University of Minnesota



Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Sénégal, U.N. Doc. CAT/C/17/Add.14 (1995).




Deuxièmes rapports périodiques que les Etats parties
devaient présenter en 1992

Additif

SENEGAL


/ Pour le rapport initial présenté par le Gouvernement sénégalais, voir le document publié sous la cote CAT/C/5/Add.19, pour le compte rendu de son examen par le Comité, voir les documents publiés sous les cotes CAT/C/SR.44 et 45 et Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-cinquième session, Supplément No 44 (A/45/44), par. 376 à 405.

[27 mars 1995]
TABLE DES MATIERES




Paragraphes
  I. Renseignements relatifs au cadre juridique général d'application de la Convention 1 - 20
II. Renseignements portant sur les dispositions de fond de la Convention21 - 106
Article 1 23 - 27
Article 2 28
Article 3 29 - 34
Article 4 35 - 38
Article 5 39 - 42
Article 6 43 - 47
Article 7 48 - 49
Article 8 50 - 52
Article 9 53 - 55
Article 10 56 - 57
Article 11 58 - 72
Article 12 73 - 100
Article 13 101 - 103
Article 14 104 - 107
Article 15 108 - 110
Article 16 111 - 116


I. RENSEIGNEMENTS RELATIFS AU CADRE JURIDIQUE GENERAL
D'APPLICATION DE LA CONVENTION

1. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été adoptée, par l'Assemblée générale de l'ONU le 10 décembre 1984. La République du Sénégal l'a ratifiée le 26 août 1986 après l'avoir signée. La Convention est entrée en vigueur le 26 juin 1987.

2. La Constitution sénégalaise ne donne pas expressément la définition de la torture. Toutefois, en proclamant en son article 6 le caractère sacré de la personne humaine et l'obligation de l'Etat de la protéger, elle condamne par là, de façon implicite, la pratique de la torture au Sénégal. Par ailleurs, malgré cette absence de définition constitutionnelle, la torture est visée par le Code pénal en son article 288, comme une circonstance aggravante, lorsqu'elle précède ou provoque la mort de personne. Dans un tel cas, ce texte prévoit qu'aucune circonstance atténuante ne pourra être accordée à l'auteur d'un tel crime, qui sera inévitablement condamné à la peine de mort. Et si l'acte de torture ne provoque pas la mort de la victime, la condamnation selon le même texte sera la peine d'emprisonnement à perpétuité.

3. Les articles 106 et suivants du Code pénal incriminent la torture exercée par les agents de l'Administration, lors des arrestations ou détentions d'individus, en application d'une loi, ils prévoient également des peines d'emprisonnement et d'amende à cet égard.

4. Enfin, l'article 59 du Code de procédure pénale prévoit des poursuites disciplinaires et même pénales à l'encontre des officiers de police judiciaire qui se livreraient à des actes de torture sur des personnes gardées à vue dans les locaux de leurs unités.

5. S'agissant des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ils ont également retenu l'attention du législateur sénégalais. C'est ainsi que l'exécution de la peine de mort, si elle a lieu, doit se faire dans l'enceinte d'un centre de détention, à l'abri de toute curiosité du public; aucune publicité dans la presse n'est admise et le corps du supplicié sera remis à sa famille, si elle le demande.

6. A propos de tortures, faut-il rappeler que la République du Sénégal est partie à d'autres instruments internationaux des droits de l'homme, qui interdisent également cette pratique. Il s'agit :

- du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

- du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;

- de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale;

- de la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid;

- de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

7. S'agissant de la place de la Convention contre la torture, dans l'ordonnancement juridique national, il faut se référer à l'article 79 de la Constitution, qui accorde aux instruments internationaux ratifiés par le Sénégal une autorité supérieure à celle de la loi nationale. Ainsi, dès lors où il est ratifié, l'instrument international s'insère valablement dans l'ordre juridique national et peut être directement évoqué devant toutes les juridictions nationales (en première instance, en appel, comme en cassation).

8. En ce qui concerne les autorités habilitées à constater les cas de torture, ou à recevoir des plaintes à ce sujet, l'on relève au Sénégal qu'il s'agit d'abord des autorités judiciaires, notamment le Procureur de la République, qui, selon les dispositions des articles 55 et suivants du Code de procédure pénale, sont chargées de la surveillance du déroulement de la garde à vue dans les unités des officiers de police judiciaire.

9. Il y a aussi le Procureur général près la cour d'appel qui, selon les dispositions des articles 12 dudit Code, a en charge le contrôle de l'exercice de police judiciaire sur l'ensemble du territoire national.

10. Il y a aussi les autorités administratives, en commençant par le garde des sceaux, Ministre de la justice, qui est le chef supérieur du parquet et est à cet égard chargé de la surveillance de l'application de la loi pénale.

11. Il y a enfin à ce niveau depuis 1991, le Médiateur de la République, chargé de recevoir toutes les réclamations des citoyens portant sur les dommages résultant des actions de l'administration et du pouvoir exécutif en général.

12. A cet égard, plusieurs cas de tortures ont été portés à la connaissance de ces autorités qui ont réagi selon les circonstances, et sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin dans ce rapport.

13. Pour ce faire, l'individu victime d'un cas de torture, peut :

a) soit porter plainte devant le Procureur de la République, ou le Procureur général près la cour d'appel, en raison des rôles que l'un et l'autre jouent dans le fonctionnement de la police judiciaire au plan régional et national;

b) soit présenter directement devant le juge d'instruction et porter plainte avec constitution de partie civile, ce qui a pour conséquence de mettre automatiquement l'action publique en mouvement, malgré l'inertie ou l'opposition du parquet;

c) soit adresser sa plainte au garde des sceaux, Ministre de la justice, en sa qualité de chef du parquet;

d) soit enfin adresser sa réclamation au Médiateur de la République, qui peut demander des justifications au garde des sceaux chargé de l'administration de la justice pénale.

14. La Convention contre la torture est d'application constante au Sénégal, où l'on n'enregistre pas de grosses difficultés qui l'entravent. Il est certain que ces dernières années, à l'occasion de procédures d'enquêtes, les forces de l'ordre ont été souvent mises en cause dans des cas de torture qui, une fois portés à la connaissance des autorités compétentes, ont fait l'objet de procédure d'enquêtes judiciaires.

15. Il en est ainsi du Médiateur de la République qui, lorsqu'il est saisi d'une telle réclamation, réagit aussitôt à l'endroit du garde des sceaux Ministre de la justice, en sa qualité de chef de parquet, et à qui il impose souvent un délai de réponse généralement de deux semaines.

16. L'examen du cadre juridique général d'application de cette Convention serait incomplet si l'on n'évoquait pas la nouvelle organisation judiciaire intervenue en mai 1992, avec la disparition de la Cour suprême. En effet, créée au lendemain de la proclamation de l'indépendance, cette haute juridiction s'était vu assigner deux missions essentielles. La première est relative à l'unification du droit positif, applicable au Sénégal à l'époque. L'on se rappelle que pendant la colonisation, face à la résistance du droit coutumier à l'époque islamisé, l'autorité coloniale fut contrainte d'en tenir compte en le codifiant et en l'appliquant au statut personnel des sujets dits "indigènes", qui n'avaient pas accès à la nationalité française. La seconde portait sur l'unification de l'ordre juridictionnel. En effet, l'existence de deux types de droit applicables avait entraîné la création d'une catégorie de juridictions chargées d'appliquer le droit traditionnel coutumier.

17. Ainsi, au lendemain de l'indépendance, le Sénégal disposait de deux ordres de juridictions, appliquant deux types de droit (moderne et coutumier). Trente-trois ans après, les pouvoirs publics ont constaté que la Cour suprême avait atteint les buts qu'ils lui avaient assignés. Ils ont décidé de la supprimer et de créer à sa place trois types de juridictions nouveaux. La philosophie de cette décision était également de faire correspondre l'option en faveur de l'Etat de droit, avec la réalité juridictionnelle du pays. Ce qui a entraîné la modification de la Constitution pour cette création de nouvelles juridictions. Il s'agit notamment :

a) du Conseil constitutionnel chargé de veiller à la constitutionnalité de tous les actes législatifs et aussi du contentieux électoral des élections présidentielles et législatives, le contrôle desdites consultations relevant de la compétence de la cour d'appel;

b) du Conseil d'Etat chargé de veiller à la légalité des actes administratifs du recours pour excès de pouvoir, lorsque l'acte administratif cause un préjudice à un citoyen. Il représente également la Cour des comptes des pouvoirs publics. Le Conseil d'Etat est composé de deux sections;

c) de la cour de cassation qui constitue la juridiction de recours pour toutes les violations de la loi en matière civile, commerciale, sociale et pénale. Elle est composée de trois chambres correspondantes et connaît de tous les pourvois en cassation en ces quatre matières.

18. Cette réforme judiciaire, intervenue en mai 1992, est immédiatement entrée en vigueur, et à l'heure actuelle toutes ces trois hautes juridictions fonctionnent à la satisfaction des justiciables.

19. Pour terminer ce passage sur la réforme judiciaire, il faut dire un mot sur le Conseil supérieur de la magistrature, qui a subi également une réforme au même moment. Il est composé désormais de magistrats du siège et ceux du parquet et surtout d'un collège de trois magistrats élus par leurs pairs. Bien que présidé par le Président de la République, le Conseil supérieur de la magistrature constitue l'organe essentiel de garantie de l'indépendance de la magistrature et de gestion de la carrière de tous les magistrats.

20. Il faut enfin rappeler la création en 1991 de la Médiature de la République qui, en l'espace de trois années, a su répondre à l'attention des populations sénégalaises, dans leurs rapports souvent difficiles avec leur administration, et cela en l'absence de procédures judiciaires, parfois longues et sans doute coûteuses.


II. RENSEIGNEMENTS PORTANT SUR LES DISPOSITIONS
DE FOND DE LA CONVENTION

21. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, comporte un certain nombre de caractéristiques qui la distinguent des autres instruments internationaux du même genre. En premier lieu, en exigeant des Etats d'interdire la torture dans leur législation nationale, elle interdit en même temps et de façon explicite l'évocation de l'ordre de loi en provenance des supérieurs hiérarchiques, ainsi que toute allusion aux circonstances exceptionnelles pour justifier de telles pratiques. En second lieu, elle prévoit que les auteurs de tortures peuvent être poursuivis et jugés dans tous les autres Etats parties à cette Convention. En troisième lieu, la Convention prévoit la possibilité d'une enquête internationale lorsque la preuve est faite que les responsables d'un Etat se livrent de façon systématique à des actes de torture.

22. Ces caractéristiques doivent être connues de tous les responsables chargés d'appliquer la loi, avant comme après la présentation du rapport périodique d'un Etat partie, comme le nôtre, qui a ratifié cette Convention avant même son entrée en vigueur pour marquer son attachement à l'idéal commun que constituent les droits de l'homme.


Article 1

23. L'article premier de cette Convention donne la définition de la torture, telle que conçue par la communauté internationale. Cette définition selon la Convention doit figurer en bonne place dans la législation nationale de chaque Etat partie.

24. Le Sénégal n'a pas encore introduit cette définition dans sa législation nationale, malgré les promesses faites par son représentant lors de la présentation du rapport final. Cependant, l'on note que lors de l'élaboration du projet de la loi modifiant le Code pénal, cette définition a bien été inscrite dans ce texte, qui n'a pas encore terminé le circuit administratif et parlementaire d'adoption.

25. Au cours de l'année 1994, le garde des sceaux Ministre de la justice, a créé une Commission nationale de réforme des textes qui avait, entre autres missions, celle d'adapter notre législation nationale à nos engagements internationaux, que sont les pactes et conventions souscrits dans le domaine des droits de l'homme. Cette commission est à pied d'oeuvre mais elle n'a pas encore déposé ses conclusions pour exploitation.

26. Malgré ce retard dans la prise en compte de cette définition dans notre législation nationale, celle-ci compte de nombreuses dispositions relatives à la torture. Ce sont, entre autres :

a) L'article 288 du Code pénal, qui fait de la torture une circonstance aggravante dans la répression de l'homicide volontaire, qui sera puni de la peine de mort ou de la peine d'emprisonnement à perpétuité selon que la victime décède ou pas;

b) L'article 106 du Code de procédure pénale, qui vise les cas de torture commis par les officiers de police judiciaire, lors du déroulement de la garde à vue, sur des personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction.

27. Le Rapporteur ne manquera pas de rappeler aux autorités compétentes notre promesse faite devant le Comité contre la torture sur l'introduction de la définition conventionnelle dans notre législation nationale.


Article 2

28. La torture est implicitement interdite en droit sénégalais dont la Constitution, en son article 6, proclame le caractère sacré de la personne humaine et l'obligation pour l'Etat de la protéger. Cette affirmation trouve sa justification dans les mesures de précautions prises avec la réglementation minutieuse de la gestion par l'exécutif des circonstances exceptionnelles que peut connaître l'Etat et qui peuvent servir de prétexte aux forces de l'ordre de se livrer à des actes de torture. Parmi ces circonstances exceptionnelles, on peut citer notamment :

a) Les pouvoirs exceptionnels de l'article 47 de la Constitution. Il s'agit des pouvoirs que la loi fondamentale attribue au Président de la République pour répondre à des situations qui menacent le fonctionnement régulier des institutions publiques. A ce propos, la Constitution pose plusieurs conditions qui visent à ce que ces pouvoirs ne soient utilisés à d'autres fins. D'abord, il faut qu'il y ait menace grave sur le fonctionnement régulier des institutions publiques qui doit être constatée aussi par l'institution parlementaire dont le Président est informé par le chef de l'Etat. Il faut que l'Assemblée Nationale se réunisse de plein droit si elle n'est pas en session, et ceci pour lui permettre de surveiller les mesures d'ordre législatif prises par le Président de la République, et de les ratifier postérieurement sous peine de leur caducité si elles ne lui sont pas soumises dans les 15 jours. Elle ne peut être dissoute pendant cette période d'exercice des pouvoirs exceptionnels. Dans le cas exceptionnel où l'Assemblé Nationale n'est pas en place, celle-ci est suppléée par le Conseil constitutionnel pour déclarer la conformité de ces mesures à la Constitution. S'il s'avérait que des actes de tortures sont ordonnés dans le cadre de ces mesures prises, ils seront dénoncés par l'institution parlementaire ou par la haute juridiction du pays.

b) L'état d'urgence et l'état de siège. Il s'agit pour le Président de la République devant des menaces graves de troubles à l'ordre public pour une quelconque raison, de gérer la vie sociale nationale au moyen de ces mesures. Là aussi, la loi réglementant ces deux mesures est fort détaillée en précautions pour que la proclamation de l'état d'urgence ou de siège ne soit pas utilisée comme prétexte pour exercer des actes de tortures sur les populations. Ainsi, selon la loi 69-29 du 29 avril 1969, le décret proclamant l'un ou l'autre de ces abus a une validité limitée à 12 jours. Aussi, l'Assemblée Nationale se réunit de plein droit si elle n'est pas en session pour surveiller les mesures prises et la conduite de ces états d'exception par le pouvoir exécutif et aussi pour proroger la durée du décret de proclamation au-delà de 12 jours. Une commission de surveillance est également mise en place pour contrôler l'application des mesures prises dans le cadre de l'état d'exception et qui peut être saisie par toute personne victime de préjudices dans ses droits fondamentaux. L'état d'urgence est exclusif de l'état de siège, c'est-à-dire que le Président de la République ne peut proclamer les deux états à la fois.

c) La réquisition des personnes et des biens. Si la proclamation de l'état d'exception permet de requérir les personnes ou leurs biens pour assurer la continuité du service public, cela ne peut en aucun cas être utilisé comme prétexte à des actes de torture sur les populations. Il s'agit essentiellement de requérir des personnes dont les activités sont indispensables pour cette continuité du service public. La même commission consultative de contrôle est également compétente pour se prononcer sur toutes les violations des droits avant la procédure judiciaire.

d) L'ordre de la loi et le commandement de l'autorité hiérarchique comme prétexte à la pratique de la torture. Très souvent, les forces de l'ordre évoquent l'ordre de leur supérieur pour justifier des cas de torture qui leur sont reprochés en se fondant sur les dispositions de l'article 315 du Code pénal. Ce texte vise le fait justificatif de l'ordre de la loi et le commandement de l'autorité légitime pour les exonérer de toute responsabilité pénale. A cet égard, les tribunaux sénégalais sont unanimes à considérer qu'aucun ordre provenant d'un supérieur hiérarchique ne peut justifier la pratique de la torture et exonérer les coupables de tels actes. C'est ainsi qu'en 1987, sept gardiens de la paix ont été condamnés par le tribunal de Dakar à des peines d'emprisonnement et d'amende pour fait de tortures, et qui a rejeté leur moyen de défense reposant sur l'ordre reçu du supérieur hiérarchique. Quant à l'ordre de la loi, il n'existe pas de disposition légale au Sénégal qui autorise la pratique de la torture sur une personne.


Article 3

29. Il s'agit pour tout Etat partie à cette Convention de ne pas refouler ni expulser une personne menacée de subir la torture au lieu où elle sera renvoyée, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser à l'existence de telles éventualités. A ce sujet, la législation sénégalaise (loi 71-10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d'admission et de séjour des étrangers) met les nationaux et les étrangers titulaires d'un titre de séjour régulier sur un pied d'égalité, en ce qui concerne l'exercice de la libre circulation et du choix de la résidence, sur l'ensemble du territoire national, sous réserve de nécessité de l'ordre public.

30. Le décret 71-860 du 28 juillet 1971, pris en application de la loi suscitée, réglemente de façon minutieuse la procédure d'expulsion d'un étranger. Si elle relève de la compétence du Ministre de l'intérieur qui agit dans ce cas par arrêté, motivé par des nécessités d'ordre public ou de sûreté nationale, cet arrêté est également susceptible de recours en annulation et cette procédure est suspensive d'expulsion ou de refoulement.

31. Enfin, lorsqu'elle a lieu, l'étranger objet d'expulsion choisit le pays où il désire se rendre, ce qui le met à l'abri de toute menace de torture.

32. En ce qui concerne le cas des réfugiés, ils font l'objet d'une protection spéciale en droit sénégalais. D'abord ils sont admis à ce statut par décision d'une commission présidée par un haut magistrat. La loi 68-27 du 24 juillet 1968, relative au statut des réfugiés, attribue à ceux-ci les mêmes droits économiques et sociaux qu'aux nationaux, une fois admis à ce statut. S'agissant de l'expulsion d'un réfugié du Sénégal, elle ne peut intervenir que pour des raisons impérieuses de sécurité nationale et après avis de la même commission, avec possibilité de recours pour excès de pouvoir contre la décision de cet organe. Signalons aussi que le délai de recours et le recours lui-même sont selon cette loi suspensifs. De même, en tout état de cause, si l'expulsion doit intervenir, la loi accorde au réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre dans un autre pays.

33. La même préoccupation de mettre les personnes admises dans le territoire national à l'abri d'actes de torture existe au niveau du texte régissant l'extradition au Sénégal, comme dans les instruments internationaux de coopération judiciaire qui lient notre pays aux Etats amis (bilatéraux et multilatéraux). Ainsi, dans tous ces documents, l'extradition est refusée en matière d'infractions politiques, ou à mobile politique (loi 71-77 du 28 décembre 1977 relative à l'extradition). Cette exclusion des infractions politiques des cas donnant lieu à l'extradition met également à l'abri d'éventuelles pratiques de torture, certaines personnes réclamées par leurs Etats pour des infractions de droit commun, mais en fait ayant un caractère de vengeance politique.

34. A ce propos, il faut signaler que le Sénégal est lié à une vingtaine d'Etats par des traités bilatéraux ou multilatéraux, de coopération, en matière de justice. Ainsi, nous notons, par exemple, que l'article 3 de la Convention est en rapport avec les contenus des articles 12 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; l'article 5 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale; et l'article 15 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.


Article 4

35. Au Sénégal, les infractions sont classées en :

a) Crimes punis de la peine de mort et d'emprisonnement à perpétuité ou à temps;

b) Délits spéciaux punis de peine d'emprisonnement de cinq à dix ans et d'amende;

c) Délits simples punis de peine d'emprisonnement de un mois à cinq ans.

36. La torture, rappelons-le, n'est pas incriminée en tant que telle en droit sénégalais, mais les allusions faites à elle dans le Code pénal la rangent :

a) Dans la catégorie de crime puni en tant que tel (art. 288);

b) Dans la catégorie des délits spéciaux, puni comme tel (art. 106 à 113 et 334), punis d'emprisonnement de cinq à dix ans.

37. Les cas de torture portés à la connaissance des autorités judiciaires compétentes, par voie de plainte, font systématiquement l'objet de poursuites à l'encontre de leurs auteurs membres des forces de police ou de gendarmerie. La liste est très longue et peut être tenue à la disposition du Comité en temps opportun.

38. Par ailleurs, les auteurs de torture membres des forces de police ou de gendarmerie sont également traduits en Conseil de discipline, selon les dispositions des textes statutaires qui les régissent. A cet égard, le Gouvernement sénégalais a institué une réunion mensuelle, composée des ministres chefs des départements de la justice, de l'intérieur et des forces armées (gendarmerie). Au cours de ces rencontres, tous les cas de poursuites judiciaires et disciplinaires à l'encontre des éléments des forces relevant de l'autorité de ces ministres sont examinés cas par cas et une décision est toujours prise, soit dans le sens de la sanction judiciaire, soit dans le sens de la sanction disciplinaire. Ces rencontres sont bien appréciées des pouvoirs publics, car elles permettent de suivre l'activité des forces de police et de gendarmerie, dans leurs rapports avec les citoyens en général.


Article 5

39. La compétence territoriale des juridictions pénales sénégalaises est strictement réglementée par le Code de procédure pénale. Ainsi, selon les dispositions de l'article 664 dudit Code, le juge pénal sénégalais est compétent pour connaître toutes les infractions qualifiées de crimes commises à l'étranger, à la condition que :

a) L'infraction soit punie au Sénégal;

b) L'auteur n'a pas été jugé définitivement à l'étranger;

c) L'auteur n'a pas purgé la totalité de sa condamnation ou bénéficie d'une mesure de grâce ou d'amnistie à l'étranger.

40. Dans le cas des infractions délictuelles sous la condition de la même qualification qu'au Sénégal, le juge sénégalais appliquera la loi nationale. Selon l'article 666 du Code de procédure pénale, lorsque le délit a été commis à l'étranger contre un particulier, il faut nécessairement une plainte de la victime, ou la dénonciation officielle, provenant des responsables de l'Etat dont il se réclame. Dans ce dernier cas, la poursuite ne peut être intentée qu'à la requête du ministère public, qui dispose d'un pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites. Les délits attentatoires à la sûreté de l'Etat ou contre l'humanité, selon les dispositions de l'article 664 du Code de procédure pénale, sont d'office de la compétence des juridictions pénales sénégalaises.

41. Les membres des forces de police et de gendarmerie coupables d'actes de torture sont jugés par le tribunal régional statuant en matière correctionnelle. Les officiers et officiers supérieurs des armées sont jugés par le même tribunal régional de Dakar, mais en formation spéciale, c'est-à-dire composé de magistrats professionnels et des officiers d'un grade correspondant à celui de l'officier poursuivi. Cette juridiction juge en premier et dernier ressort sans qu'aucune voie de recours ne soit ouverte pour le condamné.

42. Ces dispositions légales ci-dessus décrites ne font aucun obstacle aux poursuites d'infractions de torture commises au Sénégal ou à l'étranger, ce qui répond aux préoccupations de la Convention contre la torture.


Article 6

43. Le souci de la Convention est que l'auteur de torture, présent sur le territoire d'un Etat partie, doit être mis en état d'arrestation, pour qu'il réponde des faits qui lui sont reprochés. Toutefois, cette mesure ne doit pas se transformer en une autre occasion, de pratique de torture sur sa personne. Il doit bénéficier de toutes les garanties d'une procédure judiciaire, conforme aux principes généraux des droits de l'homme.

44. A cet égard, le droit sénégalais est irréprochable au plan procédural, car lorsqu'une personne auteur d'une infraction commise à l'étranger est présente sur son territoire, elle ne peut faire l'objet d'arrestation qu'à la demande d'un Etat étranger. Cet Etat doit justifier sa demande au moyen d'un mandat d'arrestation international, comportant les faits qui lui sont reprochés, les textes applicables, qui sont reproduits in extenso dans le mandat, et l'ordre d'arrestation en vue d'une extradition éventuelle. Ce mandat est remis à un officier de police judiciaire qui procède à l'arrestation du fugitif tout en établissant un procès-verbal, pour s'assurer de l'identité de l'intéressé.

45. L'officier de police judiciaire conduira le fugitif, accompagné du procès-verbal, chez le Procureur de la République qui procède à l'interrogatoire d'identité, pour s'assurer que le mandat s'applique bien à l'intéressé. Il délivre un écrou, dit extraditionnel, pour confier le fugitif au centre de détention le plus proche. Il informe la représentation diplomatique ou consulaire de l'intéressé la plus proche avec indication qu'elle peut prendre contact avec son ressortissant.

46. Le Procureur communique le dossier au Ministère de la justice, par la voie hiérarchique, en vue de la saisine de la Chambre d'accusation, pour avis sur l'extradition. Cette procédure bénéficie de toutes les garanties du droit de la défense, dans la mesure où le fugitif peut se faire assister d'un avocat. L'avis favorable de cette juridiction est suivi, pour le Ministère de la justice, de l'élaboration d'un projet de décret, autorisant l'extradition et soumis à la signature du chef de l'Etat. Le décret met le fugitif à la disposition de l'Etat requérant, avec indication qu'un délai d'un mois lui est accordé pour procéder à son transfert. Passé ce délai, il sera d'office mis en liberté et ne pourra plus faire l'objet d'une nouvelle arrestation pour les mêmes faits.

47. Lorsque l'extradition est refusée et, devant la matérialité des faits, le fugitif est remis à la disposition du parquet, qui entame la procédure d'enquêtes sur les faits reprochés et engage au besoin des poursuites à son encontre, conformément aux règles du droit commun.


Article 7

48. Lorsqu'il ne l'extrade pas, l'auteur de torture commise à l'étranger est poursuivi après la procédure d'enquête préliminaire, effectuée par un officier de police judiciaire. Le Procureur de la République, sur la base du procès-verbal dressé sur les faits reprochés, engage des poursuites judiciaires, soit en saisissant le juge d'instruction par un réquisitoire introductif, avec demande de mandat de détention, soit il décide de le traduire directement devant le tribunal des flagrants délits, lorsque les faits ne nécessitent pas d'investigations particulières. Dans ce cas, le mandat de détention est délivré par le Procureur de la République lui-même.

49. Dans tous les cas, l'inculpé bénéficie de toutes les garanties liées au droit de la défense (droit de se faire assister par un conseil, droit de demander sa liberté sous caution, de produire et faire entendre des témoins à décharge, et de se faire juger par un tribunal impartial dans un délai raisonnable, avec possibilité d'utiliser toutes les voies de recours ordinaires ou extraordinaires disponibles au Sénégal (appel-pourvoi en cassation)).


Article 8

50. La procédure d'extradition vient d'être décrite ci-dessus (voir art. 6). Toutefois, il convient de rappeler que le Sénégal dispose de deux types de procédures d'extradition, l'une conventionnelle, l'autre extraconventionnelle, ou ordinaire. La première repose sur les conventions de coopération judiciaire bilatérales et multilatérales qui la lient à d'autres Etats d'Afrique (22 au total), et la deuxième procédure ordinaire repose sur la loi 71-77 du 28 décembre 1971 relative à l'extradition et qui s'applique à toutes les demandes d'extradition émanant d'Etats non liés au Sénégal par une convention judiciaire.

51. Les deux procédures posent des conditions identiques d'extradition à savoir que :

a) Les faits incriminés soient qualifiés et punis de peines criminelles ou correctionnelles d'au moins deux années d'emprisonnement;

b) Les faits soient punissables par la loi sénégalaise;

c) Les faits incriminés ne soient pas politiques ou à mobile politique.

52. Il va sans dire que la torture, telle que définie ci-dessus, entre bien dans les catégories d'infraction susceptibles d'être retenues comme cause d'extradition au Sénégal vers l'étranger.


Article 9

53. Le Sénégal est l'un des rares pays du continent africain qui accorde la plus large entraide judiciaire, surtout au plan répressif. Ainsi, au niveau des services de répression, le Sénégal est membre de l'Organisation internationale de la police criminelle (INTERPOL) et, à cet égard, entretient des relations multiples avec tous les Etats du monde, dans le domaine de l'échange de renseignements, des éléments de preuve dans les procédures répressives, ou d'arrestation de délinquants de toutes sortes.

54. Au niveau judiciaire, dans le cadre des conventions, l'entraide judiciaire se ramène notamment :

a) Aux commissions rogatoires avec les autres juridictions au plan international;

b) Aux échanges de renseignements sur les condamnations prononcées à l'encontre de ressortissants étrangers, en vue d'alimenter le casier judiciaire central;

c) Aux procédures d'extradition des délinquants;

d) Aux procédures d'exequatur pour l'exécution de jugements prononcés à l'étranger;

e) Aux échanges de renseignements sur l'état-civil des personnes poursuivies en justice;

f) Aux procédures d'exécution des peines.

Cette entraide judiciaire s'effectue dans le cadre des conventions judiciaires et même en dehors de toutes relations conventionnelles (cas de l'entraide judiciaire avec l'Italie ou l'Allemagne).

55. Nous prenons à ce niveau en compte les dispositions de l'article 4, alinéa 1, de la Convention internationale pour l'élimination et la répression du crime d'apartheid et de l'article 4 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ratifiées par le Sénégal et qui traitent de la même question de l'entraide judiciaire.


Article 10

56. Depuis une décennie déjà, les pouvoirs publics sénégalais ont décidé d'introduire dans les programmes de formation des éléments composant les forces de répression, l'interdiction de la torture dans la conduite des procédures qu'ils ont en charge parce que constituant des cas de violations graves des droits de l'homme. Il s'agit notamment de :

a) l'Ecole nationale de police et de la formation professionnelle;

b) l'Ecole de formation et d'application de la gendarmerie nationale;

c) l'Ecole nationale des douanes;

d) l'Ecole nationale d'administration et de magistrature;

e) l'Ecole nationale de développement sanitaire et social.

Ces programmes ont vu tout récemment leur contenu s'élargir aux droits de l'homme en général (liberté individuelle et publique, protection des droits fondamentaux de l'homme).

57. Enfin, cette interdiction de la torture fait l'objet d'instruction officielle de la part des différentes hiérarchies dont relèvent ces forces de répression et qui prévoient également les sanctions disciplinaires à l'encontre d'auteurs de torture.


Article 11

58. La législation sénégalaise a prévu une surveillance systématique et permanente sur les méthodes d'enquêtes conduites par les agents chargés de l'application des lois et cela tant au niveau de la garde à vue qu'à celui de la détention avant jugement ou après jugement.

La garde à vue

59. Elle est strictement réglementée par les articles 55 et suivants du Code de procédure pénale qui fait peser plusieurs obligations sur l'officier de police judiciaire, entre autres :

a) De notifier la mesure à la personne contre laquelle il prend la mesure;

b) D'indiquer à son intention les motifs pour lesquels il est placé dans cette position;

c) D'informer immédiatement le Procureur de la République de l'heure de départ de la mesure;

d) De procéder aux interrogatoires en mentionnant dans le procès-verbal les heures d'interrogatoire et de repos, ainsi que tous incidents éventuels;

e) De faire signer les mentions par la personne gardée à vue ou son refus de signer qu'elle doit signer également;

f) De demander au Procureur de la République l'autorisation de prolongation aux termes des premières 48 heures, qui doit être expresse, signée et cachetée du magistrat;

g) Dans un tel cas, d'informer auparavant l'intéressé de cette demande de prolongation et lui indiquer son droit de se faire examiner par un médecin; dans l'affirmative, faire procéder à l'examen;

h) A la clôture de l'enquête, de signer le procès-verbal et le faire signer par l'intéressé ou la mention de son refus de signer;

i) De procéder au transfert de l'intéressé devant le Procureur de la République qui sera saisi de tous incidents ou difficultés rencontrés au cours de ce transfèrement.

60. L'article 59 prévoit, il faut le rappeler, des sanctions disciplinaires ou pénales en cas d'abus, c'est-à-dire de torture de la part de l'officier de police judiciaire.

La détention provisoire ou avant jugement

61. Elle est ordonnée par le juge d'instruction qui, s'il est considéré comme l'homme le plus puissant du pays, voit ses pouvoirs considérablement limités au Sénégal par les dispositions du Code de procédure pénale. Ainsi, au niveau de la comparution de la personne poursuivie, le juge d'instruction le fait venir devant lui au moyen d'un mandat de comparution. Il est tenu de l'interroger immédiatement, sans pouvoir différer cette première audition.

62. Au niveau du mandat d'amener décerné par lui, la personne appréhendée est directement conduite devant le juge d'instruction par la force publique et il est immédiatement procédé à son audition; à défaut, l'intéressé est conduit à la maison d'arrêt la plus proche où il ne peut être détenu plus de 24 heures, après quoi il est conduit par les soins du régisseur de ce centre devant le Procureur de la République qui requiert le juge d'instruction aux fins d'audition et, en cas d'empêchement de celui-ci, le Président du tribunal ou un autre magistrat désigné par lui procédera à l'audition, sinon il est immédiatement mis en liberté (art. 116).

63. La détention d'une personne pendant plus de 24 heures, alors qu'elle est sous l'emprise d'un mandat d'amener, est considérée comme arbitraire, et les fonctionnaires ou magistrats qui en sont coupables, tombent sous le coup des dispositions de l'article 110 du Code pénal (art. 117 CPP).

64. Au niveau du mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction contre une personne, celle-ci doit être entendue dans les 48 heures de son arrestation, sinon les mêmes dispositions que ci-dessus relatives à la mise en liberté immédiate sont applicables.

65. Si l'arrestation a lieu hors du ressort du juge d'instruction qui a décerné ce mandat, la personne est entendue par le Procureur de la République, qui informe le juge mandant et requiert son transfèrement (art. 183 CPP).

66. Au niveau du mandat de dépôt, qui est à la base de la détention provisoire, le juge d'instruction ne peut le délivrer qu'après interrogatoire de première comparution, si l'infraction encoure une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à deux ans. Dans ce cas, si l'inculpé est régulièrement domicilié au Sénégal, il ne peut être détenu plus de cinq jours après sa première comparution. Et dans le cas où l'inculpé est régulièrement domicilié dans le ressort du tribunal saisi, et avec les mêmes peines que ci-dessus, il ne peut faire l'objet d'aucun mandat de détention (art. 127 CPP).

67. Toutefois, ces mesures ne s'appliquent pas aux condamnés pour crimes ou délits, ni aux récidivistes. Toujours à ce niveau, hormis le cas où la détention provisoire est obligatoire (crime, détournement de fonds publics), le mandat de dépôt délivré par le juge d'instruction n'est valable que pour une durée de six mois, après quoi, il doit le renouveler par ordonnance motivée susceptible de voie de recours devant la Chambre d'accusation (art. 127 bis CPP).

68. Enfin, pour limiter l'usage abusif du mandat de dépôt de la part du juge d'instruction, la loi lui donne la possibilité de placer l'inculpé sous contrôle judiciaire, dont il fixe les conditions d'application (art. 127 ter CPP).

69. Dans tous les cas, toutes les ordonnances du juge d'instruction qui portent atteinte aux droits de l'inculpé, peuvent être frappées d'appel devant la Chambre d'accusation.

La détention après jugement

70. L'exécution de la peine prononcée par une juridiction pénale relève de la compétence du parquet qui envoie au régisseur de la prison un extrait du registre d'audience que ce dernier mentionne dans le registre tenu à son niveau.

71. Le déroulement de l'exécution de la peine privative de liberté est placé sous la surveillance du parquet au plan judiciaire et de la commission régionale ou départementale, pour la partie administrative. Cette commission, selon les cas, est présidée par le gouverneur de région ou le préfet du département, d'après l'implantation de la prison. Elle se réunit tous les trois mois pour examiner, sur place, tous les volets de la détention (peine, santé, hygiène, bâtiment, etc.).

72. Cette disposition de l'article 11 trouve des échos dans d'autres conventions ratifiées par le Sénégal. Il s'agit notamment de la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard

des femmes (art. 5), de la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid (art. 4) et de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 7).


Article 12

73. L'application de cet article 12 de la Convention se heurte à des obstacles sérieux au Sénégal, et cela provoque une controverse entre les pouvoirs publics de ce pays, d'une part, les organes de surveillance des droits de l'homme du système des Nations Unies, d'autre part, et certaines organisations non gouvernementales. Pour mieux cerner le problème, il convient dans ce rapport de le poser clairement tant du point de vue du droit (international et national) que de celui des faits à l'origine de la controverse.

74. Du point de vue du droit applicable, il s'agit essentiellement du droit international et du droit national sénégalais.

Le droit international

75. L'article 12 de la Convention contre la torture précise que "tout Etat partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction".

Le droit national sénégalais

76. L'article 79 de la Constitution dispose que "Tout traité, convention ou accord, régulièrement ratifié par l'Etat sénégalais, a une autorité supérieure à celle de la loi nationale, sous réserve de leur application effective pour l'autre partie".

77. Selon l'article 32 du Code de procédure pénale, "le Procureur de la République reçoit les plaintes et dénonciations et apprécie les suites à leur donner. Lorsqu'il décide de classer une plainte sans suite, il doit obligatoirement informer le plaignant de sa décision, qui est purement administrative, et lui indiquer qu'il lui appartiendra de mettre l'action publique en mouvement, en se constituant partie civile devant le juge d'instruction et à ses risques et périls".

78. Selon l'article 2 du Code, "l'action civile en réparation du dommage causé par toute infraction, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction." Il précise que, "la renonciation par la victime à l'action civile, ne peut ni arrêter, ni suspendre l'exercice de l'action publique, sauf devant un des cas d'extinction de celle-ci, prévue à l'article 6, alinéa 3, du même code".

79. L'article 3 du Code dispose que l'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction. "Cette action est recevable pour tous chefs de dommage, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découlent des faits objets de la poursuite. La partie lésée ou civile peut poursuivre devant la juridiction répressive, outre la réparation du dommage découlant du fait poursuivi, celle de tous autres dommages résultant directement de la faute de l'auteur de l'infraction".

80. Selon l'article 4 du Code, "l'action civile peut être également exercée séparément de l'action publique. Cependant, il est sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile, tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, lorsque celle-ci a été mise en mouvement par le parquet".

81. L'article 76 du Code dispose que "toute personne, selon ce texte, qui se prétend lésée par un crime ou un délit, peut en portant plainte devant le juge d'instruction, se constituer partie civile, soit en comparant personnellement ou par ministère d'avocat, soit par lettre. Elle précisera, soit en ce moment, soit ultérieurement, le montant de la réparation demandée pour le préjudice qui lui a été causé".

82. Selon l'article 78 du Code, la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l'instruction préparatoire.

83. Il y a aussi les textes de loi portant amnistie, la loi du 4 juin 1988, la loi du 10 juillet 1991 et la loi du 8 juillet 1993. Ces textes de loi d'amnistie ont été adoptés par le législateur sénégalais entre 1988 et 1993, en liaison avec l'évolution de la situation d'instabilité sécuritaire qu'a connue la région sud de Casamance, depuis le mois de décembre 1982. Ils avaient pour objectif, chaque fois que l'occasion se présentait aux pouvoirs publics, de ramener la paix dans l'ensemble du pays et de recoudre le tissu social national atteint par ces événements.

84. Selon ces textes, en leur article 8, toutes les infractions intervenues, de même que toutes les condamnations en matière criminelle ou correctionnelle, principales, connexes, accessoires ou complémentaires étaient amnistiées en vertu des premiers articles; elles devaient à jamais disparaître du casier judiciaire des intéressés condamnés. Par ailleurs, ils faisaient défense à tout agent de l'Etat de faire allusion à ces faits infractionnels, ou aux condamnations y afférentes, sous quelque prétexte que ce soit.

85. Du point de vue des faits, objet de controverse, l'on se rappelle que les années 80 ont été marquées par une instabilité grave au niveau de la région sud du Sénégal, la Casamance, et cela a entraîné l'intervention des forces de sécurité pour le rétablissement et le maintien de l'ordre. Ce conflit entre le pouvoir central et le mouvement séparatiste de cette région (MFDC) avait pris l'allure d'affrontements armés, entraînant des morts et des blessés de part et d'autre.

86. L'un de ces affrontements, celui dit de "Kaguitt", du 1er septembre 1992, fut particulièrement meurtrier, dans la mesure où il est intervenu au lendemain d'un accord signé entre le Gouvernement sénégalais et le mouvement séparatiste. C'est ce dernier qui a violé ses engagements, en reprenant les armes par surprise. De nombreuses personnes furent arrêtées par les forces de sécurité et présentées à la justice.

87. L'accord de 1993 devait entraîner la libération totale de tous les détenus liés à cet événement, avant même le jugement. Cependant, certaines organisations non gouvernementales sénégalaises et internationales ont repris ce dossier dit de "Kaguitt" à leur compte, en déposant, pour l'une d'elles, une plainte au niveau de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à Banjul et, pour l'autre, au niveau des organes de surveillance de la Commission des droits de l'homme à Genève. Ces plaintes comportaient une liste de noms de personnes qui auraient disparu ou auraient été exécutées de façon extrajudiciaire au cours de ces événements de septembre 1992.

88. Le Gouvernement sénégalais fut interpellé de part et d'autre avec demande de procéder à des enquêtes conformément aux dispositions de l'article 12 de la présente Convention et de traduire les coupables devant les instances judiciaires, en vue de subir des sanctions.

89. Les pouvoirs publics sénégalais, pour leur part, ont évoqué l'intervention des lois d'amnistie qui avaient pour effet d'effacer cet épisode tragique du Sénégal car, selon eux, une évocation nouvelle de ces faits aura pour conséquence de remettre en cause la paix déjà installée, voire la stabilité du pays.

90. Un autre fait tragique a marqué l'année 1993, précisément l'assassinat du Vice-Président du Conseil constitutionnel du Sénégal, le 15 mai de cette année-là. Plusieurs personnes furent mises en cause dans cette affaire et interrogées par les enquêteurs de la gendarmerie nationale (brigade territoriale de Dakar). Certaines d'entre elles ont été déférées devant la justice et inculpées d'assassinat et de complicité.

91. Les mêmes organisations non gouvernementales sont intervenues pour révéler que certaines de ces personnes mises en cause auraient subi des tortures au cours de leur garde à vue à la brigade de gendarmerie. A l'appui, elles produiront des photographies de presse, en demandant au pouvoir public d'ouvrir des enquêtes sur ces cas de torture, en l'absence de toute plainte de la part des victimes qui sont bien vivantes au Sénégal. Ces organisations non gouvernementales ont été suivies dans leur démarche par les mêmes organes de surveillance des droits de l'homme au plan international.

92. Pendant ce temps, deux des victimes, M. Mody Sy et Mlle Ramata Gueye, ont déposé, par leur conseil, une plainte régulière au parquet de Dakar qui a ouvert aussitôt une enquête judiciaire actuellement en cours. Pour les autres cas dénoncés, le parquet n'a pu réagir en l'absence de toute plainte de la part des victimes.

93. Enfin, un dernier événement intervenu le 16 février 1994 a entraîné la mort violente de six agents des forces de police et de particuliers. Des arrestations furent opérées dans les rangs des organisateurs de la marche, qui avaient provoqué ces émeutes. Une des personnes gardées à vue, M. Lamine Samb, est mort pendant le déroulement des mesures de garde à vue dans les locaux de la Division des investigations criminelles (DIC). Cela a amené les mêmes organisateurs humanitaires à proférer à l'encontre des enquêteurs des accusations de tortures ayant entraîné la mort de M. Samb et à demander l'ouverture d'une enquête sur cette affaire. Une plainte déposée par la famille du défunt fut suivie de l'ouverture d'une enquête judiciaire par le parquet de Dakar et qui est également en cours au niveau du juge d'instruction.

94. Au cours de ce même événement de février 1994, des députés de l'opposition avaient été arrêtés en flagrant délit et traduits en justice pour complicité. Leur cas avait également retenu l'attention des organes de surveillance de Genève. Mais ceux-ci ont bénéficié d'ordonnance de non-lieu et leurs dossiers classés, ce qui révèle au moins l'indépendance et l'impartialité de la justice sénégalaise.

95. Ces différents faits ci-dessus décrits ont donné lieu à de nombreuses controverses entre les pouvoirs publics sénégalais et les organisations humanitaires, d'une part, et les organes de surveillance des droits de l'homme, d'autre part.

96. Pour ce qui concerne les présumées disparitions et exécutions extrajudiciaires liées aux événements de Casamance en général, les organes de surveillance des droits de l'homme exigent l'ouverture d'enquêtes impartiales, en vue de découvrir leurs auteurs, qui seraient par la suite traduits en justice pour y être sanctionnés, conformément à l'article 12 de la présente Convention. Les pouvoirs publics sénégalais ont évoqué à cet égard l'intervention des lois d'amnistie, qui ne permettent plus de telles enquêtes, de nature à mettre en cause la paix retrouvée, la cohésion nationale et la stabilité des institutions publiques.

97. Les autorités sénégalaises se sont vu opposer l'article 79 de leur propre Constitution qui fait passer la Convention avant la loi nationale de l'Etat partie à cette norme internationale. Ainsi, s'agissant d'un instrument international multilatéral dont l'application réciproque relève de plusieurs Etats parties, cette situation devient une controverse qui tend à s'installer définitivement.

98. Pour les cas de torture qui avaient été commis au cours de l'enquête sur l'affaire Babacar Seye et celle du 16 février 1994, les organes de surveillance des droits de l'homme exigent également du parquet de Dakar des poursuites à l'encontre de leurs auteurs en vertu des dispositions du même article 12 de la Convention. Le parquet de Dakar, quant à lui, se retranche derrière les dispositions très claires du Code de procédure pénale, qui définissent les règles de son action en matière pénale et celles de la victime pour l'exercice de son action civile.

99. Pour lui, si les victimes ne le saisissent pas de plaintes parce qu'elles n'entendent pas joindre leur action à l'action publique, elles sont libres de l'exercer séparément en se constituant partie civile devant le juge d'instruction. Donc, pas de plainte, pas de poursuite de sa part. Les organes de surveillance des droits de l'homme soulèvent là aussi le contenu de l'article 79 de la Constitution pour demander au parquet de s'y conformer.

100. Ces séries d'affaires se transforment ainsi en controverse entre les différentes parties concernées et les pouvoirs publics sénégalais. En réalité, il s'agit là d'un affrontement entre deux thèses : celle de la légalité

internationale à celle de la légalité nationale, autre support de la paix, de la stabilité et, surtout, de la cohésion nationale si chères aux pouvoirs publics et au peuple sénégalais.


Article 13

101. Les victimes d'infractions en général et de tortures en particulier ont le droit de saisir la justice au Sénégal et, à cet égard, elles disposent de plusieurs types de procédures. Il y a d'abord la plainte, qu'elles peuvent déposer au niveau de tout officier de police judiciaire territorialement compétent et réclamer à ce niveau déjà des dommages et intérêts, en se constituant partie civile (art. 16, alinéa 2, CPP). Il y a aussi la plainte à déposer au niveau du Procureur de la République, qui fera ouvrir une enquête par les officiers de police judiciaire avant d'engager des poursuites

(art. 32 CPP). Il y a également la plainte, avec constitution de partie civile, devant le juge d'instruction et qui met automatiquement l'action publique en mouvement à l'initiative de la victime. Il y a enfin la citation directe par voie d'huissier devant le tribunal où la victime peut apporter directement les moyens de preuve en sa possession et obtenir jugement.

102. Quant au témoin, c'est celui qui sous la foi du serment relate devant une juridiction ce qu'il a vu ou entendu en liaison avec une infraction ou un litige. Il doit dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, sinon il s'expose à des sanctions pénales pour faux témoignage. Par contre, il bénéficie d'une protection efficace de la part du Code pénal qui le met à l'abri de toute intimidation, ou tout mauvais traitement lié à son témoignage de la part des parties au procès.

103. La liste est longue des affaires concernant des victimes de torture, dans les locaux de police ou de gendarmes qui ont déposé plainte et obtenu gain de cause auprès de la justice sénégalaise.


Article 14

104. Il faut rappeler d'abord les dispositions de l'article 2 du Code de procédure pénale, qui ouvre l'action civile en réparation du dommage causé par toute infraction, à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Cette action en réparation, selon l'article 3 dudit Code, est recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découlent des faits objet de la poursuite. Le texte ajoute que la partie lésée peut poursuivre devant la juridiction pénale, outre la réparation du dommage découlant du fait poursuivi, celle de tous autres dommages résultant directement de la faute de l'auteur de l'infraction. Il faut ajouter à cela que si le dommage est imputable à l'acte ou au fait d'un agent public, l'article 145 du Code des obligations de l'administration dispose que la responsabilité de l'Etat sera engagée pour sa réparation.

105. La combinaison de toutes ces dispositions légales constitue, pour toute personne victime de torture, une garantie certaine de son droit à une réparation équitable en droit sénégalais. Il va de soi que, si le préjudice a laissé des séquelles nécessitant une réadaptation fonctionnelle d'un membre de la victime de torture, elle aura droit à réparation de ce dommage particulier dans les mêmes conditions.

106. Les condamnations pénales en dommages et intérêts peuvent être exécutées par la voie de la contrainte par corps, dont la durée est fixée par la juridiction de jugement.

107. Les condamnations civiles en réparation de dommages résultant d'une torture sont réparées au moyen de saisie qui peut être immobilière, s'il y a inscription d'une hypothèque judiciaire, ordonnée, par exemple, par le juge d'instruction ou le tribunal en vertu des dispositions des articles 87 bis et 342 bis du Code de procédure pénale. La saisie-arrêt est aussi une voie d'exécution de la condamnation civile.


Article 15

108. La preuve dans la procédure pénale est soit à charge lorsqu'elle émane du ministère public, soit à décharge lorsqu'elle émane de l'inculpé, prévenu ou accusé. Cependant, lorsqu'elle est extorquée par la violence, la preuve n'a aucune valeur dans la procédure judiciaire au Sénégal. C'est ainsi que les tribunaux d'instance ou d'appel se méfient de l'aveu, qui représente toujours une preuve suspecte, parce que donné très souvent sous l'empire de la violence physique ou morale, c'est-à-dire la torture.

109. C'est le cas de l'article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale qui prévoit la nullité du procès-verbal d'audition de la personne gardée à vue, par refus de signer ou qui l'aura fait sous la menace des enquêteurs.

110. Cet article 15 de la Convention a des liens avec ceux d'autres conventions ratifiées par le Sénégal. Il s'agit des articles 14, 15 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 5 a) de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de l'article 15, alinéas 2 et 3, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.


Article 16

111. Il suffit de rappeler ici les dispositions des articles 106 et suivants du Code pénal relatifs aux actes attentatoires à la liberté ou à la sécurité d'une personne commis par les fonctionnaires et magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire, qui constituent des délits punis de peines d'emprisonnement et d'amende, ainsi que de la dégradation civique, lorsque le tribunal saisi retient la forfaiture à l'encontre de l'auteur.

112. Il faut rappeler aussi l'article 59 du Code de procédure pénale qui vise les actes de torture de la part des officiers de police judiciaire sur des personnes gardées à vue et qui peuvent entraîner des poursuites disciplinaires et pénales à l'encontre de leurs auteurs.

113. Enfin, le décret 66-1081 du 31 décembre 1966 portant régime pénitentiaire du Sénégal, fait interdiction aux gardiens de prisons de se livrer à des actes de torture sur les détenus placés sous leur autorité.

114. Cet article 16 de la Convention a aussi des liens avec les articles 6, 7 et 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 6 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

115. Le Sénégal a fait la déclaration prévue à l'article 22 de la présente Convention, selon laquelle il reconnaît à tout moment la compétence du Comité contre la torture pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa compétence, qui prétendent être victimes d'une violation par un Etat partie des dispositions de cette convention. Notre pays est également partie au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui donne une telle compétence au Comité des droits de l'homme, à l'égard du Sénégal. C'est ce qui a d'ailleurs permis à ce comité de recevoir et d'examiner des communications individuelles de citoyens sénégalais tels que Mody Sy, Famara Kone, Ramata Gueye.

116. Pour conclure ce rapport, il faut simplement admettre que la promotion et la protection des droits de l'homme est d'application au quotidien des Sénégalais et de leurs gouvernants. Dans tous les cas, la communauté internationale représentée par le système des Nations Unies peut être, à cet égard, citée parmi les témoins oculaires de cette affirmation



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