Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Chypre, U.N. Doc. CAT/C/33/Add.1 (1997).
Deuxièmes rapports périodiques des Etats parties
devant être présentés en 1996
Additif
CHYPRE
/Pour le rapport initial présenté par le Gouvernement chypriote, voir le document
CAT/C/16/Add.2; pour son examen par le Comité, voir les documents CAT/C/SR.168
et 169 et Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième session,
Supplément No 44 (A/49/44), par. 118 à 127.
[11 septembre 1996]
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Introduction |
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I. |
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4 - 23 | |
II. |
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III. |
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Introduction
1. Le présent rapport est le premier rapport complémentaire (deuxième rapport
périodique) présenté par la République de Chypre conformément à l'article 19
de la Convention, le rapport initial ayant été présenté en juin 1993 et examiné
par le Comité le 17 novembre 1993.
2. Pour l'établissement du présent rapport, il a été tenu compte :
a) Des directives du Comité;
b) Des mesures prises par la République de Chypre et des faits nouveaux intervenus
en ce qui concerne la mise en oeuvre de la Convention depuis la présentation
du rapport initial;
c) Des informations reçues à propos de questions auxquelles il n'avait pas été
répondu lors de l'examen du rapport initial;
d) Des observations et recommandations faites par le Comité dans son rapport
daté du 12 juillet 1994;
e) Des mesures qu'il est envisagé de prendre dans l'avenir.
3. Conformément aux directives, le présent rapport est divisé en deux parties.
La première traite des faits nouveaux intervenus et des dispositions et mesures
prises au cours de la période intérimaire. On y trouvera également un aperçu
général des mesures envisagées. La deuxième partie contient un complément d'information
et des réponses aux observations et recommandations faites par le Comité dans
son rapport.
I. RENSEIGNEMENTS SUR LES NOUVELLES MESURES ET LES NOUVEAUX FAITS TOUCHANT L'APPLICATION
DE LA CONVENTION
(en suivant, le cas échéant, l'ordre des articles 1 à 16)
Faits nouveaux intervenus après la présentation du rapport initial
4. Les principaux faits nouveaux survenus depuis la présentation du rapport
initial sont les suivants :
a) Etablissement d'un projet de loi concernant la santé mentale;
b) Etablissement d'un projet de loi concernant l'interprétation et l'application
des traités internationaux;
c) Promulgation d'une nouvelle loi concernant les prisons;
d) Présentation au Conseil des ministres du rapport de la commission chargée
d'enquêter sur les plaintes déposées contre la police par des personnes placées
en garde à vue pour mauvais traitements et mesures prises en conséquence.
Santé mentale; internement des malades mentaux
5. La principale loi régissant la détention de personnes souffrant de troubles
psychiques est la loi sur les malades mentaux (chap. 252). Il existe aussi d'autres
dispositions qui, quoique figurant dans la loi de procédure pénale (chap. 155),
concernent la détention de personnes souffrant d'aliénation mentale. D'une manière
générale, une personne souffrant de troubles psychiques peut être internée dans
une institution psychiatrique dans les cas suivants :
a) L'internement du patient, que celui-ci ait ou non commis une infraction,
est jugé nécessaire à sa propre protection ou à la protection du public (loi
sur les malades mentaux);
b) Le patient, accusé d'avoir commis une infraction, a été acquitté en raison
de son aliénation mentale (loi sur la procédure pénale, chap. 155, art. 70,
par. 2);
c) Le patient, accusé d'avoir commis une infraction, a été jugé incapable de
plaider et de suivre les débats lors d'une enquête menée à cette fin (loi sur
la procédure pénale, chap. 155, art. 70, par. 1);
d) Le patient a été appréhendé alors qu'il se trouvait en état de vagabondage
et traduit devant un tribunal pour que son cas soit examiné en vertu des dispositions
de la loi sur les malades mentaux.
6. La loi sur les malades mentaux, promulguée en 1931, est indéniablement tombée
en désuétude et ne correspond pas à la conception que l'on se fait actuellement
des maladies mentales et de leur traitement. Il a donc été établi, en vue de
moderniser le droit relatif à la santé mentale, un projet de loi contenant notamment
des dispositions sur la création d'institutions psychiatriques et leur administration,
le traitement des malades mentaux, la protection de leurs droits et les devoirs
et responsabilités de leurs parents.
7. La principale innovation de ce projet de loi est que l'internement d'un malade
dans une institution psychiatrique serait désormais volontaire, l'internement
obligatoire étant restreint aux cas où cela s'avérerait nécessaire pour la protection
du patient et celle du public. Pour qu'une ordonnance d'internement obligatoire
soit prise, il faudrait en faire la demande au tribunal, qui rendrait une ordonnance
provisoire autorisant un internement de trois semaines aux fins de supervision
et de traitement ainsi que pour déterminer si une prorogation s'impose. Si,
à l'expiration de l'ordonnance provisoire, il était jugé indispensable que le
patient poursuive son traitement, une nouvelle ordonnance serait rendue, valable
pour une période de 12 mois au maximum.
8. Si le traitement est volontaire, il n'est pas limité dans le temps et le
patient a la faculté de l'interrompre à son gré, sauf si le tribunal estimait
qu'il y a lieu de transformer le traitement volontaire en internement d'office.
9. Ce projet a été établi par le Commissaire aux lois en coopération avec le
Ministère de la santé et se trouve actuellement au stade de la dernière lecture,
en instance de présentation au Conseil des ministres pour approbation, puis
présentation à la Chambre des représentants. Le Département des services de
santé mentale de la République envisage l'institution de maisons ou foyers où
de petits groupes de patients seraient encouragés à vivre sous la supervision
d'un personnel soignant. Ces patients se verraient délivrer un certificat de
maladie mentale et seraient relâchés à l'issue d'une période d'essai.
Maladies transmissibles : complément d'information
10. Les détenus qui entrent dans la catégorie dite "à haut risque"
sont encouragés à subir le test de dépistage du VIH. S'ils s'avèrent séropositifs,
ils sont traités dans un pavillon d'isolement.
11. La pratique décrite ci-dessus a récemment été critiquée par le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants,
qui a estimé que rien au plan médical ne justifiait d'isoler des détenus au
seul motif qu'ils étaient porteurs du virus de l'immunodéficience humaine ou
de celui de l'hépatite B si les sympt_mes de ces maladies ne se manifestaient
pas. Comme solution de remplacement, le Comité a recommandé l'adoption d'un
nouveau système permettant de détenir les personnes dites à haut risque dans
des lieux de détention ordinaires. Cette nouvelle politique devait s'accompagner
d'une assistance sociopsychologique régulière au personnel pénitentiaire et
aux détenus concernant les risques de contamination et les méthodes de protection
contre les maladies transmissibles.
12. Donnant suite à la recommandation du Comité européen, le Ministère de la
justice et de l'ordre public examine la possibilité d'abolir le "pavillon
de traitement" en tant que lieu de détention particulier et distinct réservé
aux porteurs de maladies transmissibles.
13. On considère toutefois qu'il est impératif de soumettre à des conditions
spéciales d'emprisonnement les prisonniers porteurs du SIDA ou de l'hépatite
B pour des raisons non seulement médicales, mais aussi de divers ordres, notamment
:
a) Les meilleures conditions de vie qu'offrent des cellules plus spacieuses,
avec WC et salle de bains;
b) Le rejet des prisonniers atteints du SIDA par leurs codétenus et les conséquences
que ce rejet peut avoir sur les sidéens eux-mêmes;
c) La tendance qu'ont certains malades atteints du SIDA à communiquer leur maladie
à d'autres prisonniers et le risque accru de transmission de cette maladie,
même entre gens informés, provoqué par les conditions de vie qui règnent dans
toute prison.
14. Outre les renseignements figurant dans le rapport initial, il peut être
utile de mentionner d'autres dispositions législatives concernant les maladies
transmissibles en général.
15. En vertu du chapitre 284 de la loi sur les prisonniers atteints de maladies
transmissibles, une personne détenue dans une prison pouvait être enfermée dans
un hôpital ou un asile dès sa libération si elle souffrait d'une maladie transmissible.
Cette loi surannée a toutefois été abrogée par la nouvelle loi No 62(I) sur
les prisons, promulguée en mai 1996.
16. Il convient de mentionner que la loi de 1891 sur la ségrégation et le traitement
des lépreux a été abrogée en 1957.
17. Une autre loi limitant la circulation des personnes est celle régissant
l'imposition de la quarantaine (chap. 160), qui a pour but d'empêcher l'introduction
et la propagation de maladies infectieuses dangereuses. Aux fins de cette loi,
les "maladies infectieuses" sont le choléra, la peste, la variole,
le typhus, la fièvre jaune et d'autres maladies transmissibles qui peuvent être
déclarées telles par notification.
Interprétation et mise en oeuvre des traités internationaux
18. Il a été jugé nécessaire d'établir un projet de loi relatif à l'interprétation
et à l'application des traités internationaux afin de clarifier et réglementer
certaines questions, de sorte que les tribunaux disposent d'orientations sur
lesquelles se guider en vue d'un traitement uniforme de certains points relatifs
à la mise en oeuvre des traités internationaux, et aussi pour fournir au public
des informations directes et sans ambiguïté sur les droits que lui garantit
la Convention. L'une des principales questions qui ont fait naître l'idée de
légiférer sur l'application des traités internationaux est celle de la définition
de ce qui constitue une disposition d'exécution automatique qui, en tant que
telle, ne nécessite aucune législation nationale pour pouvoir être appliquée.
Ce à quoi une disposition conventionnelle doit sa force exécutoire automatique
n'est pas toujours clair et les avis juridiques divergent à ce sujet. Dans l'affaire
Malachtos c. Armeftis, la Cour suprême, dans sa juridiction d'appel, a notamment
déclaré ce qui suit :
"... pour qu'un traité soit applicable, il faut qu'il soit immédiatement
exécutoire ... Seules sont d'application automatique les dispositions d'une
convention qui peuvent être appliquées par les tribunaux et qui créent des droits
pour les individus : elles régissent ou touchent directement les relations de
droit interne entre les individus, et entre les individus et l'Etat ou les autorités
publiques. Les dispositions qui ne créent pas par elles-mêmes des droits ou
des obligations pour des personnes ou des intérêts et qui ne peuvent être justifiables
ou ne se réfèrent pas à des actions ou omissions d'organes d'Etat ne sont pas
d'application automatique ... La réponse à la question de savoir si des traités
sont ou non d'application automatique dépend du libellé de la convention, de
ses dispositions et du droit constitutionnel pertinent dans un pays donné."
19. Ce en quoi consiste une disposition d'application automatique est clairement
défini dans le projet de loi, et ces dispositions peuvent donc être appliquées
telles quelles, sans qu'il soit besoin que l'Etat adopte une législation quelconque
ou toute autre mesure administrative. D'après la définition qu'en donne le projet
de loi, les dispositions d'application automatique sont celles qui :
a) Sont expressément désignées comme telles dans la loi pertinente portant ratification
du traité;
b) Sont considérées comme telles par un tribunal;
c) Ont trait, de par leur nature même, aux droits et libertés individuels et
ne nécessitent aucun texte d'application de la part de l'Etat.
20. Une disposition fort importante du projet de loi prévoit la création d'un
conseil doté de larges attributions, parmi lesquelles l'établissement d'études
préparatoires concernant les procédures de signature d'accession et de ratification,
l'élaboration de recommandations sur les modifications à apporter à la législation
nationale par suite de la ratification d'un traité et la communication d'informations
concernant les traités.
21. Le projet de loi donne des éclaircissements sur la question de la réciprocité
dans une disposition qui répond aussi aux questions soulevées lors de l'examen
du rapport initial. Dans l'affaire Malachtos (voir par. 18), le tribunal a fait
la constatation suivante :
" ... il existe ... des traités dont la nature, l'objectif et la fonction
dans les relations internationales et l'ordre juridique interne excluent la
condition de réciprocité. Tel est le cas des conventions multilatérales dont
l'objet et l'intention n'est pas de créer des droits subjectifs ou mutuels qui
vaudraient pour les parties contractantes elles-mêmes, mais de promouvoir certains
principes de droit ou certaines valeurs morales et juridiques, et qu'une partie
contractante signe ou ratifie dans le seul but de réaliser cet objectif. Ainsi,
par exemple, les conventions visant la défense des droits de l'homme et l'amélioration
et la formulation de règles communes, de même que le progrès de la justice sociale".
22. La question du statut des traités au regard de la Constitution de la République
et du droit interne a vivement préoccupé le Comité des droits de l'homme lorsque
celui-ci a examiné le deuxième rapport périodique de la République de Chypre
concernant l'application du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. C'est pour répondre à cette préoccupation que le Commissaire aux
lois a inséré une disposition pertinente dans le projet de loi susmentionné.
La clause 12 de ce projet, en particulier, stipule :
"Il est précisé que la réciprocité mentionnée au paragraphe 3 de l'article
169 de la Constitution ne constitue pas une condition pour l'application :
a) De traités multilatéraux dont l'objet n'est pas de créer des droits subjectifs
ou mutuels qui vaudraient pour les parties contractantes elles-mêmes mais de
promouvoir certains principes de droit ou certaines valeurs morales ou juridiques
(telles que la défense des droits de l'homme, l'amélioration et la formulation
de règles communes ainsi que le progrès de la justice sociale) et qu'une partie
contractante signe ou ratifie dans le seul but d'atteindre cet objectif.
b) Des traités pour lesquels il existe un mécanisme international de supervision
auquel une partie alléguant une violation du traité peut avoir recours."
23. Il existe dans ce projet de loi d'autres dispositions concernant notamment
ce qui suit :
La force exécutoire d'anciens traités en vigueur avant que Chypre ne devienne
un Etat indépendant;
L'effet de l'abrogation d'une loi portant ratification d'un traité;
L'effet d'un traité sur la Constitution;
L'institution d'une peine en vue de punir une infraction qu'un traité a créée
sans prévoir de sanction correspondante;
L'absence d'obligation de réciprocité en ce qui concerne les traités multinationaux;
Les dispositions habilitantes de caractère général permettant d'édicter des
règles et règlements.
II. COMPLEMENT D'INFORMATION DEMANDE PAR LE COMITE
Tribunaux et peines
24. La loi No 235 de 1990 portant ratification de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants contient des
dispositions spécifiques faisant de la torture une infraction punissable de
peines plus ou moins graves selon les circonstances dans lesquelles elle a été
commise. En particulier, l'article 3 de cette loi stipule :
"1. Toute personne qui soumet une autre personne à la torture est coupable
d'une infraction et passible :
a) d'une peine d'emprisonnement de trois ans;
b) d'une peine d'emprisonnement de dix ans si elle porte gravement atteinte
à l'intégrité physique de la personne torturée ou utilise des moyens ou des
méthodes de torture systématique.
2. Si la personne responsable de la torture est un agent de l'autorité publique
ou une personne agissant à titre officiel, elle est passible :
a) de cinq ans de prison;
b) de 14 ans de prison si les circonstances aggravantes visées à l'alinéa b)
du paragraphe 1 ci-dessus sont retenues.
3. Si la personne torturée meurt des suites des supplices qu'elle a subis, le
tortionnaire est passible de la réclusion à perpétuité.
4. Aux fins du présent article, le mot "torture" a le sens qui lui
est donné à l'article premier de la Convention."
25. Les questions de juridiction sont régies par la loi No 14 de 1960 sur les
tribunaux et le Code pénal (chap. 154). Le paragraphe 1 de l'article 20 de la
loi No 14 de 1960 donne compétence aux cours d'assises pour juger toute infraction
commise :
a) Dans les limites territoriales de la République de Chypre; ou
b) Dans les zones souveraines des bases créées par le Traité relatif à la création
de la République de Chypre, par un Chypriote à l'encontre d'un autre citoyen
chypriote ou relativement à un citoyen chypriote;
c) Dans tout pays étranger, par un citoyen de la République alors qu'il se trouvait
au service de la République; ou
d) Sur tout navire ou aéronef immatriculé dans la République; ou
e) Dans tout autre lieu et dans toutes autres circonstances spécifiés par la
loi."
Le paragraphe 1 de l'article 5 du Code pénal (chap. 154) donne aux tribunaux
de Chypre compétence pour juger toute infraction commise :
a) Sur le territoire de la République; ou
b) Dans les zones souveraines des bases, par un Chypriote à l'encontre d'un
autre Chypriote ou relativement à un autre Chypriote; ou
c) Dans tout pays étranger, par un citoyen de la République alors qu'il se trouvait
au service de la République; ou
d) Dans tout pays étranger, par un citoyen de la République, si l'infraction
est passible dans la République de la peine de mort ou d'un emprisonnement de
plus de deux ans, et si l'action ou l'omission constituant l'infraction est
également punissable par la loi du pays dans lequel elle a été commise - ceci
sous réserve que si l'action ou l'omission constituant l'infraction n'est pas
punissable par la peine de mort dans le droit du pays où l'action ou omission
a été commise, mais qu'elle l'est dans la République, la peine de mort ne sera
pas appliquée dans la République mais l'auteur sera passible d'une autre peine
pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité; ou
e) Dans tout pays étranger, par toute personne si l'infraction consiste en :
i) un acte de trahison ou un attentat contre la sûreté de la République ou l'ordre
constitutionnel; ou
ii) un acte de piraterie; ou
iii) un acte de contrefaçon de pièces de monnaie ou de billets de banque de
la République; ou
iv) un acte lié au trafic illicite de stupéfiants; ou
v) un fait réprimé par la loi de la République en vertu de tout traité ou de
toute convention internationale liant celle-ci.
26. Les dispositions ci-dessus sont évidemment conformes à l'article 5 de la
Convention. En particulier, l'alinéa e) du paragraphe 1 de l'article 20 de la
loi No 14 de 1960 et l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article 5 du Code pénal,
en tant que clause supplétive, complètent l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article
5 de la Convention, sans qu'il soit besoin de prendre d'autres mesures en droit
interne puisque du fait de sa ratification, la Convention est devenue partie
intégrante du droit chypriote.
Article 8 de la Convention
27. Cet article de la Convention est d'application automatique et il n'est nul
besoin de prendre des mesures dans l'ordre interne pour lui donner effet. De
par sa ratification, non seulement la Convention a été intégrée dans la législation
interne mais encore, en vertu de l'article 169 de la Constitution de la République,
elle prévaut sur toute loi nationale en conflit avec elle. L'article 8 contient
donc des dispositions concernant de nouvelles infractions justifiant l'extradition
qui sont applicables à Chypre.
Commission d'enquête
a) Conclusions de la Commission d'enquête sur les plaintes faisant état de brutalités
policières
28. Cette commission d'enquête a été mise en place en 1993 par le Conseil des
ministres pour examiner huit affaires concernant des plaintes déposées contre
des fonctionnaires de police pour torture et mauvais traitements. Dans toutes
ces plaintes, on faisait état de tortures consistant en pendaison par les pieds,
décharges électriques et matraquages au cours d'interrogatoires qui se déroulaient
généralement la nuit, pendant lesquels les victimes étaient insultées et victimes
et policiers portaient des capuchons.
29. La Commission, ayant entendu les témoignages des plaignants, des policiers,
du personnel médical et d'autres témoins, et ayant examiné les éléments de preuve
disponibles, est parvenue dans chaque cas à la conclusion que les plaignants
avaient bien été torturés ou maltraités par la police. Dans sa conclusion générale,
elle a condamné le type de torture utilisé par la police et la mise en place
au commissariat de Limassol d'un système organisé visant à infliger des sévices
aux détenus pendant les interrogatoires. Elle a aussi noté que si la police
avait une tâche difficile à accomplir, il était inacceptable qu'elle ait recours
à la violence et/ou aux mauvais traitements et que les suspects devaient être
traités humainement en utilisant des techniques et méthodes appropriées.
30. Parmi les affaires examinées par la Commission figurait l'affaire Lykourgos
Vassiliou. La Commission est parvenue à la conclusion que ce plaignant avait
été violemment maltraité par la police, en conséquence de quoi il souffrait
de lésions corporelles graves. Elle a pris acte du jugement de la cour d'assises
de Larnaca qui avait acquitté les policiers du chef de mauvais traitements,
mais pour elle, il ne se faisait aucun doute que le plaignant avait été gravement
blessé par la police. La Commission a noté que la raison pour laquelle elle
était parvenue à une conclusion différente de celle de la cour d'assises était
qu'en sus des éléments de preuve dont cette dernière avait été saisie, elle
avait pu prendre en considération une bande-vidéo enregistrée par une chaîne
de télévision privée où l'on pouvait voir le plaignant maltraité par la police.
Cette même bande n'avait pu être considérée comme une preuve recevable par la
cour d'assises en raison de certains obstacles juridiques.
b) Mesures prises comme suite aux conclusions de la Commission d'enquête
31. Agissant sur la base des conclusions de la Commission d'enquête et sur l'avis
du Procureur général de la République, le Conseil des ministres a décidé qu'il
existait, en première analyse, des raisons particulières d'intérêt public pouvant
justifier le licenciement de 12 membres de la police, qu'il a invités à présenter
leurs objections par écrit dans un délai de quatre semaines.
32. Ayant examiné les objections présentées, le Procureur général a déclaré
dans un avis présenté au Conseil des ministres qu'il y avait suffisamment de
preuves accablant huit d'entre eux pour justifier la prise de mesures à leur
encontre, y compris leur expulsion des rangs de la police.
33. Le Conseil des ministres, ayant examiné les objections des 12 fonctionnaires
de la police et les recommandations du Procureur général, a décidé :
i) de licencier trois officiers supérieurs de la police;
ii) de charger des enquêteurs spéciaux de la police judiciaire d'examiner des
affaires dans lesquelles cinq membres de la police semblaient être impliqués;
iii) d'examiner si des policiers avaient commis des infractions, passibles de
sanctions disciplinaires dans d'autres affaires.
34. En ce qui concerne l'affaire Lykourgos Vassiliou, aucune mesure n'a été
prise à l'encontre des responsables d'atteintes à l'intégrité physique du plaignant,
puisque les accusés, jugés en cour d'assises, ont été acquittés.
c) Autres mesures prises comme suite aux allégations de mauvais traitements
35. En raison d'une série de plaintes faisant état de brutalités policières,
certaines mesures ont été prises avant même que la Commission d'enquête n'arrête
ses conclusions.
36. L'une de ces mesures a été la mise en vigueur de la loi No 98 (I) de 1994
portant modification de la loi relative au Commissaire à l'administration. Cette
loi donne au Commissaire le pouvoir d'enquêter sur les plaintes déposées contre
tout agent exerçant des fonctions administratives ou exécutives ou sur d'autres
activités menées en violation des droits de l'homme ou contraires aux principes
d'une bonne administration.
37. En outre, dans une tentative pour sensibiliser davantage le public à la
protection des droits de l'homme, il a été fortement mis l'accent sur le respect
et la protection de ces droits dans l'organisation de conférences et le contenu
des matières enseignées à l'école de police. Ces conférences sont données par
des professeurs d'université, par le Procureur général lui-même ainsi que par
d'autres membres du parquet et par des officiers de police supérieurs qualifiés.
Des conférences analogues sont également données dans tous les départements
de police régionaux.
38. Il convient de noter par ailleurs que pendant leur formation initiale et
leur formation en cours d'emploi, on enseigne aux policiers les techniques modernes
d'investigation, qu'ils s'entraînent à appliquer. On leur apprend aussi à interroger
les suspects et à obtenir d'eux des déclarations conformes aux dispositions
des règles dites "Judges' Rules" (directives concernant les formes
à respecter dans les interrogatoires de suspects, publiées par le Ministère
de l'intérieur du Royaume-Uni, et donc applicables à Chypre).
39. De surcroît, une circulaire a été adressée par le Ministre de la justice
et de l'ordre public à tous les fonctionnaires de la police, soulignant, entre
autres, que si leur mission est lourde et difficile, elle doit toujours être
remplie conformément à la Constitution de la République, aux conventions internationales
préservant les droits de l'homme et aux lois de la République.
Mesures prises comme suite aux recommandations du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
40. Le Ministère de la justice et de l'ordre public, en application d'une recommandation
du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants, a établi un formulaire spécial qui doit être rempli
par tout individu arrêté par la police et détenu dans un centre de détention
de la police. Sur ce formulaire doivent être inscrits les renseignements suivants
: nom du poste de police où est incarcéré le détenu; numéro sous lequel le détenu
a été inscrit au registre; nom du détenu; date et heure de l'arrestation; nom
du policier ayant effectué l'arrestation, lorsqu'un mandat d'arrêt a été décerné;
brève description de l'infraction pour laquelle le détenu a été arrêté; nom
du commissariat où l'infraction a été enregistrée et numéro de série figurant
dans le registre des affaires criminelles; date et heure à laquelle le détenu
est entré dans le centre de détention; indication de toute blessure apparente
du détenu; observations diverses; date et heure de la levée d'écrou. Ce formulaire
doit être mis à jour périodiquement en y faisant figurer la date et l'heure
de tous les déplacements du détenu, des visites de médecins ou d'avocats, des
interrogatoires, etc. Toutes les mentions doivent être accompagnées de la signature
de la personne responsable du détenu. Il convient de noter que ce formulaire
vient en sus des autres mentions à inscrire dans les livres, registres ou documents
déjà tenus conformément aux autres instructions en vigueur, tels que le registre
du commissariat, le casier judiciaire, etc.
41. Le Ministère de la justice et de l'ordre public envisage aussi d'appliquer
la recommandation du Comité européen pour la prévention de la torture tendant
à utiliser un système électronique d'archivage des interrogatoires de police
en s'entourant de toutes les garanties nécessaires pour s'assurer de l'authenticité
de ces archives, notamment en obtenant l'aval du détenu et en apposant les scellés
sur la bande magnétique en sa présence, ce qui doit en faire une copie authentique
de l'enregistrement.
42. En 1995, un certain Osman Yusuf (Erkan E¨gmez) a porté plainte contre la
police, alléguant qu'il avait été sévèrement maltraité au cours de son arrestation
et de sa détention. Le Procureur général a rendu une ordonnance de non-lieu
exonérant le plaignant du chef de trafic de drogue, infraction pour laquelle
il avait été arrêté. En conséquence, le plaignant a déposé plainte afin qu'une
enquête soit diligentée par le Commissaire à l'administration, qui s'est promptement
saisi de l'affaire, concluant que cette plainte était fondée. L'affaire a été
renvoyée au parquet pour décision quant aux mesures qu'il convient de prendre
eu égard à certaines particularités juridiques de l'espèce.
III. CONCLUSIONS
43. La République et le peuple de Chypre sont très sensibles aux questions de
torture et de mauvais traitements, en particulier à l'encontre de personnes
détenues par les autorités. Le rapport de la Commission d'enquête sur les plaintes
faisant état de brutalités policières a déclenché un tollé dans l'opinion. Le
Gouvernement a réagi promptement et drastiquement à ce rapport : des mesures
ont été et sont prises en vue d'éliminer tous agissements pouvant être assimilés
à une violation des droits de l'homme.
44. Le Procureur général de la République, officier indépendant en vertu de
la Constitution, a souligné à maintes reprises à la police (lors de ses conférences
à l'école de police et dans la circulaire adressée aux fonctionnaires de la
police) qu'il ne tolérerait en aucun cas le recours à la force sous quelque
forme que ce soit de la part des organes de la police ou d'autres personnes,
que ce soit au cours de la détention ou au cours des interrogatoires et, de
surcroît, qu'il n'était pas disposé à autoriser l'utilisation de témoignages
obtenus par de tels moyens. Le Procureur général a souligné qu'il devait être
bien compris que la façon moderne d'enquêter sur les crimes était d'obtenir
des preuves objectives, scientifiques ou autres, et non des dépositions ou des
aveux.
45. On peut citer comme exemple de la détermination du Procureur général à ne
tolérer l'usage de la force sous aucune forme que ce soit l'ordonnance de non-lieu
qui a été rendue dans l'affaire Osman Yusuf (Erkan E¨gmez)- mentionnée plus
haut -, lequel avait été accusé de trafic de drogue, infraction grave en droit
international.