University of Minnesota



Centre for Free Speech c. Nigeria, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 206/97, 26ème Session Ordinaire, Kigali, 15 novembre, 1999.



206/97-Centre for Free Speech c/Nigeria

Rapporteur :

23ème session : Commissaire Pityana
24ème session : Commissaire Pityana
25ème session : Commissaire Pityana
26ème session : Commissaire Pityana

Résumé des faits :

1. Le requérant allègue l’arrestation, la détention, le jugement et la condamnation arbitraires de quatre journalistes nigérians par le tribunal militaire présidé par Patrick Aziza.

2. Il est par ailleurs allégué que ces journalistes ont été condamnés pour avoir publié, dans leurs différents journaux et magazines, des articles sur la tentative supposée de coup d’Etat de 1995. Ces journalistes sont M. George Mba de ‘‘TELL Magazine’’, M. Kunle Ajibade de ‘THE NEWS Magazine’’, M. Ben Charles Obi de ‘‘CLASSIQUE Magazine’’ et Mme Chris Anyanwu de ‘‘TSM Magazine’’.

3. Le journaliste allègue que le procès des journalistes s’est déroulé en secret et qu’ils n’ont pas eu droit à l’assistance des avocats de leur choix.

4. Les journalistes ont été condamnés à différentes peines d’emprisonnement.

5. En outre, la communication allègue que les journalistes en question ne pouvaient pas interjeter appel contre leur condamnation en raison des divers décrets promulgués par le régime militaire, qui révoquent la compétence des juridictions ordinaires à connaître des appels contre les jugements d’un tribunal militaire.

Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :

Le plaignant soutient la violation des articles ci-après de la Charte africaine :

Articles 6, 7 et 24, ainsi que le Principe n° 5 des Règles des Nations Unies relatives à l 'indépendance de la magistrature.

La procédure

6. La communication est datée du 14 juillet 1997, elle a été reçue au Secrétariat de la Commission le 23 septembre 1997.

7. Des correspondances ont été échangées entre le Secrétariat et les parties en vue de compléter le dossier et de tenir ces dernières informées de la procédure.

LE DROIT

La recevabilité

8. Pour qu’une communication relative aux droits de l’homme et des peuples présentée en vertu de l’article 55 de la Charte soit recevable, elle doit remplir toutes les conditions stipulées à l’article 56 de la Charte Africaine. Ces conditions doivent être examinées en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas. Dans le cas d’espèce, la communication est
prima facie conforme aux conditions exigées. La seule question qui peut être soulevée concerne l’épuisement des voies de recours internes tel que le prévoit l’article 56 (5) de la Charte.

9. L’article 56(5) dispose que :

Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après :

... Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale.”

10. Les juridictions de l’ordre judiciaire ont été dépouillées de leurs compétences par le “Treason and Treasonable offences Decree” (Tribunal militaire spécial). En conformité avec sa position dans la communication 60/91 relative au tribunal sur les vols et les armes à feu, la communication 87/93 relative au tribunal sur les perturbations de l’ordre public, la communication 101/92 concernant le Décret régissant les praticiens du droit et la communication 129/94 relative au Décret sur la Constitution suspension et modification) et sur les partis politiques (dissolution), la Commission estime que dans le cas de la présente
communication, les voies de recours internes sont inexistantes ou inefficaces. Par ces motifs, la Commission déclare la communication recevable.

LE FOND

11. Le requérant allègue que l’arrestation et la détention arbitraires des journalistes constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de leur personne tel qu’énoncé à l’article 6 de la Charte Africaine.

L’article 6 dispose que :

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier, nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.

12.Le plaignant allègue également la violation de l’article 7 de la Charte et du principe 5 des Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature du fait que, les journalistes ont été jugés en secret, qu’ils n’ont pas eu accès au conseil de leur choix et qu’ils ont été condamnés à diverses peines d’emprisonnement dans ces conditions. Il ajoute aussi le fait que les journalistes condamnés ne puissent pas interjeter appel en raison des différents décrets promulgués par le gouvernement militaire qui privaient les juridictions de l’ordre judiciaire de leurs compétences dans le jugement de telles affaires.

L’article 7(1) de la Charte prévoit que :

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : a) le droit de saisir les juridictions compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en
vigueur;

Le principe 5 des Principes fondamentaux des Nations Unies énonce que :

Chacun a le droit d’être jugé par les juridictions ordinaires selon les procédures légales établies. Il n’est pas créé de juridictions n’employant pas les procédures dûment établies conformément à la loi afin de priver les juridictions ordinaires de leurs compétences.

13.Il est allégué que les personnes condamnées n’ont eu ni l’accès à leurs avocats, ni l’opportunité de se faire représenter et défendre par un avocat de leur choix au cours du procès. L’article 7(1) (c ) de la Charte dispose que :

Toute personne a le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix.

14. Dans sa Résolution relative au droit de recours et à un procès équitable, en vue de renforcer cette garantie, au paragraphe 2(e) (i ), la Commission a tenu à préciser que :

Dans la détermination des charges retenues contre elle, toute personne a droit, en particulier :

i) …à communiquer confidentiellement avec un défenseur de son choix .

Le déni de ce droit constitue donc une violation de l’article 7(1) (c) de la Charte.

15. La question de la mise en accusation et du jugement des journalistes concernés doit également être examinée ici. Le requérant allègue que les journalistes ont été inculpés, jugés et condamnés par un Tribunal militaire spécial, présidé par un officier d’active et dont les membres comprenaient également d’autres officiers d’active. Cela constitue une violation de l’article 7 de la Charte et du principe 5 des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature. Le principe 5 des Principes fondamentaux des Nations Unies énonce que :

Chacun a le droit d’être jugé par les juridictions ordinaires selon les procédures légales établies. Il n’est pas créé de juridictions n’employant pas les procédures dûment établies conformément à la loi afin de priver les juridictions ordinaires de leur compétence.

16. On ne peut pas dire que le procès et la condamnation des quatre journalistes par un tribunal militaire spécial présidé par un officier d’active qui est également membre du PRC, organe habilité à confirmer le jugement, se soient déroulés dans des conditions qui garantissaient réellement le principe du procès équitable tel que prévu par l’article 7 de la Charte et les Principes fondamentaux susmentionnés. Cet acte constitue par ailleurs une violation de l’article 26 de la Charte.

L’article 26 de la Charte dispose que :

Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appopriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte.

17. Malheureusement, le gouvernement du Nigeria n’a pas daigné répondre aux multiples demandes à lui adressées par la Commission pour qu’il donne son avis sur la présente communication. Dans plusieurs de ses décisions antérieures, la Commission Africaine a établi le principe que lorsque les allégations de violation des droits de l’homme ne sont pas
contestées par le gouvernement mis en cause, particulièrement après des notifications et des demandes d’informations répétées sur le cas, elle statue sur la base des faits communiqués par le requérant et considère ces faits comme étant avérés (Cf. communications nos. 59/91, 60/91, 64/91, 87/93 et 101/93).

18. Dans les circonstances présentes, la Commission se trouve dans l’obligation de considérer que les faits allégués par le requérant sont établis.

Par ces motifs, la Commission :

Conclut qu’il y a eu violation des articles 6 et 7(1)(a),(c) et 26 de la Charte Africaine;

Invite le gouvernement nigérian à ordonner la libération des quatre journalistes.

Fait à Kigali, le 15 novembre 1999

 



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