University of Minnesota


Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Géorgie, U.N. Doc. CAT/C/28/Add.1 (1996).



Rapports initiaux des Etats parties attendus en 1995

Additif

GEORGIE
[4 juin 1996]



TABLE DES MATIERES
    Paragraphes
  I.
    RENSEIGNEMENTS DE CARACTERE GENERAL
    1 - 31
II.
    RENSEIGNEMENTS CONCERNANT CHACUN
    DES ARTICLES DE LA PREMIERE PARTIE
    DE LA CONVENTION
    32 - 175
    Articles premier et 2
    32 - 56
    Article 3
    57 - 65
    Article 4
    66 - 72
    Article 5
    73 - 77
    Article 6
    78 - 90
    Article 7
    91 - 94
    Article 8
    95 - 106
    Article 9
    107 - 112
    Article 10
    113 - 115
    Article 11
    116 - 144
    Article 12
    145 - 156
    Article 13
    157 - 163
    Article 14
    164 - 166
    Article 15
    167 - 174
    Article 16
    175
III.
    CONCLUSION
    176 - 179
    LISTE DES DOCUMENTS JOINTS EN ANNEXE


I. RENSEIGNEMENTS DE CARACTERE GENERAL

1. La Géorgie a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après dénommée "la Convention") par la décision No 562-I s. du Parlement géorgien datée du 22 septembre 1994. La Convention est entrée en vigueur pour la Géorgie le 25 novembre 1994.

2. Le présent rapport relatif à l'application des dispositions de la Convention dans la République de Géorgie couvre la période 1994-1995.

3. Dans son préambule, la nouvelle constitution géorgienne qui a été adoptée par le Parlement le 24 août 1995 affirme "la volonté inébranlable ... de garantir les droits et libertés universellement reconnus (de l'homme)". Les droits fondamentaux et les libertés des citoyens font l'objet du deuxième chapitre de la Constitution (art. 12 à 47).

4. L'article 17 de la Loi fondamentale dispose ce qui suit : "1. L'honneur et la dignité de la personne humaine sont inviolables. 2. Le fait de soumettre une personne à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains, dégradants ou déshonorants n'est pas autorisé". Conformément au paragraphe 4 de l'article 18, "le fait d'exercer une contrainte physique ou psychologique sur une personne placée en détention ou dont la liberté est restreinte d'une quelconque autre façon n'est pas autorisé".

5. La Constitution géorgienne contient également d'autres dispositions conformes à celles de la Convention. Ces dispositions sont exposées en détail dans la partie du présent rapport consacrée à l'application de chacun des articles de la Convention.

6. Le Code pénal et le Code de procédure pénale géorgiens contiennent des articles prévoyant l'interdiction de la torture et des autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants (ci-après dénommés "la torture"). La teneur de ces articles est exposée de façon détaillée dans les parties correspondantes du rapport. On notera simplement que, quelle que soit la nature de l'infraction, l'emploi de méthodes pouvant être qualifiées de torture constitue une circonstance aggravante (voir les dispositions des articles 106, 109, 110, 111 et 113 du Code pénal).

7. La définition du terme "torture" figure dans les commentaires se rapportant à la Partie spécifique du Code pénal et correspond en partie à la définition donnée dans la Convention (pour de plus amples détails, voir la partie du présent rapport relative à l'application des articles 1 et 2 de la Convention).

8. La Géorgie a ratifié une série d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme - ou y a adhéré - contenant des dispositions d'une portée plus grande que celles de la Convention. Le 25 janvier 1994, le Parlement géorgien a adopté la décision No 399-I s. concernant l'adhésion au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la décision No 400-I s. concernant l'adhésion au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces instruments sont entrés en vigueur pour la Géorgie le 3 août 1994. En vertu de la décision No 466-II s. du Parlement datée du 21 avril 1994, la Géorgie a adhéré à la Convention relative aux droits de l'enfant, qui est entrée en vigueur pour la République le 2 juillet 1994. La Géorgie est également partie à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (décision du Parlement No 561-I s., datée du 22 septembre 1994), qui est entrée en vigueur pour cet Etat le 25 novembre 1994, et à la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (décision du Parlement datée du 20 juillet 1993), qui est entrée en vigueur pour cet Etat le 14 mars 1994.

9. En application de l'article 6 de la Constitution, "la législation géorgienne est conforme aux principes et aux normes universellement reconnus du droit international. Les traités et accords internationaux auxquels est partie la Géorgie ... qui ne sont pas contraires à la Constitution priment les dispositions du droit interne" (par. 2). L'article 7 de la Constitution stipule que "la Géorgie reconnaît et respecte les droits et libertés de l'homme universellement reconnus, qui constituent des valeurs humaines éternelles et suprêmes. Le peuple et l'Etat ne peuvent exercer le pouvoir que dans le respect de ces droits et libertés, qui sont directement applicables".

10. A l'heure actuelle, la Géorgie est dans la phase de passage à l'économie de marché. Le processus de réformes démocratiques est pleinement engagé. L'une de ses composantes essentielles est la réforme législative et, notamment, du système judiciaire. La Constitution géorgienne a posé les fondements et défini les principales orientations de cette restructuration (voir le chapitre 5 intitulé "Pouvoir judiciaire", art. 82 à 91). Elle prévoit en particulier la création d'une institution tout à fait nouvelle pour le pays - la Cour constitutionnelle - qui sera dotée de pouvoirs étendus (art. 83, 88 et 89). Dans l'étape suivante, l'objectif principal sera la refonte de la législation héritée de l'ère soviétique et la création d'un corpus de lois répondant aux besoins de l'ère nouvelle. C'est à ce stade que sera achevée l'incorporation des dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, dont la Convention, dans le droit interne.

11. Comme cela a été indiqué plus haut, l'adoption de la Constitution a marqué un premier pas dans ce sens : la Loi fondamentale contient un chapitre sur les droits et libertés fondamentaux des citoyens, dont la teneur est, dans l'ensemble, conforme aux normes et aux principes du droit international. Le Parlement géorgien a adopté une série de lois régissant les droits et libertés universellement reconnus de la personne humaine et garantissant leur réalisation en Géorgie.

12. L'application des dispositions de la Convention dans notre pays est garantie par les lois suivantes :

- Loi sur la citoyenneté géorgienne (adoptée le 25 mars 1993 et modifiée le 27 juillet 1993);

- Loi sur le statut juridique des étrangers (3 juillet 1993);

- Loi sur la police (27 juillet 1993);

- Loi sur le système d'examen des requêtes, plaintes et recours adressés aux organes de l'Etat, aux entreprises, aux établissements et organisations (quels que soient leur mode d'organisation et leur statut juridique) (24 décembre 1993);

- Loi sur les soins psychiatriques (1er mai 1995).

13. Le décret que prépare actuellement le président de la République Edouard Chevardnadzé, concernant les mesures d'urgence visant à éliminer la pratique de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention provisoire et les établissements pénitentiaires, devrait favoriser la mise en oeuvre des dispositions de la Convention. Le projet de décret stipule que :

a) Les dispositions de la Convention sont portées à la connaissance de chaque fonctionnaire qui, en raison de ses obligations de service, entre en contact avec des personnes détenues ou arrêtées, afin que "nul ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants";

b) Les départements ministériels compétents veillent à ce que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture fassent partie intégrante des programmes de formation du personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir, d'une façon ou d'une autre, dans la garde ou l'interrogatoire de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné;

c) Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités est invité à élaborer, en collaboration avec le Ministère de la justice, un projet de loi sur la réadaptation et l'indemnisation équitable et adéquate des victimes d'actes de torture et, en cas de décès de la victime, de ses ayants cause;

d) Les départements ministériels compétents sont tenus de mettre la réglementation interne régissant les relations entre une personne détenue et son conseil en conformité avec les normes de la législation géorgienne et celles des instruments internationaux, et de garantir aux personnes arrêtées les conditions leur permettant d'exercer pleinement et librement leur droit à la défense.

14. Le projet de décret présidentiel recommande que le fonctionnement des organes judiciaires, à tous les échelons, garantisse que les allégations de torture soient systématiquement prises en compte et examinées dans le cadre de la procédure judiciaire, et que les témoignages et déclarations obtenus par des actes interdits dans la Convention ne soient pas retenus comme des éléments de preuve. Le projet de décret prévoit que le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités devra contrôler le respect des droits des personnes détenues ou arrêtées dans le lieu où elles sont gardées, et organiser à l'intention du personnel des établissements pénitentiaires des séminaires sur les questions relatives à la mise en oeuvre des dispositions de la Convention (le texte intégral du projet de décret est joint en annexe).


Structures du pouvoir responsable de la mise en oeuvre
des dispositions de la Convention

15. Conformément à la Constitution, le contrôle de l'exercice de la justice dans les juridictions de droit commun incombe, selon la procédure établie, à la Cour suprême, qui est également habilitée à examiner en première instance certaines affaires définies par la loi (art. 90). La justice est rendue en Géorgie par les tribunaux de droit commun. L'organisation et les modalités de la procédure judiciaire sont définies par la loi (par. 2 de l'article 88). En temps de guerre, on admet la mise en place de tribunaux militaires qui connaissent, à titre exceptionnel, d'infractions relevant du droit commun (par. 3 de l'article 88).

16. En vertu d'une disposition radicalement nouvelle de la Constitution, le ministère public géorgien est devenu un organe du pouvoir judiciaire. Il engage les poursuites pénales, contrôle les enquêtes et l'application des peines, et exerce l'action publique. Les compétences, l'organisation et le fonctionnement du ministère public sont définis par une loi organique (par. 1 et 3 de l'article 91) qui n'a pas encore été adoptée.

17. Au sein du pouvoir exécutif, la mise en oeuvre des dispositions de la Convention est essentiellement assurée par les Ministères de l'intérieur, de la justice, de la santé et de la défense, ainsi que par d'autres organes.

18. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités assume une responsabilité particulière dans ce domaine. En application du décret présidentiel No 385, en date du 4 octobre 1994, le Comité (le ministère) susmentionné est chargé de coordonner les activités des organismes publics, des associations et des autres organes s'occupant de la protection des droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels conformément aux dispositions des pactes et autres instruments internationaux. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités est habilité à intervenir en présentant une requête écrite aux fonctionnaires compétents pour obtenir qu'il soit mis fin à des violations des droits de l'homme.

19. Dans les limites de sa compétence, ledit Comité a le droit d'exiger des organes, organisations et services de l'Etat et du gouvernement toute information dont il a besoin (le texte du décret est joint en annexe).

20. L'introduction, dans le texte de la nouvelle Constitution, d'un article prévoyant la création d'une institution tout à fait nouvelle pour la Georgie - le Défenseur du peuple - témoigne également de l'intérêt que les autorités géorgiennes attachent aux questions de droits de l'homme, qu'elles considèrent comme l'un des fondements d'une société démocratique. Conformément à la Loi fondamentale, le Défenseur du peuple a pour mission de veiller à la protection des droits et des libertés de l'individu sur le territoire géorgien. Il est habilité à révéler des violations des droits et des libertés de la personne, et à en informer les organes et fonctionnaires compétents. En outre, l'entrave aux activités du Défenseur du peuple est punie par la loi (par. 1 et 2 de l'article 43).

21. Une garantie importante de l'indépendance du Défenseur du peuple, lequel est élu par le Parlement pour cinq ans, est que la fin de la législation n'a pas pour effet d'écouter le mandat du Défenseur (le Parlement est renouvelé tous les quatre ans).

22. Les renseignements sur les affaires concrètes mentionnées dans le présent rapport ont été communiqués par le ministère public géorgien, les Ministères de l'intérieur, de la justice et de la santé, ainsi que le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités.

23. Conformément à la législation en vigueur, un particulier qui se déclare victime d'un acte de torture peut s'adresser :

a) aux organes de la police locale, qui, si nécessaire, effectue une enquête et conduit une instruction préparatoire. Quand un acte de torture est constaté, l'organe de police compétent établit des conclusions d'inculpation et renvoie l'affaire aux tribunaux;

b) à un tribunal, qui détermine s'il y a matière à poursuites et, dans l'affirmative, examine les faits et prend une décision en conséquence (art. 116, première partie du Code pénal). Si les poursuites peuvent être engagées sur plainte ou d'office, le tribunal transmet l'affaire aux organes compétents aux fins d'enquête et d'instruction (art. 117, première partie du Code pénal);

c) aux organes du ministère public, qui, dans le cas d'une action sur plainte, déclenchent les poursuites et renvoient l'affaire aux organes chargés de l'instruction (art. 115 du Code de procédure pénale). Si l'acte de torture revêt un caractère public (art. 116, deuxième et troisième parties du Code pénal), les organes chargés de l'enquête et de l'instruction ainsi que les autorités judiciaires sont tenus de mettre en mouvement l'action pénale et de prendre des mesures d'instruction nécessaires, que la victime ait porté plainte ou non (art. 3 du Code de procédure pénale).

24. Dans tous les cas, l'organe compétent ordonne une expertise médico-légale, visant à établir la réalité du préjudice corporel. Comme suite à une déclaration ou à une communication, l'organe compétent doit prendre l'une des décisions suivantes dans un délai de dix jours au plus :

a) Mise en mouvement de l'action pénale;

b) Refus de mettre en mouvement l'action pénale;

c) Transmission de la déclaration ou de la communication à l'organe d'information ou au tribunal compétent.

25. Parallèlement, il convient de prendre les dispositions nécessaires pour prévenir ou faire cesser l'infraction (art. 110 du Code de procédure pénale).

26. Dans les limites de sa compétence, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités examine les plaintes des citoyens qui se déclarent victimes d'actes de torture. Le décret présidentiel No 335 en date du 4 octobre 1994 établit le mandat dudit Comité dans ce domaine. En vertu du projet de décret du Président de la République concernant les mesures d'urgence visant à faire cesser la torture dans les lieux de détention (voir plus haut), le Comité est chargé d'élaborer en collaboration avec le Ministère de la justice, un projet de loi sur l'indemnisation et la réadaptation des victimes de la torture et, en cas de décès de la victime, de ses ayants cause.

27. Les autorités géorgiennes et les organes compétents sont vivement préoccupés par le fait que des actes de torture continuent d'être commis dans les lieux de détention provisoire et les établissements pénitentiaires. Les organes chargés de l'application des lois n'assurent pas toujours une information efficace et impartiale concernant les allégations de torture et d'autres actes dégradants, qui restent ainsi assez souvent impunis.

28. Cette situation tient en grande partie au fait que les dispositions de la loi relative aux contacts entre les avocats et leurs clients ne sont pas appliquées. Les défenseurs ont difficilement accès au Ministère de l'intérieur, au ministère public et à certains autres organes placés sous leur autorité qui conduisent les enquêtes et les instructions préparatoires, ainsi qu'aux centres de garde à vue et de détention. Ainsi, il existe un système de laissez-passer et d'autorisations, nullement prévu par la loi, qui est à l'origine de violations flagrantes des droits des personnes arrêtées et détenues, et entrave la tâche des avocats. Cette situation est également contraire à une disposition fondamentale des Principes de base relatifs au rôle du barreau qui ont été adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants.

29. En raison des lacunes du système judiciaire dans certains cas, les citoyens ne peuvent pas exercer leur droit d'être jugé sans retard excessif. Et, d'une façon générale, ils ne saisissent pas la justice aussi souvent qu'il le faudrait pour faire valoir leurs droits. Cela peut s'expliquer en partie par le fait que la population est mal informée sur ses droits et par un certain discrédit du système judiciaire en Géorgie. Par ailleurs, il ne va pas nécessairement de soi, pour les fonctionnaires chargés de l'application des lois, que les droits et libertés de l'individu doivent primer quand il s'agit d'interpréter et d'appliquer la législation.

30. Le personnel des établissements pénitentiaires ne connaît généralement pas l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, qui est l'instrument international réglementant le fonctionnement du système pénitentiaire. La situation concrète dans les établissements pénitentiaires est loin d'être conforme aux normes internationales universellement reconnues, même si, pour l'essentiel, elle répond aux critères énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel est partie la Géorgie (pour de plus amples détails à ce sujet, voir le rapport initial de la Géorgie sur les mesures visant à mettre en oeuvre les dispositions du Pacte qui a été présenté au Comité des droits de l'homme (CCPR/C/100/Add.1).

31. Force est de constater, malheureusement, que le texte de la Convention n'a pas encore été traduit dans la langue nationale (officielle) géorgienne, ce qui ne contribue pas à familiariser les fonctionnaires et les organes de l'Etat avec l'instrument dont ils sont chargés d'appliquer les dispositions.


II. RENSEIGNEMENTS CONCERNANT CHACUN DES ARTICLES
DE LA PREMIERE PARTIE DE LA CONVENTION


Articles premier et 2

32. Conformément aux dispositions des articles premier et 2 de la Convention, la législation nationale doit contenir une définition du terme "torture" ainsi qu'une disposition interdisant la pratique de la torture, quelles que soient les circonstances (y compris pendant l'état d'exception et l'état de guerre).

33. La définition utilisée dans le droit pénal géorgien inclut implicitement le fait d'infliger à une personne des lésions corporelles multiples d'une façon systématique (coups, coups de fouet, inoculation de produits, entailles, etc.), à l'aide d'armes contondantes ou tranchantes, d'agents thermiques et autres, causant à la victime des douleurs physiques et psychiques (voir les commentaires relatifs à la Partie spécifique du Code pénal).

34. On le voit, le terme "torture" est interprété de façon plus restrictive dans le droit pénal géorgien que dans le texte de la Convention. Cela tient au fait que le Code pénal de l'ère soviétique est encore en vigueur aujourd'hui. Bien que le Parlement l'ait modifié et complété de façon substantielle dans l'ensemble, ce Code n'est pas pleinement conforme aux normes du droit international et aux dispositions des instruments relatifs aux droits de l'homme auxquels a souscrit la communauté internationale.

35. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités a élaboré des propositions visant à aligner le sens donné au terme "torture" dans la législation interne sur celui de la Convention et à élargir en conséquence la portée des articles des codes pertinents, et a transmis ces propositions à la commission des réformes juridiques qui a été mise en place en Géorgie.

36. Globalement, la réforme de la législation pénale géorgienne pour la rendre conforme aux dispositions de la Convention et d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme s'effectuera progressivement, dans le cadre des réformes juridiques.

37. Il est important de mentionner que le système juridique géorgien prévoit que les coups (art. 116 du Code pénal), l'enlèvement ou autre séquestration (art. 133), la prise d'otages (art. 1331), la contrainte délictueuse (art. 135), la menace (art. 136), l'abus de pouvoir ou d'autorité (art. 187), l'arrestation ou la détention arbitraire (art. 194) et l'extorsion de témoignage (art. 195) sont des infractions pénales; dans ce sens, on considère que tous les actes de "torture" violent les dispositions de la législation pénale géorgienne.

38. Les principes fondamentaux qui inspirent l'Etat dans sa lutte pour prévenir les cas de torture sont énoncés dans la nouvelle Constitution géorgienne, dans sa partie consacrée aux obligations des personnes responsables de la mise en détention et des arrestations. Ces obligations, qui font l'objet des paragraphes 3, 4 et 6 de l'article 18 de la Loi fondamentale, sont notamment les suivantes :

a) Une personne placée en garde à vue ou autrement privée de liberté doit être déférée au magistrat compétent dans un délai de 48 heures. Si dans les 24 heures qui suivent le magistrat n'ordonne pas l'arrestation ou une autre mesure restrictive de liberté, la personne gardée à vue doit être libérée immédiatement;

b) Le fait d'exercer une contrainte physique ou psychologique sur une personne placée en détention ou frappée d'une autre mesure restrictive de liberté n'est pas autorisé;

c) La garde à vue ne peut excéder 72 heures, et la détention provisoire ne peut excéder neuf mois.

39. La Constitution prévoit également des garanties concernant le droit de tout individu à la défense (art. 42).

40. Il convient d'indiquer que l'application de l'article 18 de la Constitution peut être restreinte, en tout ou en partie, par le Président de la République pendant l'état d'exception ou l'état de guerre. Le Président doit soumettre sa décision en ce sens à l'approbation du Parlement dans un délai de 48 heures (par. 1 de l'article 46 de la Constitution).

41. Conformément à l'article 122 du Code de procédure pénale de la RSS de Géorgie, qui - avec des modifications et des adjonctions - est toujours en vigueur, dans tous les cas où une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction est placée en garde à vue, l'organe d'enquête (police, commandants d'unités ou de formations militaires et chefs d'établissements militaires, responsables d'établissements de rééducation par le travail, responsables de maisons d'arrêt, organes de sécurité de l'Etat, capitaines de bâtiments naviguant en haute mer) est tenu d'établir un procès-verbal indiquant les motifs, la date (année, mois et jour) et l'heure du placement en garde à vue ainsi que la version des faits du suspect, et d'en référer par écrit au procureur dans un délai de 24 heures.

42. Récemment encore, le Code de procédure pénale contenait, en son article 43, une disposition clairement discriminatoire, selon laquelle un avocat ne pouvait assister son client qu'à partir du moment où celui-ci recevait notification de la fin de l'instruction préparatoire. L'assemblée plénière de la Cour suprême géorgienne a rendu un arrêt à ce sujet portant modification de l'article susmentionné. Conformément au nouveau libellé de l'article 43, le défenseur peut intervenir dès la signification d'inculpation. Si un suspect est placé en garde à vue ou en détention provisoire avant l'inculpation, le défenseur peut intervenir dès l'établissement du procès-verbal de garde à vue ou de la décision autorisant la mesure de contrainte en question. En tout état de cause, le responsable de l'enquête, l'agent de l'instruction ou le procureur doit veiller à ce que le suspect ou l'inculpé bénéficie des services d'un défenseur.

43. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités veille en permanence au respect strict de cette norme par les organes chargés de l'application des lois.

44. Comme cela a été indiqué précédemment, toute une série d'actes visés par les dispositions de la Convention sont considérés comme des infractions pénales en Géorgie. On peut mentionner, en particulier, l'article 116 du Code pénal ("Coups et torture"), en vertu duquel les "coups et autres actes de violence entraînant une douleur pour la victime" et les "coups systématiques ou autres actes de violence revêtant un caractère de torture" sont passibles de sanctions. Les auteurs de ces infractions sont condamnés à une peine de rééducation par le travail d'une durée pouvant aller jusqu'à un an (partie I) et à une privation de liberté d'une durée pouvant aller jusqu'à trois ans (partie II).

45. L'article 135 du Code pénal ("Contrainte") prévoit, entre autres mesures répressives, une privation de liberté d'une durée pouvant aller jusqu'à un an pour le fait de contraindre par la force ou sous la menace d'une sanction une personne à accomplir ou à ne pas accomplir un acte. L'application concrète de l'article 135 du Code pénal revêt une importance particulière à la lumière des dispositions de la Convention qui prévoient que la torture peut avoir pour but la contrainte.

46. L'article 136 du Code pénal ("Menace") est une autre disposition très importante à cet égard; il prévoit que le fait de menacer de mort ou de blessures corporelles graves une personne ou quelqu'un qui lui est proche est passible d'une peine de rééducation par le travail d'une durée pouvant aller jusqu'à un an, si le risque d'exécution de la menace était réel.

47. La nature des peines emportées par les autres infractions assimilables à des actes de "torture" au sens de la Convention est exposée dans les parties correspondantes du présent rapport.

48. L'article 39 de la Loi fondamentale dispose expressément que "la Constitution géorgienne ne nie pas les autres droits, libertés et garanties universellement reconnus de l'homme et du citoyen qu'elle ne mentionne pas mais qui procèdent directement des principes qui y sont énoncés". Ainsi, la mise en pleine conformité de la législation géorgienne avec les normes et principes internationaux de protection des droits de l'homme n'est qu'une question de temps.

49. On relève certains cas où les agents des forces de l'ordre exercent une violence physique à l'encontre de citoyens. Ces cas se produisent essentiellement au moment de l'arrestation, ou dans le cadre de la garde à vue, parfois au cours de l'instruction préparatoire, et visent à obtenir des témoignages, des déclarations ou des informations sur des tiers. Si des faits de ce genre sont rendus publics, ou si les victimes d'un traitement cruel portent plainte, les organes compétents sont tenus de prendre les mesures qui s'imposent à l'égard des coupables. En particulier, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités prête une attention spéciale à ce type de traitement. Dans un certain nombre de cas, les coupables ont été poursuivis et des sanctions, pénales ou administratives, leur ont été infligées à la suite d'une représentation du Comité.

50. L'affaire pénale No 7493810 (ce que l'on a appelé le "procès Domoukhovski-Gelbarkhiani") a suscité un vif intérêt dans l'opinion publique géorgienne et à l'étranger. Un groupe de partisans de l'ex-président géorgien Z. Gamsakhourdia (19 personnes au total) avait été accusé d'activités terroristes, dont avaient été victimes des personnes tout à fait innocentes. Selon l'organisation internationale de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch-Helsinki, les personnes inculpées dans ce cadre auraient été frappées durant la détention provisoire. Compte tenu du grand retentissement qu'a eu cette affaire, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités a été saisi et a chargé des observateurs de veiller au respect des normes de procédure judiciaire. La vérification des allégations susmentionnées a permis d'établir que dans deux cas les détenus avaient reçu des coups. A la suite de la plainte de G. Gelbakhiani, une action pénale a été engagée. L'auteur des coups portés à M. Gelbakhiani a ainsi été jugé et un employé de la prison chargé de la discipline a été exclu des forces de l'ordre. Malheureusement, le tribunal n'a pas pu établir la matérialité des faits concernant l'autre détenu, Z. Tsiklaouri. Toutefois, étant donné qu'il y a de fortes raisons de penser que ce dernier a effectivement reçu des coups, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités s'efforce d'assurer l'aboutissement logique de l'affaire.

51. Force est néanmoins de constater que, dans la plupart des cas, les plaintes concernant des traitements cruels ou des actes de torture n'ont pas été étayées et servaient, comme dans le cas de V. Domoukhovski, de moyen d'action dans le conflit avec les autorités. Des représentants d'organisations internationales, en particulier le chef d'une mission de l'OSCE en Géorgie Mme N. Harms, l'ont également fait observer (la lettre adressée par Mme N. Harms à l'ambassadeur Kubis est jointe en annexe).

52. L'opinion publique et les organisations géorgiennes de défense des droits de l'homme sont préoccupées par les violations des droits des personnes maintenues en détention et soumises à un examen psychiatrique. En dépit de la loi sur les soins psychiatriques, dont l'article 12 interdit au personnel des établissements médicaux relevant d'organes administratifs de réaliser des expertises médico-légales, un établissement médical spécialisé du Ministère de l'intérieur continue de réaliser ce type d'expertise. Il convient de noter toutefois que, si l'article précité de la loi n'est pas appliqué, c'est essentiellement faute de moyens financiers.

53. La situation en Abkhazie. Après que les autorités centrales ont perdu de facto juridiction sur le territoire de la République autonome d'Abkhazie en 1993 à la suite des actions menées par les forces séparatistes et leurs complices étrangers, les séparatistes continuent leurs exactions contre la population pacifique de nationalité géorgienne ou autre. La Conférence de Budapest qui a réuni les représentants de 52 Etats membres de l'OSCE a reconnu que la région était soumise à une opération de purification ethnique. Par ailleurs, il a été fait état de l'usage massif de la torture, dont les victimes étaient et continuent d'être des innocents - vieillards, femmes et enfants. Selon des témoins, de telles pratiques étaient presque quotidiennes en Abkhazie, aussi bien durant le conflit armé qu'après. Outre les membres des formations armées abkhazes illégales, ce que l'on appelle la "milice abkhaze", contrôlée et encouragée par les dirigeants séparatistes, appliquait et applique à grande échelle ces méthodes visant à l'intimidation.

54. Le ministère public géorgien a engagé des poursuites pénales contre les organisateurs et les auteurs d'infractions sur le territoire abkhaze. Les éléments de fait recueillis dans le cadre de l'information ont permis de mettre en évidence un crime de génocide dans cette région.

55. Pour les raisons indiquées précédemment, le ministère public géorgien n'a toutefois pas pu prendre les mesures d'instruction nécessaires sur le territoire abkhaze. Compte tenu de cette situation, nous sommes d'avis que le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies devrait envisager l'envoi d'une mission spéciale visant à assister le ministère public géorgien pour mener à bien la procédure d'instruction, de façon que les personnes coupables de crimes en Abkhazie soient poursuivies et traduites devant une juridiction internationale.

56. On trouvera en annexe les conclusions du ministère public géorgien sur les résultats de l'enquête qu'il a conduite sur le génocide et la purification ethnique organisés par les séparatistes agressifs en Abkhazie.


Article 3

57. La nouvelle Constitution géorgienne offre le cadre législatif nécessaire à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 3 de la Convention.

58. Ainsi, l'article 13 de la Loi fondamentale prévoit que les citoyens géorgiens ne peuvent être expulsés de la République (par. 3). L'extradition d'un citoyen géorgien vers un autre Etat n'est pas autorisée, sauf dans les cas prévus par les accords internationaux auxquels la Géorgie est partie. Les décisions d'extradition peuvent être contestées devant les tribunaux (par. 4).

59. La question des personnes résidant légalement en Géorgie mais qui ne sont pas citoyens de cet Etat est réglée dans la Constitution de la façon suivante (art. 47) :

a) Les étrangers et les apatrides résidant en Géorgie ont les mêmes droits et obligations que les citoyens géorgiens, sous réserve des exceptions prévues dans la Constitution et dans la loi (le droit d'exercer des activités politiques est soumis à certaines restrictions);

b) Conformément aux normes universellement reconnues du droit international, la Géorgie accorde l'asile aux étrangers et aux apatrides, selon la procédure établie par la loi;

c) L'extradition vers un autre Etat de "réfugiés" (ce terme s'applique également aux personnes ayant obtenu l'asile en Géorgie) poursuivis en raison de leurs convictions politiques ou pour des actes qui ne sont pas considérés comme des infractions dans la législation géorgienne, n'est pas autorisée.

60. La loi sur la citoyenneté vient compléter les dispositions susmentionnées; elle garantit notamment aux étrangers et aux apatrides les droits et libertés prévus par les normes du droit international et la législation géorgienne, dont le droit de s'adresser à un tribunal ou à un autre organe de l'Etat pour faire valoir leurs droits (droits des biens, des personnes et autres) (art. 8).

61. Les citoyens géorgiens peuvent entrer librement dans leur pays et en sortir librement, et les étrangers et les apatrides ont le droit de sortir librement du pays. Citoyens et non-citoyens peuvent choisir librement leur résidence sur le territoire géorgien (par. 1 et 2 de l'article 22 de la Constitution). Ces droits ne peuvent être l'objet que des seules restrictions prévues par la loi pour assurer la sécurité nationale ou l'ordre public nécessaires à une société démocratique, protéger la santé publique, prévenir des infractions ou permettre l'exercice de la justice (par. 3 de l'article 22). Conformément à la loi sur le statut juridique des étrangers, l'asile ne peut être accordé aux nationaux d'un autre Etat et aux apatrides si leurs activités sont contraires aux buts et aux principes de l'Organisation des Nations Unies et aux intérêts nationaux de la Géorgie.

62. La Loi fondamentale prévoit la possibilité de faire appel des décisions relatives aux questions susmentionnées. En particulier, la Cour constitutionnelle géorgienne peut, dans le cadre d'une action engagée par un citoyen, examiner la constitutionnalité des instruments juridiques relatifs aux questions relevant du chapitre de la Constitution consacré aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales (par. 1 de l'article 89 de la Constitution). Un instrument juridique dont l'illégalité a été établie en tout ou en partie devient caduc, et la décision en ce sens de la Cour constitutionnelle est définitive (par. 2 de l'article 89).

63. Le système juridique géorgien ne contient pas de norme interdisant l'extradition, le transfert ou le refoulement d'une personne vers un Etat où elle risque d'être soumise à la torture. Cette question devrait être réglée dans le cadre des réformes juridiques en préparation. Il convient de souligner en outre que, durant la période couverte par le rapport, il n'a été enregistré aucun cas de transfert, d'extradition ou de refoulement vers un autre Etat.

64. Le Code pénal géorgien prévoit des peines telles que l'exil intérieur (art. 26) et l'interdiction de séjour (art. 27) à l'intérieur des frontières nationales. On entend par "exil intérieur" l'expulsion d'une personne de sa résidence permanente assortie de l'obligation de s'installer dans un lieu fixé par les autorités; l'interdiction de séjour consiste à expulser une personne de sa résidence permanente et à lui interdire de s'installer dans certains lieux fixés par les autorités. Ces deux mesures peuvent être des peines principales ou complémentaires (dans ce dernier cas, la peine est appliquée dans des circonstances prévues par la loi) d'une durée de deux à cinq ans. Par ailleurs, les mineurs de moins de 18 ans, les femmes enceintes ainsi que les femmes ayant à charge des enfants de moins de huit ans ne peuvent être frappés d'une mesure d'exil intérieur, et les mineurs de moins de 18 ans ne peuvent pas être interdits de séjour à l'intérieur du territoire. La législation géorgienne définit les lieux, les modalités et les conditions d'exécution de l'une et l'autre peine. Elles n'ont pas été appliquées en Géorgie ces dernières années.

65. En ce qui concerne les questions d'extradition, elles sont réglées dans le cadre des traités bilatéraux conclus avec d'autres Etats. On trouvera des renseignements sur ce point dans la partie du présent rapport relative à l'application de l'article 8 de la Convention.


Article 4

66. Le Code pénal géorgien contient un chapitre intitulé "Infractions contre la vie, la santé, la liberté la dignité de la personne", qui prévoit des peines pour les infractions telles que les coups et la torture (art. 116), l'enlèvement ou autre séquestration (art. 133), la prise d'otages (art. 133 1), la contrainte (art. 135) et la menace (art. 136). Sont également punissables l'abus de pouvoir ou d'autorité (art. 187), l'arrestation ou la détention arbitraire (art. 194) et l'extorsion de témoignage (art. 195). La teneur de certains des articles susmentionnés est exposée dans la partie du présent rapport consacrée à l'application des articles premier et 2 de la Convention. On se contentera ici de souligner que, dans tous les cas, les infractions susmentionnées emportent une peine.

67. Il convient de noter que la législation géorgienne n'établit pas de distinction entre la torture proprement dite, la tentative de pratiquer la torture et l'ordre de pratiquer la torture donné par une autorité. Toutefois, l'article 17 du Code pénal prévoit la "responsabilité pour la préparation et la tentative d'un délit"; conformément aux dispositions dudit article, "tout acte intentionnel tendant directement à la consommation du délit et n'ayant eu qu'un commencement d'exécution pour des raisons indépendantes de la volonté de son auteur est considéré comme une tentative de délit". Tout acte de ce type est punissable comme le délit même. L'article 17 prévoit par ailleurs que, lorsqu'il prononce une peine à ce titre, le tribunal tient compte de la nature de l'acte et du degré de danger qu'il constitue pour la société, du stade de l'exécution des intentions délictueuses et des raisons pour lesquelles le délit n'a eu qu'un commencement d'exécution. Il convient de noter d'une façon générale que les peines applicables en Géorgie pour tentative d'infraction ne sont, en principe, guère inférieures à celles appliquées pour l'infraction proprement dite.

68. En vertu de l'article 19 du Code pénal ("Complicité"), est considérée comme complice d'une infraction, au même titre que l'auteur, la personne (dénommée dans le Code "l'organisateur") qui organise ou dirige la consommation du délit. Sont considérés également comme des complices les "instigateurs" (ceux qui ont convaincu une personne de commettre une infraction) et ceux qui facilitent l'infraction par des conseils, des instructions, etc.

69. Il convient de souligner que, conformément à la législation géorgienne, une infraction commise par un groupe emporte, en principe, une peine plus lourde que celle commise par un individu. Quand il prononce la peine, le tribunal est tenu de prendre en considération le degré et la nature de la participation de chacun des complices à l'infraction (art. 19 du Code pénal).

70. Les personnes qui exécutent un ordre ou une autre prescription notoirement délictueuse sont poursuivies conformément aux principes généraux du droit (art. 161 du Code pénal).

71. En vertu du Code pénal, l'abus de pouvoir ou d'autorité, qui s'entend de "l'acte intentionnel commis par un fonctionnaire qui outrepasse manifestement les droits et les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et cause un préjudice important ... aux droits et aux intérêts légitimes de citoyens", emporte également des sanctions pénales ou administratives. Les actes de ce type commis de façon systématique ou qui entraînent des conséquences particulièrement graves sont punis de la privation de liberté pouvant aller jusqu'à cinq ans. L'abus de pouvoir ou d'autorité s'accompagnant de violences ou de l'utilisation d'une arme, ou les actes dégradants pour leurs victimes sont punis de deux à huit ans de privation de liberté (art. 187 du Code pénal).

72. Etant donné que la législation géorgienne considère la torture comme un acte passible de sanctions pénales, il va de soi que, dans tous les cas de torture, de tentative de torture ou d'ordre de pratiquer la torture, tant les personnes à l'initiative du délit que son auteur sont pénalement responsables.


Article 5

73. Les mesures adoptées par l'Etat pour établir sa compétence dans les cas de torture tels qu'ils sont énoncés dans l'article 4 de la Convention font l'objet de dispositions législatives appropriées.

74. En vertu du Code pénal, toute personne ayant commis une infraction sur le territoire géorgien est considérée comme responsable. La question de la responsabilité pénale des agents diplomatiques d'Etats étrangers et des citoyens qui, conformément aux lois en vigueur ou à des accords internationaux, échappent à la juridiction pénale géorgienne et qui commettent une infraction sur le territoire de la République est réglée par la voie diplomatique (art. 5).

75. Les citoyens géorgiens, ainsi que les étrangers et les apatrides résidant dans la République, qui ont commis une infraction hors du territoire géorgien et contre lesquels s'exerce l'action publique ou qui sont pénalement responsables sur le territoire géorgien et n'ont pas été condamnés dans un autre Etat sont considérés comme responsables au regard du Code pénal géorgien (art. 6, partie I).

76. Les étrangers et les apatrides qui ne résident pas en Géorgie ne sont pénalement responsables pour les infractions qu'ils ont commises hors du territoire géorgien que dans les cas prévus par le droit international et sous réserve qu'ils soient poursuivis en Géorgie (art. 6, partie II).

77. Ainsi, en vertu de la législation géorgienne la torture est un délit entraînant dans tous les cas la responsabilité pénale de son auteur, quels que soient l'Etat dans lequel il a été commis, la nationalité de son auteur et celle sa victime.


Article 6

78. La législation géorgienne ne prévoit pas de procédure spéciale régissant la détention des personnes ayant commis des actes de torture, auxquelles s'appliquent en effet les procédures prévues pour toute infraction pénale, conformément à la législation en vigueur.

79. En application de l'article 18 de la Constitution, seule une autorité dûment habilitée peut placer une personne en garde à vue, dans les cas prévus par la loi (par. 3).

80. Toute personne arrêtée ou placée en garde à vue doit être informée, dès son arrestation ou le début de la garde à vue, de ses droits et des motifs de la mesure. Toute personne arrêtée ou placée en garde à vue a le droit de se faire assister immédiatement par un défenseur, et doit pouvoir exercer ce droit (par. 5).

81. Conformément aux dispositions du Code de procédure pénale en vigueur, une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction passible de la privation de liberté ne peut être placée en garde à vue que dans l'un des cas suivants :

a) Quand elle a été appréhendée en flagrant délit ou immédiatement après l'infraction;

b) Quand les témoins, y compris la ou les victimes, la désignent d'emblée comme l'auteur de l'infraction;

c) Quand on découvre sur elle ou sur ses vêtements, près d'elle ou à son domicile des indices clairs de l'infraction.

82. Si d'autres éléments conduisent à soupçonner une personne d'avoir commis une infraction, cette personne ne peut être placée en garde à vue que si elle a tenté de fuir, si son identité n'est pas établie, ou si elle n'a pas de domicile fixe.

83. Les suspects placés en garde à vue ont le droit de contester les actes des responsables de l'enquête, de fournir des éléments de preuve, de donner leur version des faits et de présenter des requêtes (art. 121).

84. Le Règlement sur les modalités de la garde à vue des suspects fixe la procédure applicable, conformément aux décisions du Présidium du Soviet suprême de la RSS de Géorgie datées du 27 avril 1977 et du 6 avril 1984 (art. 1221 du Code de procédure pénale).

85. La Constitution géorgienne prévoit aux paragraphes 3 et 6 de son article 18 que la garde à vue ne doit pas se prolonger au-delà du délai nécessaire pour mettre en mouvement l'action publique ou d'autres procédures (pour de plus amples précisions à ce sujet, voir la partie du présent rapport relative à l'application des articles 1er et 2 de la Convention).

86. Conformément à l'article 118 du Code de procédure pénale, la garde à vue et les interrogatoires des suspects incombent aux organes d'enquête qui peuvent être :

a) la police;

b) les commandants d'unités ou de formations militaires et les chefs d'établissements militaires - dans les cas d'infractions commises par des subordonnés ou par des membres des forces armées dans l'exécution de leurs obligations de service;

c) les responsables d'établissements de rééducation par le travail ou de maisons d'arrêt - dans les cas d'infractions au règlement commises par des membres du personnel de ces établissements;

d) les capitaines de bâtiments naviguant en haute mer et d'autres.

87. Il convient de souligner que le procureur est immédiatement informé de la constatation d'une infraction et de l'ouverture d'une enquête, y compris du placement en garde à vue du ou des suspects (art. 118). En outre, le procureur est tenu de remettre en liberté sans délai toute personne maintenue en garde à vue au-delà du délai prévu par la loi (art. 10).

88. En ce qui concerne les personnes qui ne sont pas des citoyens géorgiens, conformément à la Loi du 3 juillet 1993 sur le statut juridique des étrangers, les nationaux d'un Etat étranger bénéficient de garanties relatives à la protection de leur personne et à la non-immixtion dans leur vie privée (art. 17). Ladite loi régit également les principes relatifs à la responsabilité des étrangers pour les infractions, administratives et autres, prévues par la législation géorgienne, à moins que les accords internationaux auxquels la Géorgie est partie n'en disposent autrement.

89. Par ailleurs, la Loi contient une disposition prévoyant qu'un étranger peut être expulsé de Géorgie dans le cas où il présente une menace pour la santé, les droits et les intérêts légitimes des citoyens de la République (alinéa e) de l'article 29).

90. Durant la période couverte par le présent rapport, les autorités n'ont été saisies d'aucune requête concernant des faits relevant des dispositions de l'article précité applicables aux nationaux d'un Etat étranger et aux apatrides.


Article 7

91. Comme il a été indiqué à propos de l'application de l'article 5 de la Convention, la législation géorgienne prévoit que toute personne qui a commis une infraction sur le territoire national est considérée comme juridiquement responsable au regard du Code pénal au même titre que les citoyens géorgiens. Seuls les agents diplomatiques d'un Etat étranger et les citoyens qui ne relèvent pas de la justice pénale géorgienne ne sont pas soumis à cette règle. Dans le cas où une personne appartenant à l'une de ces deux catégories a commis une infraction pénale, la question de sa responsabilité est réglée par la voie diplomatique (art. 5 du Code pénal). Le Code de procédure pénale contient également des dispositions dans ce sens, applicables en cas de poursuites pour des infractions commises par des étrangers; les seules restrictions à cet égard concernent les personnes jouissant de l'immunité diplomatique (voir l'article 22).

92. En vertu du Code de procédure pénale, les personnes accusées de torture (comme de tout autre délit pénal) bénéficient des garanties d'une procédure régulière et d'un traitement équitable. Ledit Code prévoit en particulier que :

a) en présence d'éléments de preuve suffisants pour inculper une personne, l'agent de l'instruction rend une décision motivée d'inculpation (art. 140);

b) l'inculpation doit être notifiée à l'intéressé au plus tard 48 heures après que la décision en ce sens a été rendue (art. 145);

c) si le suspect, l'inculpé ou d'autres personnes participant à la procédure pénale ne maîtrise pas la langue dans laquelle elle se déroule, il est fait appel aux services d'un interprète (art. 135);

d) l'agent de l'instruction est tenu d'interroger l'inculpé immédiatement après lui avoir notifié son inculpation (art. 147).

93. Le droit à la défense de l'inculpé est garanti dans tous les cas (par. 3 de l'article 18 de la Constitution et art. 17 du Code de procédure pénale). Conformément à l'article 43 du Code de procédure pénale dont il a été question plus haut, le défenseur peut intervenir dès la notification d'inculpation. L'organe d'enquête, l'agent de l'instruction ou le procureur est tenu d'assurer au suspect ou à l'inculpé les services d'un défenseur. Le tribunal ou un magistrat peut autoriser à agir en qualité de défenseur non seulement les avocats de métier mais également les "parents proches", les représentants légaux du justiciable et d'autres personnes (art. 43 du Code de procédure pénale).

94. En application du paragraphe 1 de l'article 85 de la Constitution, les audiences sont publiques et la décision du tribunal est prononcée publiquement. La procédure garantit les droits de la défense et a un caractère contradictoire (par. 3). Ces dispositions offrent les garanties d'une procédure équitable et impartiale.


Article 8

95. Les questions relatives à l'extradition sont régies par des accords bilatéraux d'entraide judiciaire conclus entre la Géorgie et d'autres Etats. Celui que la Géorgie a conclu avec la Fédération de Russie fait figure d'accord-cadre au regard des garanties prévues à l'article 8 de la Convention.

96. La partie intitulée "Extradition" de l'accord entre la Géorgie et la Fédération de Russie concernant l'entraide judiciaire et les rapports de droit dans les affaires civiles, familiales et pénales (qui a été signé le 15 septembre 1995 et doit être ratifié par les parlements des deux Etats) dispose ce qui suit :

a) Les parties contractantes s'engagent à se livrer réciproquement, à la demande de l'une ou de l'autre, les individus se trouvant sur leur territoire qui sont poursuivis pour une infraction pénale ou recherchés aux fins d'exécution d'une peine;

b) L'extradition est accordée pour des actes punissables au regard de la législation de chacune des deux parties et qui emportent des peines privatives de liberté supérieures à un an ou une autre peine sévère. L'extradition aux fins de l'exécution d'une condamnation est accordée si la personne concernée a été condamnée à une peine privative de liberté de six mois et plus (art. 61).

97. L'extradition n'est pas accordée si :

a) la personne visée par la demande d'extradition est un citoyen de l'Etat requis ou y est au bénéfice du droit d'asile;

b) des poursuites pénales, conformément à la législation des deux parties à l'accord, ont été engagées à la suite d'une plainte;

c) au moment où la partie requise reçoit la demande d'extradition, conformément à sa législation, les poursuites ne peuvent être engagées ou la condamnation ne peut être exécutée au motif que la prescription de l'action de la peine est acquise ou pour un autre motif légal;

d) la personne visée par la demande d'extradition a déjà été condamnée pour la même infraction sur le territoire de la partie requise ou si une décision de mettre fin aux poursuites exercées pour le ou les mêmes faits est exécutoire.

98. L'extradition peut être refusée si l'infraction à raison de laquelle elle est demandée a été commise sur le territoire de l'Etat requis (art. 62).

99. Si l'individu réclamé est poursuivi au pénal ou exécute une peine pour une autre infraction sur le territoire de l'Etat requis, sa remise peut être ajournée jusqu'à la fin des poursuites ou l'expiration de la peine, ou jusqu'à ce qu'il soit remis en liberté en application d'une décision de l'autorité légale (art. 63).

100. Si l'ajournement de la remise de l'individu réclamé est susceptible d'entraîner la prescription de l'action ou de compliquer l'instruction des faits, la partie requise peut, sur une demande motivée de la partie requérante, lui remettre temporairement l'individu réclamé sous réserve que ce dernier soit remis en retour à la partie requise dès la fin de la procédure justifiant la demande d'extradition et au plus tard trois mois à compter du jour de l'extradition (art. 64).

101. Si l'extradition d'un même individu est demandée concurremment par plusieurs Etats, la partie requise décide auquel d'entre eux l'individu réclamé sera livré (art. 65).

102. Il convient de souligner que, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 66 de l'accord conclu entre la Géorgie et la Fédération de Russie, sans l'assentiment de la partie requise l'extradé ne peut être poursuivi au pénal ou puni pour une infraction autre que celle visée par la demande.

103. L'accord sur l'entraide judiciaire et les rapports de droit entre la Géorgie et la Fédération de Russie réglemente également un certain nombre de procédures comme : la demande d'extradition (art. 67), la mise en détention aux fins d'extradition (art. 68), la mise en détention dans l'attente d'une demande d'extradition (art. 70), l'exécution de la mesure d'extradition (art. 71) et la réextradition (art. 72).

104. L'entraide judiciaire ne peut être refusée que dans le cas où "il pourrait être porté atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat ou si cela est contraire aux principes fondamentaux de la législation de la partie requise" (art. 18).

105. L'accord que la Géorgie a conclu avec l'Ukraine contient des dispositions analogues. La Géorgie a pris également plusieurs arrangements relatifs à l'entraide judiciaire et aux rapports de droit avec d'autres pays de la Communauté d'Etats indépendants. Selon les informations du Ministère de la justice et du Ministère des affaires étrangères, qui participent à l'élaboration des documents en question, tous les accords contiennent, en principe, des dispositions similaires en ce qui concerne la question de l'extradition, les différences ne portant que sur des aspects techniques.

106. En ce qui concerne les accords que la Géorgie a conclus avec des pays étrangers autres que les Républiques de l'ex-Union soviétique, la Géorgie a signé un document sur l'entraide judiciaire en matière pénale avec la République de Bulgarie. L'article premier dudit document prévoit, en particulier, l'extradition des personnes placées en détention. La coopération entre les Etats ne comprend toutefois pas la "remise d'un individu et l'arrestation d'un individu aux fins de sa remise" (par. 3 a) de l'article premier). L'entraide judiciaire peut être refusée, entre autres, si la partie requise a des raisons de penser que "la race, la religion, le sexe, la nationalité, la langue, les opinions politiques, la situation personnelle ou sociale" de l'individu réclamé pourraient influer défavorablement sur le déroulement et l'issue de la procédure pénale (par. 1 b) de l'article 3). L'entraide judiciaire peut être refusée dans les cas prévus par la Convention européenne d'extradition et la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (par. 1 e) de l'article 3).


Article 9

107. Selon les informations du Ministère de la justice, les accords intergouvernementaux ci-après pertinents au regard de l'article 9 de la Convention avaient été signés à la date du présent rapport :

a) L'accord entre la Géorgie et l'Ukraine sur l'entraide judiciaire et les rapports de droit pour les affaires civiles et pénales (signé le 13 avril 1993, soumis à la ratification);

b) L'accord entre la Géorgie et la République de Bulgarie sur l'entraide judiciaire en matière pénale (signé le 19 janvier 1995, entré en vigueur);

c) L'accord entre la Géorgie et la Fédération de Russie sur l'entraide judiciaire et les rapports de droit pour les affaires civiles, familiales et pénales (signé le 15 septembre 1995, soumis à la ratification).

108. La Géorgie a signé des accords bilatéraux en matière judiciaire avec l'Azerbaïdjan, le Kazakstan et la République de Moldova. Des accords avec l'Arménie, la Grèce et la Turquie sont en cours d'élaboration.

109. Compte tenu du fait qu'un seul des documents susmentionnés est entré en vigueur, aucun cas d'entraide judiciaire dans des affaires relevant de la Convention ou d'autres n'a été enregistré.

110. L'accélération du processus de ratification des accords par les parlements respectifs des Etats qui y sont parties permettrait sans aucun doute à la Géorgie de s'acquitter plus pleinement des obligations qui lui incombent au titre de la Convention. L'accord entre la Géorgie et la Bulgarie (qui est le seul entré en vigueur) prévoit, en particulier, les formes d'entraide judiciaire en matière pénale suivantes : recherche des personnes et établissement de leur identité; interrogatoire des suspects, des inculpés et des prévenus; interrogatoire des témoins et des experts; envoi d'objets et de documents; extradition de personnes placées en détention; information concernant les condamnations et échange de documents législatifs, etc. (article 1er de la première section). Ainsi, la torture étant un délit de droit commun, elle est réprimée dans la législation des deux Etats parties à l'accord et, à ce titre, est visée par ce dernier (art. 2).

111. Les accords conclus entre la Géorgie et la Fédération de Russie, d'une part, et la Géorgie et l'Ukraine, d'autre part, qui ont été mentionnés plus haut contiennent des dispositions similaires sur ce point. Par ailleurs, les Etats parties à ces accords se sont engagés à poursuivre, sur la demande de l'autre partie contractante et conformément à leur propre législation, leurs nationaux soupçonnés d'avoir commis une infraction sur le territoire de l'autre partie à l'accord (art. 46 de l'accord entre la Géorgie et l'Ukraine et art. 59 de l'accord entre la Géorgie et la Fédération de Russie).

112. A l'époque de la rédaction du présent rapport, la Géorgie a également signé deux accords d'entraide judiciaire, l'un avec l'Azerbaïdjan (8 mars 1996) et l'autre avec la Turquie (4 avril 1996).


Article 10

113. A l'époque où le présent rapport a été établi, il n'existait pas de programme spécifique de formation et d'enseignement destiné, entre autres, au personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois, au personnel médical et aux agents de la fonction publique, et visant à prévenir la possibilité même de la torture. Les institutions d'expertise médico-légale sont chargées de constater les dommages corporels dus, en particulier, à la torture. En vertu de leur mandat, elles ne peuvent toutefois qu'établir l'existence du dommage et déterminer sa gravité, mais non son origine (art. 71 du Code de procédure pénale).

114. Le projet de décret présidentiel qui a été mentionné précédemment, concernant les mesures d'urgence visant à éliminer la pratique de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention provisoire et les établissements pénitentiaires, devrait permettre de combler les lacunes existantes dans ce domaine. En vertu de l'article 2 dudit projet, le Ministère de l'éducation, en collaboration avec le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités, le ministère public, le Ministère de l'intérieur, le Ministère de la justice, le Ministère de la santé, les services de sécurité de l'Etat et le Département des unités de garde-frontières, est tenu d'"intégrer l'enseignement et l'information sur l'interdiction complète de la torture" aux programmes de formation du personnel des organismes susmentionnés. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités a élaboré des recommandations sur ce point et les a adressées aux ministères et départements ministériels concernés.

115. Les institutions et organisations internationales pourraient contribuer efficacement à la solution des problèmes liés à l'application des dispositions de l'article 10 de la Convention. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités a élaboré des propositions de coopération en la matière et les a adressées au Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE. Il a notamment invité des experts internationaux à se rendre en Géorgie pour étudier la situation dans ce domaine, offrir une assistance et une collaboration concrètes dans la mise en oeuvre des réformes nécessaires et organiser des séminaires.


Article 11

116. Durant la période couverte par le rapport et avant l'adoption de la nouvelle Constitution géorgienne, le contrôle de l'application des lois par les organes d'enquête et d'instruction incombait exclusivement au procureur. Le Code de procédure pénale régit les modalités de ce contrôle. On trouvera ci-après le texte de ses dispositions pertinentes au regard de l'article 11 de la Convention, assorti du renvoi à l'article correspondant du Code.

117. Dans les limites de sa compétence, le procureur peut :

a) demander, pour vérification, aux organes chargés de l'enquête et de l'instruction préparatoire les documents, dossiers pénaux, pièces et autres informations concernant le déroulement de l'enquête, la détention provisoire et l'identification du ou des auteurs d'une infraction;

b) annuler les décisions illégales ou non fondées des responsables de l'enquête ou de l'instruction;

c) donner des directives écrites concernant l'instruction de l'affaire, le choix, le remplacement ou l'annulation d'une mesure préventive, et la procédure relative aux actes d'instruction;

d) ordonner aux organes d'enquête d'exécuter une décision de placement en garde à vue, de comparution ou de mise en détention; participer à la procédure d'enquête et d'instruction préparatoire et, si nécessaire, procéder lui-même à l'instruction préparatoire et accomplir des actes d'instruction, quelle que soit l'affaire;

e) prolonger les délais de l'instruction et de la garde à vue, à titre de mesure préventive, dans les cas et selon les modalités prévues par le Code de procédure pénale;

f) dessaisir la personne chargée de l'enquête ou de l'instruction, si elle a laissé se commettre une violation de la loi au cours de l'information (art. 211).

118. Le Ministère public géorgien s'est doté d'une structure spéciale - la Direction de surveillance des enquêtes menées par les organes du Ministère de l'intérieur et du respect des droits de l'homme - qui est opérationnelle.

119. Ainsi, durant la période couverte par le présent rapport, le procureur détenait tous les pouvoirs au sein du système d'application des lois. Jusqu'à récemment, il avait même le droit de surveiller le fonctionnement des organes de justice. Il lui incombait ainsi de contrôler les lieux de détention et le traitement appliqué aux personnes placées en garde à vue et aux détenus. L'article 22 du Code pénal ("Buts de la peine") contient des dispositions sans équivoque sur ce point. Il y est souligné en particulier que "le but de la peine n'est pas d'infliger des souffrances physiques ou de porter atteinte à la dignité de la personne". Ledit article s'appliquant aux personnes qui ont été condamnées (les auteurs d'infractions), il s'applique à l'évidence également aux personnes gardées à vue. Le personnel des organes chargés de l'application des lois ne respecte toutefois pas toujours l'obligation de traiter ces personnes avec humanité. Conformément aux dispositions de la Partie spécifique du Code de procédure pénale (art. 80 à 94), le délai de garde à vue ne peut excéder 72 heures. La détention provisoire aux fins de l'instruction ne peut excéder deux mois, sauf dans les cas expressément prévus dans la loi.

120. En règle générale, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités prend des mesures relativement efficaces en cas de violation de la loi. On peut citer à ce propos les cas de Mikadzé et Kandaria, deux personnes qui sont restées détenues presque deux ans à la maison d'arrêt de Tbilissi sans être inculpées. A la suite de l'intervention du Comité, elles ont été remises en liberté.

121. En ce qui concerne les conditions proprement dites de la détention provisoire, on peut considérer que la situation est grave. Les administrations des établissements concernés, notamment des maisons d'arrêt de Tbilissi, de Kontaïssi, de Zougdidi et de Batoumi, sont soumises à un règlement discret concernant la détention provisoire, en vigueur depuis plus de 25 ans. Dans les cellules, chaque détenu dispose en moyenne d'une surface de moins d'un mètre carré, au lieu des 2,5 m2 réglementaires. En général, les détenus ne disposent pas de lit ni de literie, et ils sout souvent contraints de dormir par roulement de deux ou trois groupes, faute de place. Ces conditions sont propices à l'apparition de maladies parasitaires et infectieuses. Le fait que des mineurs sont également détenus dans ces conditions est particulièrement préoccupant.

122. Outre le ministère public, la Direction générale de l'exécution des peines - une structure spécialisée du Ministère de l'intérieur - peut également inspecter les lieux de détention. En vertu de décrets présidentiels, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités et le Comité international de la Croix-Rouge sont, eux aussi, habilités à surveiller la situation dans les établissements pénitentiaires (décrets Nos 335 et 33, respectivement, dont le texte est joint en annexe). Les représentants de ces deux institutions exercent pleinement le droit qui leur est ainsi conféré, visitant régulièrement les lieux de détention et s'entretenant avec les prisonniers. Dans le cadre de sa coopération avec le Ministère de l'intérieur, le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités prend toutes les mesures nécessaires pour créer des conditions de détention décentes et faire en sorte que les personnes privées de liberté ne soient pas soumises à des traitements cruels ou dégradants.

123. Le fait que les représentants du corps diplomatique accrédités en Géorgie ont le droit, s'ils le souhaitent et en font la demande, de rendre visite aux détenus aux intérêts desquels ils veillent témoigne de la volonté des autorités géorgiennes de construire une société ouverte et démocratique.

124. Le Code de procédure pénale fixe également la procédure de plainte contre les actes des responsables de l'enquête, des agents de l'instruction et du procureur (art. 219 à 221). Les plaintes doivent être formées et examinées selon les modalités suivantes :

a) Les plaintes contre les actes de la personne chargée de l'enquête ou de l'instruction sont adressées directement au procureur ou lui sont transmises par le responsable mis en cause. Les plaintes orales sont consignées dans un procès-verbal signé par l'auteur de la plainte et l'autorité qui l'a reçue;

b) La personne responsable de l'enquête ou l'agent de l'instruction est tenu de transmettre la plainte au procureur dans un délai de 24 heures, assortie de sa version des faits (art. 219). Le simple dépôt d'une plainte n'a pas d'effet suspensif sur l'exécution de l'acte contre lequel elle a été formée, si le responsable de l'enquête, l'agent de l'instruction ou le procureur ne l'estime pas nécessaire (art. 219).

125. Le procureur doit décider dans les 72 heures après réception d'une plainte de la suite à lui donner, et informer le plaignant de sa décision; en cas de refus de donner suite, il doit exposer les motifs pour lesquels il estime que la plainte est insuffisamment fondée.

126. La décision du procureur concernant une plainte dont il est saisi peut être contestée par l'auteur de l'acte visé par la plainte et par le plaignant. Les plaintes contre un acte exécuté par le procureur au cours de la procédure d'information ou d'instruction sont communiquées à un procureur hiérarchiquement supérieur (art. 220 et 221 du Code de procédure pénale).

127. La nouvelle Constitution géorgienne restreint sensiblement les pouvoirs du ministère public, qui est devenu par ailleurs une institution du pouvoir judiciaire; parallèlement, les tribunaux ont des pouvoirs nettement plus étendus et exercent des fonctions plus diversifiées (voir la partie du présent rapport consacrée aux structures du pouvoir responsables de la mise en oeuvre des dispositions de la Convention).

Droits et garanties assurés aux personnes privées de liberté

128. Le Code de procédure pénale géorgien énonce les droits et garanties qui sont assurés aux personnes privées de liberté. Il faut néanmoins souligner qu'il est prévu de le remanier en profondeur pour le rendre conforme aux dispositions de la nouvelle Constitution. Un autre élément à relever est l'existence d'un projet de code d'exécution des peines, qui revêt une importance particulière au regard de l'application de l'article 11 de la Convention. Ledit projet a été soumis pour avis aux départements minstériels compétents.

129. La teneur des dispositions les plus importantes du Code de procédure pénale en vigueur est exposée ci-après, assortie du renvoi aux articles correspondants.

130. Nul ne peut être mis en état d'arrestation autrement que par une décision judiciaire ou sur décision du procureur, lequel est tenu de remettre immédiatement en liberté toute personne arbitrairement privée de liberté ou placée en garde à vue ou en détention au-delà du délai prévu par la loi ou la condamnation (art. 10).

131. La mise en détention à titre de mesure préventive doit être conforme aux dispositions de l'article 10 (voir le paragraphe précédent) et au Règlement sur la détention provisoire, dans le cas d'une infraction emportant une privation de liberté pour une durée supérieure à un an. A titre exceptionnel, et au seul motif du caractère dangereux de l'infraction commise, cette mesure peut s'appliquer pour des infractions passibles d'une peine privative de liberté d'une durée inférieure à un an (art. 88). La garde à vue ne peut excéder 72 heures, et la détention provisoire pour les besoins de l'information ne peut excéder deux mois. La maintien en détention aux fins de l'instruction ne peut être prolongée que si l'affaire est particulièrement complexe et pour une durée maximale de neuf mois (art. 881 et 89). Dans des cas exceptionnels et au vu de la nature particulière de l'affaire, ce délai peut être à nouveau prolongé; le Procureur général de la République est seul habilité à prendre une telle mesure.

132. L'incorporation dans la Constitution géorgienne de normes en vertu desquelles la durée de la détention provisoire ne peut en aucun cas être supérieure à neuf mois est un élément positif au regard de l'application de la Convention (par. 6 de l'article 18).

133. Les mineurs ne peuvent être placés en garde à vue ou en détention, à titre de mesure préventive, que dans des cas exceptionnels où la gravité de l'infraction commise l'exige (art. 811).

134. Des garanties particulières sont prévues pour les personnes dont la condamnation a force de chose jugée.

135. Le temps passé par un condamné dans un établissement médical est imputé sur la durée totale de la peine (art. 336), en particulier dans le cas où une expertise médico-légale ou psychiatrique révèle la nécessité d'une hospitalisation (art. 190).

136. La personne condamnée est informée de tout recours ou demande présenté dans l'affaire le concernant et prend part à l'examen en cassation (art. 339, 342 et 389). Le pourvoi en cassation formé contre un jugement de condamnation est suspensif de son exécution (art. 342). Lors de l'examen de l'affaire en cassation, le tribunal peut réduire la peine prononcée en première instance ou retenir une qualification moins grave de l'infraction, mais n'a pas le droit de les aggraver (art. 361).

137. Avant l'exécution du jugement, le tribunal est tenu d'autoriser les parents proches et le conjoint du condamné à lui rendre visite en détention. Quand le jugement est exécutoire, l'administration du centre de détention est tenue d'informer le conjoint ou un parent proche du condamné du lieu où il est envoyé pour exécuter sa peine (art. 371).

138. L'exécution du jugement de condamnation peut-être différée :

- si le condamné souffre d'une maladie grave qui l'empêche d'exécuter sa peine - et ce jusqu'à ce qu'il soit remis;

- pour une durée d'un an au plus dans le cas d'une femme en état de grossesse au moment d'exécuter sa peine;

- si la femme condamnée a des enfants en bas âge - jusqu'à leur troisième anniversaire;

- dans certaines circonstances exceptionnelles prévues par la loi, pour une durée fixée par le tribunal mais ne pouvant excéder trois mois (art. 373).

139. Un condamné qui, pendant l'exécution de sa peine, contracte une maladie grave faisant obstacle à l'exécution de cette peine, peut être dispensé du reste de la peine par le tribunal (article 374).

140. Bien que, d'une façon générale, le système pénitentiaire géorgien réponde aux critères énoncés dans la loi, la situation concrète dans les établissements d'exécution des peines est loin d'être conforme aux normes internationales universellement reconnues. Les lacunes les plus graves du système pénitentiaire - qui comprend, en particulier, 15 colonies de rééducation par le travail, prisons et maisons d'arrêt - sont notamment les suivantes :

a) L'Etat déplorable des conditions matérielles et techniques, les bâtiments, pleinement amortis après de nombreuses années d'exploitation, ne pouvant être réparés et modernisés faute des ressources nécessaires;

b) Soins médicaux tout à fait insuffisants, l'absence de moyens ne permettant pas non plus d'organiser un suivi médical normal. Cette situation est à l'origine du décès de 120 détenus en 1994, qui ont succombé à diverses maladies (essentiellement la tuberculose et des pathologies cardio-vasculaires).En 1995, le nombre des détenus décédés des suites de maladie s'élevait à 122.

141. Un exemple permet de mesurer l'ampleur des crédits nécessaires : il faudrait entre 20 et 25 000 dollars des Etats-Unis pour soigner les 150 détenus atteints de tuberculose et placés de ce fait dans une colonie spéciale de la ville de Ksani. Le Ministère de l'intérieur ne dispose pas de telles ressources.

142. La situation est la même dans les établissements de rééducation spécialisés destinés aux femmes et aux mineurs détenus et les centres de soins. Dans presque tous les établissements pénitentiaires les conditions de vie n'atteignent pas le minimum acceptable et la situation sanitaire est déplorable.

143. On peut considérer globalement que les conditions de détention des condamnés ont un caractère dégradant. Au 1er janvier 1996, 8 247 personnes étaient détenues dans des établissements pénitentiaires, dont approximativement 200 femmes et mineurs de moins de 18 ans.

144. L'Etat prend des mesures visant à améliorer autant que possible la situation. Une initiative importante à cet égard a été l'élaboration, sur instruction du chef de l'Etat, d'un arrêté en conseil des ministres énonçant les mesures à prendre pour assurer les conditions matérielles, techniques et financières et les besoins de fonctionnement des établissements pénitentiaires relevant du Ministère de l'intérieur.


Article 12

145. Conformément au Code de procédure pénale géorgien, l'instruction préparatoire est obligatoire dans toutes les affaires pénales, sauf pour les infractions prévues à l'article 126 dudit Code et pour lesquelles une instruction préparatoire n'est ouverte que si le tribunal ou le procureur l'estime nécessaire.

146. Dans le cas où l'on soupçonne qu'un acte de torture a été commis, l'instruction préparatoire est conduite par les agents de l'instruction relevant du ministère public ainsi que ceux relevant du Ministère de l'intérieur. Dans le cas d'une infraction prévue par l'article 199 du Code pénal ("Contrainte exercée sur un témoin ou un expert"), l'instruction préparatoire est menée par l'organe compétent pour l'infraction ayant motivé les poursuites (art. 125 et 126 du Code de procédure pénale).

147. L'instruction préparatoire ne commence qu'après la mise en mouvement de l'action pénale. Après avoir reçu les informations concernant une infraction relevant de sa compétence et appelant une instruction préparatoire, l'agent de l'instruction est tenu d'engager sans retard l'action pénale et de procéder aux mesures d'instruction nécessaires; pour ce faire, il établit un acte dont il adresse copie au procureur dans les 24 heures.

148. Dans le cas où l'action pénale est mise en mouvement par l'agent de l'instruction, celui-ci rend une décision unique portant à la fois sur la mise en mouvement de l'action pénale et l'ouverture de l'instruction.

149. Si l'affaire est complexe ou étendue, l'instruction préparatoire peut être confiée à plusieurs agents, dont l'un conduit l'instance et supervise les diligences des autres agents. Dans ce cas, les noms de tous les agents de l'instruction sont portés à la connaissance du suspect, de l'inculpé et de la victime au moment où il leur est signifié qu'ils ont le droit de faire des récusations.

150. L'instruction préparatoire commence dès la mise en mouvement de l'action pénale et doit être close dans un délai maximum de deux mois. Les organes du ministère public ont le droit de prolonger ce délai dans les cas prévus par le Code de procédure pénale (art. 133 et 134).

151. Les éléments de l'instruction préparatoire ne peuvent être rendus publics qu'avec l'autorisation de l'agent de l'instruction et du procureur (art. 139).

152. Le Code de procédure pénale prévoit et réglemente également les autres procédures suivantes :

- La signification de l'inculpation et l'interrogatoire de l'inculpé (art. 140 à 152);

- L'interrogatoire des témoins et de la victime (art. 153 à 159);

- La confrontation et la présentation pour identification (art. 160 à 164);

- La fouille corporelle de l'inculpé, du suspect, du témoin ou de la victime afin de déceler sur leur personne des indices de l'infraction, si une expertise médico-légale n'est pas nécessaire en l'espèce (art. 181 et 182);

- L'expertise (art. 184 à 195).

153. Après que l'inculpé et son défenseur ont pris connaissance des pièces du dossier et pour autant qu'il existe des raisons suffisantes pour renvoyer l'inculpé devant le tribunal, l'agent de l'instruction rend une ordonnance d'inculpation, qu'il transmet avec le dossier pénal au procureur (art. 206 et 208). Dans le cas contraire, l'action pénale s'éteint, et l'agent de l'instruction rend une décision motivée dans ce sens (art. 209).

154. En 1995, sept actions pénales ont été exercées pour des cas de torture (selon les données fournies par le ministère public). Ainsi, l'homicide de L. Tchovelidzé, la mère de T. Tchovelidzé qui est décédée durant les événements du 9 avril 1989, a eu un grand retentissement dans le pays. Dans le cadre de l'instruction dirigée par le chef adjoint de l'un des services de la Direction de l'intérieur de Tbilissi, G. Kavtelichvili, et son collaborateur, G. Kikatcheichvili, des membres de la famille Khidacheli ont été arbitrairement détenus. Les deux fonctionnaires leur ont appliqué des mesures de coercition relevant de la définition de la torture et visant à leur extorquer des aveux. Faute de preuves, les victimes ont été relâchées, mais les fonctionnaires Kavtelichvili et Kikatcheichvili ont été poursuivis au pénal en vertu des articles 109 ("Fait de conduire une personne au suicide"), 187 et 195 du Code pénal.

155. Il faut relever que, dans la pratique, il n'est pas toujours possible d'assigner en justice les personnes soupçonnées d'avoir commis un acte de torture. A l'évidence, cela tient au fait que les victimes ne font guère confiance à la justice et ont peur d'une éventuelle vengeance de l'auteur du délit. Cette situation est elle-même due à la perte de crédit des organes chargés de l'application des lois au sein de la société géorgienne, et aux lacunes des mécanismes de protection judiciaire.

156. On peut citer comme exemple l'affaire de M. Tsanava, qui a été arrêté pour banditisme, mais sans que tous les éléments constitutifs de l'infraction aient été réunis. En détention, il a été soumis à la torture aux fins d'extorsion d'aveux. Informée de cette situation, une commission spéciale mise en place par le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités a rendu visite au détenu et a constaté qu'il avait subi des coups et avait été soumis à la torture. Il n'a toutefois pas été possible de poursuivre l'auteur de ces actes, du fait que la victime "ne se souvenait plus" qui précisément lui avait infligé pareil traitement. M. Tsanava a été remis en liberté et a suivi un traitement. Le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités s'est saisi de l'affaire et en poursuit l'examen.


Article 13

157. La législation géorgienne prévoit une catégorie d'infractions qui ne peuvent être poursuivies au pénal que sur plainte de la victime, laquelle a dans ce cas le droit de soutenir l'accusation. Le tribunal examine ce type d'affaire sans qu'il ait été procédé à une enquête ni à une instruction préparatoire, sauf dans les cas où le procureur ou le tribunal l'estime nécessaire. Si la victime est une personne mineure ou qui, en raison de déficiences physiques ou mentales, n'est pas en mesure de défendre ses intérêts légitimes, l'action peut être mise en mouvement sur plainte de son représentant légal (art. 115 du Code de procédure pénale).

158. Les infractions prévues dans la première partie de l'article 116 du Code pénal ("Coups et actes de torture") relèvent également de cette catégorie. Toutefois, si l'affaire revêt une importance particulière pour la société ou si la victime, compte tenu des circonstances, de son rapport de dépendance vis-à-vis de l'inculpé ou pour d'autres raisons, n'est pas en état de défendre ses intérêts légitimes, le procureur a le droit d'engager l'action publique sans qu'une plainte ait été formée (art. 115 du Code de procédure pénale).

159. La procédure s'éteint en cas de décès de la victime. Toutefois, si la défense des intérêts de l'Etat ou de la société ou la protection des droits des citoyens l'exigent, le tribunal poursuit l'examen de l'affaire conformément aux principes généraux du droit et en informe le procureur (art. 115).

160. Le procureur s'assure de la légalité de la mise en mouvement de l'action pénale. Dans le cas où le refus d'engager une action à la suite d'une plainte est insuffisamment fondé, le procureur rend une décision qui annule celle de l'agent de l'instruction ou de l'organe d'enquête, et met en mouvement l'action pénale. Dans le cas d'un refus injustifié du tribunal de mettre en mouvement l'action pénale, le procureur se pourvoit selon la procédure établie (art. 116).

161. Outre les organes compétents pour instruire en cas de plainte contre un acte de torture conformément au Code de procédure pénale (voir la partie du présent rapport consacrée à l'application de l'article 11 de la Convention), le Comité des droits de l'homme et des relations entre les nationalités examine, dans les limites de sa compétence, ce type de cas. Il n'est pas habilité à procéder lui-même à l'instruction, mais il s'assure que la plainte est fondée et la transmet aux organes compétents pour qu'ils l'examinent quant au fond, tout en continuant, en général, de suivre l'affaire.

162. Comme cela a été indiqué précédemment, l'instruction ne peut commencer qu'après la mise en mouvement de l'action pénale (art. 3 du Code de procédure pénale). Les circonstances excluant la mise en mouvement de l'action pénale, conformément aux dispositions de l'article 13 de la Convention, sont les suivantes :

a) Absence d'éléments constitutifs d'une infraction;

b) Absence de faits délictueux;

c) Expiration des délais de prescription;

d) Mesure d'amnistie qui retire à l'acte incriminé son caractère délictueux, et mesure de grâce individuelle;

e) Réconciliation de la victime et de l'inculpé, si l'action ne peut être engagée que sur plainte de la victime;

f) Absence de plainte de la victime, dans la situation prévue à l'alinéa e);

g) Décès de l'inculpé;

h) Existence d'un jugement passé en force de chose jugée pour la même inculpation, ou décision du tribunal visant à mettre fin aux poursuites pour le même motif;

i) Décision non infirmée de l'organe d'enquête, de l'agent de l'instruction ou du procureur visant à mettre fin aux poursuites et portant sur les mêmes chefs d'inculpation (art. 5 du Code de procédure pénale).

163. La décision des autorités compétentes est en général contestée devant un tribunal.


Article 14

164. Durant la période soviétique de l'histoire de la Géorgie, le système législatif ne prévoyait pas de réparation pour les personnes victimes de l'arbitraire des représentants du pouvoir. Le concept même de "réparation" prévu par le Code de procédure pénale s'entend uniquement de l'indemnisation d'un dommage matériel et ne porte que sur les biens. Les raisons profondes de cet état de choses sont à chercher dans l'idéologie même prônée dans l'ex-URSS, qui supposait la primauté absolue de l'Etat et de ses intérêts sur l'individu, ses intérêts et ses droits. Dans l'Etat du "socialisme avancé", l'individu avait des obligations dûment réglementées auxquelles il ne pouvait échapper; quant à ses droits, établis dans tous les instruments juridiques, ils avaient souvent un caractère formel. On considérait à priori que l'Etat et, partant, les responsables de l'exécution des politiques agissaient toujours exclusivement "pour le peuple et au nom du peuple", comme cela était proclamé à tous les niveaux. On ne pouvait concevoir que l'Etat, en la personne de ses agents, commette une faute et moins encore porte préjudice à un particulier. Il allait ainsi de soi que les instruments juridiques ne pouvaient prévoir qu'un particulier puisse être victime de l'arbitraire des autorités (au sens large de ce terme) et, en conséquence, exigent une réparation adéquate ou les moyens nécessaires à sa réadaptation. En théorie, le citoyen conservait la possibilité de saisir les tribunaux, mais il n'avait guère de chances d'obtenir gain de cause contre l'Etat en s'adressant à un organe qui ne répondait pas aux critères d'indépendance et d'impartialité qui devraient caractériser les instances judiciaires.

165. La première mesure très importante visant à protéger comme il convient les citoyens contre l'arbitraire a été l'adoption de la nouvelle Constitution géorgienne, qui prévoit en particulier :

a) Les garanties d'une réparation complète - par la voie judiciaire - financée par l'Etat, pour toute personne victime d'un préjudice causé par un acte illicite des organes de l'Etat, des administrations autonomes ou de leurs agents (par. 9 de l'article 42);

b) Le droit à indemnisation des personnes arbitrairement arrêtées ou détenues (par. 7 de l'article 18).

166. Dans le cadre des réformes juridiques en cours en Géorgie, les dispositions précitées de la Constitution seront renforcées et étoffées dans les instruments juridiques pertinents, qui prévoiront également les mécanismes de leur mise en oeuvre.


Article 15

167. La Constitution géorgienne contient une série de dispositions pertinentes au regard de l'article 15 de la Convention. Les plus importantes sont les suivantes :

168. Les éléments de preuve obtenus en violation de la loi n'ont pas de valeur juridique. Nul n'est tenu de témoigner contre soi-même ou contre ses proches, tels qu'ils sont définis par la loi (par. 7 et 8 de l'article 42).

169. Conformément aux dispositions de l'article 40 de la Constitution, toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été prouvée selon la procédure prévue par la loi et établie par un jugement d'un tribunal ayant acquis force de chose jugée. Nul n'est tenu de prouver son innocence; la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante (par. 1 et 2 de l'article 42).

170. Le Code de procédure pénale énonce des principes similaires : "nul ne peut être inculpé autrement que pour des motifs et selon les modalités prévus par la loi" (art. 4) et "nul ne peut être reconnu coupable d'une infraction ni se voir infliger une peine autrement que par un jugement du tribunal et conformément à la loi" (art. 11). On peut estimer toutefois que l'adoption des dispositions de la Constitution constitue une mesure importante visant à confirmer concrètement le principe de la présomption d'innocence comme l'un des fondements du système juridique géorgien.

171. Les principes généraux régissant les modes de preuve admis par le tribunal sont énoncés dans le Code de procédure pénale (chap. VI, art. 59, 61 à 69, 74 et 78). Le Code prévoit en particulier ce qui suit:

a) Sont considérés comme preuves dans une affaire pénale tous les éléments de fait à partir desquels l'organe d'enquête, l'agent de l'instruction et le tribunal établissent l'existence ou l'absence d'un acte dangereux pour la société, la culpabilité de la personne qui a accompli un tel acte et d'autres circonstances;

b) Toutes les preuves rassemblées dans l'affaire sont soumises à une vérification soigneuse, détaillée et objective de la part de la personne qui conduit l'enquête, de l'agent de l'instruction, du procureur et du tribunal;

c) Aucune preuve ne s'impose au juge, au procureur, à l'agent de l'instruction et à la personne qui conduit l'enquête en vertu d'une force probante établie à l'avance;

d) Le défenseur de l'inculpé, de même qu'une personne qui, en raison de ses déficiences physiques ou mentales, n'est pas en mesure d'apprécier les circonstances qui ont une importance pour l'affaire ni de fournir des déclarations exactes à leur sujet, ne peuvent être interrogés en qualité de témoins;

e) Les données communiquées par le témoin ne peuvent constituer des preuves si ce dernier n'est pas en mesure d'indiquer les sources de son information;

f) Les données communiquées par la victime ne peuvent constituer des preuves si cette dernière n'est pas en mesure d'indiquer les sources de son information;

g) Le suspect et l'accusé jouissent sans restriction du droit de faire des dépositions relatives aux accusations pesant contre eux;

h) Les conclusions des experts ne peuvent outrepasser les limites de leurs compétences;

i) Les procès-verbaux des actes d'instruction et des actes judiciaires ne constituent des éléments de preuve dans une affaire pénale que s'ils ont été établis selon les modalités prévues par ledit Code (art. 96 et 100).

172. Le Code pénal prévoit des sanctions relativement sévères lorsque la personne conduisant l'enquête ou l'instruction préparatoire cherche à obtenir des déclarations sous la menace, par la violence ou par d'autres actes illégaux. Conformément à l'article 195 dudit Code, l'auteur d'une telle infraction encourt une peine privative de liberté d'une durée pouvant aller de trois à 10 ans. En outre, ces dispositions s'appliquent à la contrainte exercée non seulement sur l'inculpé ou la victime, mais aussi sur les experts (fait de contraindre un expert à fournir des conclusions) et les interprètes (fait de contraindre un interprète à traduire de façon erronée). Ainsi, il découle objectivement des dispositions de l'article 195 du Code pénal que les dépositions, déclarations et autres témoignages obtenus par la contrainte, sous quelque forme que ce soit, ne peuvent être retenus en qualité de preuves pour le procès.

173. Il convient de souligner que, dans le système judiciaire géorgien, le droit de toute personne, où qu'elle se trouve, à la reconnaissance de sa personnalité juridique, ne fait l'objet d'aucune restriction :

- "Nul ne peut être responsable d'un acte qui, au moment où il a été commis, n'était pas considéré comme une infraction. La loi qui n'atténue pas et ne supprime pas la responsabilité d'une personne n'a pas d'effet rétroactif" (par. 5 de l'article 42 de la Constitution).

- "Le caractère délictueux d'une action et les sanctions qu'elle emporte sont définis par la loi en vigueur au moment où l'acte a été commis. La loi portant suppression ou atténuation des peines a un effet rétroactif. La loi qui établit le caractère punissable d'un acte ou édicte une pénalité plus sévère n'a pas d'effet rétroactif" (art. 7 du Code pénal).

174. Les deux dispositions susmentionnées excluent la possibilité d'un effet rétroactif de la loi en ce qui concerne l'établissement de sanctions ou l'aggravation des peines, ce qui est également conforme aux dispositions de la Convention.


Article 16

175. Comme il ressort de la lecture du présent rapport, les actes d'arbitraire ne relevant pas de la définition de la "torture" qui figure à l'article premier de la Convention, et qui ont été commis par un agent de la fonction publique ou une autre personne agissant à titre officiel sont considérés comme des infractions de droit commun. En complément à ce qui a été dit précédemment, il convient d'appeler l'attention sur deux autres articles du Code pénal géorgien. L'abus de pouvoir ou d'autorité, s'il s'accompagne de violences ou de l'utilisation d'armes à feu, ou d'actes portant atteinte à la dignité de la victime, est passible de la privation de liberté pour une durée pouvant aller de deux à huit ans (art. 187, troisième partie du Code pénal). L'abus de pouvoir ou d'autorité qui cause préjudice, entre autres, aux droits et intérêts légitimes de particuliers est également puni de la privation de liberté (art. 186, première partie du Code pénal).


III. CONCLUSION

176. Durant la période où a été élaboré le présent rapport, une série d'événements importants sont intervenus dans la vie sociale et politique de la Géorgie. La nouvelle Constitution a été adoptée par le Parlement et est entrée en vigueur, posant ainsi les fondements juridiques nécessaires à l'édification d'une société civile véritablement démocratique. Le Président de la République et le Parlement ont été élus et les observateurs internationaux ont reconnu le caractère équitable et démocratique des élections. Edouard Chevardnadzé, une personnalité et un homme politique dont l'attachement inébranlable aux principes de la démocratie est bien connu et a été reconnu par la communauté internationale, a recueilli la majorité absolue des suffrages et est devenu Président de la Géorgie. La politique tracée par le Président jouit d'un large soutien au sein de la population géorgienne, ce qui a été confirmé également par le fait que l'Union des citoyens géorgiens - une organisation politique fondée et dirigée par Edouard Chevardnadzé - a obtenu la majorité des sièges au nouveau parlement.

177. Une initiative fondamentale visant à affirmer la suprématie de la loi et la primauté des droits de l'homme dans la société géorgienne a été l'introduction, dans la Constitution, d'une disposition prévoyant l'établissement d'une institution indépendante - le Défenseur du peuple en matière de droits de l'homme - dotée de pouvoirs étendus. La loi constitutionnelle correspondante est en cours d'élaboration et, une fois qu'elle aura été adoptée par le Parlement et que le Défenseur du peuple aura été désigné, cette institution deviendra une structure efficace en matière de surveillance du respect et de protection des droits et des libertés de la personne.

178. La réforme du droit géorgien va bon train et vise à mettre les fondements juridiques en conformité avec les normes et dispositions des instruments internationaux auxquels la Géorgie est partie.

179. Tout ce qui a été indiqué précédemment, à quoi il faut ajouter d'autres processus positifs en cours dans la République, nous donne des raisons de considérer l'avenir avec optimisme, et nous sommes certains que la Géorgie s'est résolument engagée dans la voie d'un développement démocratique, de la construction d'une société mue par des considérations humaines, qui accorde une place centrale à l'homme, à ses droits et à ses libertés.


Liste des documents joints en annexe Ces documents peuvent être consultés dans les archives du Centre pour les droits de l'homme.

1. Constitution géorgienne de 1995

2. Loi No 127 sur le statut juridique des étrangers

3. Loi No 66 sur la citoyenneté géorgienne

4. Décret présidentiel No 335, en date du 4 octobre 1994, relatif à certaines mesures visant à garantir la protection des droits de l'homme en Géorgie

5. Conclusions sur les résultats de l'enquête effectuée par le ministère public géorgien concernant les faits de génocide et de purification ethnique commis à l'encontre des habitants de la République autonome d'Abkhazie par des organisations séparatistes agressives dans la région abkhaze de la Géorgie.



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