155/96 – Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic
and Social Rights / Nigeria
Rapporteur :
20ème session : Commissaire Dankwa
21ème session : Commissaire Dankwa
22ème session : Commissaire Dankwa
23ème session : Commissaire Dankwa
24ème session : Commissaire Dankwa
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
27ème session : Commissaire Dankwa
28ème session : Commissaire Dankwa
29ème session : Commissaire Dankwa
30ème Session : Commissaire Dankwa
Résumé des faits :
1. La communication allègue que le gouvernement militaire nigérian est
directement impliqué
dans l’exploitation du pétrole par le biais d’une Société d’Etat, la National
Petroleum
Company (NNPC), laquelle est actionnaire majoritaire dans un consortium
avec Shell
Pretoleum Development Corporation (SPDC) ; et que les activités de ce consortium
ont
causé de graves dommages à l’environnement et des problèmes de santé parmi
la
population Ogoni du fait de la contamination de l’environnement.
2. La communication allègue aussi que le consortium pétrolier a exploité
les réserves de
l'Ogoni sans tenir compte de la santé ou de l'environnement des collectivités
locales,
déversant les déchets toxiques dans l'air et dans les voies d'eau locales,
en violation des
règles internationales applicables en matière d’environnement. Le consortium
a également
négligé et/ou n'a pas pu entretenir ses infrastructures, ce qui a causé
beaucoup d'accidents
prévisibles à proximité des villages. La contamination de l'eau, du sol
et de l'air qui en a
résulté a eu de graves conséquences à court et à long termes sur la santé,
y compris des
infections cutanées, des maladies gastro-intestinales et respiratoires
et l'accroissement des
risques de cancer, ainsi que des problèmes neurologiques et de reproduction.
3. La communication allègue que le gouvernement a facilité et fermé les
yeux sur ces
violations en mettant les pouvoirs judiciaires et militaires de l’Etat
à la disposition des
compagnies pétrolières. La communication contient un mémorandum de River
State
Internal Security Task Force, qui demandait des "opérations
militaires brutales".
4. La communication allègue que le gouvernement n'a ni surveillé les opérations
des
cpmpagnies pétrolières, ni exigé des mesures de sécurité qui sont une procédure
normale
dans ce domaine. Le gouvernement n'a pas informé les communautés ogoni
des dangers
créés par les activités d'exploitation pétrolière. Les communautés ogoni
n'ont pas été
impliquées dans la prise de décisions affectant le développement de leur
terre.
5. Le gouvernement n'a pas exigé des compagnies pétrolières ou de ses propres
agences
qu'elles mènent des études de base sur l'impact des opérations et du matériel
dangereux
utilisé dans l'exploitation pétrolière sur la santé et l'environnement
malgré la crise évidente,
dans l'Ogoni, dans le domaine de la santé et de l'environnement. Le gouvernement
a
même refusé de permettre aux chercheurs et aux organisations écologiques
d'entrer dans
l'Ogoni pour effectuer ces études. Il a également ignoré les préoccupations
des
collectivités locales en ce qui concerne l'exploitation du pétrole et a
répondu aux
protestations par des violences massives et des exécutions des dirigeants
Ogoni.
6. La communication allègue que le gouvernement nigérian n’exige pas aux
compagnies
pétrolières de consulter les communautés avant de commencer les opérations,
même si ces
dernières constituent des menaces directes aux terres de la communauté
ou appartenant à
d’individus.
7. La communication allègue qu'au cours de ces trois dernières années,
les forces de sécurité
du Nigeria ont attaqué, brûlé et détruit plusieurs villages et maisons
des Ogoni sous
prétexte de chercher à déloger les responsables et militants du Mouvement
pour la Survie
du Peuple Ogoni (MOSOP). Ces attaques étaient une réaction à une campagne
nonviolente
de protestation contre la destruction de leur environnement par les compagnies
pétrolières. Ces attaques impliquaient des forces de police en uniforme,
des militaires, des
membres de l'armée de l'air et de la force navale, armés de tanks et d'autres
fusils
sophistiqués. D'autres fois, les attaques étaient menées par des hommes
armés non
identifiés, surtout la nuit. Les Méthodes militaires et le genre d'armes
utilisées dans ces
attaques suggèrent avec quasi-certitude l'implication des forces de sécurité
nigériane. L'incapacité totale du gouvernement d'enquêter sur ces attaques,
sans parler de punir leurs auteurs,
renforcent les soupçons d’implication des autorités nigérianes.
8. L'armée nigériane a reconnu son rôle dans les opérations brutales qui
ont laissé des milliers
de villageois sans domicile. Cette reconnaissance est enregistrée dans
plusieurs mémos
échangés entre les responsables de SPDC et la Rivers State Internal Security
Task Force,
qui s'est consacrée à la suppression de la campagne ogoni. Un de ces mémos
demande des "
opérations militaires brutales" et
des "opérations d'exterminations combinées de tactiques
psychologiques de déplacement".
A une réunion publique enregistrée sur cassette vidéo,
Major Okuntimo, Chef de la Task Force, a décrit les invasions répétées
des villages de
l'Ogoni par ses troupes, comment les villageois sans armes, fuyant les
troupes, étaient
fusillés de dos et les maisons de militants du MOSOP soupçonnés étaient
saccagées et
détruites. Il a affirmé son engagement à débarrasser les communautés des
membres et de
tous ceux qui soutiennent MOSOP.
9. La communication allègue que le gouvernement du Nigeria a détruit et
menacé par divers
moyens les sources alimentaires ogoni. Comme décrit dans la communication,
le
gouvernement a pris part à une exploitation irresponsable du pétrole qui
a fort
empoisonné le sol et l'eau dont dépendaient l'agriculture et la pêche de
l'Ogoni. Dans
leurs attaques contre les villages, les forces de sécurité nigérianes ont
détruit les récoltes et
tué des animaux domestiques. Elles ont créé un état de terreur et d'insécurité
qui a rendu
impossible le retour de beaucoup de villageois ogoni pour s'occuper de
leurs champs et de
leur bétail. La destruction des terres arables, des fleuves, des récoltes
et des animaux a
entraîné la malnutrition et la famine au sein de certaines communautés
ogoni.
La plainte :
10. La communication allègue la violation des articles 2, 4, 14, 16, 18(1),
21 et 24 de la Charte
Africaine.
La procédure :
11. La communication a été reçue par la Commission le 14 mars 1996. Le
documents ont été
envoyés avec une cassette vidéo.
12. Le 13 août 1996, des lettres ont été envoyées aux deux plaignants pour
accuser réception
de la communication.
13. Le 13 août 1996, une copie de la communication a été envoyée au gouvernement
du
Nigeria.
14. A sa 20ème Session ordinaire tenue à Grand Baie, Ile Maurice, en octobre
1996, la
Commission a déclaré la communication recevable et a décidé qu’elle serait
discutée avec
les autorités compétentes lors de la mission devant se rendre au Nigeria.
15. Le 10 décembre 1996, le Secrétariat a envoyé respectivement au gouvernement
et aux
plaignants une note verbale et des lettres à cet effet.
16. A sa 21ème Session ordinaire tenue en avril 1997, la Commission a reporté
sa décision sur
le fond à sa prochaine session en attendant de recevoir les observations
écrites des
plaignants pour qu’elle s’en inspire dans sa décision. La Commission attend
également la
fin de l’examen de son rapport de mission au Nigeria.
17. Le 22 mai 1997, les plaignants ont été informés de la décision de la
Commission et l’Etat
en a été informé le 28 mai 1997.
18. A sa 22ème Session ordinaire, la Commission a reporté la décision sur
la communication
en attendant l’examen du rapport de Mission au Nigeria.
19. A la 23ème Session ordinaire tenue à Banjul, Gambie, la Commission
a reporté l’examen
de la communication à la prochaine session par manque de temps.
20. Le 25 juin 1998, le Secrétariat de la Commission a écrit aux parties
pour les tenir informées
de l’état de la procédure devant la Commission.
21. Lors de la 24ème Session ordinaire, la Commission a reporté l’examen
de la
communication susvisée à sa prochaine Session.
22. Le 26 novembre 1998, les parties ont été informées de la décision de
la Commission.
23. Au cours de la 25ème Session tenue à Bujumbura, Burundi, la Commission
a reporté
l’examen de la communication à la 26ème Session ordinaire.
24. Le 11 mai 1999, les parties ont été informées de ce report par des
lettres séparées.
25. A sa 26ème Session tenue à Kigali, Rwanda, la Commission a reporté
la décision quant au
fond de cette communication à sa prochaine session.
26. Cette décision a été communiquée aux parties le 24 janvier 2000.
27. Suite à la demande des autorités du Nigeria par Note verbale du 16
février 2000, relative à
l'état des communications pendantes, le Secrétariat a notamment informé
le gouvernement
que la décision sur le fond de cette communication était prévue pour la
prochaine
session.
28. A sa 27ème Session tenue à Alger, Algérie, du 27 avril au 11 mai 2000,
la Commission a
reporté l’examen approfondi de la communication sa 28ème Session ordinaire.
29. Les parties ont été notifiées de cette décision le 12 juillet 2000.
30. A la 28ème Session ordinaire de la Commission tenue à Cotonou, Bénin,
du 26 octobre au 6
novembre 2000, la Commission a reporté l’examen approfondi de la communication
à la
prochaine session. Au cours de cette session, l’Etat défendeur a envoyé
une note verbale
énonçant les actions prises par le gouvernement de la République fédérale
du Nigeria eu égard à
toutes les communications introduites contre lui, y compris la présente.
En ce qui concerne la
communication en cours, la note verbale a admis le fondement de l’action
intentée par les
plaignants, mais a poursuivi en énonçant les mesures correctives que la
nouvelle administration
civile était en train de prendre, notamment :
- Créer, pour la première fois dans l’histoire du Nigeria, un Ministère
Fédéral de
l’Environnement, doté de ressources suffisantes pour aborder les problèmes
relatifs à
l’environnement qui existent au Nigeria, et de manière prioritaire dans
la vallée du Delta
du Niger;
- Donner force de loi à l’instauration de la Commission pour le Développement
du Delta
du Niger (CDDN) en lui fournissant des fonds adéquats pour aborder les
problèmes
liés à l’environnement et au domaine social, dans la zone du Delta du Niger
et les autres
zones pétrolifères du Nigeria ;
- Inaugurer la Commission judiciaire d’enquête chargée d’étudier la question
des
violations des droits de l’homme. En outre, les représentants du peuple
Ogoni ont
soumis des requêtes à la Commission d’Enquête au sujet de ces questions.
Celles-ci sont
actuellement examinées en priorité au Nigeria.
31. La décision ci-dessus a été communiquée aux parties le 14 novembre
2000.
32. A la 29ème Session ordinaire tenue à Tripoli, Libye, du 23 avril au
7 mai 2001, la
Commission a décidé de reporter l’examen final de la communication à la
prochaine
session qui aura lieu à Banjul, Gambie, en octobre 2001.
33. La décision ci-dessus a été communiquée aux parties le 6 juin 2001.
34. A sa 30ème Session tenue à Banjul, Gambie, du 13 au 27 octobre 2001,
la Commission
africaine a pris une décision sur le fond de cette communication.
LE DROIT
La recevabilité
35. La recevabilité est régie par l'article 56 de la Charte Africaine.
Toutes les conditions
prévues par cet article sont réunies par cette communication. Seul l'épuisement
des voies
de recours internes reste à être examiné de près.
36. L'article 56(5) exige que les voies de recours internes, si elles existent,
soient épuisées, à
moins que leur procédure ne soit prolongée d'une façon anormale.
37. L’un des objectifs visés par la condition d’épuisement des voies de
recours internes est de
donner la possibilité aux juridictions internes de statuer sur des cas
avant de les porter
devant un forum international, pour éviter des jugements contradictoires
par des lois
nationales et internationales. Lorsqu'un droit n'est pas bien prévu par
la législation interne
et qu'aucun procès ne peut être prévu, toute possibilité de conflit est
écartée. De même,
lorsque le droit n’est pas bien prévu, il ne peut y avoir des recours efficaces
ou un recours
quelconque.
38. Une autre justification de l'épuisement des voies de recours internes
est qu'un
gouvernement devrait être informé d’une violation des droits de l'homme
afin de pouvoir
y remédier, avant d'être appelé devant un tribunal international (voir
les décisions de la
Commission sur les communications 25/89, 47/90. 56/91 et 100/93 : Organisation
mondiale contre la torture et autres /Zaïre: 53). La condition d'épuisement
des voies
de recours internes devrait être bien comprise comme étant un moyen de
s'assurer que
l'Etat visé a eu suffisamment de possibilité de remédier à la situation.
Point n'est besoin de
revenir sur l'attention internationale qu'a reçue l'Ogoni pour prouver
que le gouvernement
du Nigeria a suffisamment été informé de ces violations, et eu l'opportunité,
au cours de
ces dix dernières années, d'apporter des solutions internes à cette situation.
39. Exiger l'épuisement des voies de recours internes permet aussi à la
Commission Africaine
de ne pas devenir un tribunal de première instance pour des affaires pour
lesquelles il
existe des solutions internes efficaces.
40. La présente communication ne contient aucune information sur les actions
prises devant
les juridictions internes par les plaignants en vue de mettre fin aux violations
alléguées. Toutefois,
à l’époque et à plusieurs reprises, la Commission a porté ces plaintes
à
l’attention du gouvernement sans qu’aucune suite ne soit donnée à sa requête.
La
Commission avait estimé que faute de réponse significative de la part de
l’Etat défendeur,
elle se trouvait dans l’obligation de décider sur la base des faits soumis
par les plaignants et
de les traiter tels que reçus. (Voir Communications 25/89, 47/90, 56/91,
100/93 :
Organisation mondiale contre la torture et al. /Zaïre ; Communication 60/91
:
Constitutional Rights Project /Nigeria et Communication 101 : Organisation
des
Libertés civiles/Nigeria).
41. La Commission tient compte du fait que la République Fédérale du Nigeria
a incorporé la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dans sa législation
nationale, d’où
la possibilité d’invoquer tous les droits qui y sont énoncés dans les tribunaux
nigérians,
notamment les violations alléguées par les plaignants. Toutefois, la Commission
sait qu’au
moment de la soumission de cette communication, le gouvernement militaire
alors au
pouvoir au Nigeria avait promulgué divers décrets dépossédant de leurs
pouvoirs la
juridiction des tribunaux, privant ainsi les Nigérians du droit de demander
la réparation
devant ceux-ci pour des actes commis par le gouvernement en violation de
leurs droits
fondamentaux 1. Dans ce genre de situation, comme c’est le cas dans la
présente communication, la Commission estime qu’il n’existe pas de voies
de recours
interne
adéquates (Voir Communication 129/94 : Organisation des libertés civiles/Nigeria).
42. Il convient de noter que le nouveau gouvernement a admis, dans sa note
verbale, référence
127/2000, soumise à la 28ème Session de la Commission tenue à Cotonou,
Bénin, les
violations commises en déclarant « on ne peut nier le fait que beaucoup
d’atrocités ont été
commises et le sont encore par la société pétrolière dans l’Ogoni Land
et, bien entendu,
dans vallée du Delta du Niger ».
Pour ces motifs, la Commission déclare la communication recevable.
Le fond
43. La présente Communication allègue une violation concertée d’un grand
éventail de droits
garantis au titre de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Avant de
s’aventurer dans une enquête pour savoir si le Gouvernement du Nigeria
a violé lesdits droits,
tel qu’allégué par le Plaignant, il serait plus indiqué d’établir ce que
l’on attend généralement des
gouvernements en vertu de la Charte Africaine et plus spécifiquement eu
égard aux droits euxmêmes.
44. Les idées acceptées au plan international concernant les diverses obligations
créées par les droits
de l’homme indiquent que tous les droits, civils et politiques, sociaux
et économiques, créent au
moins quatre niveaux d’obligations pour un Etat qui s’engage à adopter
un régime de droits,
notamment le devoir de respecter, de protéger, de promouvoir et de réaliser
ces droits.
Ces obligations s’appliquent universellement à tous les droits et imposent
une combinaison de
devoirs négatifs et positifs. En tant qu’instrument des droits de l’homme,
la Charte Africaine
n’est pas étrangère à ces concepts et l’ordre dans lequel ils sont examinés
ici est choisi par souci
de commodité et cela ne devrait nullement laisser supposer la priorité
qui leur est accordée.
Chaque niveau d’obligation est tout aussi applicable aux droits en question.
2
45. Au premier niveau, l’obligation de respect exige que l’Etat se garde
d’intervenir dans la
jouissance de tous les droits fondamentaux ; il devrait respecter ceux
qui doivent jouir de leurs
droits, respecter leurs libertés, indépendance, ressources et liberté d’action.
3 Eu égard aux droits
socio-économiques, cela signifie que l’Etat est obligé de respecter la
libre utilisation des
ressources qui appartiennent ou sont à la disposition d’un individu seul
ou en une quelconque
forme d’association avec d’autres personnes, notamment le ménage ou la
famille, aux fins des
besoins liés aux droits mentionnés plus haut. En ce qui concerne le groupe
collectif, il faudrait
respecter les ressources dont il dispose, étant donné que pour satisfaire
ses besoins, il doit
utiliser les mêmes ressources.
46. Au deuxième niveau, l’Etat est tenu de protéger les détenteurs de droits
contre d’autres
individus, par la législation et la mise à disposition de recours effectifs.
4 Cette obligation requiert
de l’Etat de prendre des mesures pour protéger les bénéficiaires des droits
protégés contre les
ingérences politiques, économiques et sociales. La protection exige généralement
la création et
le maintien d’un climat ou d’un cadre par une interaction effective des
lois et règlements, de
manière à ce que les individus puissent exercer librement leurs droits
et libertés. Cela est
inextricablement lié à la troisième obligation de l’Etat qui est de promouvoir
la jouissance de
tous les droits humains. L’Etat devrait veiller à ce que les individus
puissent exercer leurs droits
et libertés, par exemple en favorisant la tolérance, en sensibilisant davantage
le public et même
en construisant des infrastructures.
47. Le dernier niveau d’obligation exige à l’Etat de satisfaire les droits
et libertés pour le respect
desquels il s’est engagé librement aux termes des divers instruments des
droits de l’homme.
C’est plus qu’une attente positive, de la part de l’Etat, d’orienter son
système vers la réalisation
effective des droits. Cela est également inextricablement lié à l’obligation
de promotion
mentionnée dans le paragraphe précédent. Elle pourrait consister en la
fourniture directe des
besoins fondamentaux tels que la nourriture ou les ressources qui peuvent
être utilisées pour
l’alimentation (aide alimentaire directe ou sécurité sociale). 5
48. Ainsi, en règle générale, lorsque des états adhèrent librement aux
termes des divers instruments
des droits de l’homme, il leur revient de supporter le poids de toutes
les obligations
mentionnées ci-dessus. En soulignant le caractère global de leurs obligations,
le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, stipule,
à titre exemplaire, en
son article 2(1), que les Etats “s’engagent à prendre des mesures … par
tous les moyens appropriés,
notamment l’adoption de mesures législatives.” Selon le type de droits
examinés, le degré de mise en
application de ces devoirs varie. Mais dans certaines circonstances, la
nécessité de jouir
pleinement de certains de ces droits requiert une action concertée de la
part de l’Etat eu égard à
plus d’un desdits devoirs. La question de savoir si le gouvernement nigérian
a violé par sa
conduite les dispositions prévues dan la Charte Africaine comme allégué
par les plaignants, sera examinée
dans les paragraphes qui suivent.
49. Conformément aux articles 60 et 61 de la Charte africaine, la Commission
a examiné la
présente communication à la lumière de dispositions de la Charte Africaine
et d’instruments et
principes régionaux et internationaux pertinents des droits de l’homme.
La Commission
remercie les deux ONG des droits de l’homme qui ont porté l’affaire à son
attention: Social and
Economic Rights Action Center (Nigeria) et Center for Economic and Social
Rights (Etats-
Unis). C’est là un témoignage de l’utilité de la Commission et des individus
d’actio popularis, qui
est judicieusement sanctionnée au titre de la Charte africaine. Il est
regrettable que la seule
réponse écrite du gouvernement nigérian ait consisté en une note verbale
admettant le bienfondé
des plaintes, et que nous avons reproduit plus haut au paragraphe 30. Dans
ces
circonstances, la Commission se voit dans l’obligation de poursuivre l’examen
de l’affaire en tenant
compte des allégations incontestées des plaignants qui sont par conséquent
acceptées par
la Commission.
50. Les plaignants allèguent que le gouvernement nigérian a violé le droit
à la santé et le droit à un
environnement propre, tels que reconnus aux termes des articles 16 et 24
de la Charte Africaine
en négligeant d’accomplir les obligations minimales liées à ces droits.
Les plaignants allèguent en
outre que le gouvernement a fait cela en :
- participant directement aux activités de contamination de l’air, de l’eau
et du sol,
nuisant, en ce faisant, à la santé du peuple Ogoni ;
- négligeant de protéger la population Ogoni contre les torts causés par
le Consortium
Shell NNPC, et en utilisant plutôt ses forces de sécurité pour faciliter
les dommages
causés ;
- négligeant de fournir ou de permettre la conduite d’études sur les risques
éventuels ou
réels sur l’environnement et la santé, causés par les activités pétrolières.
L’Article 16 de la Charte Africaine stipule :
“(1) Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique
et mentale
qu’elle soit capable d’atteindre.
(2) Les Etats parties à la présente Charte s’engagent à prendre les mesures
nécessaires
en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance
médicale
en cas de maladie."
L’Article 24 de la Charte Africaine stipule :
" Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global,
propice à leur
développement."
51. Ces droits reconnaissent l’importance d’un environnement propre et
sain étroitement lié aux
droits économiques et sociaux, pour autant que l’environnement affecte
la qualité de la vie et la
sécurité de l’individu. 6 Comme l’a fait observer à juste titre Alexander
Kiss lorsqu’il
déclare : « En fait, un environnement dégradé par la pollution et par la
destruction de toute
beauté et variété est aussi contraire à des conditions de vie satisfaisantes
et au développement,
que l’effondrement de l’équilibre écologique fondamental est néfaste à
la santé physique et
morale. » 7
52. Le droit à un environnement général satisfaisant tel que garanti en
vertu de l’article 24 de la
Charte Africaine ou le droit à un environnement sain, comme c’est bien
connu, impose en
conséquence des obligations claires au gouvernement. Cela requiert de l’Etat
de prendre des
mesures raisonnables et d’autres mesures pour prévenir la pollution et
la dégradation
écologique, favoriser la préservation de l’environnement et garantir un
développement
écologiquement durable et l’utilisation des ressources naturelles. L’Article
12 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ICESCR)
auquel le Nigeria est
partie, demande aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires en
vue de l’amélioration
de tous les aspects de l’hygiène environnementale et industrielle. Le droit
de jouir du meilleur
état de santé physique et mental possible, conformément aux dispositions
énoncées dans l’article 16 (1)de la Charte Africaine, ainsi que le droit à un environnement
global acceptable et
favorable au développement (16 (3)), droits dont il vient d’être fait mention,
obligent les
gouvernements à cesser de menacer directement la santé et l’environnement
de leurs citoyens.
L’Etat a l’obligation de respecter les droits mentionnés, et cela exige
un comportement
largement non-interventionniste de la part de l’Etat, par exemple, ne pas
exercer, sponsoriser ou
tolérer toute pratique, politique ou mesure légale violant l’intégrité
de l’individu 8.
53. Le respect par le gouvernement de l’esprit des articles 16 et 24 de la Charte Africaine doit également inclure le fait d’ordonner ou au moins de permettre la surveillance scientifique indépendante des environnements menacés, d’exiger et de publier des études sur l’impact social et environnemental avant tout développement industriel majeur ; d’entreprendre la surveillance appropriée et d’informer les communautés exposées aux activités et produits dangereux et d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement affectant leurs communautés.
54. Procédons maintenant à l’examen de la conduite du gouvernement nigérian
eu égard aux articles
16 et 24 de la Charte Africaine. Sans aucun doute, il faut reconnaître
que le gouvernement
nigérian a le droit de s’engager, par l’entremise du NNPC, dans la production
du pétrole, dont les
recettes lui servent à assurer les droits économiques et sociaux des nigérians.
Mais l’on constate
que les précautions qui auraient dû être prises, comme indiqué dans les
paragraphes précédents, et
qui auraient contribué à protéger les droits des victimes de violations
signalées, n’ont pas été
prises. Pour empirer la situation, les forces de sécurité gouvernementales
se sont engagées dans
des activités violant les droits du peuple Ogoni, en attaquant, brûlant
et détruisant plusieurs
villages et maisons d’Ogoni.
55. Les plaignants allèguent également une violation de l’article 21 de
la Charte Africaine par le
gouvernement nigérian. Ils allèguent en outre que le gouvernement militaire
du Nigeria était
impliqué dans l’exploitation du pétrole et n’a donc pas contrôlé ou réglementé
les activités des
compagnies pétrolières, et de ce fait, a ouvert la voie aux consortiums
pétroliers pour exploiter
les réserves de pétrole à Ogoniland. Le rôle destructeur et égoïste joué
par les sociétés
d’exploitation de pétrole à Ogoniland étroitement lié aux tactiques répressives
du gouvernement
nigérian ainsi que l’absence d’avantages matériels, tout cela subi par
la population locale9, peut
être bien considéré comme une violation de l’article 21.
L’Article 21 prévoit :
1. Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs
ressources naturelles. Ce droit
s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple
ne peut en être privé.
2. En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération
de ses biens ainsi qu’à une
indemnisation adéquate.
3. La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s’exerce
sans préjudice d e l’obligation
de promouvoir une coopération économique internationale fondée sur le respect
mutuel, l’échange
équitable et les principes du droit international.
4. Les Etats parties à la présente Charte s’engagent, tant individuellement
que collectivement, à
exercer le droit de libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources
naturelles, en vue de
renforcer l’unité et la solidarité africaines.
5. Les Etats partis à la présente Charte s’engagent à éliminer toutes les
formes d’exploitation
économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles
internationaux, afin
de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des
avantages provenant de
ses ressources nationales.
56. L’origine de cette disposition peut remonter au colonialisme, période
durant laquelle les
ressources matérielles et humaines de l’Afrique ont été largement exploitées
au profit de
puissances étrangères, créant ainsi une tragédie pour les Africains eux-mêmes,
les privant de leurs
droits inaliénables et de leurs terres. Les conséquences de l’exploitation
coloniale ont laissé les
populations et les ressources précieuses de l’Afrique encore vulnérables
au détournement
étranger. Les rédacteurs de la Charte africaine voulaient manifestement
rappeler aux
gouvernements africains l’héritage douloureux du continent et ramener le
développement
économique coopératif à sa place traditionnelle, c’est-à-dire au coeur
de la Société africaine.
57. Les gouvernements ont le devoir de protéger leurs citoyens, non seulement
en adoptant des
législations appropriées et en les appliquant effectivement, mais également
en protégeant lesdits
citoyens d’activités préjudiciables qui peuvent être perpétrées par les
parties privées ( voir Union
des Jeunes avocats/Tchad 10). Ce devoir requiert une action positive de
la part des
gouvernements lorsqu’ils doivent s’acquitter de leurs obligations aux termes
des instruments des
droits de l’homme. Les procédures engagées devant d’autres tribunaux permettent
également de
faire ressortir cette exigence, comme on peut l’observer dans le litige
Velàsquez Rodríguez c.
Honduras 11.
Dans ce jugement historique, la Cour interaméricaine des droits de l’homme
a
statué que lorsqu’un Etat permet à des personnes ou à des groupes privés
d’agir librement et avec
impunité au détriment des droits reconnus, il se met en réelle violation
de ses obligations
consistant à protéger les droits humains de ses citoyens. De même, cette
obligation est davantage
soulignée dans la procédure adoptée par Cour européenne des droits de l’homme
dans la cause X
et Y c. Royaume des Pays Bas12. Dans cette affaire, la Cour a décidé que
les autorités étaient
dans l’obligation de prendre les mesures visant à assurer que la jouissance
des droits des
plaignants n’est pas entravée par une autre personne privée, quelle qu’elle
soit.
58. La Commission a pris note du fait que, dans le cas présent, malgré
l’obligation dans laquelle il se
trouvait de protéger les personnes contre les entraves à la jouissance
de leurs droits, le
gouvernement nigérian a facilité la destruction d’Ogoniland. Contrairement
aux obligations de sa
Charte et en dépit de tels principes internationalement reconnus, le gouvernement
nigérian a
donné le feu vert aux acteurs privés et aux compagnies pétrolières en particulier,
pour affecter de
manière considérable le bien-être des Ogonis. Si l’on utilise n’importe
quelle mesure de normes, sa
pratique n’atteint pas la conduite minimum que l’on attend des gouvernements
et est, par
conséquent, en violation des dispositions énoncées dans l’article 21 de
la Charte Africaine.
59. Les plaignants indiquent également que le gouvernement militaire du
Nigeria a massivement et
systématiquement violé le droit à un logement adéquat aux habitants de
la communauté Ogoni
prévu par l’Article 14 et implicitement reconnu aux articles 16 et 18 (1)
de la Charte africaine.
L’Article 14 de la Charte stipule :
" Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte
que par nécessité publique ou dans
l’intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions
des lois appropriées."
L’Article 18(1) stipule :
"
La famille est l’élément naturel et la base de la société.. Elle
doit être protégée par l’Etat ..."
60. Bien que le droit au logement ou à l’abri ne soit pas explicitement
prévu aux termes de la Charte
Africaine, le corollaire de la combinaison des dispositions protégeant
le droit de jouir du
meilleur état de santé physique et mentale qu’une personne soit capable
d’atteindre, énoncées
aux termes de l’article 16 susvisé, le droit à la propriété et la protection
accordée à la famille
empêche la destruction gratuite d’abri car, lorsqu’une maison est détruite,
la propriété, la santé
et la vie de famille sont négativement affectées en conséquence. Il est
par conséquent noté que
les effets combinés des articles 14, 16 et 18(1) prévoient dans la Charte
Africaine un droit à
l’abri ou au logement que le gouvernement nigérian a apparemment violé.
61. Au strict minimum, le droit au logement oblige le gouvernement nigérian
à ne pas détruire les
maisons de ses citoyens et de ne pas faire obstruction aux efforts des
individus ou des
communautés pour reconstruire les maisons détruites. L’obligation de l’Etat
de respecter les
droits au logement exige que ce dernier, et de ce fait, tous ses organes
et agents, s’abstiennent
de mener, de sponsoriser et de tolérer des pratiques, politiques ou mesures
légales violant
l’intégrité des individus ou d’empiéter sur leur liberté d’utiliser ce
matériel ou d’autres ressources
à leur disposition, d’une manière qu’ils trouvent des plus appropriée pour
satisfaire les besoins
en logement de l’individu, de la famille, du ménage ou de la communauté.13
Ses obligations de
protéger l’obligent à empêcher la violation du droit de tout individu au
logement par tout autre
individu ou des acteurs non étatiques tels que les propriétaires, les promoteurs
immobiliers et les
propriétaires fonciers, et lorsque ces violations se produisent, il devrait
agir de sorte à
empêcher davantage de privations et garantir l’accès aux voies de recours.14 Le droit à l’abri va
même plus loin qu’un toit au-dessus de la tête. Il s’étend pour couvrir
le droit de l’individu
d’être laissé seul et de vivre en paix, que ce soit sous un toit ou non.
62. La protection des droits garantis par les articles 14, 16 et 18 (1)
mène à la même conclusion. En ce
qui concerne le droit précédent, et dans le cas du peuple Ogoni, le gouvernement
du Nigeria n’a
pas rempli ces deux obligations minimums. Le gouvernement a détruit les
maisons et villages du
peuple Ogoni et ensuite au travers ses forces de sécurité, il a provoqué,
harcelé, battu et dans
certains cas, tué et tiré sur des citoyens innocents qui ont essayé de
retourner pour reconstruire
leurs maisons détruites. Ces actions constituent des violations graves
du droit au logement prévu
par les articles 14, 16 et 18(1) de la Charte africaine.
63. La violation particulière du gouvernement nigérian au droit à un logement
adéquat, tel que
protégé implicitement par la Charte Africaine, comprend également le droit
à la protection contre
les expulsions forcées. La Commission Africaine s’inspire de la définition
du terme ‘‘expulsions
forcées’’ par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui
définit ce terme comme
‘‘le déménagement permanent, contre leur volonté, d’individus, de familles
et/ou de
communautés de leurs maisons et/ou de la maison qu’ils occupent, sans bénéficier
d’une
quelconque forme appropriée de protection juridique ou autre’’15. Partout
où cela se passe et
lorsque cela se passe, les expulsions forcées sont extrêmement traumatisantes.
Elles causent des
détresses physiques, psychologiques et émotionnelles ; elles provoquent
des pertes de moyens de
subsistance économiques et accroissent la pauvreté. Elles peuvent également
provoquer des blessures
physiques et, dans certains cas, des morts sporadiques…. Les expulsions
séparent les
familles et accroissent le nombre existant de sans abris.16 A cet égard,
General Comment
(observation générale) No. 4 (1991) du Comité des droits économiques, sociaux
et culturels sur
le droit à un logement adéquat énonce que : "toutes
les personnes devraient être en possession
d’un certain bail assuré qui garantit une protection légale contre les
expulsions forcées, le
harcèlement et d’autres menaces" (E/1992/23,
annexe III. Paragraphe 8(a)). Le comportement du
gouvernement nigérian démontre nettement une violation de ce droit dont
jouit le peuple ogoni
en tant que droit collectif.
64. La Communication soutient que le droit à la nourriture est implicite
dans la Charte Africaine, dans
les dispositions telles que le droit à la vie (article 4), le droit à la
santé (article 16) et le droit au
développement économique, social et culturel (article 22). En violant ces
droits, le Gouvernement
nigérian bafoue non seulement les droits protégés explicitement, mais aussi
le droit à
l’alimentation garanti implicitement.
65. Le droit à l’alimentation est inextricablement lié à la dignité des
êtres humains et il est par
conséquent essentiel à la jouissance et à la réalisation des autres droits
tels que les droits à la santé,
à l’éducation, au travail et à la participation politique. La Charte Africaine
et le droit international
exigent du Nigeria de protéger et d’améliorer les sources alimentaires
existantes et garantir l’accès
à une alimentation adéquate pour tous les citoyens. Sans toucher à l’obligation
d’améliorer la
production alimentaire et de garantir son accès, le droit à l’alimentation
exige que le
gouvernement nigérian ne détruise ni ne contaminent les sources alimentaires.
Il ne devrait pas
permettre aux parties privées de détruire ou de contaminer les sources
alimentaires et entraver les
efforts déployés par les populations pour s’alimenter.
66. La façon dont le gouvernement a traité les Ogonis est en violation
des trois devoirs minimum du
droit à l'alimentation. Le gouvernement a détruit les sources d'alimentation
à travers ses agents de
sécurité et les compagnies pétrolières d'Etat, a permis
aux compagnies pétrolières privées de
détruire les sources de nourriture et a, au moyen de la terreur, crée de
sérieux obstacles aux
communautés Ogonis dans leur recherche de nourriture. De nouveau, le gouvernement
nigérian
n’a pas réussi à atteindre ce que l’on attendait de lui, aux termes des
dispositions de la Charte
Africaine et des normes des droits humains internationaux, et est par conséquent
en violation du
droit à l’alimentation des ogonis.
67. Les plaignants allèguent également que le gouvernement nigérian a violé
l’article 4 de la Charte
Africaine qui garantit l’inviolabilité des êtres humains et du droit de
tout individu à la vie et à
l’intégrité de sa personne. Compte tenu des violations massives perpétrées
par le Gouvernement
nigérian et par les acteurs privés (que ce soit par sa bénédiction ou non),
le plus fondamental de
tous les droits humains, le droit à la vie, a été violé. Le feu vert a
été donné aux forces de sécurité
pour traiter de manière décisive avec les ogonis, ce qui a été illustré
par la terreur et les massacres
largement répandus. La pollution et la dégradation de l’environnement à
un niveau humainement
inacceptable a fait que vivre dans Ogoniland est devenu un cauchemar. La
survie des ogonis
dépendait de leurs terres et fermes qui ont été détruites du fait de l’implication
directe du
Gouvernement. Ces brutalités et d’autres brutalités similaires ont non
seulement persécuté les individus
dans Ogoniland, mais aussi la communauté ogoni dans son ensemble. Elles
ont affecté
la vie de la société ogoni dans son ensemble. La Commission a effectué
une mission au Nigeria du
7 au 14 mars 1997 et s’est rendu compte directement de la situation déplorable
réelle qui prévaut
dans Ogoniland, notamment la dégradation de l’environnement.
68. Le caractère unique de la situation africaine et les qualités spéciales
de la Charte africaine imposent
une importante tâche à la Commission africaine. Le droit international
et les droits de l'homme
doivent répondre aux circonstances africaines. En clair, les droits collectifs,
environnementaux,
économiques et sociaux sont des éléments essentiels des droits de l'homme
en Afrique. La
Commission Africaine appliquera n'importe lequel des droits contenus dans
la Charte Africaine.
La Commission saisit cette occasion pour clarifier qu'il n'y a pas de droit
dans la Charte Africaine
que l'on ne puisse mettre en oeuvre. Comme indiqué dans les paragraphes
précédents, le
gouvernent nigérian n’a pas satisfait au minimum des attentes de la Charte
Africaine.
69. La Commission Africaine ne souhaite pas mettre en cause les gouvernements
qui travaillent dans
des conditions difficiles en vue d'améliorer le niveau de vie de leurs
populations. Toutefois, la
situation du peuple d’Ogoniland exige, du point de vue de la Commission,
un révision de
l’attitude du Gouvernement face aux allégations contenues dans la communication
en question.
L’intervention de sociétés multinationales peut être une force de développement
potentiellement
positive si l’Etat et le peuple concerné sont attentifs au bien commun
et aux droits sacrés des
individus et des communautés. La Commission note toutefois les efforts
déployés par
l’administration civile actuelle en vue de réparer les atrocités commises
par l’administration
militaire précédente, tel qu’illustré par la note verbale à laquelle il
est fait référence au paragraphe
30 de la présente décision.
Par ces motifs, la Commission :
Estime que la République fédérale du Nigeria est en violation des articles
2, 4, 14, 16, 18(1), 21 et 24 de
la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
Exhorte le gouvernement de la République fédérale du Nigeria à assurer
la protection de
l'environnement, de la santé et des moyens d’existence du peuple Ogoni
:
- En arrêtant toutes les attaques contre les communautés ogonis et leurs
dirigeants par les forces
de sécurité de l'Etat du River State et en permettant aux citoyens et enquêteurs
indépendants
d'accéder librement au territoire ;
- En menant des enquêtes sur les violations des droits de l’homme susvisées
et en poursuivant en
justice les autorités des forces de sécurité, le NNPC et les autres agences
impliquées dans les
violations des droits de l'homme ;
- En s'assurant qu'une compensation adéquate soit versée aux victimes des
violations des droits de
l'homme, de même qu'une assistance pour la réinstallation des victimes
de raids menés sur ordre
du gouvernement, et en procédant à un nettoyage total des terres et rivières
polluées/endommagées par les opérations liées à l'exploitation pétrolière
;
- En s'assurant qu'une évaluation adéquate de l’impact social et écologique
des opérations
pétrolières soit menée pour tout futur projet d'exploitation pétrolière
et que la sécurité de tout
projet du genre soit garantie au moyen d'organes de contrôle indépendants
de l'industrie
pétrolière ; et
- En fournissant des informations sur les risques pour la santé et l'environnement,
de même qu'un
accès effectif aux organes de régulation et de décision par les communautés
susceptibles d'être
affectées par les opérations pétrolières.
Exhorte le gouvernement de la République fédérale du Nigeria à tenir la
Commission Africaine informée
des résultats du travail :
- du Ministère Fédéral de l’Environnement qui a été créé pour traiter les
questions
environnementales et celles liées à l’environnement qui sont d’actualité
au Nigeria et prioritaires
dans la zone du Delta du Niger où se trouve Ogoniland ;
- de la Commission pour la Mise en valeur du Delta du Niger (NDDC) instituée
par loi pour traiter
des problèmes environnementaux et autres problèmes sociaux dans la zone
du Delta du Niger et
d’autres zones de production de pétrole du Nigeria ; et
- de la Commission juridique d’Enquête créée pour enquêter sur les questions
de violations des
droits de l’homme.
Fait lors de la 30ème Session ordinaire,
tenue à Banjul, Gambie du 13 au 27 octobre 2001
_________________________
1. Voir la Constitution (Suspension et Modification) Décret de 1993.
2. Voir généralement, Asbjørn Eide, “Economic, Social and Cultural Rights As
Human Rights” dans Asbjørn Eide, Catarina
Krause and Allan Rosas (Eds.) Economic, Social, and Cultural Right: A Textbook
(1995) PP. 21-40
3. Krzysztof Drzewicki, “Internationalization of Human Rights and Their Juridization”
dans Raija Hanski and Markku Suksi
(Eds.), Deuxième Edition révisée, An Introduction to the International Protection
of Human Rights: A Textbook (1999), p. 31.
4. Drzewicki, ibid.
5. Voir Eide, dans Eide, Krause and Rosas,
op cit., p. 38.
6. Voir également Commentaire général No. 14 (2000) du Comité sur les droits
économiques, sociaux et culturels.
7. Human Rights in the Twenty first Century: A Global Challenge, Edité par Kathleen
E. Mahoney et Paul Mahoney. Article
d’Alexander Kiss ‘‘Concept and Possible Implications of the Right to Environment’’,
page 553.
8. Voir Scott Leckie " Le
Droit au Logement " dans
les droits économiques, sociaux et culturels (ed) Eide, Krause and Rosas,
Martinus Nijhoff Publishers 1995.
9.
10. Communication 74/92.
11. Voir Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, Litige Velàsquez Rodríguez,
Jugement du 19 juillet 1988, Series
C, no. 4.
12. 91 ECHR (1985) (Ser. A) à 32.
13. Scott Leckie, ‘‘The Right to Housing’’ dans Eide, Krause and Rosas, op cit.,
107-123, P. 113.
15. Voir General Comment No.7 (1997) sur le droit à un logement adéquat (Article
11.1): Expulsions forcées
16. Ibid. p. 113