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Avocats Sans Frontières (pour le compte de Gaëtan Bwampamye) c. Burundi, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 231/99, 28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.



231/99 – Avocats Sans Frontières (pour le compte de Gaëtan Bwampamye) c/ Burundi
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Rapporteur :

26ème session : Commissaire Rezag-Bara
27ème session : Commissaire Rezag-Bara
28ème session : Commissaire Rezag-Bara

Les faits tels que présentés par le requérant :

1. Maîtres Fabien Segatwa, Moussa Coulibaly et Cédric Vergauwen, respectivement avocats aux barreaux du Burundi, du Niger et de Bruxelles, tous trois avocats sans frontières au Burundi et mandatés par le sieur Gaëtan Bwampamye, actuellement
détenu à la prison de Mpimba (Bujumbura), exposent les faits suivants :

2. Le 25 septembre 1997, le sieur Gaëtan Bwampamye a été condamné à mort par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour d'Appel de Ngozi, du chef d’avoir à Ruhoro, le 21 octobre 1993, en tant qu’auteur, co-auteur ou complice, incité la population à commettre des crimes et d’avoir, dans les mêmes circonstances de lieu, organisé un attentat tendant à provoquer des massacres, fait ériger des barricades en vue d’entraver l’exercice de la force publique ; toutes infractions prévues par les
articles 212, 417 et 425 du code pénal burundais.

3. Le 2 octobre 1997, il a introduit un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême du Burundi. A l’appui de son pourvoi, six moyens avaient été invoqués, dont la violation de l’article 75 du code de procédure pénale burundais, de l’article 14 alinéa 3 litera (d) du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, ainsi que de l’article 51 du décret n° 100/103 du 29 août 1979, portant statut de la profession d’avocat. Selon les requérants, ce dernier moyen avait été invoqué par le mis en cause
pour ainsi dénoncer le fait de n’avoir pas été autorisé à se faire assister par son conseil au cours du réquisitoire du ministère public et que, malgré sa demande d’assistance, il avait été contraint à se défendre seul.

4. Les requérants font valoir que le 13 juin 1997, la chambre criminelle de la Cour d’Appel avait clôturé l’audition des témoins et, eu égard au volume du dossier, elle avait décidé du renvoi de l’affaire opposant le sieur Bwampamye au ministère public
au 20 août 1997.

5. Au cours de l’audience du 20 août 1997, le ministère public avait refusé de prononcer son réquisitoire, arguant du fait qu’il lui fallait du temps afin d’étudier le contenu de la note de plaidoirie du conseil de l’accusé. La chambre criminelle avait alors décidé de reporter l’affaire au 25 septembre 1997. Ce jour là, le conseil de l’accusé n’avait pas pu se présenter devant la chambre, pour cause de maladie. Malgré la demande insistante du sieur Bwampamye pour que la chambre renvoie l’affaire à une date
ultérieure, celle-ci a décidé d’entendre le ministère public et, contraignit le prévenu à plaider seul, sans l’assistance de son avocat. Le verdict le condamnant à mort a été rendu ce même jour au terme des plaidoiries.

6. Les requérants soulignent que la Cour Suprême, dans son arrêt du 5 octobre 1998, avait rejeté ce moyen soulevé devant elle par le prévenu qui voulait faire casser l’arrêt de la Cour d’Appel de Ngozi, aux motifs que «pour la Cour de céans, la loi ne donne pas d’obligation au juge pour désigner un avocat, mais il peut le faire ;

7. La Cour Suprême poursuit en ces termes, «… attendu par ailleurs que pour le cas précis qui nous occupe, le prévenu a toujours été assisté d’un avocat, la preuve en est que son avocat avait déjà versé ses plaidoiries écrites sur 19 pages en date du 20 août 1997 ; qu’en plus, ils avaient déjà plaidé ensemble à l’audience publique ; attendu que face à cette situation, le requérant n’a pas raison de dire que le juge devait lui désigner un avocat alors qu’il en avait un qui avait déjà accompli tous les devoirs
essentiels d’un avocat ; que par conséquent, ce moyen est également à rejeter ».

8. Cet argumentaire de la Cour Suprême est contesté par les requérants qui soulèvent un certain nombre de points de droit, dont entre autres, la méconnaissance selon eux par ladite Cour des principes du droit de la défense et de l’assistance judiciaire. Ils
font valoir que, cette position de la juridiction de cassation est non seulement contraire aux dispositions de l’article 73 du code de procédure pénale burundais qui consacre sans équivoque le droit à l’assistance judiciaire, mais également au principe
général de l’oralité des débats dans un procès pénal.

9. Ils soutiennent d’une part que, «s’il est d’usage qu’un avocat communique ses conclusions au ministère public avant le réquisitoire de ce dernier, aucune règle écrite ne l’y oblige ». D’autre part, les requérants soulignent que «l’avocat n’est évidemment jamais lié par le contenu d’une note de plaidoirie qu’il déposerait avant l’audience. Aussi, cette note n’est pas forcément exhaustive, elle peut ne s’attacher qu’à certains aspects du dossier et ne pas s’étendre sur des points que la défense entend développer à la barre ultérieurement. Le conseil du prévenu peut également renoncer à certains arguments repris dans sa note, en fonction par exemple des éléments avancés par le ministère public. Cette liberté est au coeur même des droits de la
défense : avant toute décision soulignent-ils, il y a le droit inconditionnel à l’oralité et à la liberté de parole».

10. Les requérants poursuivent que cette même liberté de parole est reconnue au représentant du ministère public ; et rappellent que «le procureur n’est jamais lié par les réquisitoires écrits de son office. Le principe est d’ailleurs consacré par le vieil adage ‘la plume est serve, la parole est libre’ ». Ils soutiennent surabondamment qu’en «indiquant dans son arrêt que ‘l’avocat avait déjà versé ses plaidoiries écrites sur 19 pages’ et que ce faisant, ‘il avait accompli tous les devoirs essentiels d’un avocat’, la Cour méconnaît tous les principes qui viennent d’être énoncés et, partant, autorise une violation flagrante des droits de la défense en général et des droits de l’assistance judiciaire en particulier ».

11. Eu égard à ce qui précède, les requérants, tout en soulignant que la présente communication a pour but de rendre compte des violations susmentionnées, demandent qu’il plaise à la Commission de dire et considérer que : a) En refusant au sieur Gaëtan Bwampamye l’assistance de son conseil pour plaider sa cause, la chambre criminelle de la Cour d’Appel de Ngozi a tenu un
procès qui n’était pas équitable au sens de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et de tous les instruments internationaux en la matière ; b) De constater la violation des droits énoncés dans la Charte par la République du Burundi, plus précisément, la violation de l’article 7 alinéa 1 litera (c) de la Charte et des principes généraux du droit relatifs aux droits de la défense ; c) De faire part de ses constations aux parties concernées et à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA.

La Procédure :

12. La communication date du 11 avril 1999. Elle a été adressée au Secrétariat par courrier électronique.

13. Compte tenu du fait que l’arrêt de la Cour d’Appel de Ngozi (une pièce maîtresse rédigée en kirundi) était en cours de traduction, la communication n’a pas pu être présentée à la Commission au cours de sa 25ème session ordinaire, tenue à Bujumbura en mai 1999. Vers la fin de ladite session cependant, les requérants ont remis au Secrétariat les pièces manquantes, ce qui a permis de compléter le dossier et de pouvoir le soumettre à la 26ème session.

14. Au cours de la 26ème session, la Commission a entendu les représentants du sieur Bwampamye venus lui exposer de vive voix leur position sur l'affaire. Après un long débat, la Commission a rendu une décision de saisine sur la communication. Il est à
noter que le sieur Bwampamye était représenté par :
Maîtres
- Segatwa Fabien ;
- A. Moctar ;
- Seydou Doumbia et
- Boubine Touré.

Tous membres d'Avocats Sans Frontières.

15. Le 13 décembre 1999, le Secrétariat a informé les parties de cette décision et une correspondance du Président de la Commission sollicitant un sursis à exécution a été adressée au Chef de l'Etat burundais.

16. Le 15 février 2000, le Bureau d'Avocats Sans Frontière au Burundi a accusé réception de la correspondance du 13 décembre 1999, que lui avait adressée le Secrétariat sans, cependant faire parvenir ses observations quant à la recevabilité de la
communication.

17. Au cours de la 27ème session ordinaire tenue à Alger, la Commission a examiné le cas et l’a déclaré recevable. Elle a ensuite demandé aux parties de lui présenter l’argumentaire relatif au fonds. Elle a par ailleurs demandé au Président de la
Commission de réitérer son premier appel concernant le sursis à exécution en attendant de se déterminer sur la communication.

18. La décision évoquée ci-dessus a été communiquée aux parties le 1er août 2000.

19. Au cours de la 28ème session, le délégué du Gouvernement du Burundi et l'avocat Conseil du plaignant ont présenté leurs observations écrites et orales à la Commission.

La recevabilité:

20. L’article 56(5) de la Charte stipule que «les communications relatives aux Droits de l’Homme et des Peuples…reçues à la Commission seront examinées si elles …sont postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifesté à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale… »

21. L’examen des documents annexés au dossier démontre que le verdict rendu le 25 septembre 1997, par la Cour d’Appel de Ngozi, condamnant à mort le sieur Gaëtan Bwanmpamye, a été confirmé le 5 octobre de la même année par la Cour Suprême du Burundi. La Commission note par conséquent que les recours internes ont été dûment épuisés. Pour ces raisons, elle déclare recevable la communication.

22. Le délégué du Gouvernement du Burundi a développé dans sa présentation orale l'argument de l'existence d'autres voies de recours internes qui n'ont pas été utilisées par le plaignant tels, le recours dans l'intérêt de la loi, le recours en révision et le recours en grâce.

23. Cet argument est inopérant en l'espèce car il s'agit pour les deux premiers de voies de recours extraordinaires limitées à l'initiative du ministre de la Justice et à la découverte de faits nouveaux susceptibles d'entraîner la réouverture du dossier.
Quant au recours en grâce, il ne présente nullement les caractéristiques d’un recours juridictionnel et n'a d'effet que sur l'exécution de la peine. Pour ces raisons, la Commission maintient sa décision de recevabilité.

Le fond :

24. L’article 7,1 (c ) de la Charte prévoit que «toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :…le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix … »

25. Dans son verdict du 5 octobre 1997, la Cour Suprême du Burundi a décidé et déclaré que : « Attendu que la Cour considère que la loi ne donne pas d’obligation au juge pour désigner un avocat, mais qu’il peut le faire ; Attendu que pour le cas considéré, le prévenu a toujours été assisté d’un avocat, la preuve en est que son avocat avait déjà versé ses plaidoiries écrites sur 19 pages en date du 20 août 1997 ; qu’en plus ils avaient déjà plaidé ensemble à l’audience publique ; Attendu que face à cette situation, le requérant n’a pas raison de dire que le juge devait lui désigner un avocat alors qu’il en avait un qui avait déjà accompli tous les devoirs essentiels d’un avocat ; que par conséquent, ce moyen est également à rejeter… »

26. La Commission rappelle que le droit à un procès équitable nécessite certains critères objectifs, dont le droit à l’égalité de traitement, le droit à la défense par un avocat, particulièrement lorsque l’intérêt de la justice le dicte, ainsi que l’obligation pour les cours et tribunaux de se conformer aux normes internationales afin de garantir un procès équitable pour tous. La Commission examinera le verdict de la Cour d’appel de Ngozi ainsi que celui de la Cour Suprême à la lumière des critères évoqués cidessus.

27. Le droit à un traitement égal par une juridiction, particulièrement en matière criminelle, signifie en premier lieu, l’accès de la défense et du ministère public aux mêmes chances de préparation et de présentation de leurs plaidoiries et réquisitoires au cours du procès. Autrement dit, ils doivent défendre leur cas devant la juridiction sur un même pied d’égalité. En second lieu, il signifie l’égalité de traitement de toutes les personnes accusées, par les juridictions chargées de les juger. Ce qui ne veut aucunement dire qu’un traitement identique doit être réservé à tous les accusés. L’idée développée ici repose sur le principe selon lequel lorsque les faits objectifs sont similaires, la réponse de la justice doit être la même. Il y a violation du principe de l’égalité si les décisions judiciaires et administratives sont appliquées de manière discriminatoire. Dans le cas considéré, la Commission doit adhérer au premier aspect, c’est à dire, l’observation de la règle de l’égalité des moyens utilisés par la défense et le ministère public.

28. Le droit à la défense implique également que, dans le processus d'intervention des parties, à tous les stades de la procédure criminelle, notamment l'instance de jugement que l'accusé et sa défense soient en mesure de répliquer à toutes les réquisitions du Ministère public et en tout état de cause prendre la parole en dernier avant que la cour ne se retire pour délibérer.

29. La Cour d’Appel de Ngozi a rendu le 25 septembre 1997, un verdict condamnant à mort le sieur Bwampamye, répondant ainsi aux réquisitions du Ministère public et n’accordant aucune attention à la prière de l’accusé de reporter le procès, plaidant
l’absence de son avocat. La Commission considère que le juge aurait dû accéder à la demande du prévenu étant donné le caractère irréversible de la peine encourue. Ceci est d’autant plus impératif qu’au cours de l’audience du 20 août 1997, il a accepté les arguments du procureur de la République qui a refusé de prononcer son réquisitoire réclamant plus de temps pour étudier la note de plaidoirie écrite présentée par l’avocat du prévenu. La Cour Criminelle avait alors décidé de reporter le procès au 25 septembre 1997. La Commission considère qu’en refusant d’accéder à la requête de report, la Cour d’Appel a violé le droit à l’égalité de traitement, l’un des principes fondamentaux du droit à un procès équitable.

30. La Cour Suprême confirme dans son verdict la décision du juge d’appel qui a refusé de désigner un avocat de la défense, comme suit : « Attendu que cette Cour considère que la loi ne donne pas d’obligation au juge pour désigner un avocat, mais qu’il peut le faire ». La Commission rappelle vivement que le droit à une assistance judiciaire est un élément fondamental du droit à un procès équitable. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’intérêt de la justice le dicte. Elle considère que dans le cas considéré, étant
donné la gravité des allégations prononcées contre le prévenu et la nature de la peine à laquelle il a été condamné, il était dans l’intérêt de la justice de le faire bénéficier de l’assistance d’un avocat à chaque étape de son procès.

31. En considérant ce qui apparaît être la liberté donnée au juge par la loi burundaise de désigner ou de ne pas désigner un avocat de la défense au prévenu, la Commission rappelle le principe consacré par l’article 1er de la Charte, selon lequel, non seulement les Etats parties reconnaissent les droits, obligations et libertés proclamés dans la Charte, mais s’engagent également à les respecter et à prendre des mesures pour leur mise en vigueur. En d’autres termes, si un Etat partie ne peut assurer le respect des droits contenus dans la Charte Africaine, ceci constitue une violation de ladite Charte. (cf. communication 74/92, para. 35). Il apparaît par conséquent que la législation du Burundi ne respecte pas, à cet égard, les engagements conventionnels du pays
découlant de son statut d’Etat Partie à la Charte Africaine. L’argument de la Cour découle d’une règle juridique générale bien connue qui dit que «personne ne doit profiter de sa propre turpitude ». Cet argument doit en outre être rejeté car en considérant les différents instruments utilisés dans la plaidoirie de l’avocat du prévenu, la Cour, bien que n’exprimant pas sa position à ce sujet, a pris conscience des engagements du pays en matière de Droits de l’Homme, en particulier les dispositions du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et ultérieurement, ceux de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. En privilégiant la position du juge d’appel, la Cour Suprême du Burundi a ignoré les engagements des Cours et Tribunaux à se conformer aux normes internationales en vue d’assurer un procès équitable à tous.

Pour les raisons ci-dessus évoquées, la Commission:

Considère que l’Etat défendeur a violé les dispositions de l’article 7,1 (c ) de la Charte;

Demande au Burundi d'en tirer toutes les conséquences légales et de pendre les mesures appropriées en vue de permettre la réouverture du dossier et le réexamen de cette affaire en conformité avec la loi Burundaise et les dispositions pertinentes de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ;

Lance un appel au Burundi pour conformer sa législation aux engagements auxquels il a souscrit en vertu de la Charte.

Fait à la 28ème Session Ordinaire, à Cotonou, Bénin, le 06 novembre 2000.

 



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