University of Minnesota


Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Paraguay, U.N. Doc. CAT/C/49/Add.1 (2000).

Troisièmes rapports périodiques des États Parties
devant être soumis en 1999

Additif

PARAGUAY


/ Le rapport initial présenté par le Gouvernement paraguayen porte la cote CAT/C/12/Add.3; il est rendu compte de l'examen de ce rapport par le Comité dans les documents CAT/C/SR.158, 159 et 161, ainsi que dans les Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième session, Supplément No 44 (A/49/44, par. 52 à 65). Pour le deuxième rapport périodique, il y a lieu de se reporter aux documents CAT/C/29/Add.1, CAT/C/SR.289, 290 et 292, ainsi qu'aux Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième session, Supplément No 44 (A/52/44, par. 189 à 213).

[14 juin 1999]

1. Respecter des droits signifie reconnaître qu'il existe des mécanismes internationaux de suivi et de surveillance et conférer aux particuliers la capacité de saisir ces instances internationales, qui ne doivent être considérées ni comme un quatrième degré de juridiction ni comme une cour de cassation, mais comme un système subsidiaire complétant l'appareil judiciaire interne.

2. Il n'en reste pas moins nécessaire, dans le cas de rapports généraux comme dans le cas de recours individuels, de vérifier lors du traitement des plaintes, la conformité des actes internes, administratifs, judiciaires et législatifs des États aux obligations découlant de traités. Cela signifie que la responsabilité internationale d'un État peut être engagée par un acte commis dans n'importe quelle branche de son administration.


3. L'épuisement des voies de recours internes avant de pouvoir soumettre des requêtes au niveau international n'est pas une règle absolue. En effet, si la législation interne ne prévoit pas de voies de recours ou n'offre pas les garanties d'une procédure régulière, si l'accès aux procédures de recours est impossible ou entravé, ou si celles-ci se révèlent inefficaces du fait de leur lenteur ou pour toute autre raison, il est possible de saisir sans délai une instance internationale. Sur un continent dominé par l'impunité à laquelle s'ajoutent des graves déficiences du système judiciaire, l'inefficacité de la justice interne constitue la règle.


4. Il s'agit non seulement d'établir des mesures législatives, mais encore d'adapter la structure étatique au changement, tant d'un point de vue judiciaire qu'administratif. À cet égard, la nomination, différée depuis si longtemps, d'un Défenseur du peuple permettrait de créer l'institution qui fait défaut pour examiner les plaintes des particuliers ayant trait aux violations des droits de l'homme, à des cas de mauvaise administration publique, ou au service public.


5. Le fait qu'un Défenseur du peuple n'a pas encore été nommé, pour des raisons politiques, souligne combien la création d'une institution constitutionnelle d'une telle portée et importance pour la protection des droits de l'homme, constitue une lacune dans l'action menée par la classe politique du Paraguay. Objet de grands espoirs depuis son instauration par la Constitution de 1992, cette institution suscite de nombreuses inquiétudes quant aux critères politiques qui pourraient primer sur ceux qui doivent prévaloir dans une entité de cette nature : adéquation, capacité et probité.


6. De la même façon, s'il était doté d'une organisation et des moyens appropriés, le Défenseur public, qui dépend de la Cour suprême de justice et qui a été mis en place pour la première fois cette année, pourrait avec les 70 Défenseurs des prévenus sans ressources sous ses ordres dans l'ensemble du pays, régler une infinité de plaintes présentées par des personnes dans le besoin et auxquelles ne donnent pas suite les Défenseurs des prévenus sans ressources qui ne suffisent plus à la tâche.


7. Un progrès important a été accompli à la suite de la mise en place de l'organe de défense générale dont la concrétisation et l'élargissement devenaient impératifs, étant donné que la pénurie de moyens matériels et de ressources humaines qui caractérisait cette institution rendait pratiquement impossible tout recours à la défense publique durant les procédures. Néanmoins, pour travailler efficacement, cette institution doit être dotée d'outils modernes de gestion et de contrôle lui permettant d'agir de façon rationnelle et efficace.


8. Une autre obligation, qui consiste à garantir l'exercice des droits, suppose la réorganisation du système judiciaire, de telle sorte que les victimes de violations des droits de l'homme puissent disposer d'un moyen de recours efficace pour obtenir satisfaction.


9. La loi No 838/95 sur l'indemnisation des victimes de la dictature est finalement entrée en vigueur. Cependant, elle ne sera appliquée que lorsque sera nommé le Défenseur du peuple qui est chargé de l'octroi des indemnités. Cette loi avait été élaborée dans le but de faciliter l'indemnisation des victimes qui devaient jusqu'alors engager une procédure judiciaire laborieuse pour faire valoir auprès de l'État leur droit à des indemnités.


10. Par ailleurs, l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal et du nouveau Code de procédure pénale constitue un progrès dans le processus d'amélioration de la justice.


11. Le nouveau Code pénal (loi No 1160/97), qui a pris effet cette année, contient pour la première fois une qualification de la torture et punit d'une peine de cinq ans d'emprisonnement au moins l'atteinte à l'intégrité physique de la personne, qui auparavant n'était pas sanctionnée pénalement. Le nouveau Code punit, en outre, le fait, pour des fonctionnaires, d'obtenir des déclarations sous la contrainte, de poursuivre une personne innocente ou de la condamner à une sanction pénale. Dans la pratique, ces dispositions se révéleront être un instrument très utile pour lutter contre l'impunité des actes de violence et de torture commis par des agents de la fonction publique.


12. Le nouveau Code pénal suscite un grand espoir au sein de la population carcérale, notamment en ce qui concerne les peines de substitution à l'emprisonnement, et les mesures destinées à éviter la détention provisoire abusive d'un grand nombre de prévenus non condamnés. Cela étant, l'application opportune de ces mesures dépendra des juges, car sans leur volonté de les mettre en oeuvre, il ne sera pas possible de remédier à la surpopulation carcérale.


13. Peu de temps après son accession au pouvoir, le précédent gouvernement national, dirigé par M. Raúl Cubas, a présenté, par le biais du Ministère de la justice et du travail, un "Plan stratégique de modernisation du système pénitentiaire - la justice en marche vers le XXIe siècle". Tout d'abord, ce plan a ceci de positif qu'il dénote une volonté d'aborder le problème du système pénitentiaire dans le cadre de l'institution dont c'est la vocation : le Ministère de la justice et du travail. Il est encourageant de voir le Gouvernement se préoccuper des questions pénitentiaires et de savoir, comme il a déclaré dans un document, qu'il "se lance dans une course contre la montre pour privilégier en priorité les actions qui, par leur importance et leur application immédiate, tendent à atténuer les tensions accumulées du fait de l'indifférence des institutions qui transparaît derrière le manque de respect envers la dignité humaine ...". Ensuite, le processus de modernisation s'effectuera sur la base des critères et des modalités exposés dans le plan : constatation d'une nécessité de changement, réalisme, définition d'objectifs stratégiques et mise en oeuvre d'un plan d'action. Une série d'objectifs est ainsi déterminée à partir des obligations spécifiques qui découlent du principe de respect de la dignité humaine dans ce domaine.


14. La réforme structurelle du système de justice pénale présente un corollaire très important : l'institution de l'application des peines. La nouvelle législation établit que les questions relatives aux condamnations et à la détention provisoire seront désormais du ressort des juges de l'application des peines, et relèveront de leur pouvoir décisionnel. Les nouvelles lois, d'une part, confèrent un droit de regard au pouvoir judiciaire sur l'administration en ce qui concerne sa gestion dans le domaine pénitentiaire, ainsi que sur toutes les questions ayant trait au sort des détenus, et, d'autre part, prévoient l'application de diverses peines de substitution à l'emprisonnement, lesquelles seront prises ou révisées dans certains cas par le pouvoir juridictionnel.


15. Au sens strict, il s'agit là du suivi judiciaire des condamnations, puisque le juge de l'application des peines connaît de tous les incidents susceptibles de survenir, dès lors qu'une peine est définitive et exécutoire, comme il est indiqué à l'article 43 du Code de procédure pénale. Toutefois, étant chargé de "... l'accomplissement des buts de la détention provisoire", le juge de l'application des peines intervient directement dans le sort des prévenus, le traitement qu'ils reçoivent et les sanctions qui leur sont normalement appliquées par l'autorité administrative responsable des établissements pénitentiaires du pays.


16. Le juge de l'application des peines s'acquitte de deux fonctions : premièrement, assurer le suivi judiciaire des peines privatives de liberté; et, deuxièmement, veiller au bon fonctionnement des établissements pénitentiaires. Cela permettra de faire face à deux problèmes de fond qui se posent en matière d'incarcération :


a) Insuffisance du contrôle exercé par la justice. Les décisions les plus importantes sont en effet prises par l'administration pénitentiaire sans que la justice intervienne;


b) Insuffisance des voies de recours pour le détenu qui se trouve ainsi sans défense face aux autorités administratives lorsqu'il risque d'encourir des sanctions.


17. L'État a l'obligation de maintenir l'ordre social, mais la prédominance de l'impunité et des violations des droits de l'homme entraîne la détérioration de l'État de droit. Le sentiment d'inquiétude qu'éprouve la société face à la délinquance ne peut servir de prétexte aux forces de sécurité pour faire justice elles-mêmes : la politique de la peur et de l'arbitraire ne fait pas régner l'ordre, mais discrédite plutôt les institutions qui pratiquent ou tolèrent de tels abus.


18. Il est possible d'illustrer les affirmations qui précèdent au sujet du non-respect des dispositions constitutionnelles mentionnées plus haut, d'une façon plus probante encore qu'avec des données statistiques, en examinant les faits particuliers qui sont survenus cette année dans le milieu carcéral. La crise du système devient manifeste dès lors que l'État ne peut même plus garantir la vie ni l'intégrité physique des détenus.


19. À l'issue de plus d'une année de délibérations, la loi No 1286 sur le Code de procédure pénale a été promulguée par le pouvoir exécutif le 8 juillet 1998. Ce nouveau Code qui contient 506 articles atteste de l'alignement de la procédure sur la nouvelle législation pénale.


20. Le précédent Code de procédure pénale utilisé pour évaluer la rationalité ou le degré de gravité des actes délictueux, procédait du même esprit discriminatoire que l'ancien Code pénal (Prieto, 1994). Ses dispositions rendaient difficile l'application d'une justice pleine et entière à l'égard des femmes, qu'elles soient victimes ou accusées d'une infraction.


21. Un progrès a été réalisé dans la procédure que doivent suivre les victimes de viol. Depuis août de cette année, l'hôpital de la police centralise tous les cas de viol enregistrés à Asunción, dans la zone métropolitaine et dans le département central. Cette mesure a pour objet de simplifier la consultation médicale en évitant aux victimes, comme c'est parfois le cas, d'entreprendre des démarches pénibles pour obtenir l'attestation médicale nécessaire au dépôt de la plainte auprès de la police et en leur évitant d'avoir à se soumettre plusieurs fois à des examens médicaux. Auparavant, la procédure à suivre était complexe. En effet, les victimes devaient tout d'abord se rendre dans un dispensaire ou un centre de premiers secours afin d'y être examinées, puis se présenter à la police. Ensuite, avant d'entamer une action judiciaire, elles devaient passer un examen dans un laboratoire d'investigations médicales aux fins de recueillir des preuves, et attendre les résultats de cet examen avant de pouvoir enfin porter plainte. Le projet de nouvelle procédure a été défini il y a plusieurs années, mais n'a pu être appliqué faute de consensus. Il a finalement été décidé de le mettre en oeuvre compte tenu du grand nombre de dossiers déposés auprès des centres médicaux dans le but d'obtenir l'attestation requise.


22. Les violations des droits de l'homme liées à des litiges agraires continuent d'être fréquentes au Paraguay, à mesure que les paysans sans terre occupent de grandes étendues de terrain peu exploitées ou inutilisées appartenant à de grands propriétaires terriens. Les paysans soutiennent que toutes les colonies agricoles se sont constituées sur la base d'occupation et que l'Institut de bien-être rural n'a jamais procédé à l'aménagement d'une colonie de sa propre initiative.


23. Le Paraguay a obtenu des résultats très importants et ne peut plus faire machine arrière. Le droit à l'objection de conscience n'a pas encore été réglementé, mais il y a de nombreux objecteurs de conscience. Au 30 octobre, le nombre total d'objecteurs de conscience pour cette année est de 5 490, ce qui donne un total cumulé de 14 702 objecteurs enregistrés depuis 1993. Plus de 50 % du total de ces personnes résident dans le pays. On compte en moyenne pour cette année 18 objecteurs de conscience par jour, contre 14 par jour en moyenne pour 1997 et six par jour en 1996. Cette augmentation imprévue a posé des problèmes logistiques au sein de l'armée qui s'est vue contrainte de restreindre ses effectifs de 15,5 %, ramenant ainsi de 15 510 à 13 100 le nombre de ses soldats.


24. À sa séance ordinaire du 17 mars 1998, la Chambre des députés n'a pas pu obtenir la majorité requise pour rejeter le veto opposé par le pouvoir exécutif à la loi No 1145/97 "qui régit l'objection de conscience au service militaire obligatoire". Le 28 juillet, sept objecteurs de conscience ont introduit auprès de la Cour suprême de justice un recours en inconstitutionnalité de la loi No 569/75 sur le service militaire obligatoire, et ont demandé à la Cour qu'elle déclare inapplicable la législation incriminée.


25. La loi No 838 "prévoyant l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme au cours de la dictature qui a existé entre 1954 et 1989" est en vigueur sans que personne puisse encore en bénéficier puisque l'institution chargée de son application, le Défenseur du peuple, n'a pas été créée. L'existence de cette loi n'empêche pas pour autant les victimes de présenter devant la justice une demande d'indemnisation, surtout pour des cas non visés par la loi.


26. Il est significatif que dans le texte de cette loi le régime du Général Alfredo Stroessner soit qualifié de "dictature" et défini comme étant un "régime dictatorial instauré dans le pays entre 1954 et 1989", alors que les qualificatifs de ce type sont généralement évités dans les documents officiels. Qui plus est, cette loi reconnaît le terrorisme d'État qui a régné dans le pays, puisqu'elle admet l'existence de victimes "de violations des droits de l'homme - droit à la vie, à l'intégrité de la personne ou à la liberté - imputables à des fonctionnaires, ou à des employés ou agents de l'État" (art. 1er).


27. Les violations des droits de l'homme "dues à des raisons politiques ou idéologiques" donnant lieu à des indemnités sont les suivantes :


1. Disparitions forcées;


2. Exécutions sommaires ou extrajudiciaires;


3. Tortures accompagnées de séquelles physiques ou psychiques graves et manifestes;


4. Privation illicite de liberté pendant plus d'un an (art. 2).


28. Sur la base de ces critères, les personnes pouvant se prévaloir de cette loi seront peu nombreuses étant donné que, dans la plupart des cas, la durée de la privation illicite de liberté était inférieure à un an. En effet, la pratique habituelle consistait à détenir fréquemment mais pendant de courtes périodes les adversaires politiques, les opposants au régime et ses détracteurs, voire de simples particuliers qui vivaient ainsi dans la crainte tandis que la population était maintenue dans un climat de terreur. La loi ne s'applique pas aux personnes exilées, ou à celles qui ont été dépossédées de leurs biens et possessions, de leur maison et de leurs terres, ni celles qui ont perdu leur poste de travail ou qui ont dû abandonner leurs études ou leur carrière professionnelle.


29. Il n'existe pas de chiffre précis quant au nombre total des bénéficiaires éventuels de cette loi, étant donné qu'après la chute de la dictature, le Gouvernement n'est pas parvenu à établir une commission d'enquête, comme cela a été le cas dans des pays voisins, ce qui aurait permis de connaître le nombre véritable des personnes tuées, disparues ou torturées. Cela serait le premier pas - le second étant la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans ces crimes - permettant de conclure à l'obligation d'une réparation assortie d'indemnités. L'institution qui a accumulé le plus grand nombre de données en la matière est le Comité des Églises (CIPAE), fondé en 1976, qui a consacré un fonds documentaire très important à la répression exercée pendant la dictature de Stroessner. Le Centre de documentation du pouvoir judiciaire, mieux connu sous l'appellation des "Archives de la terreur", est une autre source d'information auprès de laquelle on obtient les habeas data (antécédents des victimes répertoriées dans ces archives) qui servent de moyens de preuve aux personnes demandant à bénéficier de la loi No 838. La commission nationale pour les droits de l'homme a, pour sa part, effectué une enquête qui lui a permis de réunir une quantité importante de données sur les victimes à indemniser.


30. Il y a lieu de noter par ailleurs que, du fait de leur modicité, les indemnités prévues ont plutôt une valeur symbolique et ne peuvent être comparées aux indemnités versées par les administrations des pays voisins. Les montants les plus élevés prévus au titre de cette loi dépassent à peine les 20 000 dollars et les plus faibles s'établissent autour de 3 500 dollars. C'est à peine si ces indemnités aideront les victimes de la dictature, compte tenu de leur état de santé et des années écoulées, à avoir accès aux soins médicaux, au suivi psychologique, psychiatrique ou autres, dont elles ont un besoin urgent. Nombre de ceux qui ont sacrifié une partie de leur vie à lutter pour la liberté de notre peuple, meurent aujourd'hui dans l'abandon et l'oubli, alors que l'on retrouve au sein du Gouvernement actuel des personnes qui ont profité de la dictature de Stroessner et qui se font maintenant passer pour les nouveaux démocrates.


31. La loi stipule également que les indemnités accordées proviendront des fonds des obligations diverses de l'État. Cette disposition a été l'objet de nombreuses contestations de la part du public et même de certains journaux, tels que l'ABC Color qui s'y est opposé dans un article de fond, faisant valoir qu'il n'y a aucune raison pour que les pauvres paient pour les crimes de la dictature. En effet, en vertu de l'article 106 de la Constitution, le fonctionnaire est tenu pour responsable personnellement, sans préjudice de la responsabilité subsidiaire de l'État; "celui-ci est en droit de se faire rembourser les sommes qu'il serait appelé à verser à titre de réparation". Autrement dit, ce n'est pas aux contribuables qu'il revient de payer pour Stroessner, qui vit tranquillement à Brasilia, pas plus pour Sabino Montanaro qui se trouve en Honduras, ou pour divers autres qui sont hors d'atteinte de la justice, mais bien à l'État qui a l'obligation d'indemniser d'abord les victimes avant de demander le remboursement des sommes versées à ceux qui sont responsables ou coupables personnellement. On peut en tirer la leçon suivante : la violation des droits de l'homme entraîne aussi une sanction pécuniaire presque plus douloureuse parfois qu'une peine physique pour ceux qui fondent leur pouvoir sur l'argent.


32. Il y a lieu de préciser que le projet initial de cette loi, présenté à l'initiative de la commission nationale pour les droits de l'homme, prévoyait la récupération des biens acquis illicitement par les hauts fonctionnaires du régime de Stroessner, afin de constituer un fonds national pour l'indemnisation des victimes de violations de leurs droits. C'était également là une des promesses électorales du nouveau Président en place après l'éviction de Stroessner. Malheureusement, du fait de la corruption, les biens récupérés n'ont pas été portés à la connaissance du public et ont profité, non pas au peuple, mais seulement aux nouveaux détenteurs du pouvoir.


33. Au début du mois de novembre, le Parlement s'efforçait de parvenir à la nomination du Défenseur du peuple, pour laquelle la majorité des deux tiers des voix des députés est requise (soit 54 sur 80 voix). Si le Défenseur est nommé cette année, les conditions seront réunies pour que les premières demandes d'indemnisation puissent lui être soumises comme le prévoit la loi No 838. Étant donné que les victimes sont, pour l'essentiel, issues de milieux populaires, ouvriers, paysans, agraires, etc., il sera en outre nécessaire de créer un secrétariat qui puisse les assister dans la rédaction de leurs demandes ainsi que dans les démarches qu'ils devront entreprendre auprès des institutions. La commission nationale envisage la possibilité de prêter son concours à cet égard.


34. L'application pratique de la loi pourrait être entravée par la disposition contenue dans son article 3 qui stipule qu'aux fins d'établir le bien-fondé de leur demande, les personnes qui ont été victimes d'une violation des droits de l'homme devront présenter leur requête au Défenseur du peuple, "qui se chargera d'évaluer les pièces justificatives avant de les transmettre au Procureur général de la République dans un délai de 30 jours". La disposition visée à l'article 3 de la loi No 838 pourrait avoir pour effet de ralentir considérablement la procédure d'indemnisation, étant donné que le Procureur général est un fonctionnaire de l'État au sein duquel on retrouve depuis 1989 des anciens oppresseurs qui ont bafoué les droits mêmes que l'on entend protéger. Nous pensons qu'aucun fonctionnaire d'État n'incarne pleinement les buts visés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, encore que la Cour suprême de justice vienne d'y souscrire, ni les pactes et les accords internationaux en faveur des droits de l'homme qui ont été successivement ratifiés par l'État paraguayen.


35. Le système mis en place par la commission des droits de l'homme à partir de la délivrance officielle des certificats aux objecteurs de conscience permettra d'éviter que, cet été, la commission permanente ait à s'en occuper, comme elle a eu à le faire tous les ans au moment des vacances parlementaires depuis que la délivrance de ces documents a été instituée en 1993. À la fin du premier semestre de la session parlementaire 1998-1999, le nombre de certificats délivrés à de jeunes objecteurs de conscience s'élevait à plus de 15 000 depuis 1993, date à laquelle l'Assemblée plénière de la Chambre basse a autorisé pour la première fois sa commission des droits de l'homme à délivrer ces certificats.


36. Cette année, avec la nouvelle composition du Congrès, le système mis en oeuvre a suscité certains problèmes, comme c'est le cas de l'accord que les parlementaires ont conclu avec l'ancien dirigeant de la DISERMOV, le général Juan Pozo, établissant que tous les objecteurs devaient avoir été préalablement enrôlés. À cette fin, un fonctionnaire de la DISERMOV est même devenu membre de la commission, provoquant la colère des objecteurs dont la mobilisation a permis la suspension provisoire de cette décision. Sur le fond, néanmoins, le problème reste entier.


37. Toutefois, le tribunal a estimé que la Déclaration universelle des droits de l'homme s'appliquait pleinement en 1959, étant donné que l'Assemblée générale des Nations Unies l'a adoptée le 10 décembre 1948 et que la République paraguayenne y adhère. Il s'ensuit que les faits en question relèvent de ses dispositions pertinentes qui s'appliquent en priorité et l'emportent sur la législation nationale. Le tribunal souligne que conformément à l'article 5 de la Déclaration universelle "nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants", et ni en l'occurrence "aux traitements et situations qui ont fait l'objet d'une plainte à l'encontre de son auteur présumé", lequel en a été par la suite formellement accusé. Le tribunal cite également l'article premier de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2391 (XXIII) du 26 novembre 1968, selon laquelle les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, y compris les "infractions graves" énumérées dans les Conventions de Genève du 12 août 1949 (homicide intentionnel, atteinte grave à l'intégrité physique, ou traitement inhumain). À l'époque de la commission des actes reprochés à la personne en cause, les Conventions ou les accords internationaux précédemment mentionnés étaient en vigueur. Cette résolution est également étayée par l'arrêt No 585 du 31 décembre 1996 de la Cour suprême de justice dans laquelle elle confirme et souligne l'imprescriptibilité des crimes commis en violation des droits de l'homme.


38. En dépit de la décision de la Cour suprême de justice, les bénéficiaires de la loi sur l'indemnisation ne pourront pas encore obtenir le versement d'une indemnité de la part de l'État, étant donné que le Défenseur du peuple, qui est l'institution chargée d'établir si les demandeurs peuvent prétendre à une indemnité, n'a pas encore été nommé par le Congrès.


39. Seuls 4,12 % des détenus au Paraguay sont incarcérés en application d'une condamnation. En fait, 90 % des détenus sont libérés parce qu'ils ont purgé une peine, et non pas parce qu'une décision de justice à leur encontre a été exécutée. Le pouvoir judiciaire, qui est, directement ou indirectement, le principal responsable des questions pénitentiaires, doit faire accélérer les procédures; il ne doit pas y avoir de détenu dont la culpabilité ne serait pas établie ou qui ne disposerait pas du concours d'un avocat faute de moyens. Dans ce dernier cas, le détenu doit avoir accès à des institutions d'assistance juridique. Le pouvoir judiciaire doit s'attacher à déterminer les motivations et les circonstances des infractions tout comme il doit s'efforcer de démasquer les chefs des groupes mafieux et de les juger en toute rigueur et justice.


40. L'impunité a toujours été une source de corruption, un facteur de protection et d'incitation pour les délinquants, surtout pour les délinquants "privilégiés".


41. Le Paraguay a beaucoup oeuvré pour les droits de l'homme, notamment dans les neuf ou dix dernières années, au cours desquelles il a dû, compte tenu de son passé, progresser beaucoup plus que ne l'ont fait la plupart des pays. Il est d'une extrême urgence de faire avancer la planification des politiques publiques en matière des droits de l'homme, au moyen d'un plan stratégique national assorti d'un plan d'action, fixant des objectifs à court terme, moyen et long terme, selon la question spécifique à traiter. En ce qui concerne les responsabilités, il y aura lieu de se conformer strictement aux points énoncés dans le plan, qui engage les ministères et les services du pouvoir exécutif ainsi que les autres pouvoirs.


42. La responsabilité principale, au sein du Ministère de la justice et du travail, revient, en sa qualité d'organe de coordination, de surveillance et d'évaluation, à la Direction générale des droits de l'homme et est conforme à ses objectifs concernant sa création et sa mise en oeuvre dans le cadre des politiques publiques du pays. Bien que créée récemment, la Direction générale des droits de l'homme saura s'acquitter de sa tâche avec toute l'efficacité et la compétence qui la caractérisent et suivra une conduite exclusivement axée sur l'accomplissement de sa mission, motivée en cela par la volonté politique qui anime toutes ses entreprises.

Liste d'annexes


Les annexes peuvent être consultées dans les archives du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.

1. Code pénal


2. Code de procédure pénale


3. Loi No 210 sur le régime pénitentiaire


4. Loi No 569 sur le service militaire obligatoire


5. Plan stratégique de modernisation du système pénitentiaire élaboré par le Ministère de la justice et du travail, 1998.



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