxquels la Turquie est partie......................... 18 − 21             

II...... RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES SUR
LES NOUVELLES MESURES ET LES FAITS NOUVEAUX
TOUCHANT L’APPLICATION DE LA PREMIÈRE PARTIE
DE LA CONVENTION.................................................................................. 22 − 178            

Article 2......................................................................................................... 22 − 49             

Article 3......................................................................................................... 50 − 55            

Article 4......................................................................................................... 56 − 62            

Article 5......................................................................................................... 63 − 66            

Article 6......................................................................................................... 67 − 70            

Article 7......................................................................................................... 71 − 72            

Article 8......................................................................................................... 73 − 75            

Article 9............................................................................................................. 76                

Article 10....................................................................................................... 77 − 88            

Article 11...................................................................................................... 89 − 137           

Article 12..................................................................................................... 138 − 145          

Article 13..................................................................................................... 146 − 167          

Article 14..................................................................................................... 168 − 174          

Article 15..................................................................................................... 175 − 177          

Article 16.......................................................................................................... 178               

Liste des appendices.......................................................................................

Appendice I....................................................................................................

 


Introduction

1.       La Turquie a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci‑après dénommée «la Convention») le 25 janvier 1988. Elle est devenue partie à la Convention après la publication par le Parlement de la loi no 3441, le 21 avril 1988. L’instrument de ratification de la Turquie a été déposé le 2 août 1988. Conformément au deuxième paragraphe de l’article 27, la Convention est entrée en vigueur sur le territoire de la République de Turquie le 1er septembre 1988.

2.       Lorsqu’elle a ratifié la Convention, la Turquie a fait par écrit la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 21, reconnaissant la compétence du Comité contre la torture (ci‑après dénommé «le Comité») pour recevoir et examiner des communications dans lesquelles un État partie prétend qu’elle ne s’acquitte pas de ses obligations au titre de la Convention; elle a également reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction, en faisant la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22.

3.       L’article 90 de la Constitution turque («Ratification des instruments internationaux») dispose que «les instruments internationaux valablement entrés en vigueur ont force de loi». Les instruments approuvés par le Parlement turc au moyen d’une loi de ratification sont ainsi directement incorporés au droit interne. C’est donc le cas de la Convention, dont les dispositions priment celles des lois internes, en vertu du même article de la Constitution qui dispose que, contrairement aux textes législatifs internes, «les instruments internationaux ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en inconstitutionnalité auprès de la Cour constitutionnelle». Conformément à l’article 90 de la Constitution, les dispositions de la Convention peuvent être invoquées directement devant les juridictions turques.

4.       Conformément aux dispositions du premier paragraphe de l’article 19 de la Convention, la Turquie a soumis son rapport initial (ci‑après dénommé «le rapport initial», document CAT/C/7/Add.6) au Comité contre la torture le 24 avril 1990. Le rapport initial, qui a été examiné par le Comité à ses 61e et 62e séances, le 14 novembre 1990, contenait des renseignements détaillés sur le système juridique et les structures administratives de la Turquie en rapport avec l’application de la Convention.

5.       Le présent rapport, qui couvre la période allant du 24 avril 1990 au 31 août 2001, regroupe en un seul document les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques de la Turquie. Il vient compléter le rapport initial.

6.       Ce rapport vise à fournir au Comité des renseignements complémentaires sur les dispositions de la législation turque ainsi que sur les nouvelles mesures qui ont été prises et les progrès qui ont été accomplis dans la mise en œuvre de la première partie de la Convention. Les observations et recommandations formulées par le Comité à l’occasion de l’examen du rapport initial ont également été prises en considération.

7.       Plusieurs changements importants sont intervenus dans les domaines législatif et administratif en ce qui concerne l’application des dispositions de la Convention. Le présent rapport vise également à porter ces changements à l’attention du Comité.

I.  GÉNÉRALITÉS

A.  Cadre juridique général

8.       Outre le Code pénal (loi no 765) et le Code de procédure pénale (loi  no 1412), toutes les Constitutions successives de la Turquie entrées en vigueur après la proclamation de la République, le 29 octobre 1923, ont comporté une prohibition de la torture et des mauvais traitements. Ainsi, l’article 74 de la Constitution de 1924 et l’article 14 de la Constitution de 1961 disposaient que nul ne pouvait être soumis à la torture ni à des mauvais traitements et prohibaient toute peine portant atteinte à la dignité de l’être humain. La Constitution actuelle, adoptée par référendum le 7 novembre 1982, contient une interdiction similaire faite à l’article 17 3), qui se lit comme suit: «Nul ne sera soumis à la torture ou à des mauvais traitements; nul ne sera soumis à une peine ou à un traitement incompatible avec la dignité humaine.».

9.       Le principe du respect des droits de l’homme est énoncé à l’article 2 de la Constitution comme l’une des caractéristiques fondamentales de la République turque, État démocratique, laïc et social régi par la légalité. L’article 10, intitulé «Égalité devant la loi», dispose que tous les individus sont égaux devant la loi, sans distinction de langue, de race, de couleur, de sexe, d’opinion politique, de conviction philosophique, de religion ou de culte, ou autres considérations analogues. Le même article dispose qu’il ne peut être reconnu aucun privilège à un individu, une famille, un groupe ou une classe et que les organes de l’État et les autorités administratives doivent en toutes circonstances agir dans le respect du principe de l’égalité devant la loi.

10.     Les droits et devoirs des individus sont définis aux articles 17 à 40 du chapitre 2 de la Constitution, qui porte le même titre.

11.     L’article 19 de la Constitution, intitulé «Liberté et sécurité de la personne», définit clairement les conditions dans lesquelles les individus dont il y a des motifs sérieux de penser qu’ils ont commis une infraction peuvent être arrêtés, sur décision d’un magistrat. Le même article prévoit:

a)       La notification aux personnes arrêtées ou détenues du motif de l’arrestation ou de la mise en détention et des faits qui leur sont reprochés;

b)      La notification de la situation des personnes arrêtées ou détenues à leur famille, sauf lorsque la divulgation de la portée et de l’objet de l’enquête comporte des risques;

c)       Le droit de toute personne arrêtée ou détenue de demander à être jugée dans un délai raisonnable ou à être remise en liberté durant l’enquête ou l’instruction;

d)      Le droit de toute personne privée de liberté de s’adresser à l’autorité judiciaire compétente pour qu’il soit statué rapidement sur sa situation ou pour être remise en liberté si la mesure privative de liberté qui a été imposée est illégale.

12.     Les principes relatifs aux infractions et aux peines sont énoncés à l’article 38 de la Constitution, qui dispose ce qui suit:

a)       Nul ne peut être condamné à une peine ou une mesure de sûreté qui n’est pas prévue par la loi;

b)      Nul ne peut être considéré comme coupable tant que sa culpabilité n’a pas été établie par un tribunal;

c)       Nul ne peut être contraint de faire des déclarations ou de produire des preuves qui l’incrimineraient personnellement ou qui incrimineraient ses proches parents;

d)      La responsabilité pénale est individuelle;

e)       L’administration ne peut imposer aucune sanction entraînant une restriction de la liberté personnelle.

13.     Les dispositions de la Constitution sont des règles fondamentales qui s’imposent aux organes législatifs, exécutifs et judiciaires, à l’administration et aux organismes publics, ainsi qu’aux individus. Les lois ne peuvent être incompatibles avec la Constitution (art. 11). Pour donner effet à ce principe, un Tribunal constitutionnel a été créé qui a le statut de primus inter pares parmi les juridictions supérieures de l’ordre judiciaire (art. 146). Le Tribunal constitutionnel examine la constitutionnalité, du point de vue de la forme et du fond, des lois, des décrets‑lois et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale suprême (art. 148). Le Président de la République, les groupes parlementaires du parti au pouvoir et du principal parti d’opposition et un cinquième au minimum du total des membres de l’Assemblée nationale suprême (110 membres) peuvent former un recours en annulation devant le Tribunal constitutionnel, en invoquant l’inconstitutionnalité des lois quant à la forme et quant au fond, des décrets ayant force de loi, du règlement intérieur de l’Assemblée nationale suprême ou de certains articles ou dispositions de ces textes (art. 150). En outre, si à l’occasion d’un procès le tribunal estime qu’une disposition législative ou réglementaire applicable est inconstitutionnelle ou s’il est convaincu du sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des parties, il suspend l’examen de l’affaire jusqu’à ce que le Tribunal constitutionnel ait statué (art. 152).

14.     Conformément à la Constitution, le pouvoir judiciaire est exercé au nom de la nation turque par des tribunaux indépendants (art. 9). Les principes relatifs à l’indépendance des tribunaux et à l’inamovibilité des magistrats du siège et du ministère public sont définis au Titre troisième de la Constitution intitulé «Le pouvoir judiciaire» (art. 138 à 160). Ainsi, aucun organe, autorité, service et individu ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux ou aux magistrats, ni leur adresser des circulaires ou leur faire des recommandations ou des suggestions en ce qui concerne l’exercice du pouvoir judiciaire. Il est également interdit de poser des questions, de tenir un débat ou de faire des déclarations à l’Assemblée législative en ce qui concerne l’exercice du pouvoir judiciaire dans une affaire dont la justice est saisie. Les organes législatifs et exécutifs ainsi que l’administration sont tenus de se conformer aux décisions des tribunaux (art. 138).

15.     Dans le système juridique turc, les juridictions de droit commun, administratives et militaires sont séparées. En vertu de l’article 142 de la Constitution, l’organisation, les fonctions et la compétence des tribunaux ainsi que leur fonctionnement et les procédures qu’ils appliquent sont définis par la loi. L’organisation juridictionnelle de la Turquie est la suivante:

a)       Ordre judiciaire:

i)       Les tribunaux ordinaires de première instance:

-               Juridictions pénales: tribunal d’instance pénal, tribunal de grande instance pénal, cour d’assises;

-                         Juridictions civiles: tribunal d’instance civil (ou tribunal de paix civil), tribunal de grande instance civil, tribunaux de commerce;

ii)       Juridictions spécialisées de première instance:

-               Tribunaux de sûreté de l’État;

-               Tribunaux pour enfants;

-               Tribunaux de l’enregistrement foncier;

-               Tribunaux du travail;

-               Tribunaux de la propriété intellectuelle;

iii)      La Cour de cassation est la juridiction qui examine en dernier ressort les décisions et jugements rendus par les juridictions judiciaires (art. 154 de la Constitution);

b)      Ordre administratif:

i)       Tribunaux administratifs;

ii)       Tribunaux fiscaux;

iii)      Tribunaux administratifs régionaux;

iv)      Le Conseil d’État est la juridiction qui examine en dernier ressort les décisions et jugements rendus par les tribunaux administratifs (art. 155 de la Constitution);

c)       La justice militaire est rendue par les tribunaux militaires et les tribunaux de discipline militaire. Ces tribunaux sont compétents pour statuer sur les affaires concernant des infractions commises par des militaires et ayant le caractère d’infraction militaire ou commises soit contre des militaires, soit dans des locaux militaires, soit dans le cadre du service militaire et des missions qui s’y rapportent. Les tribunaux militaires connaissent également des infractions commises par des civils qui sont des infractions militaires visées par une loi particulière ou qui ont été commises contre des militaires pendant l’accomplissement de fonctions déterminées par la loi ou dans des locaux militaires également déterminés par la loi (art. 145 de la Constitution). La Cour de cassation militaire est la juridiction de dernier ressort chargée de réexaminer les décisions et jugements rendus par les tribunaux militaires (art. 157 de la Constitution).

16.     Conformément à l’article 143 de la Constitution, les tribunaux de sûreté de l’État sont des tribunaux de première instance spécialisés chargés d’examiner les atteintes à l’intégrité de l’État, à l’ordre démocratique ou à la République dont les caractéristiques sont définies dans la Constitution ainsi que les infractions qui portent directement sur la sécurité intérieure ou extérieure de l’État. L’autorité compétente pour examiner les recours formés contre les décisions des tribunaux de sûreté de l’État est la Haute Cour d’appel. Le fonctionnement, les attributions et la compétence des tribunaux de sûreté de l’État ainsi que les procédures applicables devant eux sont régis par la loi no 2845, relative à la création et aux procédures de jugement des tribunaux de sûreté de l’État, adoptée le 16 juin 1983.

17.     En vertu de la loi no 4388, adoptée par le Parlement le 18 juin 1999 et entrée en vigueur après avoir été publiée dans le Journal officiel le même jour, l’article 143 de la Constitution a été modifié en vue de retirer les juges militaires des tribunaux de sûreté de l’État. La loi no 4390, adoptée par le Parlement le 22 juin 1999 et entrée en vigueur le même jour, a apporté des amendements parallèles à la loi no 2845. Par conséquent, tous les membres des tribunaux de sûreté de l’État sont désormais désignés parmi les juges civils.

B.  Instruments internationaux auxquels la Turquie est partie

18.     Membre fondateur de l’Organisation des Nations Unies, la Turquie a figuré parmi les premiers pays à incorporer à son droit interne − par la voie du décret no 9119 du Conseil des ministres en date du 6 avril 1949 − la Déclaration universelle des droits de l’homme. Également membre fondateur du Conseil de l’Europe, elle a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (loi no 6366 du 10 mars 1954).

19.     Le 28 janvier 1987, la Turquie a reconnu la compétence de la Commission européenne des droits de l’homme pour recevoir des requêtes de tout individu, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe d’individus. Le 22 janvier 1990, la Turquie a déclaré reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme pour toutes les affaires ayant trait à l’interprétation et à l’application de la Convention européenne des droits de l’homme et qui concernent l’exercice de la compétence dans les limites du territoire national de la République de Turquie. Elle a signé le 6 novembre 1990 le Protocole no 9 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme reconnaissant le droit des particuliers de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (loi no 3411 du 25 février 1988).

20.     La Turquie continue à collaborer étroitement avec les mécanismes de surveillance de l’Organisation des Nations Unies et du Conseil de l’Europe en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements. Dans ce contexte, Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécial sur la question de la torture de la Commission des droits de l’homme, s’est rendu en Turquie sur l’invitation du Gouvernement du 9 au 19 novembre 1998, et a eu des discussions approfondies avec les autorités et avec des représentants d’organisations non gouvernementales. Son rapport sur cette visite, soumis à la cinquante‑cinquième session de la Commission des droits de l’homme en mars 1999, porte la cote E/CN.4/1999/61/Add.1. Les autorités turques attachent la plus grande importance au maintien d’une collaboration étroite avec le Rapporteur spécial.

21.     Pendant la période couverte par le présent rapport, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a effectué 13 séjours spéciaux ou dans le cadre des visites périodiques en Turquie. Le 24 août 2001, le Gouvernement turc, dans une lettre adressée au Président du Comité dont le texte est reproduit à l’appendice X, a autorisé le Comité à rendre publics tous ses rapports de visite qui ne l’avaient pas encore été. Ces rapports sont examinés avec la plus grande attention par les autorités turques compétentes; les enquêtes nécessaires sont menées et les mesures qui s’imposent sont prises, comme suite aux observations et recommandations qui y figurent. Les autorités turques ont la ferme volonté de maintenir la collaboration étroite qui a été établie avec le Comité européen pour la prévention de la torture depuis la création de celui‑ci. De fait, la continuité et la régularité des relations de la Turquie avec le Comité, conformément à la Convention européenne pour la prévention de la torture, ainsi que le haut niveau auquel ces relations sont maintenues, attestent l’importance que le Gouvernement turc attache à une démarche de coopération fructueuse avec le Comité.

II.      RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES SUR LES NOUVELLES
MESURES ET LES FAITS NOUVEAUX TOUCHANT L’APPLICATION
DE LA PREMIÈRE PARTIE DE LA CONVENTION

Article 2

22.     Parallèlement au paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution, dont le texte a été présenté au paragraphe 8 ci‑dessus et qui interdit la torture et les mauvais traitements, le Code pénal prévoit et réprime les atteintes à l’intégrité et à la sécurité physiques et psychiques. Ces articles et les peines pour torture ou mauvais traitements qui y sont prévus sont exposés plus loin, dans les paragraphes 57 à 62.

23.     Pendant la période couverte par le présent rapport, le fait le plus important en ce qui concerne l’application des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention est sans doute la publication de la loi no 3842 portant modification de certains articles du Code de procédure pénale et de la loi sur la création et les procédures de jugement des tribunaux de sûreté de l’État et sur l’abrogation de certaines dispositions de la loi sur les pouvoirs et attributions de la police ainsi que de la loi contre le terrorisme. Adoptée par le Parlement le 18 novembre 1992, la loi no 3842 est entrée en vigueur après sa publication au Journal officiel le 1er décembre 1992.

24.     La loi no 3842 marque une étape importante dans les efforts de réforme entrepris en Turquie dans le domaine des droits de l’homme. Elle ne prévoit pas seulement le renforcement des mesures visant à prévenir la torture et les mauvais traitements mais elle introduit aussi des modifications importantes tendant à garantir le droit de défense et l’égalité des sexes ainsi que les droits des mineurs et des handicapés. À ce titre, elle s’apparente véritablement à une loi de réforme.

25.     Les principales modifications que la loi no 3842 a apportées au Code de procédure pénale sont décrites dans les paragraphes 26 à 41 ci‑dessous.

26.     Un nouvel article, numéroté 135 a), a été ajouté au Code de procédure pénale. Il interdit les méthodes d’interrogatoire qui invalident le consentement de la personne telles que la torture, les mauvais traitements, l’usage de la force ou de la violence ou le fait d’administrer des médicaments de force. Il interdit également de recueillir des déclarations par des promesses illégales. La dernière partie de l’article dispose que les déclarations obtenues par ces méthodes interdites ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve, même avec le consentement de l’intéressé. L’article dispose:

                   «Les déclarations du suspect ou du témoin doivent être faites de plein gré. Sont interdites les pressions physiques ou psychiques qui empêchent l’intéressé d’exercer sa libre volonté telles que les mauvais traitements, la torture, l’administration forcée de médicaments, la privation de repos ou la tromperie ainsi que le recours à la force physique ou à la violence ou l’utilisation de dispositifs divers qui altèrent la volonté.

                   Aucun avantage illégal ne peut être promis.

                   Même s’il y a consentement, les déclarations obtenues à l’aide des méthodes interdites susmentionnées ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve.».

(Dans la première partie de l’article, l’expression «telles que» a été employée afin d’indiquer que les méthodes mentionnées sont citées à titre d’exemple. Toute méthode similaire est elle aussi prohibée. Ces dispositions s’appliquent à tous les suspects, quelle que soit la nature du délit, y compris aux personnes soupçonnées d’infractions relevant de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État.)

27.     La loi no 3842 a modifié l’article 128 du Code de procédure pénale en vue de ramener la durée des détentions aux normes européennes. Ainsi, la durée maximale de la garde à vue a été fixée à 24 heures pour les délits de droit commun commis par une personne et pour les mêmes délits commis en réunion (par trois personnes ou plus) elle a été ramenée de 15 jours à quatre jours, durée maximale acceptée par la Cour européenne des droits de l’homme. La garde à vue peut être prolongée jusqu’à quatre jours, avec l’autorisation écrite du procureur. Elle peut être portée à huit jours dans des circonstances exceptionnelles, à la demande du procureur et avec l’autorisation du juge. Le détenu doit être présenté au juge dans les quatre jours au plus tard. En outre, alors qu’auparavant, le Code de procédure pénale énumérait certains «motifs objectifs», tels que la nature de l’infraction ou la situation du suspect, qui permettaient de prolonger la garde à vue, la nouvelle loi limite ces motifs à la difficulté de recueillir des éléments de preuve, à l’existence de plusieurs suspects et à d’autres motifs du même ordre. Il n’est pas douteux que la difficulté de recueillir des éléments de preuve ou l’existence de plusieurs suspects sont des critères objectifs qui rendent l’interrogatoire plus difficile. Conformément à la loi no 3842, la garde à vue pour des infractions du ressort des tribunaux de sûreté de l’État ne doit pas dépasser 48 heures pour les délits individuels et 15 jours pour les délits collectifs. Ces périodes peuvent être doublées dans les zones où l’état d’urgence a été déclaré. Cette partie de l’article 128 du Code de procédure pénale tel qu’il a été modifié se lit comme suit:

«Si une personne appréhendée n’est pas remise en liberté, elle doit être déférée devant un juge dans les 24 heures. Cette période ne comprend pas le temps nécessaire pour conduire l’intéressé devant le juge le plus proche. Si l’intéressé le souhaite, un avocat peut assister à l’interrogatoire.

En cas de délit commis par trois personnes ou plus, le procureur peut ordonner par écrit de prolonger la garde à vue jusqu’à un maximum de quatre jours. Si l’enquête n’est pas close au terme de ce délai en raison de certaines particularités de l’affaire, parce qu’il est difficile de recueillir des éléments de preuve ou parce qu’il y a plusieurs suspects, cette période peut être portée à huit jours au maximum sur décision du juge compétent, agissant sur ordre écrit du procureur.».

28.     La loi no 3842 a apporté une autre modification importante, qui concerne le droit d’habeas corpus. Selon l’article 128 du Code de procédure pénale tel qu’il a été modifié, lorsque le procureur demande que la détention soit prolongée, le suspect, son défenseur ou son représentant légal, son conjoint ou ses parents au premier ou deuxième degré peuvent demander au juge sa libération immédiate. Le juge doit agir dans les 24 heures suivant la demande.

29.     L’article 135 du Code de procédure pénale, qui concerne le recueil de déclarations par les fonctionnaires de police et les procureurs et leur examen par les juges, a été modifié par la loi no 3842 afin de mieux protéger les droits des suspects. Désormais, cet article énonce clairement le droit du suspect de garder le silence, non seulement devant le juge, mais aussi lors du premier interrogatoire au commissariat. Le détenu doit être informé de son droit de ne pas faire de déclarations avant le début de l’interrogatoire. En outre, lorsque la police procède à une détention, elle doit informer l’intéressé des faits qui lui sont reprochés et de son droit d’être assisté d’un avocat. Cet article dispose également que toute déposition faite durant la garde à vue doit faire l’objet d’un procès‑verbal portant mention des noms et qualités des personnes présentes, signé par le détenu ou son avocat. La partie correspondante de l’article 135 est ainsi libellée:

«Les nom, prénom et qualité du témoin ou de la personne interrogée sont consignés. L’intéressé est informé des faits qui lui sont reprochés, et de son droit à la présence d’un avocat, de faire aviser sa famille de son arrestation et de refuser de répondre, ainsi que de son droit de demander la réunion de preuves matérielles pour être mis hors de cause, avoir la possibilité d’éliminer les soupçons qui pèsent sur lui et pouvoir présenter des faits en faveur de la défense. Un procès‑verbal détaillé de l’interrogatoire ou de la déposition, avec mention du lieu et de la date ainsi que des noms et qualités des personnes présentes, doit être établi. Il doit être signé par la personne interrogée ou gardée à vue, ainsi que celle de son avocat et, si ces personnes n’ont pas signé, indiquer le motif.».

30.     Les articles de la loi no 3842 qui introduisent une véritable réforme ont trait au droit de la défense. Les modifications apportées au Code de procédure pénale dans ce contexte visent d’une part à permettre au suspect de bénéficier des services d’un avocat dès le début de l’interrogatoire et, par conséquent, à garantir le droit de la défense, et d’autre part à protéger pleinement les détenus contre la torture et les mauvais traitements.

31.     Dans ce contexte, l’article 136 du Code de procédure pénale, qui a trait au choix d’un avocat de la défense, a été modifié afin de permettre à une personne détenue ou à un suspect d’avoir accès à un avocat à n’importe quel stade de l’enquête, y compris pendant la garde à vue, et de bénéficier de sa présence durant l’interrogatoire par la police. Auparavant, le barreau désignait un avocat au moment du procès seulement. Avec la nouvelle loi, toute personne détenue soupçonnée d’avoir commis un délit de droit commun, individuellement ou en réunion, a droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Le texte de l’article 136 est le suivant:

«Tout suspect ou toute personne placée en garde à vue peut se faire assister d’un ou de plusieurs avocats choisis par lui‑même ou son représentant légal, à tous les stades et à tous les niveaux de l’enquête.

Lorsque la police procède à l’interrogatoire, un seul avocat peut être présent. Pendant l’interrogatoire par le procureur, trois avocats au plus peuvent être présents.

À n’importe quel stade de l’enquête, l’avocat de la défense a le droit, sans restriction et sans entrave, de rencontrer le défendeur ou la personne placée en garde à vue, d’entendre sa déclaration, de l’accompagner lors des interrogatoires et de lui fournir une assistance juridique.».

32.     La version modifiée de l’article 138 dispose que si la personne en garde à vue ou le défendeur n’a pas les moyens d’engager un avocat, le barreau lui en désignera un sur demande. Une simple déclaration suffit. Un défenseur sera désigné d’office si le détenu ou le défendeur n’a pas d’avocat et s’il est âgé de moins de 18 ans, s’il est sourd, muet, ou handicapé à tel point qu’il n’est pas en mesure d’assurer lui‑même sa défense. Auparavant, la désignation d’un défenseur aux personnes se trouvant dans ces situations était laissée à la discrétion du tribunal mais avec la nouvelle loi elle est obligatoire.

33.     L’article 143 du Code de procédure pénale a été modifié pour se lire comme suit:

«Le défenseur a le droit d’examiner l’ensemble du dossier relatif à l’affaire et obtenir gratuitement une copie de toute pièce y figurant. Si l’exercice de ce droit risque de nuire à l’enquête préliminaire, il peut être limité durant cette phase sur ordre du juge, agissant sur demande du procureur. Une telle restriction ne peut pas s’appliquer aux documents tels que les procès‑verbaux des interrogatoires, les rapports d’expertise et les autres procès‑verbaux concernant d’autres procédures judiciaires auxquelles la personne en garde à vue ou le défendeur est autorisé à assister.».

34.     Tel qu’il a été modifié, l’article 144 du Code de procédure pénale dispose que la personne en garde à vue ou le défendeur peut rencontrer son avocat à tout moment sans que le mandat ne soit demandé et dans un endroit où la conversation restera confidentielle. De même la correspondance ne peut être interceptée.

35.     En vertu de l’amendement à l’article 146 du Code de procédure pénale, si le défendeur n’a pas les moyens financiers d’engager un avocat, le barreau en désigne un d’office. Les honoraires de l’avocat sont prélevés sur un fonds géré par l’ordre des avocats et alimenté par le Ministère des finances. Si dans son jugement définitif, le tribunal déclare le défendeur coupable, l’ordre des avocats peut demander à ce dernier le remboursement des frais de justice et de défense.

36.     La situation qui prévalait auparavant a donné lieu à de nombreuses critiques parce que les suspects pouvaient rester longtemps en détention provisoire en raison de la lenteur des procédures. Il arrivait ainsi que le suspect soit acquitté après avoir été détenu pendant une longue période, ou bien soit condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à la période qu’il avait passée en détention. Afin d’éviter de telles situations, la loi n3842 fixe les durées maximales de détention du premier au dernier stade de l’enquête, ce qui élimine tout risque de détention excessive. Ainsi, à la condition que le suspect puisse prouver son identité et son domicile, le tribunal ne peut pas ordonner la détention provisoire pour des infractions punies d’un emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à six mois. Pour les infractions punies d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans, le défendeur est remis en liberté si le procès n’est pas achevé dans les deux ans, en comptant les six mois consacrés à l’enquête préliminaire. Pour les infractions punies d’un emprisonnement de plus de sept ans, le défendeur est libéré sous caution sur décision du juge, si le procès n’est pas achevé dans un délai de deux ans.

37.     Conformément aux modifications apportées à l’article 106 du Code de procédure pénale, seul le juge a le pouvoir d’ordonner la mise en détention d’un prévenu. Si celui‑ci est présent, il sera entendu avant que cet ordre soit exécuté. S’il le souhaite, son avocat peut assister de droit à l’audience, et le défenseur ainsi que le procureur sont entendus avant que la décision ne soit rendue. Si le prévenu est absent, la décision est rendue sur la base des pièces dont le tribunal est saisi. Le mandat de détention doit mentionner aussi explicitement que possible l’identité du prévenu, les faits qui lui sont imputés, la date et le lieu où ils se sont produits, les articles de loi applicables et les motifs du placement en détention.

38.     En vertu de l’amendement apporté à l’article 108 du Code de procédure pénale, le prévenu qui a fait l’objet d’une décision de mise en détention prise en son absence doit être immédiatement (dans les 24 heures au plus tard) présenté à un juge et interrogé afin qu’il soit statué sur le maintien de la mesure.

39.     Les critiques formulées par le passé portaient également sur le fait que certaines personnes en détention étaient réincarcérées peu après avoir été mises en liberté, de sorte que le décompte de la durée de détention reprenait à zéro. Afin d’éviter cette situation, la nouvelle loi dispose que «les personnes mises en liberté ne peuvent être placées de nouveau en détention pour les mêmes chefs d’inculpation que s’il existe de nouveaux éléments de preuve et sur ordre du procureur».

40.     Conformément à un amendement à l’article 23 du Code de procédure pénale, outre le procureur et le défendeur, les parties intervenant dans l’affaire peuvent également déposer une demande de récusation du juge.

41.     Outre celles qui sont mentionnées ci‑dessus et qui visent à renforcer les droits des suspects et des détenus, la loi no 3842 contient des dispositions importantes pour le respect des droits de l’homme. À ce propos, elle modifie les dispositions du Code de procédure pénale contraires aux principes de l’égalité des sexes. Auparavant, le Code de procédure pénale stipulait que si la personne soupçonnée était une femme mariée, son mari pouvait être présent en tant que conseiller. En outre, seul le mari avait le droit de recourir à la justice. En remplaçant l’expression «si la personne soupçonnée est une femme mariée, le mari» par «le conjoint de la personne soupçonnée», la nouvelle loi affirme l’égalité des sexes. En outre, elle porte l’âge de la majorité de 15 ans à 18 ans. En ce sens, compte tenu du fait que la désignation d’un avocat pour les mineurs de 18 ans est désormais obligatoire, comme il est indiqué au paragraphe 32 ci‑dessus, la loi n3842 apporte également des modifications importantes en faveur des mineurs.

42.     Le nombre de délits relevant des tribunaux de sûreté de l’État a été réduit par un amendement à l’article 9 de la loi n2845 sur la création et les procédures de jugement des tribunaux de sûreté de l’État, introduit par la loi n3842. La compétence des tribunaux de sûreté de l’État a été ainsi restreinte aux crimes contre l’État, aux crimes terroristes, au trafic illicite d’armes ou de stupéfiants et aux délits qui entraînent le maintien d’un état d’urgence ou qui y contribuent. Par conséquent, les tribunaux de sûreté de l’État ne seront plus compétents pour les affaires liées à des violations de la loi sur les manifestations et les rassemblements, de la loi sur les grèves et les lock‑out ni de la loi sur les associations.

43.     Une autre étape importante dans l’application du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention a été franchie le 6 mars 1997, lorsque le Parlement a adopté la loi no 4229 modifiant le Code de procédure pénale, la loi no 2845 et la loi no 3842. Cette loi est entrée en vigueur le 12 mars 1997 après sa publication au Journal officiel. Les principaux éléments de la loi no 4229 sont décrits dans les paragraphes 44 à 47 ci‑dessous.

44.     La loi no 4229 réduit considérablement la durée de la garde à vue des personnes arrêtées pour des délits individuels ou collectifs relevant des tribunaux de sûreté de l’État. Elle a été ramenée à 48 heures pour les délits individuels, même s’ils ont été commis pendant l’état d’urgence, alors qu’elle était de 96 heures en vertu de la loi no  3842. Pour les délits collectifs qui relèvent des tribunaux de sûreté de l’État, la durée de la garde à vue a été rapprochée de celle qui prévaut pour les délits collectifs de droit commun. Elle a donc été divisée en trois phases consécutives d’une durée respective de 48 heures, deux jours, et trois ou six jours (selon que le délit a été commis pendant l’état d’urgence ou non). La deuxième et la troisième phases, qui sont devenues la première et la deuxième «prolongations», commencent respectivement avec l’ordonnance du procureur et la décision du juge compétent. Auparavant, ces périodes pouvaient atteindre 15 et 30 jours consécutifs selon, respectivement, que le délit avait été commis dans une situation ordinaire ou pendant l’état d’urgence. En outre, la deuxième prolongation de la garde à vue pour les délits collectifs de droit commun, mentionnée au paragraphe 27, a été ramenée de quatre jours à trois jours par la loi no 4229. Ainsi, la durée maximale de la garde à vue pour les délits collectifs de droit commun a été ramenée à sept jours, que le délit ait été commis pendant l’état d’urgence ou non. Un tableau récapitulant les durées de détention en Turquie avant et après les modifications indiquées ci‑dessus figure à l’appendice I.

45.     La loi no 4229 stipule que la famille du suspect doit être prévenue de sa détention dans toutes les circonstances sans exception. Elle autorise également le suspect et son avocat, son représentant légal, son conjoint et ses parents au premier ou deuxième degré à déposer une requête auprès du juge compétent pour protester contre le placement en garde en vue ou contre l’ordre donné par le procureur de prolonger la garde à vue. Le juge doit rendre sa décision dans les 24 heures. S’il donne suite à la requête, la personne gardée à vue est immédiatement mise en liberté. Auparavant, en vertu de la loi no 3842, les délits relevant des tribunaux de sûreté de l’État constituaient une exception à l’exercice de ce droit. La nouvelle loi supprime cette exception et étend la garantie de l’habeas corpus aux délits individuels ou collectifs relevant des tribunaux de sûreté de l’État.

46.     Le droit de communiquer avec un avocat a été étendu par la loi no 4229 aux personnes placées en garde à vue soupçonnées d’un délit relevant des tribunaux de sûreté de l’État. Ce droit s’exerce au bout de 48 heures en cas de délit individuel et au bout de quatre jours en cas de délit en réunion.

47.     En vertu de la loi no 4229, la durée maximale de la détention avant jugement mentionnée au paragraphe 36 ci‑dessus, s’applique aux délits relevant de la compétence des tribunaux de sûreté, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’article 110 du Code de procédure pénale tel que modifié par la loi no 3842 est désormais applicable à tous les types d’infractions. Ainsi:

a)       Si la détention a été ordonnée par le juge compétent elle ne peut dépasser six mois, durée qui correspond à l’enquête préliminaire;

b)      Si la personne passe en jugement, la détention ne peut dépasser deux ans, période correspondant à l’étape précédente (enquête préliminaire comprise);

c)       Si l’infraction commise est punie d’un emprisonnement de sept ans au moins, la détention peut dépasser les limites indiquées ci‑dessus sur décision d’un juge, qui tient compte de l’état des éléments de preuve recueillis, de la conduite de l’inculpé et de la nécessité de le maintenir en détention.

48.     La législation turque est total conforme au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention. L’état d’urgence est prévu aux articles 119 à 121 de la Constitution. Conformément à l’article 120, en cas d’apparition d’indices sérieux d’actes de violence répandus visant à porter atteinte à l’ordre démocratique libre instauré par la Constitution ou aux droits et libertés fondamentaux, ou en cas de trouble grave à l’ordre public à la suite d’actes de violence, le Conseil des ministres peut proclamer l’état d’urgence dans une ou plusieurs régions ou sur l’ensemble du territoire pour une durée ne dépassant pas six mois. En vertu de l’article 121 le Parlement peut, à la demande du Conseil des ministres, prolonger l’état d’urgence pour des périodes de quatre mois au maximum. L’article 15 de la Constitution dispose que l’exercice des droits et libertés fondamentaux peut être partiellement ou totalement suspendu pendant l’application de la loi martiale ou de l’état d’urgence, à condition que cette suspension ne soit pas contraire aux obligations découlant du droit international; en outre, même dans de telles circonstances, le droit à la vie et à l’intégrité physique et spirituelle reste inviolable, mais des décès peuvent résulter d’actes légitimes de guerre et la peine capitale peut être appliquée. Il s’ensuit que les peines prévues par la loi pour torture ou mauvais traitements sont également applicables sous la loi martiale ou pendant l’état d’urgence.

49.     En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, il convient d’indiquer que dans le système juridique turc, tout acte excessif commis par un agent de l’État est considéré comme une faute dont l’État est directement responsable. Dans ce contexte, l’article 137 de la Constitution dispose que la personne employée dans un service public, quels que soient son poste et son rang, qui estime qu’un ordre de ses supérieurs est contraire aux dispositions du règlement, de la réglementation, des lois ou de la Constitution, ne doit pas l’exécuter. L’article dispose également que si elle l’exécute sa responsabilité est engagée. Les articles 11 et 13 de la loi no 657 sur la fonction publique, adoptée le 23 juillet 1965, disposent respectivement qu’«un ordre qui constitue en soi une infraction ne peut en aucun cas être exécuté; quiconque exécute un tel ordre verra sa responsabilité engagée» et que «toute personne traitée injustement par un agent de l’État peut intenter une action en justice directement contre l’institution publique concernée, laquelle bénéficie à son tour d’un droit de recours contre le fonctionnaire incriminé».

Article 3

50.     L’entrée et le séjour des étrangers en Turquie sont réglementés par la loi n5683 du 15 juillet 1950 sur le séjour et les déplacements des étrangers. Le règlement sur les procédures et les principes relatifs aux mouvements de population et à l’arrivée en Turquie d’étrangers seuls ou en groupe souhaitant demander l’asile à la Turquie ou sollicitant un permis de séjour en vue de demander l’asile à un autre pays a été adopté en 1994 afin de rationaliser les procédures juridiques et administratives s’appliquant aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Les principes touchant le séjour de tous les étrangers, y compris les réfugiés politiques, et les obligations qui leur incombent, sont énoncés dans cette loi et dans son règlement d’application. Conformément aux deux textes, c’est le Ministère de l’intérieur qui est compétent pour expulser les étrangers.

51.     La Turquie est partie à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, qui a force de loi dans le pays. L’article 42 de la Convention donne aux États signataires la possibilité d’adhérer à la Convention en exprimant une préférence géographique. C’est ce qu’a fait la Turquie, et ses obligations à cet égard se limitent à accepter les personnes originaires d’Europe qui remplissent les critères relatifs aux réfugiés. Cette préférence est principalement fondée sur la situation géographique de la Turquie. En fait, le concept de «pays tiers sûr» adopté par l’Union européenne dans les années 90 rend la préférence géographique de la Turquie d’autant plus importante.

52.     Néanmoins, cette reconnaissance limitée n’empêche pas la Turquie de fournir une assistance à des personnes originaires d’autres pays qui demandent un asile ou un refuge temporaire. De fait, les autorités turques n’épargnent aucun effort pour s’acquitter de leurs obligations morales à l’égard des «demandeurs d’asile temporaires» et, bien que la Turquie ait adhéré à la Convention de Genève avec une préférence géographique, les demandeurs d’asile en provenance des pays voisins situés à l’est sont admis pour des raisons d’ordre humanitaire et des solutions à leurs problèmes sont recherchées en collaboration avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le règlement exclusif mentionné au paragraphe 50 ci‑dessus vise à faciliter les procédures dans ce contexte.

53.     La réserve géographique que la Turquie a formulée à la Convention de Genève n’est pas contraire au principe du «non‑refoulement». Conformément aux articles 32 et 33 de cette Convention, un réfugié ne peut être expulsé que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public et des réfugiés ne peuvent être refoulés dans un pays où leur vie ou leur liberté serait menacée. Le règlement mentionné au paragraphe 50 ci‑dessus contient également cette disposition.

54.     Les principes et procédures applicables aux demandes d’extradition présentées par des États étrangers sont énoncés à l’article 9 du Code pénal. Les nationaux turcs ne peuvent pas être extradés. La Turquie n’accorde pas l’extradition pour des infractions politiques, militaires ou connexes. Lorsqu’un État étranger présente une demande d’extradition, il appartient au tribunal de première instance dans le ressort duquel l’intéressé se trouve de déterminer la nationalité de l’intéressé et la nature de l’infraction commise. Si le tribunal constate que l’intéressé n’est pas turc et que l’infraction qu’il a commise n’est pas de nature politique, militaire ou connexe, le juge local peut délivrer un mandat d’arrêt. La question de la double incrimination et toutes les autres questions connexes en jeu sont réglées par les autorités administratives. Le Ministère de la justice élabore la décision et la soumet au Conseil des ministres, qui décide en dernier ressort d’accorder ou non l’extradition.

55.     La Turquie est partie à la Convention européenne d’extradition de 1957, dont le paragraphe 2 de l’article 3 dispose que l’extradition ne sera pas accordée «… si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun était présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons». Cette clause, qui a force de loi en Turquie, est dûment respectée quand il s’agit d’examiner une demande d’extradition.

Article 4

56.     Les dispositions de l’article 4 de la Convention sont énoncées dans la législation turque. Les infractions qui y sont définies correspondent à la définition donnée à l’article premier de la Convention.

57.     Le Code pénal turc contient des dispositions spécifiques relatives aux sanctions applicables aux agents de l’État pour les délits visés dans la Convention. Ainsi, l’article 243 (sur l’obtention d’aveux par la torture ou des traitements inhumains) et l’article 245 (concernant les mauvais traitements infligés par des membres des forces de l’ordre) du Code pénal interdisent catégoriquement la torture et les mauvais traitements et prévoient de lourdes peines à l’encontre des agents de l’État qui commettent de tels actes. Le texte de ces articles est le suivant:

«Article 243

         Tout agent de l’État ou fonctionnaire qui torture une personne ou la soumet à un traitement cruel, inhumain ou dégradant en vue de lui faire avouer une infraction, ou d’empêcher une victime, un plaignant, une personne intervenant dans un procès ou un témoin de rapporter l’incident ou de porter plainte ou de signaler une infraction, ou parce qu’une personne s’est plainte, a signalé un délit ou a porté témoignage, ou pour tout autre motif, encourt une peine de réclusion criminelle pouvant aller jusqu’à huit ans, et est démis de ses fonctions soit à titre temporaire soit à vie.

         Si la victime de la torture meurt des suites des sévices, leur auteur encourt la peine prévue à l’article 452 (concernant l’homicide). Si les tortures ont entraîné la perte définitive d’un organe ou une invalidité permanente, l’auteur encourt la peine prévue à l’article 456.

(Le premier paragraphe de l’article 243 du Code pénal a été modifié par la loi no 4449 adoptée par le Parlement le 26 août 1999. En vertu de cet amendement, la peine d’emprisonnement maximale prévue dans l’article a été portée de cinq ans à huit ans. Plus important encore, la définition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants a été élargie et rendue conforme à celle de la Convention des Nations Unies et de la Convention européenne. Dans la rédaction précédente de l’article, il n’y avait infraction pénale que si l’«accusé» était torturé en vue d’obtenir des aveux.)

Article 245

         Les personnes autorisées à user de la force et tous les policiers qui, dans l’exercice de leurs fonctions ou sur ordre de leurs supérieurs, menacent d’infliger des mauvais traitements à une personne ou de porter atteinte à son intégrité physique, ou qui frappent ou blessent une personne dans des circonstances autres que celles qui sont prévues dans les lois et règlements, encourent une peine d’emprisonnement de trois mois à cinq ans et sont suspendues de leurs fonctions.»

(En vertu de la loi no 4449, la peine maximale fixée dans la première phrase de l’article a été portée de trois ans à cinq ans.)».

58.     La loi no 4449 a également modifié l’article 354 du Code pénal en vue d’aggraver les peines encourues par les membres du personnel médical qui falsifient des rapports afin de cacher des preuves de tortures ou de mauvais traitements. Un nouveau paragraphe 4 a été ajouté à l’article 354 afin d’ériger en infraction pénale l’établissement et l’utilisation de faux rapports, c’est‑à‑dire de rapports qui ne rendent pas compte de la vérité et sont rédigés de façon à cacher ou à faire disparaître les preuves d’un délit, d’actes de torture ou d’autres traitements cruels ou inhumains. Ainsi, l’article 354 se lit désormais comme suit:

         «Tout médecin, tout pharmacien, ou tout membre du personnel médical qui soumet un faux document devant servir à des fins officielles sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende d’un montant de 100 millions à 300 millions de livres. Quiconque utilise un document ainsi falsifié en connaissance de cause encourt la même peine.

         Si, sur la foi d’un faux certificat, une personne saine d’esprit est internée dans un hôpital psychiatrique ou contrainte d’y rester par la force ou subit tout autre préjudice grave, l’auteur du document est puni d’un emprisonnement allant de deux à quatre ans.

         Si l’infraction visée au paragraphe 1 est commise contre de l’argent ou un avantage d’un autre ordre, promis ou obtenu pour l’auteur ou pour un tiers, l’auteur sera puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans. Si le document a causé un préjudice selon les dispositions du paragraphe 2, l’emprisonnement sera de quatre à six ans.

         Si le faux document a été établi en vue de cacher un délit ou de faire disparaître des preuves de torture ou de traitements cruels ou inhumains, l’emprisonnement sera de quatre à huit ans.

         Le montant de l’amende prévue au paragraphe 1 sera doublé dans les cas visés aux paragraphes 2 et 3 et triplé dans les cas visés au paragraphe 4, en sus des peines fixées.

         Toute personne qui donne de l’argent, offre ou promet un avantage contre l’établissement d’un faux document du type visé ci‑dessus est punie d’un emprisonnement de un à trois ans et les sommes ou tout autre bien donnés ou reçus seront saisis.».

59.     Outre les dispositions spécifiques mentionnées ci‑dessus, le Code pénal contient des dispositions générales qui interdisent tout acte ou comportement causant un dommage corporel. Ainsi, tout acte ou comportement provoquant une lésion corporelle sans intention de donner la mort, ou un trouble mental est un délit puni d’un emprisonnement allant de six mois à 10 ans et d’une amende dont le montant est fonction des circonstances et de la perte subie par la victime (art. 456 à 460).

60.     Le fait d’infliger des dommages corporels est puni par l’article 456 du Code pénal. Selon ce texte, quiconque cause des dommages corporels ou occasionne une maladie physique ou mentale à autrui sans intention de donner la mort se rend coupable du délit de coups et blessures. Les deuxième et troisième paragraphes de l’article 456 et l’article 457 traitent des formes les plus graves de ce délit.

61.     En vertu du Code pénal, le délit de coups et blessures comporte l’un des trois éléments suivants: dommage corporel, maladie physique ou troubles mentaux. Il est puni d’un emprisonnement de six mois à un an (art. 456, par. 1). Quand les coups et blessures entraînent une incapacité sensorielle ou motrice permanente, une difficulté d’élocution permanente ou une cicatrice permanente au visage ou une maladie physique ou mentale durant 20 jours ou plus, ou un arrêt de travail de même durée, ou mettent la vie de la victime en danger ou, si la victime est une femme, la font avorter, l’auteur est passible d’un emprisonnement de deux à cinq ans (art. 456, par. 2). Lorsque les coups et blessures occasionnent à la victime une maladie mentale ou physique incurable ou probablement incurable, entraînent la perte d’une main ou d’un pied, la perte de la capacité de parler, la stérilité ou la perte de l’usage d’un membre, défigurent la victime ou provoquent l’avortement, l’auteur est puni d’une peine de réclusion criminelle de cinq à 10 ans (art. 456, par. 3). La peine est augmentée du tiers ou de la moitié si l’infraction est commise à l’aide d’une arme visible ou dissimulée (art. 457).

62.     En outre, aux termes du Code pénal, un fonctionnaire public qui, abusant de son autorité et en violation des loirs et règlements, prend une mesure arbitraire à l’encontre d’une personne ou d’un fonctionnaire public, ou qui ordonne ou fait ordonner une telle mesure, est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans (art. 228, par. 1). Un agent de l’État qui, dans l’exercice de ses fonctions, traite une personne avec une sévérité abusive ou lui fait violer des dispositions légales ou la fait désobéir à des ordres des autorités est également puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans (art. 228, par. 2).

Article 5

63.     L’article 3 du Code pénal est ainsi libellé: «Quiconque aura commis une infraction en Turquie sera puni conformément à la loi turque et un Turc qui aura été condamné pour une infraction dans un pays étranger sera de nouveau jugé en Turquie. L’étranger qui aura été condamné pour une infraction dans un pays étranger sera de nouveau jugé en Turquie si le Ministre de la justice le demande.» Dans l’application de cette disposition, il est tenu dûment compte des principes généraux du droit, y compris du principe non bis in idem.

64.     Les règles régissant la répression des infractions commises par les nationaux turcs dans un autre pays sont énoncées à l’article 5 du Code pénal. Conformément à cet article, si l’infraction commise est un crime (et non un délit) ne relevant pas de l’article 4 (crimes contre la sécurité du Gouvernement turc) qui en droit turc emporte une peine privative de liberté de trois ans au minimum, et si l’accusé se trouve en Turquie, il est puni selon la législation turque. Si le crime commis emporte une peine privative de liberté d’une durée minimum de moins de trois ans, l’engagement des poursuites peut être subordonné au dépôt d’une plainte de la victime ou du gouvernement étranger.

65.     Les règles relatives à la répression des infractions commises par les étrangers à l’étranger sont énoncées à l’article 6:

          a)       L’infraction est un crime ne relevant pas de l’article 4 et a été commise contre la Turquie ou contre un Turc: si elle est punie par la loi turque d’une peine privative de liberté d’un an au moins, si l’accusé est en Turquie et si le Ministre de la justice ou la victime demandent que des poursuites soient engagées, l’accusé est puni conformément à la loi turque;

          b)      Le crime est commis par un étranger contre un autre étranger: s’il est puni par la loi turque d’une peine privative de liberté de trois ans au minimum, s’il n’y a pas de traité d’extradition ou si l’extradition est refusée soit par le Gouvernement de l’État sur le territoire duquel le crime a été commis ou par celui de l’État dont l’auteur est un national et si le Ministre de la justice demande que des poursuites soient engagées, l’accusé est puni conformément à la loi turque.

66.     La compétence des tribunaux turcs est définie aux articles 8, 9, 10 et 11 du Code procédure pénale:

          a)       Le tribunal compétent pour connaître d’une infraction est celui du lieu où elle a été commise (art. 8);

          b)      Si le lieu où l’infraction a été commise n’est pas connu, le tribunal compétent est celui du lieu où l’accusé a été arrêté ou, s’il n’a pas été arrêté, celui du lieu où il a son domicile (art. 8);

          c)       S’il est impossible de déterminer quel est le tribunal comptent comme il est dit ci‑dessus, est compétent le tribunal qui fait le premier acte de procédure de l’instance pénale (art. 9);

          d)      S’agissant des infractions commises hors de Turquie et qui doivent faire l’objet de poursuites en Turquie conformément aux dispositions pertinentes du Code pénal, le tribunal compétent est déterminé conformément à l’article 9. Dans un tel cas, est compétent le tribunal du lieu où l’accusé a été arrêté, ou, s’il n’a pas été arrêté, celui du lieu où il a son domicile, ou, s’il ne réside pas en Turquie, celui du lieu de son dernier domicile connu (art. 10);

e)       Si une infraction est commise à bord d’un navire turc alors que celui‑ci est en haute mer, dans un port étranger ou dans les eaux territoriales d’un État étranger, ou, à bord d’un aéronef turc alors que celui‑ci est en vol, le tribunal compétent est celui du premier port turc où le navire accoste ou du premier point d’entrée en Turquie où l’aéronef atterrit, ou celui du lieu où le navire ou l’aéronef est immatriculé (art. 11).

Article 6

67.     Le paragraphe 3 de l’article 19 de la Constitution, mentionné au paragraphe 11 ci‑dessus, dispose que les personnes dont il y a des motifs sérieux de croire qu’elles ont commis un délit, peuvent être détenues par décision du juge, exclusivement afin d’empêcher leur fuite ou le changement ou la destruction des preuves. D’autres circonstances similaires nécessitant la détention et prévues par la loi peuvent également justifier une arrestation.

68.     Parallèlement à cette disposition de la Constitution, l’article 104 du Code de procédure pénale définit les circonstances dans lesquelles l’arrestation s’impose; un suspect est arrêté si le crime dont est soupçonné relève de la juridiction des tribunaux turcs.

69.     D’autre part, conformément aux conventions bilatérales et multilatérales d’extradition auxquelles la Turquie est partie, la personne à extrader peut être arrêtée à titre provisoire par décision du tribunal. (Le paragraphe 4 de l’article 16 de la Convention européenne d’extradition dispose que cette arrestation provisoire prend fin si, après 18 jours, la partie requise n’a pas été saisie de la demande d’extradition; elle ne peut en aucun cas excéder 40 jours après l’arrestation.) S’il est accédé à la demande d’extradition, le magistrat instructeur local peut lancer un mandat d’arrêt contre la personne visée (Code pénal, art. 9).

70.     La Turquie est devenue partie à la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, par l’adoption de la loi no 1901 du 20 mai 1971. En son article 36, la Convention fixe les principes qui régissent les relations entre l’étranger condamné ou arrêté et son consulat. Conformément à l’alinéa b du paragraphe 1, tout étranger arrêté ou détenu en Turquie en exécution d’une décision judiciaire est dûment signalé à son consulat et ce dernier peut entrer en relation avec lui, sauf si l’intéressé s’y oppose expressément.

Article 7

71.     Le Code pénal et le Code de procédure pénale turcs fondent le système selon lequel les tribunaux turcs traitent les crimes relevant de leur juridiction. Si celui qui a commis un crime visé au paragraphe 1 de l’article 7 de la Convention contre la torture et dont l’extradition est demandée en raison de ce crime n’est pas extradé, il est jugé en Turquie. Cependant, si un étranger commet un crime visé au paragraphe 1 de l’article 7 contre un autre étranger dans un pays étranger, il ne peut être poursuivi en Turquie que lorsque le Ministre de la justice le demande et que si le crime est passible, en droit turc, d’une peine restrictive de liberté dont le minimum légal n’est pas inférieur à trois ans.

72.     Ceux qui dont l’objet d’une enquête à raison des infractions visées à l’article 4 de la Convention sont soumis à l’action pénale de droit commun.

Article 8

73.     Outre la Convention européenne d’extradition, la Turquie a signé des accords d’extradition bilatéraux avec un certain nombre de pays. Le système juridique turc permet toutefois l’extradition même en l’absence d’accord avec l’État requérant. En l’absence d’instrument international, le principe de réciprocité peut être appliqué.

74.     En droit turc, les infractions visées à l’article 4 de la Convention entrent dans la catégorie des infractions pouvant donner lieu à extradition. Celle‑ci s’effectue conformément à l’article 9 du Code pénal, et selon les principes présentés plus haut au paragraphe 54.

75.     Comme la Turquie permet l’extradition même en l’absence d’accord bilatéral, les conditions fixées au paragraphe 2 de l’article 8 se trouvent satisfaites en pratique.

Article 9

76.     La Turquie fait partie d’un vaste réseau d’entraide judiciaire en matière pénale. Elle a ratifié la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 et a également conclu des accords bilatéraux en la matière avec plusieurs pays. De plus, elle répond en règle générale aux demandes d’entraide judiciaire, en application du principe de réciprocité, même s’il n’existe pas d’instrument qui pourrait l’y contraindre.

Article 10

77.     Les autorités turques sont convaincues qu’il sera possible de remédier aux problèmes isolés qui découlent généralement de pratiques d’agents de l’État en exercice dans les zones critiques, en intensifiant la formation du personnel en matière de droits de l’homme à tous les niveaux.

78.     Pour coordonner les efforts et les activités dans le domaine de l’éducation et de l’information relatives aux droits de l’homme, en 1998 le Haut Conseil des droits de l’homme a mis en place le Comité national de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme – organe chargé de fournir des conseils durant la Décennie. Ce Comité se compose de 15 membres, dont un représentant du Cabinet du Premier Ministre et un représentant par ministère concerné (justice, intérieur, affaires étrangères, éducation nationale, santé et culture) ainsi que de représentants de quatre organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l’homme et de quatre universitaires renommés pour leurs travaux dans ce domaine. Le Comité a élaboré le Programme national pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme (1998‑2007) en s’inspirant des directives et principes pertinents énoncés dans le Plan d’action des Nations Unies concernant l’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Dans le Programme national, adopté par le Haut Conseil en juillet 1999 et transmis par le bureau du Premier Ministre aux autorités concernées pour application, il est envisagé d’intensifier l’éducation dans le domaine des droits de l’homme, en particulier à l’intention des fonctionnaires chargés de l’application de la loi.

79.     Le Comité national est chargé de suivre l’application du Programme national et de coopérer avec les organisations gouvernementales et non gouvernementales ainsi qu’avec les médias aux fins de sensibiliser la population à l’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Le Comité national a identifié les groupes cibles ci‑après dans l’optique du Programme national:

-               Les enseignants chargés de l’éducation relative aux droits de l’homme à l’école;

-               Les fonctionnaires chargés de l’application de la loi (juges, procureurs, agents de l’administration pénitentiaire, policiers, gendarmes et autres);

-               Les professionnels des médias;

-               Les membres des organisations non gouvernementales s’occupant des droits de l’homme;

-               Les travailleurs sociaux et le personnel des centres communautaires qui dispensent une éducation dans le domaine des droits de l’homme aux familles vivant dans les zones urbaines défavorisées sur le plan socioéconomique.

80.     Conformément au Programme national pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme, toutes les institutions directement concernées par la réalisation de ces droits ont intensifié les activités de formation s’y rapportant menées dans le cadre de leurs programmes internes de formation en cours d’emploi.

81.     Des sessions de formation portant sur les droits de l’homme sont désormais obligatoires pour les candidats aux fonctions de juge et de procureur durant la période probatoire de deux années qu’ils effectuent au centre de formation des juges et des procureurs. Le Ministère de la justice a en outre intégré un module relatif aux droits de l’homme dans la formation en cours d’emploi dispensée aux juges et aux procureurs nommés après avoir effectué avec succès la période probatoire. Une formation relative aux droits de l’homme est dispensée aux juges et aux procureurs en coopération avec le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales et des programmes bilatéraux à cette même fin ont été mis en route avec un certain nombre de pays.

82.     Outre l’inscription de sessions de formation relatives aux droits de l’homme dans le programme d’enseignement, le Ministère de la justice organise des séminaires périodiques de formation en cours d’emploi à l’intention des membres de l’appareil judiciaire des différents échelons, les participants étant informés à cette occasion des obligations qui incombent à la Turquie en vertu des instruments des Nations Unies, des instruments de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ainsi que des effets de ces instruments en droit interne et des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Turquie. Durant ces séminaires, il est en particulier expliqué aux juges et procureurs les modalités selon lesquelles les dispositions de ces instruments peuvent être invoquées par les parties et prises en considération ipso facto dans les décisions judiciaires, étant devenues parties intégrantes du droit interne turc.

83.     Une formation relative aux droits de l’homme est également dispensée aux surveillants des établissements pénitentiaires ainsi qu’aux médecins, psychologues, travailleurs sociaux et enseignants exerçant dans les établissements pénitentiaires. Avant d’être nommés, les gardiens et agents de sécurité des prisons suivent également une formation préalable d’une année portant sur la profession choisie et les droits de l’homme, conformément aux dispositions du règlement sur la formation des candidats aux postes d’agent de la fonction publique relevant du Ministère de la justice avant leur nomination définitive. La formation du personnel pénitentiaire aux droits de l’homme est complétée par la diffusion dans tous les établissements pénitentiaires de livres, manuels et autres documents pertinents élaborés par des experts et des universitaires.

84.     L’intensification de la formation des responsables de l’application de la loi est considérée comme un moyen particulièrement efficace de promotion du respect des droits de l’homme. Dans cette optique, dès 1991, des cours obligatoires sur les droits de l’homme ont été inscrits au programme d’enseignement de l’Académie de la police et des écoles de police. Les manuels utilisés pour ces cours exposent la lettre et l’esprit des instruments pertinents des Nations Unies, des conventions du Conseil de l’Europe et d’autres instruments internationaux. La loi n° 4652 sur la formation supérieure des personnels de police élaborée suivant les recommandations du Comité national, adoptée par le Parlement le 25 avril 2001, est entrée en vigueur le 9 mai 2001. En application de ce texte, les 26 écoles de police de la Turquie, qui auparavant assuraient en neuf mois la formation de policiers, ont été transformées en écoles de formation professionnelle dispensant un enseignement de deux ans axé davantage sur la sensibilisation aux droits de l’homme.

85.     Au cours de la période couverte par le présent rapport, plusieurs séminaires, conférences et ateliers ont été organisés périodiquement au titre de la formation relative aux droits de l’homme dispensée aux fonctionnaires de tous les échelons relevant du Ministère de l’intérieur. Ils ont porté sur des points tels que les dispositions du droit interne turc relatives aux droits de l’homme, les devoirs et responsabilités incombant aux hauts fonctionnaires et aux agents chargés de l’application des lois dans le domaine des droits de l’homme en vertu tant des conventions internationales auxquelles la Turquie est partie que de la législation interne, les obligations incombant à la Turquie dans le domaine des droits de l’homme en application des instruments des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’OSCE, les attributions, méthodes de travail et procédures du Comité des Nations Unies contre la torture et du Comité européen pour la prévention de la torture, et les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

86.     Ces séminaires s’adressent principalement aux hauts fonctionnaires (gouverneurs de province et de district) et à de hauts responsables de la police et de la gendarmerie, qui sont coresponsables de la sécurité et du maintien de l’ordre dans les provinces et les districts et sont dans la pratique amenés à assurer la coordination des activités de ces services. Cependant, dans la pratique on veille à ce que les activités de ce type profitent non seulement aux cadres supérieurs mais aussi aux agents travaillant dans des services dont les attributions les mettent en contact direct avec la population. En conséquence, dans le cadre du projet concernant la formation aux droits de l’homme du personnel du Ministère de l’intérieur et des institutions en relevant, établi en collaboration avec le Comité national, le Ministère de l’intérieur prévoit d’assurer systématiquement une formation professionnelle portant directement sur les droits de l’homme  aux chefs et agents subalternes des services concernés (directions provinciales de la sécurité et divisions des équipes mobiles, du maintien de l’ordre, de la sécurité, de la circulation et de la répression de la criminalité organisée) et de poursuivre cette formation jusqu’à ce que le personnel ait été dûment formé et sensibilisé.

87.     Sous l’autorité du commandement central de la gendarmerie, des formations aux droits de l’homme sont dispensées dans les écoles de gendarmerie, qui ont jusqu’ici été suivies par 1 768 officiers et 25 012 sous‑officiers. La même formation est assurée dans les unités provinciales de gendarmerie à l’intention des officiers, des sous‑officiers et des hommes du rang.

88.     La coopération avec le Conseil de l’Europe en matière de formation de la police dans le cadre du programme «Police et droits de l’homme au‑delà de l’an 2000» est à un stade avancé. Un groupe de travail a été constitué qui doit définir l’évolution future des trois projets de coopération prévus entre le Conseil de l’Europe et la Turquie dans le domaine de la formation aux droits de l’homme des organes turcs d’application des lois, c’est‑à‑dire la traduction et l’utilisation de matériel de formation et de sensibilisation à l’usage de la police, la formation des formateurs des effectifs de police et de gendarmerie et la conception du nouveau programme à mettre en œuvre sur deux ans dans les écoles de police, y compris le «Projet de formation modulaire», ainsi que le nouveau programme de formation sur deux ans des sous‑officiers, qui débutera en 2003 pour la gendarmerie.

Article 11

89.     Les autorités turques procèdent de façon continue à un examen et à une actualisation des instructions, règles, méthodes et pratiques d’interrogatoire et des dispositions concernant la garde et la détention, dans le but de prévenir les cas de torture ou d’exactions de la part des fonctionnaires.

90.     Le Premier Ministre a publié le 3 décembre 1997 une circulaire intitulée «Le respect des droits de l’homme; la prévention de la torture et des mauvais traitements», qu’il a adressée à l’ensemble des organes chargés de l’application de la loi. Le texte de cette circulaire, qui figure à l’appendice II, a été rendu public à l’occasion d’une conférence de presse organisée le 4 décembre 1997 par le Ministre d’État chargé des droits de l’homme.

91.     Cette circulaire détaillée inscrit la nécessité de prévenir la torture et les mauvais traitements dans son contexte juridique, philosophique et politique et énonce un grand nombre de mesures détaillées couvrant un large éventail de mesures permettant de protéger contre la torture et les mauvais traitements. D’après la circulaire, la mise en œuvre de ces mesures est impérative et sera contrôlée par les autorités responsables. De fréquentes inspections des locaux de police et de gendarmerie par les gouverneurs de province et de district ainsi que par la hiérarchie des services de police et de gendarmerie sont prévues. Il est souligné que les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la durée de la garde à vue et au contact avec un avocat et avec les membres de la famille doivent être appliquées sans réserve.

92.     Il est aussi indiqué dans cette circulaire:

          a)       Les suspects ne seront pas soumis à des mauvais traitements, quel que soit le délit; toute allégation de torture et de mauvais traitements fera sans retard l’objet d’une enquête;

          b)      Une procédure sera engagée immédiatement contre les agents dont il est établi qu’ils ont participé à des actes de torture et des mauvais traitements et sera menée à son terme dans les meilleurs délais;

          c)       Les condamnés et les prévenus ne seront pas soumis à des brutalités ou à des traitements humiliants en prison ni pendant leur transfert.

93.     Une autre circulaire visant à prévenir les pratiques contraires aux droits de l’homme a été publiée par le Premier Ministre le 26 février 1998, dont le texte figure à l’appendice III. Elle introduit de nouvelles mesures renforçant le contrôle des procureurs dans le travail d’enquête pénale de la police. La circulaire prévoit ainsi l’inspection des cellules de garde à vue par les procureurs, mais aussi notamment la possibilité de consulter les services du procureur lorsque des rapports d’évaluation sont réalisés sur les fonctionnaires de police chargés des enquêtes pénales, l’équipement des procureurs avec des dispositifs leur permettant d’intercepter des transmissions radio de la police et de la gendarmerie à des fins de surveillance et la constitution, dans tous les services de procureur, d’unités chargées d’assurer une liaison et un contact permanents avec les organes d’application des lois et de veiller à la transmission rapide des instructions.

94.     Un fait nouveau particulièrement intéressant concernant l’article 11 de la Convention est l’introduction d’un règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire, entré en vigueur après sa publication au Journal officiel du 1er octobre 1998, qui a été diffusé à toutes les autorités concernées. Le texte intégral de ce Règlement est joint au présent rapport, à l’appendice IV. Les points sur lesquels portait la circulaire du Premier Ministre en date du 3 décembre 1997 y sont traités de façon plus large, plus exhaustive et plus détaillée. En substance, le Règlement vise à interdire l’usage de la torture et des mauvais traitements et à prévenir les disparitions, par une uniformisation des procédures d’arrestation, de garde à vue et d’interrogatoire, suivies par les forces de sécurité, notamment la police, la gendarmerie, les gardes‑côtes et les forces de sécurité spéciales. Il a donc pour objectif de mettre les procédures turques en conformité avec les dispositions de la Convention contre la torture et de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

95.     L’article 6 du Règlement prévoit des mesures importantes pour protéger l’individu au moment de son arrestation. En particulier, l’intéressé doit être informé, au moment de l’arrestation, de son droit d’aviser sa famille de sa situation, des motifs de l’arrestation et de son droit de garder le silence, quelle que soit la nature du délit. De plus, le «formulaire sur les droits des suspects et des prévenus», conçu pour informer la personne appréhendée de ses droits, doit être rempli au début de l’arrestation ou de la garde à vue et une copie signée doit en être remise à l’intéressé. Cette procédure permet à la personne arrêtée de prendre connaissance, sous forme écrite, de ses droits et doit garantir que les responsables de l’application de la loi ne tentent pas de la dissuader d’exercer son droit de consulter un avocat. Le formulaire a été distribué à toutes les unités concernées sous la forme d’une annexe au Règlement, lequel rend l’utilisation de ce document obligatoire.

96.     L’article 9 du Règlement fait obligation d’aviser les plus proches parents de toute personne arrêtée, à moins que cela ne nuise à l’enquête, et dresse la liste des actes de procédure à effectuer pour permettre à la famille d’être informée sans délai de l’arrestation. Pour les infractions de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État, si le fait d’informer la famille nuit à l’enquête, il faut le préciser par écrit.

97.     En vertu de l’article 10 du Règlement, s’il est fait usage de contrainte lors de l’arrestation ou du placement en garde à vue, il est obligatoire de déterminer l’état de santé de l’intéressé en procédant à un examen médical. Il est aussi obligatoire de rédiger un rapport médical à chaque fois que la personne change de lieu de détention pour quelque raison que ce soit, lorsque la garde à vue est prolongée, lorsque l’intéressé est remis en liberté, lorsqu’il est déféré à la justice ou quand son état de santé se détériore pour quelque raison que ce soit pendant la garde à vue. Pour ce qui est des tribunaux de sûreté de l’État, le même article prévoit que l’intervalle entre deux examens médicaux ne doit pas être supérieur à quatre jours dans l’éventualité d’une prolongation de la garde à vue. L’article 10 dispose par ailleurs que les examens médicaux doivent être réalisés en privé, en présence du seul médecin, à moins que cela ne nuise au bon déroulement de l’enquête ou que cela ne constitue une menace pour la sécurité personnelle du médecin ou du détenu, ou des deux.

98.     L’article 13 du Règlement, qui reprend les dispositions de la loi no 4229 présentée plus haut, aux paragraphes 43 à 47, dispose que «si une personne appréhendée pour des délits commis par une ou deux personnes n’est pas remise en liberté, elle doit être déférée devant un juge dans les 24 heures. Cette période ne comprend pas le temps nécessaire pour conduire l’intéressé devant le juge le plus proche. Si le délit relève des tribunaux de sûreté de l’État, cette durée est de 48 heures.».

99.     L’article 14 prévoit que la garde à vue peut être prolongée jusqu’à quatre jours au maximum, avec l’autorisation écrite du procureur en cas de délits collectifs, y compris ceux qui relèvent des tribunaux de sûreté de l’État, pour des motifs tels que la difficulté à recueillir des éléments de preuve, l’existence de plusieurs suspects ou d’autres motifs du même ordre. Si l’enquête n’est pas close au terme du délai malgré la prolongation, le procureur peut demander au juge de prolonger la garde à vue jusqu’à un total de sept jours avant que le suspect ne soit déféré au juge. Le même article prévoit aussi que pour les infractions commises dans les zones où l’état d’urgence a été déclaré et qui sont du ressort des tribunaux de sûreté de l’État, la période de sept jours peut être portée à 10 jours à la demande du procureur et sur décision du juge.

100.   La possibilité de prolonger la durée de la détention par des remises en liberté suivies de nouvelles arrestations est exclue par l’article 17, qui dispose que les personne mises en liberté ne peuvent être placées de nouveau en détention pour le même chef d’inculpation que s’il existe de nouveaux éléments de preuve et sur ordre du procureur.

101.   Le droit pour la personne appréhendée de rencontrer son avocat hors la présence de responsables de l’application de la loi est garanti à l’article 20 du Règlement, comme suit: «La personne appréhendée peut rencontrer son avocat à tout moment, sans que le mandat ne soit demandé et dans un endroit où la conversation restera confidentielle.».

102.   L’article 23, intitulé «Méthodes d’interrogatoire interdites», reprend les dispositions de l’article 135 a) du Code de procédure pénale, mentionné au paragraphe 26 ci‑dessus. Cet article se lit comme suit: «Les déclarations du suspect doivent être faites de son plein gré. Même s’il y a consentement, les déclarations obtenues à l’aide des méthodes interdites susmentionnées ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve. En conséquence, la personne arrêtée: a) ne peut être soumise à des pressions physiques ou psychiques qui empêchent l’intéressé d’exercer sa libre volonté, telles que les mauvais traitements, la torture, l’administration forcée de médicaments, la privation de repos ou la tromperie, ainsi que le recours à la force physique ou à la violence ou l’utilisation de dispositifs divers; b) ne peut pas se voir promettre des avantages illégaux.».

103.   Conformément aux décisions prises par le Conseil d’État en la matière, les articles 8, 18 et 21 du Règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire ont été modifiés par publication au Journal officiel d’une nouvelle version en date du 13 août 1999. En conséquence:

          a)       La fouille à corps des femmes avant leur transfert en cellule de garde à vue doit être effectuée exclusivement par une femme (nouvel article 8);

          b)      Les enquêtes préliminaires concernant les mineurs âgés de 11 à 18 ans doivent être réalisées par le procureur lui‑même ou par le substitut désigné à cet effet; les mineurs doivent bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue, même s’ils n’en font pas la demande et même si l’infraction dont ils sont soupçonnés relève des tribunaux de sûreté de l’État (nouvel article 18);

          c)       L’avocat a le droit d’examiner l’ensemble du dossier du détenu pour ce qui touche à ses déclarations, aux rapports d’expertise et aux procès-verbaux concernant les procédures auxquelles le suspect est autorisé à assister (nouvel art. 21).

104.   Une circulaire détaillée publiée par le Premier Ministre le 25 juin 1999 a introduit de nouvelles mesures visant à assurer la mise en œuvre effective du Règlement susmentionné par toutes les autorités publiques concernées tout en renforçant le contrôle de cette mise en œuvre. Le texte de cette circulaire est reproduit dans l’appendice V. Pour assurer l’observation sans faille des dispositions du Règlement, la circulaire prévoit que les gouverneurs de province et de district, les procureurs, les inspecteurs publics, les commandants de gendarmerie, les directeurs de police et autres agents habilités à procéder à des inspections réaliseront des visites aléatoires, sans préavis, dans le secteur de leur ressort, prendront rapidement les mesures nécessaires pour remédier aux déficiences constatées au cours de ces inspections et engageront les procédures requises contre les fonctionnaires fautifs. La circulaire dispose en outre que le Ministère de la justice et le Ministère de l’intérieur soumettront par écrit au Haut Conseil des droits de l’homme, rattaché au Cabinet du Premier Ministre, des rapports d’évaluation trimestriels, sur la base des informations reçues des organismes sous leur tutelle, rendant compte de l’application du Règlement et des conclusions des inspections aléatoires.

105.   Les Ministères de la justice et de l’intérieur ont dûment informé de cette disposition les organismes qui sont sous leur tutelle et ont pris les mesures nécessaires à sa mise en œuvre. C’est ainsi que les rapports trimestriels sur les résultats des inspections aléatoires sont régulièrement soumis au Haut Conseil des droits de l’homme.

106.   Dans ce cadre, les inspections inopinées visant à vérifier l’application du Règlement portent en particulier sur les unités d’interrogatoire, les cellules et autres locaux analogues des postes de police sur l’ensemble du territoire. L’état des équipements, le respect du Règlement et les conditions matérielles de détention reçoivent une attention spéciale au cours de ces inspections. Les insuffisances et les défauts constatés pour ce qui est des locaux où sont pratiqués les interrogatoires dans les centres de détention, de l’application des instructions, des registres de garde à vue et des certificats médicaux des experts sont présentés dans les rapports. Après évaluation par le Ministère de l’intérieur, ces rapports d’inspection sont envoyés directement aux chefs de la sécurité des provinces concernées, accompagnés d’une demande pour qu’il soit remédié sans délai à ces lacunes.

107.   Plusieurs enquêtes pénales et administratives ont été ouvertes à l’encontre d’un certain nombre de membres de la police de différents rangs pour des pratiques relevées au cours des inspections, qui étaient susceptibles de constituer des infractions pénales.

108.   Le défaut qui apparaît dans presque tous les rapports d’inspection est le mauvais état des lieux de détention. Les difficultés dans ce domaine sont principalement dues à la vétusté des structures des postes de police, au nombre insuffisant de locaux disponibles à l’heure actuelle et au manque de ressources disponibles pour en reconstruire ainsi qu’à l’inadéquation des terrains pour bâtir des locaux supplémentaires. Malgré ces problèmes, les efforts se poursuivent pour relever le niveau général des lieux de détention. Lorsque des locaux sont rénovés ou que de nouveaux bâtiments sont construits, une attention particulière est accordée aux unités de détention. C’est dans ce contexte qu’un projet lancé en 1997 sur la normalisation des lieux de détention se poursuit, selon la disponibilité des crédits budgétaires pour les réparations et rénovations de ce type de locaux.

109.   Dans une circulaire parue le 24 juillet 2001, reproduite à l’appendice VI, le Ministre de l’intérieur attire l’attention de toutes les autorités concernées sur les dommages causés à la réputation de la Turquie dans l’opinion publique internationale par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme contre la Turquie et par les indemnisations élevées accordées aux requérants. Étant donné que ces décisions concernent généralement des pratiques de fonctionnaires erronées, la circulaire donne des instructions précises pour remédier à ces dysfonctionnements. Il souligne ainsi la nécessité d’observer à la lettre les dispositions du Règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire, et met en particulier l’accent sur l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements, sur la nécessité d’intenter immédiatement une action en justice et de mener les enquêtes à bonne fin sans délai en cas d’allégation de torture ou de mauvais traitements et sur l’obligation d’inscrire sans exception toutes les personnes placées en garde à vue sur les registres, lesquels doivent être tenus de façon sérieuse et systématique. La circulaire dispose aussi que dans l’exercice de leurs fonctions, tous les membres du personnel sans exception doivent s’abstenir de tout acte ou toute intervention qui risque de donner lieu à une plainte pour abus de pouvoir ou usage de la force inutile ou disproportionné. Elle souligne également que les membres des forces de sécurité doivent veiller strictement à respecter la disposition imposant au juge ou au procureur de voir personnellement le suspect avant de décider de prolonger la garde à vue.

110.   Des unités de contrôle des gardes à vue ont été créées en 1995 sur l’ensemble du territoire turc pour répondre aux demandes des parents de personnes placées en garde à vue. Ces unités sont en activité dans toutes les directions provinciales de police et sont coordonnées par la Direction générale de la sécurité à l’échelle nationale.

111.   La tâche de fournir des avis scientifiques et techniques sur des sujets en rapport avec la médecine légale a été confiée par la loi no 2659 à l’Institut de médecine légale qui est placé sous la tutelle du Ministère de la justice. Dans certaines provinces, des unités rattachées à l’Institut fournissent des services de médecine légale dans les capitales de province où elles se trouvent. Ces services sont aussi assurés par les universités qui disposent d’un département de médecine légale. Cependant, ces institutions n’ayant pas l’infrastructure suffisante pour pouvoir proposer des services en permanence à l’échelle du pays tout entier, une part significative des services de médecine légale est assurée par des établissements rattachés au Ministère de la santé, conformément à la loi no 38 sur la médecine légale et à la loi sur les services de santé.

112.   Dans la droite ligne des efforts déployés pour moderniser les services de médecine légale et conformément aux décisions prises à cet effet au Haut Conseil des droits de l’homme, le Ministère de la santé a mis au point des formulaires types détaillés pour les examens médicaux pratiqués dans le cadre d’une expertise judiciaire (formulaire pour l’examen faisant suite à une agression sexuelle, pour les femmes et pour les hommes) qui devront être utilisés par tous les organes de son ressort sur l’ensemble du territoire. Ces formulaires visent à garantir que les médecins procèdent à une évaluation des allégations de torture ou de mauvais traitements portées contre les forces de l’ordre par les personnes en détention, rendent compte des constatations médicales objectives auxquelles ils arrivent après un examen approfondi et présentent leurs conclusions à la lumière de ces deux éléments.

113.   Par une circulaire détaillée datée du 20 septembre 2000 adressée à l’ensemble des directions provinciales de la santé, reproduite dans l’appendice VII, le Ministère de la santé a transmis ces formulaires à chacun des organes qui lui sont rattachés et leur a donné pour instruction de veiller à ce que les examens médicaux pratiqués sur les personnes en détention soient réalisés hors la présence de représentants des forces de l’ordre et a indiqué que s’il n’y a pas de médecin légiste dans la province, les détenus devaient être examinés toutes les 48 heures par un médecin d’un centre de santé. Il a aussi demandé que les formulaires de médecine légale soient établis en trois exemplaires: un qui sera conservé par l’établissement médical, un deuxième qui sera transmis par cet établissement au bureau du procureur compétent et le troisième, scellé et tamponné, qui sera envoyé au chef de l’unité de police concernée.

114.   Des mesures ont été prises afin de veiller à ce que tous les médecins appelés à examiner des personnes détenues par des représentants des forces de l’ordre se conforment à la circulaire et à ce que personne d’autre n’interfère dans cette tâche. Les formulaires joints en annexe à la circulaire sont devenus d’un usage systématique dans toute la Turquie et des programmes de formation ont été organisés à l’intention du personnel médical sur leur bonne utilisation.

Réforme du système carcéral

115.   La Turquie ne ménage pas ses efforts pour améliorer son système carcéral de façon à mettre les conditions de détention dans ses prisons en pleine conformité avec l’Ensemble de règles minima de l’ONU pour le traitement des détenus ainsi qu’avec les règles pénitentiaires européennes.

116.   Traditionnellement les locaux pénitentiaires sont agencés en vastes quartiers communs et regroupent la totalité ou la plupart des installations utilisées quotidiennement: dortoirs, espaces d’activité, sanitaires et cours de promenade adjacentes. Les prisons de type E, construites dans les années 70 et 80 en particulier, sont conçues sur ce modèle.

117.   Le système de l’emprisonnement en dortoirs appliqué en Turquie a eu des conséquences extrêmement néfastes, tout spécialement en ce qui concerne la réinsertion des prisonniers condamnés pour terrorisme. En effet, ces prisons sont devenues de véritables «centres d’endoctrinement» pour plusieurs organisations terroristes: des sympathisants y ont reçu une formation et s’y sont convertis en militants de la tendance dure. Il est devenu presque impossible pour le personnel d’assurer un contrôle satisfaisant des activités des détenus. De plus, en cas d’événements perturbateurs (désobéissance concertée, grèves de la faim, prises d’otages ou destruction de biens, etc.), il est devenu difficile d’éviter d’avoir recours à une intervention extérieure, ce qui suppose des déploiements de force considérables − avec pour corollaire un risque élevé d’atteinte à l’intégrité personnelle.

118.   Les organisations terroristes ont constitué des «comités centraux» dans les prisons, planifié de nombreux actes de violence de l’intérieur des prisons, fait passer à l’extérieur leurs instructions pour ces opérations par l’intermédiaire de messagers, et ont même organisé des formations militaires dans leurs quartiers. Plus particulièrement, dans les prisons où les détenus sont en majorité des condamnés pour terrorisme, les chefs de file des organisations terroristes régnant sur les quartiers ont convaincu ceux qui leur sont soumis de refuser les activités éducatives proposées par l’administration pénitentiaire, de faire obstacle au travail en atelier et aux programmes de formation professionnelle, de faire obstruction aux visites médicales ainsi qu’aux différents comptes et contrôles organisés régulièrement, ainsi qu’aux visites des familles, parents et avocats, de refuser le règlement intérieur des établissements, de fomenter des émeutes, de saccager des bâtiments et du matériel, de faire des grèves de la faim, parfois jusqu’à se laisser mourir et, à l’occasion, de s’en prendre même physiquement aux gardiens de prison, les prendre en otage ou les menacer de mort. Les détenus refusant d’obéir aux ordres des groupes terroristes ou tentant d’échapper à leur influence ont été catalogués comme des traîtres et soumis à des représailles, consistant par exemple à leur interdire la promenade, les forcer à rester en position debout, ou dans leur lit, à les empêcher de voir leur famille ou de se présenter au tribunal, intercepter leur correspondance, les empêcher de voir un médecin, extorquer de l’argent à leur famille, les menacer de mort, voire, parfois, les blesser ou les exécuter.

119.   Il s’ensuit que dans les établissements pratiquant le régime de l’emprisonnement en dortoirs, il était difficile, pour ne pas dire pratiquement impossible, d’atteindre l’objectif ultime du système pénitentiaire, qui est la resocialisation Les organisations terroristes en sont arrivées à diriger les prisons et l’autorité et le contrôle de l’administration pénitentiaire sur les établissements s’en sont trouvés gravement affaiblis.

120.   Avec l’aggravation de la surpopulation carcérale et la multiplication des troubles dans les établissements constatées ces dernières années, les problèmes inhérents au régime de l’emprisonnement en dortoirs se sont faits encore plus aigus et le besoin d’une réforme globale du système pénitentiaire encore plus pressant.

121.   C’est dans ce contexte que les autorités turques ont lancé deux grands projets. Le premier consiste à convertir les espaces communs de toutes les prisons de type E et de type spécial en des unités de taille plus réduite. Cette conversion en établissements de type cellulaire a été achevée dans 14 prisons et les travaux à cet effet sont encore en cours dans 61 autres établissements.

122.   Le second projet consiste à construire une nouvelle «génération» de prisons, dite de type F. Celles‑ci sont conçues de façon à assurer l’ordre et la sécurité dans les prisons, à permettre aux détenus de bénéficier de méthodes de traitement modernes, à ramener à un minimum les problèmes de sécurité et de discipline liés à l’entassement dans les dortoirs, à prévenir les effets psychologiques néfastes de cette surpopulation et à offrir aux détenus des lieux de vie plus respectueux de l’intimité ainsi qu’un environnement plus favorable à la participation à des activités sociales, culturelles et sportives.

123.   Ces établissements sont structurés en petites unités pouvant accueillir de un à trois prisonniers et sont avant tout destinés aux prévenus ou condamnés pour des infractions liées au terrorisme ou au crime organisé. Tant sur le plan de l’infrastructure physique que dans leur gestion, les prisons de type F sont équipées pour que les prévenus et les condamnés soient occupés une partie raisonnable de la journée à des activités utiles hors de la cellule sans que cela ne compromette la sécurité dans la prison, et elles comprennent tous les éléments requis pour atteindre l’objectif de l’exécution de la peine. En ce sens, les nouvelles prisons, dont 11 sont en construction dans différentes provinces sur l’ensemble du territoire, sont parfaitement compatibles avec l’Ensemble de règles minima de l’ONU pour le traitement des détenus ainsi qu’avec les règles pénitentiaires européennes.

124.   L’amélioration des conditions matérielles dans les prisons et la construction de nouveaux édifices comprenant des unités de taille réduite pour les dangereux criminels et les personnes condamnées pour terrorisme supposent un investissement financier considérable. La loi no 4301 sur la création et la gestion d’ateliers dans les prisons, adoptée par le Parlement le 6 août 1997, a contribué à résoudre les difficultés qui se posaient sur ce plan. Elle prévoit en effet que 25 % des frais perçus par les tribunaux et les notaires seront affectés aux prisons. La Turquie fait donc tous les efforts possibles, dans les limites des ressources dont elle dispose, pour éliminer les inconvénients nés du régime de l’emprisonnement en dortoirs et améliorer les conditions matérielles de détention dans les prisons.

125.   On travaille sans relâche à prendre les mesures administratives nécessaires pour atténuer les tensions dans les prisons et améliorer les relations entre personnel pénitentiaire et détenus. Comme il a été mentionné plus haut au paragraphe 83, les directeurs de prisons et leurs adjoints suivent chaque année, à dates fixes, des cours  au Ministère de la justice, où ils reçoivent une formation aux droits de l’homme. Ils informent régulièrement leurs subordonnés des questions relatives aux droits de l’homme et le personnel pénitentiaire suit également des formations continues dans ce domaine.

126.   Le protocole sur la bonne marche de l’administration, de la protection extérieure et des services de santé dans les institutions pénales et centres de détention, signé entre le Ministère de la justice, le Ministère de l’intérieur et le Ministère de la santé, et entré en vigueur le 17 janvier 2001, contient des dispositions détaillées relatives à l’admission, au traitement, à l’examen médical et au transfert des prisonniers conformément à la législation en la matière.

127.   On veille avec le plus grand soin à ce que les prisonniers nouvellement arrivés et ceux placés dans les cellules d’isolement ne soient pas victimes de mauvais traitements. À son arrivée, chaque prisonnier reçoit un manuel contenant le règlement pénitentiaire et exposant les droits du prisonnier.

128.   En attendant l’entrée en service des établissements pratiquant le régime de l’emprisonnement cellulaire, on lutte contre la violence entre prisonniers par tous les moyens disponibles. Ainsi, on veille à ne pas placer dans le même dortoir les prisonniers hostiles les uns aux autres − ou, si nécessaire, à les transférer dans une autre prison − et à séparer ceux qui ont commis des infractions suscitant particulièrement l’indignation dans la société du reste de la population carcérale.

129.   Les allégations de mauvais traitements de prévenus et de condamnés par des représentants des forces de l’ordre donnent toujours lieu à une enquête du procureur. À cet égard, on peut noter que des incidents regrettables se sont occasionnellement produits entre des détenus et des fonctionnaires alors que des détenus provoquaient des perturbations pendant leur transfert ou au cours d’interventions des forces de sécurité venues mettre fin à une mutinerie. Les incidents de cette nature font l’objet d’enquêtes conformément au Code pénal, pour établir les faits concernant aussi bien le comportement des détenus qu’un éventuel abus de pouvoir des fonctionnaires.

130.   De plus, afin d’être à même de lutter plus efficacement contre les troubles à l’intérieur des prisons (grèves de la faim, prises d’otages, incendies, sabotages, creusement de tunnels, émeutes et rébellion), sans pertes humaines, le Ministère de la justice et le Ministère de l’intérieur travaillent à constituer des équipes bien formées d’intervention d’urgence.

131.   Dans le cadre des mesures législatives visant à réformer le système carcéral, le Parlement turc a adopté, en peu de temps, un certain nombre de lois prioritaires proposées par le Ministère de la justice pour compléter les mesures administratives susmentionnées. On trouvera des informations sur ces nouveaux textes de loi dans les paragraphes 132 à 134 ci‑dessous.

132.   La loi no 4666, adoptée par le Parlement le 1er mai 2001 et entrée en vigueur le 5 mai 2001, porte modification de l’article 16 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme adoptée en 1991. Le nouveau texte met fin à l’interdiction des visites libres dont étaient frappés les détenus inculpés ou condamnés du chef des infractions visées par la loi no 3713 (les prisonniers ont le droit de recevoir des visites libres des membres de leur famille les jours fériés, religieux et nationaux, dans les conditions prescrites par le Ministère de la justice). Désormais, ces détenus peuvent recevoir la visite de leur conjoint et de leurs enfants une fois par mois. De plus, la loi no 4666 lève la restriction préalablement imposée aux prévenus ou condamnés pour activités terroristes et leur permet de passer maintenant une partie raisonnable de la journée dans les espaces à usage collectif des établissements, en compagnie d’autres détenus; ils peuvent participer à des activités sociales, culturelles, sportives et de réinsertion, suivre une formation en vue d’améliorer leurs compétences professionnelles dans les ateliers des prisons et fréquentent les bibliothèques des prisons à des fins éducatives. Le Ministère de la justice a publié, en date du 7 mai 2001, une circulaire détaillée à l’attention de tous les procureurs concernant les modalités de mise en œuvre de la loi no 4666.

133.   La loi no 4675 sur la création des juges de surveillance, adoptée par le Parlement le 16 mai 2001 et entrée en vigueur le 23 mai 2001, dispose que les plaintes des détenus concernant l’admission dans les établissements pénitentiaires, les locaux, l’alimentation, le chauffage, l’hygiène, les soins de santé, le travail et les communications avec l’extérieur ainsi que l’exécution des peines, l’autorisation d’être transféré dans un établissement à régime ouvert, les décisions de transfert et de remise en liberté et les précautions et mesures disciplinaires seront examinées par des juges de surveillance, qui rendront des décisions susceptibles de recours. Les plaintes peuvent aussi être présentées au nom des détenus par leur conjoint, leur avocat ou leur représentant légal. Avec cette loi, le contrôle judiciaire de l’ensemble des pratiques et activités à l’intérieur des prisons dans l’intérêt d’un fonctionnement adéquat de ces institutions a été encore renforcé.

134.   Avec l’adoption par le Parlement, le 14 juin 2001, de la loi no 4681 sur la création des conseils de surveillance des prisons (entrée en vigueur le 21 juin 2001), il a été prévu de créer des conseils de surveillance des prisons, composés de cinq à sept membres extérieurs au Gouvernement et indépendants. Cette loi vise essentiellement à remédier aux dysfonctionnements et déficiences observés dans le système carcéral, grâce à un contrôle des prisons exercé directement par des membres de la société civile. La loi précise que quiconque peut se porter directement candidat à ces conseils de surveillance, dont les membres seront élus par les comités judiciaires dans les circonscriptions judiciaires desquelles il y a une prison, ce qui en assurera l’indépendance et l’impartialité. Les membres des conseils auront un mandat de quatre ans. Les conseils de surveillance, qui devraient à brève échéance être au nombre de 140, répartis dans différentes provinces, seront habilités à observer et examiner les pratiques et activités en rapport avec l’exécution des peines et les processus de réinsertion dans les prisons ainsi qu’à demander des renseignements aux administrateurs et employés des établissements pénitentiaires; ils pourront interroger les détenus pour déterminer le bien‑fondé de leur plainte; informeront les autorités compétentes des problèmes relevés sur le plan sanitaire ou en ce qui concerne les conditions de détention, la sécurité interne ou les transferts, et présenteront, au vu de leurs observations et des informations dont ils disposent sur les prisons, des rapports trimestriels au Ministère de la justice, aux juges de supervision, aux procureurs et, le cas échéant, à la Commission d’enquête sur les droits de l’homme de la Grande Assemblée nationale.

135.   Les trois lois prioritaires présentées ci‑dessus ont pour objectif d’améliorer les conditions de détention dans les prisons turques. Elles font partie d’un ensemble global de textes qui sera achevé avec l’adoption d’un nouveau code de l’exécution des peines. L’ensemble de textes comprend aussi un projet de loi sur les centres de formation du personnel pénitentiaire, un projet de loi sur le budget afférent au personnel pénitentiaire et un projet de loi sur le régime de sécurité sociale des détenus qui travaillent, tous inscrits à l’ordre du jour du Parlement. Le projet de code de l’exécution des peines est en cours d’élaboration par une commission d’experts du Ministère de la justice.

136.   Nouvelle étape dans la réforme du système carcéral, l’article 155 du décret relatif à l’administration des établissements pénitentiaires et des centres de détention et sur l’exécution des peines a été modifié de façon à autoriser les détenus à téléphoner à leurs proches une fois par semaine; les modalités sont détaillées dans un règlement paru au Journal officiel le 23 juin 2001.

137.   Les autorités turques sont résolues à faire avancer cette réforme globale qui vise à rendre le système carcéral turc conforme aux normes internationales les plus strictes et attache la plus haute importance à la poursuite de la coopération et du dialogue étroits engagés avec les institutions internationales compétentes en la matière.

Article 12

138.   L’article 153 du Code de procédure pénale dispose que dès qu’il a connaissance de la commission d’un crime ou délit, le procureur est tenu de procéder aux investigations nécessaires pour déterminer s’il convient d’engager des poursuites. De ce fait, lorsqu’une personne signale ou dénonce des tortures ou des mauvais traitements au procureur, ce dernier est tenu d’ouvrir une enquête. S’il reçoit des informations portant sur des actes de torture ou des mauvais traitements, il doit ouvrir une enquête d’office, qu’une plainte ait été déposée ou non. Si l’enquête aboutit à une action en justice, la victime des actes en question peut y participer en qualité de partie intervenante.

139.   Conformément à l’article 235 du Code pénal, tout agent de l’État qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de la perpétration d’un délit ayant trait à ses fonctions et entrant dans la catégorie des délits poursuivis d’office, doit en informer l’autorité compétente. En outre l’agent de l’État qui commet un abus de fonctions d’une autre nature que ceux prévus par le Code pénal encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement (art. 240 du Code pénal).

140.   Entre 1994 et 2000, 6 416 procès pénaux ont été ouverts contre des membres des forces de sécurité accusés de violations des articles 243 (torture) et 245 (mauvais traitements) du Code pénal; dont 5 435 se sont achevés pendant cette période. Les statistiques annexées au présent rapport (appendice VIII) relatives aux agents de l’État contre lesquels des procès ont été engagés pour des infractions qualifiées aux articles 243 et 245 du Code pénal présentent, année par année, le type de sanctions imposées.

141.   Pour faciliter l’ouverture d’enquêtes et de poursuites contre les agents de l’État, la loi no 4483 sur l’obligation de rendre des comptes des membres de la fonction publique et autres employés de l’État a été adoptée par le Parlement en date du 2 décembre 1999. Après approbation du Président et parution au Journal officiel, la loi est entrée en vigueur le 4 décembre 1999. On en trouvera le texte intégral dans l’appendice IX. Cette loi a remplacé l’ancienne loi provisoire relative à l’action publique contre les fonctionnaires, qui datait de 1913 et n’était plus adaptée aux réalités actuelles.

142.   La loi n4483 définit les procédures à suivre pour ouvrir et mener les enquêtes s’agissant d’allégations d’infraction par des fonctionnaires ou autres agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions, sans porter atteinte à l’administration publique et de façon simple, efficace et rapide. En ce sens, la loi est conçue pour réprimer le recours à la torture et aux mauvais traitements ainsi que l’abus de pouvoir et pour prévenir l’impunité.

143.   Le nouveau texte clarifie bon nombre de questions touchant aux actions en justice contre des agents de l’État, détermine les organes habilités à permettre l’ouverture d’une enquête et précise les autorités habilitées à procéder à des examens préliminaires et à des enquêtes préparatoires.

144.   Une caractéristique importante de la loi no 4483 est qu’elle fixe un «délai impératif» pour la conclusion des affaires. La procédure pour poursuivre des fonctionnaires en justice est la suivante: à la réception de toute information ou plainte mettant en cause un fonctionnaire ou autre agent de l’État visé par la loi, le procureur doit en référer à l’administration à laquelle est rattaché le fonctionnaire mis en cause et lui demander l’autorisation d’ouvrir une enquête. Après un examen préliminaire, l’administration concernée doit rendre sa décision dans un délai maximal de 30 jours, période d’examen préliminaire comprise. Si nécessaire, le délai peut être reporté une fois de 15 jours au maximum. L’administration informera le procureur, l’agent de l’État mis en cause ainsi que la personne qui a porté plainte, de son accord ou de son refus. La décision est susceptible de recours de la part de l’agent de l’État si elle est positive et de la part du procureur ou de la personne qui a déposé plainte si elle est négative. Le délai d’appel est de 10 jours à compter de la notification de la décision de l’administration. Les recours de ce type relèvent du Conseil d’État ou du tribunal administratif régional de la juridiction de l’administration concernée. Ils sont examinés à titre prioritaire et doivent être définitivement tranchés dans un délai maximal de trois mois.

145.   Il s’ensuit qu’au total il ne doit pas s’écouler plus de quatre mois et demi pour que soit rendue la décision d’engager une action en justice. L’ancienne loi ne fixait aucun délai. En cela, la loi no 4483 vise à prévenir l’impunité des fonctionnaires du fait de la prescription et les rend comptables de leurs actes devant les tribunaux, pour tous les types d’infraction.

Article 13

146.   Conformément à l’article 74 («Droit de pétition») de la Constitution, les citoyens ont le droit d’adresser par écrit aux autorités compétentes et à la Grande Assemblée nationale de Turquie des pétitions et réclamations les concernant ou concernant le public. Ce même article dispose que le résultat des requêtes est communiqué par écrit aux requérants.

147.   Les modalités d’exercice du droit de pétition sont définies dans la loi no 3071 du 1er janvier 1984 («Exercice du droit de pétition»). Conformément à ce texte, le résultat d’une procédure engagée suite à la plainte d’un citoyen turc le concernant ou concernant le public lui est communiqué par écrit dans les deux mois au plus tard (art. 7). Cette loi fixe également les modalités d’exercice du droit de pétition auprès de la Grande Assemblée nationale.

148.   La dénonciation des crimes et délits est régie par l’article 151 du Code de procédure pénale, qui dispose qu’une infraction peut être dénoncée oralement ou par écrit auprès des procureurs, fonctionnaires de police ou juges de première instance. La dénonciation peut également se faire auprès des autorités, par l’intermédiaire des gouverneurs et responsables administratifs des villes et districts. Dès qu’il a connaissance de la commission d’une infraction, le procureur est tenu de procéder aux investigations nécessaires pour déterminer s’il y a lieu d’engager des poursuites (art. 153 du Code de procédure pénale).

149.   Si l’auteur de la dénonciation se trouve être aussi la victime, il peut, 15 jours après la dénonciation, faire objection auprès du président du tribunal le plus proche habilité à connaître des crimes graves et auquel le procureur est rattaché (art. 165). Si le tribunal est convaincu du bien‑fondé, en fait et en droit, de la dénonciation, il ordonne des poursuites. Le procureur exécute la décision (art. 168). Quiconque a été victime du même délit peut se joindre à l’action à toute phase de l’enquête (art. 365).

150.   Le faux témoignage et le faux serment tombent sous le coup de l’article 286 et suivants du Code pénal. Quiconque fait intervenir un tiers comme témoin, expert ou interprète afin de lui faire déposer un faux témoignage, en lui donnant de l’argent, en lui fournissant ou promettant des avantages, par l’incitation ou la menace, par fraude, tromperie ou influence, encourt une peine de réclusion criminelle de un mois à un an (art. 291).

151.   En vertu du paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention, les citoyens turcs qui se disent victimes d’une violation par la Turquie des dispositions de la Convention peuvent soumettre des communications au Comité contre la torture. Ils ont aussi la possibilité de présenter une requête individuelle devant la Cour européenne des droits de l’homme en faisant valoir que la Turquie a contrevenu à ses obligations au titre de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

152.   Parallèlement aux mécanismes internationaux susmentionnés, le cadre institutionnel national pour la protection et la promotion des droits de l’homme a été progressivement renforcé sur la période couverte par le présent rapport.

153.   La Commission d’enquête sur les droits de l’homme de la Grande Assemblée nationale de Turquie a été instituée par la loi n° 3686 du 5 décembre 1990, avec pour mission de protéger et promouvoir les droits de l’homme, conformément aux valeurs universelles contemporaines. Parmi les diverses attributions que ce texte confère à la Commission, il convient de citer les suivantes:

          a)       Suivre l’évolution de la situation dans les organes internationaux en ce qui concerne les droits de l’homme;

          b)      Déterminer les modifications à apporter pour mettre la Constitution et la législation nationale en conformité avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Turquie est partie et soumettre des projets d’amendements législatifs à cet effet;

          c)       Soumettre, sur demande ou de sa propre initiative, des avis et propositions concernant des points de l’ordre du jour des autres commissions spécialisées de la Grande Assemblée nationale de Turquie entrant dans son champ de compétences;

          d)      Déterminer si les pratiques de la Turquie dans le domaine des droits de l’homme sont conformes aux prescriptions de la Constitution, de la législation nationale et des instruments internationaux auxquels la Turquie est partie et, pour ce faire, entreprendre des recherches et suggérer des améliorations et des corrections;

          e)       Examiner les requêtes faisant état de violations des droits de l’homme et, si elle le juge nécessaire, les transmettre aux autorités compétentes;

          f)       Examiner si nécessaire les violations des droits de l’homme qui se produisent dans d’autres pays et appeler l’attention des parlementaires du pays concerné sur ces violations, directement ou par l’intermédiaire des organes interparlementaires existants.

154.   La Commission est composée de 25 membres, dont un président, élus par la Grande Assemblée nationale parmi ses membres. Les groupes parlementaires politiques et les non‑inscrits sont représentés à la Commission en proportion du pourcentage de sièges qu’ils occupent au Parlement, compte non tenu des sièges vacants. Les élections ont lieu deux fois par législature; les membres élus à la première élection ont un mandat de deux ans et ceux élus à la deuxième élection un mandat de trois ans. Les dépenses de la Commission sont imputées au budget général de la Grande Assemblée nationale de Turquie.

155.   La Commission d’enquête sur les droits de l’homme est investie de vastes pouvoirs d’investigation. Dans l’exercice de ses attributions, elle est habilitée à demander des informations aux ministères et aux autres départements gouvernementaux, aux autorités locales, aux universités et à diverses autres institutions publiques ainsi qu’aux établissements privés, à se rendre dans leurs locaux pour enquêter et à inviter leurs représentants à se présenter devant elle pour donner des renseignements. Si elle le juge nécessaire, la Commission peut également faire appel aux services d’experts de son choix et elle peut entreprendre des travaux ailleurs qu’à Ankara. Elle peut créer des sous‑commissions pour s’acquitter de sa tâche.

156.   La Commission soumet à la présidence de la Grande Assemblée nationale un rapport annuel ainsi que des rapports spéciaux sur la manière dont elle s’acquitte de sa mission et sur les problèmes rencontrés dans son domaine de compétences. Avec l’accord du Conseil consultatif, l’examen de ces rapports peut être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée plénière. Les rapports de la Commission sont en outre soumis au Premier Ministre et aux ministères concernés. Si la Commission le juge nécessaire, ils peuvent être transmis par la présidence de la Grande Assemblée nationale aux autorités concernées, accompagnés d’une injonction de remédier aux carences précises qui y sont signalées. La Commission peut également renvoyer une affaire particulière qu’elle a examinée à l’autorité judiciaire, assortie d’une demande d’ouverture de poursuites contre les fonctionnaires en cause.

157.   La Commission peut recevoir directement des plaintes de particuliers; il n’y a aucune condition précise à remplir. Tout citoyen peut adresser à la Commission une requête signalant des infractions de la part des autorités dans le domaine des droits de l’homme. Tous les plaignants sont informés au plus tard dans les trois mois des résultats des investigations entreprises suite à leur plainte.

158.   Depuis son entrée en activité, le 1er mars 1991, la Commission d’enquête sur les droits de l’homme a reçu plus de 5 000 plaintes portant sur différents sujets (notamment des disparitions de personnes, des allégations de torture ou de mauvais traitements, les conditions de détention, l’emploi, la retraite, l’immigration, les affaires de patrimoine et des questions judiciaires, des demandes d’indemnisation, etc.). Ces plaintes sont très utiles en ce qu’elles permettent de déterminer sur quel point portent principalement les griefs des citoyens et en ce qu’elles font apparaître les secteurs de l’administration publique dans lesquels le besoin de réforme est le plus urgent.

159.   Dans un certain nombre de cas, la plainte requiert une intervention immédiate de la Commission. Celle qui porte sur des actes de torture et de mauvais traitements imputés aux forces de sécurité en particulier donne immédiatement lieu à une action par l’intermédiaire du Ministère de l’intérieur, de la Direction générale de la sécurité et des procureurs et autorités au niveau des provinces. L’affaire peut aussi être traitée par une sous‑commission spécialement créée. Dans le contexte des plaintes pour torture et mauvais traitements, la Commission a pour principale mission de porter les allégations à l’attention des procureurs et autres autorités et de demander l’ouverture d’enquêtes.

160.   Outre la Commission parlementaire mentionnée, la Turquie s’est dotée d’un large éventail d’institutions relevant du Gouvernement ayant des compétences dans le domaine des droits de l’homme. Dans chacun des gouvernements qui se sont succédé depuis 1991, un ministre d’État a du reste été investi de responsabilités spéciales dans le domaine des droits de l’homme.

161.   La place des organes internes du Gouvernement chargés de la protection des droits de l’homme a été accrue et renforcée en application de la loi no 4643, approuvée par le Parlement le 12 avril 2001 et entrée en vigueur le 21 avril 2001. Ce texte porte création du Haut‑Conseil des droits de l’homme en remplacement du Comité de coordination dans le domaine des droits de l’homme entré en activité en 1997. Le Haut‑Conseil, présidé par le Ministre d’État chargé des droits de l’homme, anime l’action gouvernementale dans le domaine des droits de l’homme. Les sous‑secrétaires du cabinet du Premier Ministre et des Ministères de la justice, de l’intérieur, des affaires étrangères, de l’éducation nationale, de la santé et du travail en sont membres. Afin d’améliorer ses travaux, le Haut‑Conseil a la possibilité d’inviter à ses réunions, qui se tiennent une fois par mois, de hauts fonctionnaires d’autres institutions publiques, des représentants d’organisations non gouvernementales actives dans le domaine des droits de l’homme ou des universitaires spécialistes des droits de l’homme.

162.   Le Haut‑Conseil des droits de l’homme est chargé de formuler des recommandations à l’intention des ministères et institutions publiques intéressés et de soumettre des projets de loi en rapport avec la protection et la promotion des droits de l’homme. Il enquête aussi sur les allégations de violation des droits de l’homme en Turquie, les résultats de ses investigations étant publiés régulièrement. Il peut en outre se saisir de plaintes individuelles touchant aux droits de l’homme et les transmettre pour action aux autorités en cause. Le Haut‑Conseil, qui s’est doté de plusieurs sous-commissions dans le souci d’accroître son efficacité, a rendu à ce jour un nombre élevé de décisions d’ordre juridique et administratif et a veillé à la mise en œuvre de certaines d’entre elles, tout en fixant un calendrier pour les travaux préparatoires à la mise en œuvre des autres.

163.   Créé en application de la loi no 4643, le Département des droits de l’homme, relevant du cabinet du Premier Ministre, est chargé de coordonner les travaux des différents organismes gouvernementaux dans le domaine des droits de l’homme. Il fait office de secrétariat du Haut‑Conseil et son personnel se compose de fonctionnaires désignés par les ministères représentés au Haut‑Conseil. Ses principales fonctions sont les suivantes:

          a)       Assurer la coordination entre les services des droits de l’homme des différentes institutions publiques;

          b)      Veiller au respect des dispositions relatives à la protection et à la promotion des droits de l’homme des différents textes législatifs y afférents;

          c)       Assurer la coordination des travaux en vue de rendre la législation de la Turquie relative aux droits de l’homme conforme aux instruments internationaux auxquels la Turquie est partie et formuler des propositions à cet effet;

          d)      Coordonner la formation en cours d’emploi dans le domaine des droits de l’homme à l’intention des fonctionnaires des organismes officiels;

          e)       Enquêter sur les plaintes et allégations faisant état de violations des droits de l’homme et coordonner les mesures à prendre pour y remédier.

164.   Cette même loi prévoit la création au sein du cabinet du Premier Ministre d’un conseil consultatif des droits de l’homme chargé d’assurer la liaison entre les organismes gouvernementaux et les organisations non gouvernementales dans le domaine des droits de l’homme et de formuler des avis à l’intention des institutions concernées sur des questions internes et internationales en rapport avec le respect des droits de l’homme. Le Conseil consultatif sera composé de représentants des institutions publiques et d’organismes non gouvernementaux; il formulera des recommandations et soumettra des rapports sur la protection et la promotion des droits de l’homme.

165.   La loi no 4643 prévoit en outre la création d’antennes locales d’enquête sur les droits de l’homme – composées de représentants d’organismes officiels et non gouvernementaux, appelées à enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme à l’échelon local et à rendre compte de leurs conclusions aux autorités compétentes.

166.   En application d’un décret gouvernemental en date du 2 novembre 2000, des conseils des droits de l’homme ont été mis en place dans la totalité des provinces et districts de Turquie. Les conseils, immédiatement entrés en activité, sont chargés d’enquêter sur les plaintes et allégations concernant des atteintes aux droits de l’homme, de transmettre leurs conclusions aux autorités compétentes et d’assurer aux communautés locales une information sur les droits de l’homme. Dans ces conseils siègent des représentants des municipalités, des établissements universitaires, de l’ordre des avocats, de l’ordre des médecins, des chambres de commerce et d’industrie, des organisations non gouvernementales et des médias, ainsi que des fonctionnaires gouvernementaux.

167.   Afin de compléter le cadre institutionnel national de protection des droits de l’homme, un projet de loi prévoyant la création d’un poste d’inspecteur public (appelé à exercer les fonctions de médiateur) a été soumis au Parlement et est actuellement inscrit à l’ordre du jour de la Commission de la justice. Cette institution, qui sera conforme aux normes universelles tout en étant adaptée aux conditions propres à la Turquie, aura pour mission de protéger les droits des individus contre toute infraction de la part d’organes de l’administration.

Article 14

168.   Parmi les fondements du système juridique turc figure le principe de la responsabilité directe de l’État pour les abus ou infractions commis par ses agents. En conséquence, les demandes d’indemnisation de tout préjudice résultant de tels actes sont adressées à l’État.

169.   À ce sujet, l’article 40 de la Constitution dispose:

«Toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Constitution sont violés a le droit de demander à disposer des moyens qui lui permettent de saisir sans délai l’autorité compétente. Le préjudice subi par suite d’actes injustifiés commis par des agents de l’État est réparé par l’État conformément à la loi. L’État se réserve le droit de se retourner contre l’agent en cause.».

170.   L’article 125 de la Constitution («Voies de recours en justice»), dispose que tous les actes et décisions de l’administration peuvent faire l’objet d’un recours en justice et que l’administration est tenue d’indemniser tout dommage résultant de ses activités, actes et décisions.

171.   Conformément à l’article 129 de la Constitution, les actions en réparation des dommages résultant de fautes commises par des fonctionnaires et d’autres agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent être intentées que contre l’administration.

172.   L’article 13 de la loi no 657 sur la fonction publique dispose qu’en cas de perte imputable à un acte illégal d’un de ses agents, l’État est directement responsable et qu’une action en réparation est engagée devant un tribunal administratif. L’article 467 du Code pénal prévoit que toute personne victime de mauvais traitements ayant occasionné une perte ou un dommage peut intenter une action en réparation.

173.   C’est sur la base des dispositions constitutionnelles et légales susmentionnées qu’a été adoptée, le 7 mai 1964, la loi no 466 sur l’indemnisation des personnes soumises à une arrestation ou une détention illégale, en vertu de laquelle une indemnisation de l’État est due dans les cas ci‑après:

          a)       La détention ou l’arrestation a été illégale ou la détention a été illégalement prolongée;

          b)      L’intéressé n’a pas été immédiatement informé du motif de son arrestation ou de sa détention et des charges pesant sur lui;

          c)       La personne ou détenue n’a pas été déférée devant un juge dans les délais fixés par la loi;

          d)      L’intéressé a été privé de liberté sans décision de justice après expiration du délai légal fixé pour sa comparution devant un juge;

          e)       Ses proches n’ont pas été immédiatement avisés de l’arrestation ou la détention de l’intéressé;

          f)       L’intéressé a été arrêté ou détenu conformément à la loi, mais n’a pas été mis en jugement, ou a été acquitté ou relaxé à l’issue du procès;

          g)       La personne a été condamnée à une peine de prison d’une durée inférieure à la durée de sa détention provisoire ou n’a été condamnée qu’à une amende.

174.   L’article 2 de la loi n° 466 dispose que toute personne ayant subi un préjudice aux motifs énumérés à l’article premier peut intenter une action en dommages‑intérêts auprès du tribunal compétent du ressort de son domicile dans les trois mois à compter de la date à laquelle la décision concernant les allégations qui font l’objet de la plainte est devenue définitive.

Article 15

175.   Le principe du témoignage librement donné est un principe général du droit turc. Le droit de ne pas répondre est inscrit dans la Constitution qui dispose en son article 38 que «nul n’est obligé de faire une déclaration qui l’incriminerait ou incriminerait l’un de ses proches». Selon l’interprétation de ce paragraphe, cette disposition vise à empêcher que les détenus et prisonniers ne fassent l’objet de tortures ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

176.   Le droit de ne pas répondre est également inscrit dans le Code de procédure pénale. Comme cela a été mentionné plus haut au paragraphe 29, l’article 135 de ce code dispose qu’avant le début de l’interrogatoire, le suspect doit être informé de la nature des charges qui pèsent contre lui et indiquer s’il souhaite répondre. L’alinéa a de cet article, évoqué plus haut au paragraphe 26, dispose que, même s’il y a consentement les déclarations obtenues par la torture ou des mauvais traitements n’ont pas valeur de preuve dans les procédures judiciaires.

177.   L’article 254 du Code de procédure pénale dispose que les éléments de preuve recueillis illégalement à la suite d’actes d’instruction ordonnés par l’autorité chargée des poursuites ne peuvent pas constituer la base du jugement. Cet article vient renforcer le principe selon lequel les éléments de preuve, témoignages ou déclarations obtenus sous une forme quelconque de contrainte ne peuvent pas être pris en compte par les tribunaux.

Article 16

178.   En droit turc, tout acte provoquant des souffrances physiques ou mentales emporte  sanction. L’article 16 de la Convention trouve dans la législation turque son pendant avec  les articles 243 à 251 du Code pénal, qui sont reproduits ci‑dessous à l’exception des articles 243 et 245, dont le texte a déjà été présenté au paragraphe 57:

«Article 246

         Lorsque des agents de l’État s’approprient par voie de vente forcée ou de saisie, ou vendent sous de faux prétextes des biens meubles ou immeubles privés ou violent les droits de propriété d’un particulier sans motif d’intérêt public et sans en acquitter par avance le prix, les biens sont restitués à leur propriétaire; s’ils n’existent plus, les coupables seront tenus d’en rembourser la valeur, seront punis d’un emprisonnement de trois mois au minimum et de deux ans au maximum et seront frappés d’une incapacité temporaire d’exercer une fonction publique.

Article 247

         Tout agent de l’État ou toute personne chargée de percevoir les deniers publics, ou leur préposé, qui perçoit des taxes, droits ou redevances licites en sus du montant fixé par les lois et règlements est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans (six mois au maximum dans le cas du préposé). Le trop‑perçu sera rendu et le délinquant sera condamné à une amende égale à deux fois son montant.

Article 248

         Lorsqu’un agent de l’État perçoit à titre de châtiment, en sus de l’amende prévue par la loi, de l’argent ou quelque autre bien ou, pour une amende qu’il est habilité à percevoir, demande un montant supérieur au montant légal, il restitue le trop‑perçu ou le bien à son propriétaire et il est condamné à une amende égale à deux fois ce trop‑perçu, ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans.

Article 249

         Lorsqu’un agent de l’État ou toute autre personne fait travailler quiconque sans rémunération à des tâches n’entrant pas dans les services publics spécifiés par la loi ou les règlements ni réputés nécessaires dans l’intérêt public, il lui sera exigé un salaire correspondant à la rémunération locale des services rendus par la personne ainsi utilisée, à qui la somme sera remise; le coupable sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans, selon la gravité de l’infraction. S’il s’agit d’un agent de l’État, il sera frappé d’une incapacité temporaire d’exercer une fonction publique.

Article 250

         Les auxiliaires de la justice, chargés de délivrer des notifications ou des mandats, les soldats, gendarmes, militaires ou agents de l’État qui s’hébergent chez un particulier sans le consentement de celui‑ci ou prennent des vivres ou du fourrage sans en acquitter le prix, seront tenus de rembourser la valeur de ce qu’ils ont reçu et seront punis d’un emprisonnement n’excédant pas un mois. Lorsque des soldats ou des gendarmes commettent en réunion les délits définis dans le paragraphe précédant, le coût des biens pris sera exigé de leur supérieur hiérarchique; et ils seront punis d’un emprisonnement de six mois à trois ans. Quand l’infraction s’accompagne de contrainte ou de violence, la peine sera aggravée du tiers.

Article 251

         Lorsqu’un agent de l’État commet un crime à l’encontre de quiconque dans l’exercice de ses fonctions, la peine fixée par la loi impose pour ce crime est aggravée dans une proportion allant du tiers à la moitié, en l’absence de disposition particulière de la loi.»


Liste des appendices

I.            Récapitulatif des durées de détention et de garde à vue en Turquie.

II.           Circulaire du Premier Ministre datée du 3 décembre 1997.

III.         Circulaire du Premier Ministre datée du 26 février 1998.

IV.         Règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire.

V.          Circulaire du Premier Ministre datée du 25 juin 1999.

VI.         Circulaire du Ministre de l’intérieur datée du 24 juillet 2001.

VII.        Circulaire du Ministère de la santé datée du 20 septembre 2000.

VIII.       Données statistiques relatives à l’application des articles 243 et 245 du Code pénal turc.

IX.         Loi sur la responsabilité des fonctionnaires et autres agents de l’État.

X.          Lettre datée du 24 août 2001 adressée au Président du Comité européen pour la prévention de la torture.


Appendice I
Récapitulatif des durées de détention et de garde à vue en Turquie

Tableau A.  Législation antérieure

 

Délits et crimes individuels relevant des tribunaux ordinaires

Délits et crimes collectifs relevant des tribunaux ordinaires

Délits et crimes individuels relevant des tribunaux de sûreté de l’État

Délits et crimes collectifs relevant des tribunaux de sûreté de l’État

En temps
normal

24 heures*

Avocat*

24 heures*
+ 3 jours, sur décision du procureur*
+ 4 jours, sur décision du juge − Avocat

48 heures

15 jours

En situation d’urgence

24 heures*

24 heures*
+ 3 jours, sur décision du procureur*
+ 4 jours, sur décision du juge − Avocat

96 heures

30 jours

Tableau B.  Loi no 4229

 

Délits et crimes individuels relevant des tribunaux ordinaires

Délits et crimes collectifs relevant des tribunaux ordinaires

Délits et crimes individuels relevant des tribunaux de sûreté de l’État

Délits et crimes collectifs relevant des tribunaux de sûreté de l’État

En temps
normal

24 heures*

Avocat

24 heures*
+ 3 jours, sur décision du procureur*
+ 3 jours, sur décision du juge
Avocat

48 heures*
Arrestation ou libération après 48 heures
Avocat en cas d’arrestation

48 heures*
+ 2 jours, sur décision du procureur*
+ 3 jours, sur décision du juge
Avocat au bout de 4 jours

En situation d’urgence

24 heures*

Avocat

24 heures*
+ 3 jours, sur décision du procureur*
+ 3 jours, sur décision du juge
Avocat

48 heures*
Arrestation ou libération après 48 heures
Avocat en cas d’arrestation

48 heures*
+ 2 jours, sur décision du procureur*
+ 6 jours, sur décision du juge
Avocat au bout de 4 jours

Note: Toutes ces durées sont des durées maximales.

* Droit de présenter une plainte contre le placement en garde en vue ainsi que contre la décision du juge de prolonger la durée de la détention (habeas corpus).

Avocat: Droit de bénéficier des services d’un avocat.

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* Pour le rapport initial présenté par le Gouvernement turc, voir le document CAT/C/7/Add.6; pour son examen par le Comité, voir les documents CAT/C/SR.61 et 62, et Documents officiels de l’Assemblée générale, quarante‑sixième session, Supplément no 46 (A/46/46, par. 87 à 117).

Les appendices II à X au présent rapport peuvent être consultés au secrétariat.

 



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